Lunch time is at 1300

Jeu 12 Nov 2015 - 0:03


C'était chaque jour la même rengaine. Se lever, trouver une occupation jusqu'à l'heure du repas, faire le pied de grue au milieu de centaines d'autres personnes, manger, trouver une occupation jusqu'à l'heure du repas, faire le pied de grue au milieu de centaines d'autres personnes, manger, attendre le couvre-feu, dormir.

Ils avaient été parmi les premiers à arriver au lycée de Garfield, parmi les premiers à venir trouver refuge au près des militaires. Depuis, d'autres avaient suivi. C'était d'ailleurs à ça que Jaden avait consacré ses premiers jours. Observer le défilé des nouveaux arrivants. Il y en avait eu des centaines. Comme eux, certains arrivaient en famille, certains étaient accompagnés d'amis, d'autres encore venaient seuls. Il y avait des hommes et des femmes. Des jeunes et des moins jeunes. Des grands et des petits. Des blonds, des bruns, des roux. Des blancs, des noirs, des latinos, des bridés. Le fait que  les Preston soient arrivés si tôt au camp leur avaient permis de nouer des liens avec certains d'entre eux. Forcément au début, lorsqu'ils étaient encore peu nombreux, ils s'étaient vite tournés les uns vers les autres pour ne pas rester seuls dans leur coin. Mais plus leur nombre croissait, plus ils étaient devenus un simple visage parmi tant d'autres. Noyés dans la masse, le contact avec les nouveaux venus était devenu plus compliqué. Maintenant, plus les jours passaient, plus les arrivées se faisaient rares et espacées. L'ancien militaire avait rapidement dû trouver une autre activité pour occuper ses journées et éviter de tourner comme un lion en cage. Plus facile à dire qu'à faire. Au vue de leur nombre et du peu d'espace qui leur était alloué, vous aviez vite fait le tour.

Jaden s'était fait chier comme un rat mort ce matin-là. Et vu ce qu'il captait du brouhaha de la file d'attente, il n'était pas le seul. Si certains se plaignaient, lui n'en faisait pas grand cas. Ses quelques années dans l'USMC l'avait habitué au train de vie que leur faisaient mener les militaires. Les premiers jours n'avaient certes pas été facile, il lui avait fallu retrouver certains repères, mais il s'y était fait. Et puis faut dire qu'il était plutôt content d'être ici. Au moins ils n'étaient pas dehors. Ils étaient nourris, logés. Sa famille était à l'abri. Que Maxine et Anna soient à l'abri, c'était tout ce qui comptait à ses yeux. Là, de l'autre côté des barricades qui encerclaient le lycée, il n'était pas du tout sûr de pouvoir les protéger aussi bien que le faisaient le général Moore et ses hommes. Non au final, ce qui l'emmerdait le plus, ce n'était pas tant la situation dans laquelle ils étaient plongés que le flou dans lequel ils baignaient. L'agent spécial avait déjà tenté deux ou trois fois de partir à la pêche aux infos mais sans grand succès. Même le caporal Fitzgerald, l'un des rares Marines dans le camp et celui qui leur avait ouvert les portes d'Emerald Freedom, s'était montré avare. Tout ce que le chef de famille Preston savait, c'était que les militaires géraient la situation. Comprendre par là que c'était leur affaires et pas les siennes.

Le brouhaha s'intensifia soudainement, forçant le blond à se concentrer sur son environnement direct plutôt que sur les deux militaires qui discutaient, à une centaine de mètres de là, dans l'un des miradors qu'ils avaient monté pour surveiller les environs. La file se mit lentement en marche, très lentement. L'appel à l'entrée empêchait certes les petits malins de venir se resservir mais cela prenait un temps considérable de noter tout le monde. Arrivé au point de contrôle, le trentenaire s'écarta pour laisser passer sa mère et sa femme en premier.

- Jaden Preston, fit l'homme d'un ton monocorde au première classe chargé de cocher les noms.

Pas de doux fumet à l'intérieur du mess, comme l'appelait les soldats du camp. Faut dire que ce qu'on leur servait était loin d'être de la grande cuisine, mais ça avait au moins le mérite de remplir les estomacs. De la nourriture de soldats quoi, quelque chose qui vous tenait au ventre et vous apportez les apports journaliers nécessaires. Le goût était en revanche aussi fade que la vie dans le camp. Une fois leur plateau récupéré, Anna ne tarda pas à repérer une table de quatre encore libre. Ils s'y installèrent sans tarder, enfin prêt à passer à l'une des activités les plus intéressantes de la journée.
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Re: Lunch time is at 1300

Ven 13 Nov 2015 - 15:36




Lorsque Maxine s'imaginait l'avenir, jamais l'idée de se retrouver bloqué dans un camp ne lui traversait l'esprit. C'était tout simplement impossible à imaginer. Et même lorsqu'ils avaient pris la décision de rejoindre le lycée, l'institutrice ne s'attendait pas à une chose pareille. Du monde partout et un flou total. Que ce passait il à l'extérieur ? Elle l'ignorait en grande partie. Les seules informations qu'elle avait réussi à récolter venait des derniers arrivants. En débarquant dans les premiers ils avaient finalement évité pas mal d'horreurs. Parce qu'il n'y avait aucun doute là dessus. A l'extérieur rien ne s'améliorait et la question était de savoir si les militaires réussissaient à arranger la situation. Mais malgré les questions incessantes des réfugiés, aucune réponse n'avait été apportée.

Perdues, la mère et l'épouse Preston avaient passé leurs journées à s'occuper des derniers arrivants. Elles avaient déjà quelques repères à l'intérieur et puis cela leur permettait d'occuper leurs journées. Du moins au début. Du coup, Maxine s'était raccroché à certaines personnes avec qui elle avait pu discuter ou même retrouver. Des parents, des élèves, des collègues mais aussi des étrangers dont elle avait du faire la connaissance durant les longues heures à attendre dans le gymnase ou encore en attendant son tour pour aller manger. Comme en prison, tout était bien réglé. En file indienne, ils attendaient leurs tours pour recevoir leur repas, Anna en premier et Jaden en dernier. « Maxine Lawson. » S'annoncer avec son nom de jeune fille lui rappelait combien tout était bien réglé, comme dans n'importe quelle administration.

Sans grande motivation, Maxine récupéra son plateau sans même lever le regard vers la nourriture qu'il contenait. Si au début elle avait espéré que les repas s'améliorent, désormais elle n'y croyait plus. Manger pour survivre, c'était là la seule utilité de ce plateau. Sans un mot, elle suivait les pas de sa belle mère qui avait réussi à dénicher une table libre où tous les Preston pouvaient contenir. Chose assez rare. Une fois assise, elle prit quelques secondes pour observer la pièce. Certains parents se battaient avec leurs enfants pour réussir à leur faire avaler ne serait ce qu'une cuillère de leur plat, d'autres participaient à des discussions mouvementées. Pour eux, chaque repas commençait de la même manière. Glissant ses doigts dans la main de son mari, elle tendit le bras pour attraper la main de sa belle mère, assise de l'autre côté face à son fils. Cette fois, ce fut au tour d'Anna. « “God, we give you thanks for the food on our table, for the loved ones gathered around, and for you, who make it all possible. We are humbly grateful. Amen.” Il fut difficile de l'entendre correctement avec tout le bruit qui régnait dans la pièce, mais leurs prières n'étaient jamais vraiment différentes de toute façon. Le bénédicité n'était pas une coutume chez les Preston mais dans leur situation, ils s'étaient mis d'accord, un peu d'aide ne ferait de mal à personne. Et surtout, il fallait se rattacher à quelque chose. La foi était la chose la plus facilement accessible.

Elle se sépara de la main d'Anna mais quitta lentement celle de Jaden dans un soupire résigné, les lèvres pincées en fixant toujours devant elle. Puis elle se mit à suivre une jeune femme du regard, celle ci slalomait entre les tables, son plateau dans les mains sans trop savoir où s'installer. Il faut dire que la plupart des familles avaient sauter sur les tables vides, comme ils avaient eux même pu le faire d'ailleurs. Alors, lorsqu'elle passa à côté d'elle, elle en profita pour lui attraper l'avant bras avec douceur. « Venez. » D'un coup de menton, elle lui désigna la place libre en face d'elle. « Il reste une place. » Rien n'obligeait la jeune femme à le faire, après tout elle pouvait très bien l'envoyer chier mais Maxine avait saisit occasion de passer un repas un peu différent. Qu'elle ne passe pas encore un repas le nez plongé dans son assiette avec aucun sujet de conversation à partager avec sa famille. L'arrivée d'un nouvel élément pouvait changer la donne.

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Re: Lunch time is at 1300

Sam 14 Nov 2015 - 11:13

Encore un sanglot. Ils vont m'avoir à l'usure.
Quand je l'ai eue au téléphone, Maria m'a vendu l'endroit comme une forteresse imprenable, et je l'ai bêtement écoutée. Oh toi ! T'as intérêt à les ramener par ici, tes fesses, que je t'étrangle pour m'avoir convaincue !

Pourquoi je suis remontée ? Pas pour la sécurité, non, la dessus rien à dire. Même les mauvaises manières de certains soldats ne m'affectent pas vraiment. Après tout, ils représentent l'autorité, ils jouent les durs, c'est normal.
Mon problème, c'est de me retrouver étouffée par deux cent, peut-être trois cent pauvres petites âmes en peine au milieu d'un gymnase qui empeste le vieux et la sueur. On est entassés.
Mais le pire, c'est pas ça, c'est que cette bande de pleurnichards ne la ferme jamais. Jamais. Jour et nuit ils sont là à geindre : les parents qui cherchent leurs gosses, les enfants qui cherchent leurs parents, les vieux qu'ont perdu leurs compagnes. J'en peux plus. Je voudrais tous les étouffer avec mon sac de couchage, mais mes bras tétaniseraient avant que j'en ai fait taire la moitié.
Tiens ! En voilà une autre qui sanglote parce qu'elle n'a toujours pas de nouvelles de son mari. Pourquoi est-ce qu'elle ne peut pas simplement angoisser dans son coin ? Pourquoi m'imposer à moi ses petits tracas personnels ? Tout le monde ici est sans nouvelle d'un proche ou d'un autre. Tout le monde aimerait savoir ce qu'il se passe la dehors. Même moi. Mais voilà, on est dans l'ignorance. Et geindre à m'en vriller les tympans n'y changera rien.
Un autre qui s'y met aussi, un gosse cette fois. MAIS. FERMEZ. LA !

J'aimerais le leur dire, le leur hurler. Hélas, je sais très bien que j'ai plutôt intérêt à attirer leur sympathie. Puisqu'on est coincés ici pour un temps indéterminé, je servirai mieux mes intérêts en les amadouant qu'en me les mettant à dos. Alors je tape sur des épaules, j'aide ceux qui arrivent à s'installer, je fais des sourires. Mais ce matin, j'en peux plus. Ils geignent depuis six heures et j'en ai ma claque.
Je donnerais n'importe quoi pour faire un tour dehors, courir un peu pourquoi pas ? Ça me détendrait. Mais non, ma seule consolation aura été de pouvoir papoter avec Reese en attendant patiemment que ma montre dorée affiche 13 heures. Direction : le mess, comme ils disent.

Je n'ai qu'un mot pour décrire ces mets qu'on nous sert jour après jour, avec le sourire s'il vous plait ! Infâmes.
Mais là encore, j'ai pas mon mot à dire. Et j'ai pas d'autre choix que d'accepter ce qu'on me donne alors je relativise. Ça reste mangeable après tout, ça cale. Mieux, avec les roulements mis en place, on est un peu moins entassés à table que dans le gymnase.
Enfin... Plus ou moins selon les moments. Là par exemple, impossible de trouver un coin où poser mes fesses.
Ah ! Je soupire en déambulant entre les allées. Mon regard se pose sur tout le monde et personne. En voilà qui râlent de manger « toujours la même merde », d'autres qui se jettent goulûment dessus, et là j'en vois trois qui... prient ?
Ceux-là, je les ai déjà aperçus à plusieurs reprises, les deux femmes surtout, en train d'aider elles aussi de nouveaux arrivants à trouver leurs repères.
Discrètement, mon regard se pose sur un espace libre face à eux puis vagabonde entre leurs mains jointes. Tsss... Je passe mon tour. Pas la foi aujourd'hui.

Je les dépasse d'un ou deux pas lorsqu'une main se pose sur mon avant-bras. Elle, m'invite à m'asseoir. On dirait bien que je suis prise au piège. Je dois être parfaite ici, parfaite, ça veut aussi dire sympathique.
Alors, les muscles de mon visage se contractent, y faisant apparaître un sourire satisfait alors que je soupire. Ça ressemble à du soulagement. « Merci ! J'avais peur de tourner encore un moment ici »

Et je m'assoie, en espérant de tout mon cœur que le trio n'ait pas été en train de prier pour un enfant perdu récemment ou autre chose du genre. S'ils se mettent eux aussi à verser la petite larme, ils vont clairement m'achever.
Enfin. Si je veux que tout se passe dans la joie et la bonne humeur, le mieux serait probablement d'y mettre du mien.

Du coup, pendant qu'on attaque les premières bouchées, j'entame les présentations :
« Bernadette Rogers ! De Bellevue. Et vous ? »
Tiens ! Je me rends compte que je viens de décliner mon identité comme un parfait petit soldat. C'est amusant de voir comment on prend vite le pli dans le coin. Avec un sourire sincèrement gêné, je m'empêche d'ajouter : « Désolée pour ces manières... L'habitude. »
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Re: Lunch time is at 1300

Dim 22 Nov 2015 - 14:10


Joignant ses mains à celles de sa femme et de sa mère, Jay ferma les yeux et baissa la tête le temps qu'Anna récite le bénédicité. Cela faisait des années qu'il n'avait pas eu à le réciter, rendre grâce n'était pas vraiment une tradition dans la famille Preston. Si Jaden était croyant d'une certaine manière, il était loin d'être un pieux dévot. Pourtant, il avait accueilli l'initiative de la matriarche avec une certaine sympathie. Ils étaient ensemble, entiers, et si pour ça il fallait remercier une force supérieure, il le ferait volontiers. Ses doigts serraient délicatement ceux de sa femme et, réflexe naturel, il s'était mis à les caresser du pouce. La manque d'intimité dans le camp était tel que c'était bien l'un des rares gestes tendres qu'ils pouvaient se permettre. Ils avaient perdus du temps, par sa faute, du temps qu'ils ne retrouveraient jamais et ce n'était pas ici qu'ils pourraient tenter de le rattraper.

- Amen, murmura le blond, rouvrant les yeux sur son plateau, ne lâchant la main de Maxine qu'avec une certaine réticence.

Ses couverts en main, il attaqua le plat du jour, d'hier et certainement de demain, avec un certain enthousiasme. Si la bouffe n'était pas très bonne, y mettre un peu de cœur améliorait la chose. Alors qu'il avalait sa première bouchée, il capta du coin de l'œil le bras tendu de son épouse, arrêtant une femme. Il tourna la tête vers la nouvelle venue et accompagna l'invitation de sa femme d'un maigre sourire. Déformation professionnelle oblige, l'agent spécial la détailla alors qu'elle s'asseyait. Brune, yeux marrons, elle devait faire un bon mètre soixante-dix, certainement un peu moins que Max. Son teint de peau et ses yeux typés laissait penser à des ancêtres asiatiques. Sans doute que d'un seul côté de sa famille d'ailleurs. Ses cheveux et ses yeux étaient trop clairs pour que ses parents viennent tout deux de l'autre côté du Pacifique. Fine, mais il n'arrivait pas à dire lequel, de la génétique ou du sport, était à l'œuvre. Certainement un peu deux. Elle était plutôt belle femme et avec un certain maintien. Soit elle venait d'un milieu aisé, soit elle travaillait dans un milieu où le standing était de mise. Si il était persuadé de l'avoir déjà aperçu dans la masse, de par son travail, Jay avait pris l'habitude de mémoriser les visages, et maintenant qu'il pouvait mettre un nom dessus, il était persuadé de pouvoir s'en souvenir. Bernadette Rogers donc. Sa manière de décliner son identité le fit sourire.

- Ne vous inquiétez pas va, commença la mère, après s'être légèrement décalée pour laisser un peu plus de place à la nouvelle venue. On est presque tous dans le même cas je suppose, continua-t-elle, offrant un regard en biais à sa progéniture. Anna Preston, fit la femme mûre, plus détendue. Voici mon fils Jaden, l'ancien militaire hocha une fois de la tête en guise de salutations, et ma belle-fille, Maxine.

Voilà. Les présentations étaient faites. C'était la partie simple. Ne restait plus que la partie compliquée : trouver un sujet de discussion pour meubler ce repas. Ils ne pouvaient décemment pas rester le nez plongé dans leurs assiettes, sans dire un mot. Surtout après avoir invité Bernadette Bernie à se joindre à eux. Ils auraient fait de bien mauvais hôtes auquel cas. La situation compliqué encore la chose. Si chaque jour c'était la même rengaine, les conversations n'étaient pas en reste. L'inquiétude pour les proches disparus. Les questionnements sur ce qu'il se passait là dehors. La rigueur des militaires. Jaden avait parfois l'impression d'entendre un disque qui avait sauté et répétait continuellement le même refrain. Le pire dans tout ça, c'est que c'était plutôt approprié. Difficile de parler de la dernière performance des Seahawks, sans doute la dernière avant un très très long moment, alors qu'autour de vous, le monde s'écroulait. Pourtant, en quelques mots, Bernadette lui avait donné de quoi faire un peu plus connaissance.

- Vous étiez sur Bellevue au moment où ça s'est déclenché ? demanda l'homme, cordial. Ça n'a pas du être simple de venir jusqu'ici, remarqua-t-il avant d'enfourner une nouvelle cuillerée dans sa bouche.

Évidemment que ça n'avait pas du être simple de venir jusqu'ici. Ce qui l'était encore moins, simple, c'était de savoir comment elle s'était démerdée pour arriver jusque là.
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Re: Lunch time is at 1300

Sam 28 Nov 2015 - 21:08

« Enchantée » je réponds alors que l'aînée du groupe termine les présentations, allant même jusqu'à se décaler pour m'offrir plus d'espace. Rien d'extraordinaire à première vue, mais le banc en offre tellement peu que j'en serais presque touchée.
Maxine, Jaden et Anna... Je prends une seconde pour les observer. Les mains jointes quelques instants plus tôt, ils sont désormais dissociés. Chacun reste sagement devant son assiette, sans remuer. 
Maxine, une belle femme, grande, brune, et apparemment avenante puisque c'est elle qui m'a invité à me joindre à eux. Pourtant, comme nous tous, elle reste silencieuse. Manque d'inspiration sans doute... 
Anna, pour sa part est plus âgée mais certainement pas à jeter pour autant. Elle aussi est muette mais m'adresse un sourire encourageant lorsqu'elle son regard croise le mien. J'y réponds machinalement, par réflexe.
C'est finalement Jaden que j'observe : blond, la trentaine, et... qui m'interrompt avant que je ne me rince l’œil plus longtemps. Pas plus mal, avec sa femme à côté, ça aurait pu mal passer.

C'est ma ville d'origine qui l'intrigue et c'est alors avec une certaine nostalgie que je repense à mon chez moi. Mon petit confort, les bons repas, la tranquillité... Ah ! Ce que c'était bon de pouvoir me réveiller avec le choix de ma tenue pour seule préoccupation. Ma petite escapade mentale se termine pourtant brutalement une fois que mes yeux se posent sur mon assiette et son contenu. De la pâtée nauséabonde partagée avec des inconnus au milieu d'une cantine où règne ce qui me parait être un vacarme assourdissant, on ne fait pas mieux comme contraste. Enfin, je n'aurai qu'à essayer de penser qu'il s'agit d'une bonne omelette aux champignons quand je me déciderai finalement à glisser tout ça dans mon gosier.

Pas très convaincue, je triture ma nourriture du bout de la fourchette. Le repas attendra encore un instant. Je relève le nez de mon assiette pour désigner du menton le trio qui m'a accueillie.
« Vous savez, vous pouvez me tutoyer si vous le voulez. » J'accompagne ma remarque d'un sourire radieux avant de reprendre : « J'habite à Bellevue, oui. À vrai dire, je comptais bien y rester au début. Je me pensais à l'abri chez moi, comme beaucoup je suppose... »

Je marque une pause. Le repas me paraît moins appétissant de minute en minute, mais mon estomac, lui, me fait sentir qu'il s'en accomodera, alors bon quand faut y aller...
Je me décide finalement à attaquer, et au fond, c'est peut-être meilleur que ce à quoi je m'attendais. À moins que je ne sois simplement assez affamée pour oublier le goût. Peu importe après tout, disons que c'est mangeable. Je pourrais tergiverser autant qu'il me plaira au sujet de ce qu'on nous sert, ça n'en sera pas meilleur pour autant.
Plus interessée par le semblant de discussion qui se profile à l'horizon – et qui me concerne moi, et non une énième personne disparue qui plus est –, je reprends :

« C'est finalement un incident arrivé à une voisine qui m'a décidée à partir, nous avons fait route ensemble. Ça n'a effectivement pas été simple. D'ailleurs j'ai été la seule à arriver à bon port... »
Je soupire, enfile mon masque de coéquipière abattue. Je n'ai pas spécialement envie qu'on me plaigne, mais mon petit doigt me dit que balancer la mort de mon compagnon de route en toute légèreté ferait tache.
Je juge finalement que mon silence a suffisamment duré et, préférant clore au plus vite le cas Madison, les questionne à mon tour.

« Et vous ? Vous étiez déjà à Seattle quand... quand vous avez du venir vous installer ici ? »
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Re: Lunch time is at 1300

Ven 11 Déc 2015 - 20:13

Pourquoi avait elle invité cette jeune femme à leur table ? Elle ne savait pas vraiment. Peut-être parce qu’elle était seule et que, comme toutes les personnes seules se trouvant ici, elle devait être à la recherche de quelqu’un. Lui éviter de tourner pendant vingt minutes entre les tables lui semblait une bonne idée. Mais finalement lorsqu’elle s’installa à table, l’institutrice ne fut plus très sûre de vouloir discuter.

La faute au bénédicité. Ce n’était pas une pratique courante chez les Preston. Seulement à Noël ou Thanskgiving. Des occasions joyeuses où ils se retrouvaient tous ensemble autour d’un repas préparé pendant des heures. Là, il n’y avait rien de joyeux, ni la situation, ni le repas. Ca lui avait miné un peu le moral, comme à chaque fois. Du coup, elle était restée silencieuse, laissant plutôt sa belle mère discuter avec la jeune femme. Elle écoutait tout, sans pour autant lever la tête, gardant les yeux rivés sur son repas. Elle s’appelait donc Bernadette Rogers et elle venait de Bellevue. Elle avait eu pas mal de route pour venir jusqu’à Seattle. Surtout lorsqu’on voyait la situation à l’extérieur, le voyage n’avait pas du être facile.

Elle avait relevé la tête, prête à discuter, mais Jaden lui coupa l’herbe sous le pied pour finalement lui poser exactement la même question qu’elle avait en tête. Elle eut un léger sourire en coin désolé en entendant que Bernadette s’était crue en sécurité chez elle. Eux aussi, ils avaient cru la même chose et ils s’étaient plutôt bien trompés en voyant un de ces monstres taper contre la baie vitrée de leur jardin. Et comme à chaque fois que Maxine entendait quelqu’un dire qu’il avait perdu un proche, elle baissa les yeux, légèrement gênée.

Retrouvant un sourire un peu forcé lorsque Bernadette passa à autre chose, elle se dandina sur place, bien décidée à ouvrir la bouche et ne plus passer pour la carpe de service. Elle hocha doucement la tête plusieurs fois, finissant d’avaler ce qu’elle avait dans la bouche. « On habite Seattle. Du côté de Madison Park.» Elle qui venait de Bellevue ça n’allait certainement pas lui parler mais tant pis. « J’étais en plein centre ville quand ça a commencé. Je suis rentrée immédiatement à la maison. » Elle eut un bref regard pour son époux puisque c’était lui qui lui avait ordonné. « On s’est tous retrouvés là bas. » Autant la faire courte. Si Jaden ou Anna voulait rentrer dans les détails de leurs périples, ils pourraient le faire mais elle, elle n’en avait pas envie. « On a pris tout ce dont on avait besoin et on est venu ici. » Voilà, histoire terminée. Après tout, elle ne connaissait pas Bernadette et même si la jeune femme avait l’air sympathique, Maxine ne voyait aucune raison valable de rentrer dans les détails. Ca ne ramènerait que des mauvais souvenirs et elle faisait tout pour l’éviter un maximum.

Puis, le silence. Quelques secondes, elle scruta la jeune femme sans trop de discrétion, un peu perdue dans ses pensées en même temps. Sa fourchette était restée en suspens sur le bord de son assiette, elle n’y toucherait plus sous peine de vomir. « J’étais.. » Elle se coupa toute seule, réalisant un peu la fatalité de ses mots. « Ou je suis..je ne suis plus très sûre. » Elle haussa un peu les sourcils avec un léger rire. Son moment de doute ne passa pas inaperçu pour Anna. « Tu es. » Précisa t’elle, le ton lourd mais avec un sourire complice qui en disait long. Comme à chaque fois, l’intervention de sa belle mère remit Maxine dans les rails. « Je suis institutrice. Pour les tout petits, les maternelles. » Oui, jusqu’à preuve du contraire elle l’était toujours. Tout n’était pas perdu et puis, elle s’occupait de pas mal d’enfant ici. Alors l’utilisation du présent était justifiée. Elle repoussa son assiette pour croiser les bras sur la table, la tête tournée vers Bernadette. « Et vous ? Vous faîtes quoi dans la vie ? » Ouais le tutoiement ce n’était pas encore possible pour Maxine.
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Re: Lunch time is at 1300

Dim 7 Fév 2016 - 18:55

Plutôt silencieuse jusqu'alors, bien que ce soit elle qui m'ait invité à m’asseoir à sa table, c'est finalement Maxine qui se décide à répondre à mes interrogations.
Madison Park, c'est un bel endroit pour ce que j'en sais. Je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de visiter Seattle, mais certains quartiers ont leur réputation. Et à bien y penser j'y ai peut-être déjà mis les pieds à l'occasion d'un rendez-vous.
Mais l'époque des rendez-vous me paraît déjà remonter à une éternité quoiqu'il y a moins d'un mois que j'ai laissé ma maison derrière moi. Quand je disais que ce lycée était déprimant...

Madame Preston passe ensuite très rapidement sur la manière dont sa famille et elle ont été contraints de se rendre ici. Je comprends son empressement. Rares doivent être ceux qui aiment à se rappeler comment leur petite vie tranquille, agréable a pu être bouleversée par un maudit virus qui les aura conduit là, dans un réfectoire bondé, entassé les uns contre les autres pour recevoir leur ration quotidienne de nutriments, tous les jours à la même heure.
Partie sur sa lancée, la brune poursuit en m'annonçant sa profession, corrigée entre temps par sa belle-mère au détour d'un instant de doute; un court échange touchant entre les deux femmes. Je hoche la tête, comme pour l'encourager moi aussi, me rassurant sans doute moi-même au passage. Oui, il est encore trop tôt pour parler de nos vies au passé. Et même si rien ne laisse présager pour le moment que ce sera le cas, j'espère encore que nous pourrons retourner à ces dernières au plus vite.
« Une institutrice formidable sans doute. » je ponctue en tirant un peu sur mes zygomatiques, dans un élan de sympathie.

« Moi, je suis avocate. » je réponds en notant que ma proposition de tout à l'heure a visiblement été déclinée. Ça ne me dérange pas, bien au contraire. Entre inconnus, le vouvoiement est de mise. Je ne propose aux autres réfugiés du Garfield Highschool de passer outre ces convenances que dans l'optique de m'intégrer plus rapidement dans la communauté pour le temps que durera notre séjour.
« Je gère du civil avec plusieurs confrères dans un cabinet. Mais je prenais un peu de repos quand... quand tout cela a commencé. » j'ajoute entre deux coups de fourchette, qui seront sans doute les derniers étant donné que je suis rassasiée et que ce n'est surement pas la saveur abstraite de ce plat qui titillera ma gourmandise. Je soupire.

« J'espère que nous aurons droit à un arrivage de chefs étoilés d'ici peu.. » Je lâche en pouffant, décidée à aborder un sujet un peu plus léger. Car malgré nos efforts, j'ai bien l'impression que nous tous, civils, en revenons souvent à ce fameux « tout cela » qui paraît incommoder l'institutrice. Pour ma part, si l'évoquer est malheureusement en train de devenir une mauvaise habitude, je le trouve aussi particulièrement indigeste.
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Re: Lunch time is at 1300

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