Au moins, l'épicerie avait le mérite d'offrir une meilleure température que l'extérieur, et moins de Wendigo. Soupirant d'aise en laissant Jack refermer la porte, elle n'écouta que d'une oreille les remerciements confus de l'inconnu un peu dérangé alors qu'il disait que sa petite amie était morte. Un instant, Carmen l'observa sans mots dire alors que Jack rougnait quelque chose, alors qu'elle tournait la tête vers le quarantenaire.

Ca à l'air de t'parler ce genre de situations... C'était qui l'autre ?

Pour qu'il râle comme ça, nul doute qu'il avait dû entendre quelqu'un parler de la perte d'un être cher. Peut-être Jasper ? Au pire des cas là tout de suite, ce n'était pas ce qui l'intéressait. Rangeant son couteau dans son fourreau en soupirant, elle jeta un nouveau regard a ce lui qui venait de se présenter comme étant Kaidan, lui faisant remarquer en haussant les épaules.

On perd tous des gens. C'est la vie, va falloir t'y faire.

Sauf qu'on ne s'y faisait jamais vraiment. Elle n'avait jamais accepté la mort d'Ana, et Jack était bien un des mieux placés pour le savoir. Sauf qu'elle n'en parlait jamais, se contentant de tout garder pour elle, refusant pitié et compassion. Elle n'en avait foutrement pas besoin, des regards larmoyants et des paroles du genre "je comprends ce que tu ressens". Elle n'en voulait pas de toute manière.
Jack disparut dans l'arrière boutique, lui faisant remarquer qu'elle n'avait qu'à crier si il y avait un problème. Hochant la tête en silence, elle laissa le senior de la bande se tirer de là, la laissant seule avec un dépressif dont elle ignorait tout, outre le fait que se rouler dans la neige semblait être un de ses passes temps favoris du peu qu'elle avait pu apercevoir. Grommelant dans son coin, elle ne put s'empêcher de sortir une des dernières cigarettes qu'il lui restait.. L'apocalypse l'avait forcé à stopper sa consommation, et désormais, elle ne s'en autorisait une que dans de rares moments. Et au vu de la situation, elle en avait foutrement besoin. Allumant cette dernière après avoir trouvé une boîte d'allumette, elle recracha une infime fumée de nicotine sans quitter Kaidan du regard, avant de lancer de but en blanc.

Tu l'as tuée ?

Tout ce sang sur lui. Cette espèce de folie furieuse, son regard fou. Et si il avait tout simplement pété les plombs ? Des types qui disjonctaient, ils avaient eu l'occasion d'en croiser après tout.
S'adossant à l'une des étagères en tirant une nouvelle bouffée, elle soupira de bien être un instant, observant la fumée s'échapper en direction du plafond avant de préciser d'avantage.

Ta copine la. C'est son sang sur tes fringues ?

Mieux valait pour lui qu'il ne mente pas. Elle avait toujours été douée pour remarquer les menteurs, et des années passées derrière un comptoir l'avaient particulièrement aidé dans cette tâche. Du type qui annonçait être célibataire alors qu'il possédait encore la marque d'une alliance à son doigt, à celui qui jurait à qui voulait l'entendre que sa mère était décédée le jour même pour tenter de ne pas payer son addition en jouant sur la pitié des autres. Oh non, les menteurs, elle savait y faire. Et Nolan, ou qu'il soit désormais, aurait pu l'affirmer, vu comme il avait tenté de cacher son infidélité sans grands succès. Mais elle se garda bien de lui faire remarquer, se contentant de lui lancer un regard averti.

Kaidan resta seul avec la femme qui l'avait tiré dans l'abri relatif de l'épicerie abandonné. Il n'intervint pas dans la discussion qui avait lieu entre les étrangers, reprenant peu à peu ses esprits. Cela faisait un certain temps qu'il survivait chaque jour sans savoir pourquoi. Et ce qui venait de se passer lui avait plus ou moins donné un électrochoc. Si cela continuait de la sorte, il allait devenir fou. Son être entier vivait pour prendre sa revanche sur le meurtrier de Claire. S'il voulait y arriver un jour, il fallait qu'il se reprenne. Qu'il se laisse aller, et il perdrait totalement les pédales, finissant comme celui qu'il voulait anéantir. Il s'en prendrait à des innocents, comme son hallucination l'y avait incité plus tôt. Pour l'heure, il ne comprenait pas encore totalement ce que les infectés étaient. Ce qu'ils représentaient, et la seule manière de les traiter...
L'archéologue ne répondit pas lorsque la femme lui glissa qu'il devait s'habituer à la perte. Pour l'heure, il était encore bien trop perdu pour ça. Un jour, il finirait sans doute par s'y faire, et même par comprendre ce que sa petite amie était réellement devenue avant d'être abattue. Dans le cas présent, il n'était pas encore capable de s'y résoudre. Il fut totalement tiré de ses pensées lorsqu'elle lui demanda s'il avait tué Claire. Il cilla, comme un hibou ébloui et surpris par la lumière du jour. Son regard se posa ensuite sur le sang qui maculait ses vêtements. Ce sang qui lui faisait horreur. Un frisson le secoua alors qu'il répondait.

« Non... Non, pas moi.

Le jeune homme redressa la tête, le regard dans le vague. Puis, sa mâchoire se contracta, ses poings se serrèrent jusqu'à ce que les jointures de ses doigts blanchissent. Il revivait la scène mentalement. Il ne pouvait pas avouer ce qui s'était réellement passé, pourquoi il avait ce sang sur lui. Sinon, ils l'abattraient comme un chien. Comme un monstre. Heureusement pour lui, il était bien assez déboussolé et marqué pour être crédible. Quant à son histoire, elle restait vraie en grande partie. Il sentit ses ongles s'enfoncer dans la paume de ses mains, mais la douleur n'était que diffuse. Il débita son histoire, pour la première fois. Il ne l'avait jamais racontée, n'avait jamais mis de mots sur le drame.

- C'était un inconnu. Un fou furieux, je l'avais jamais vu. Je sais pas pourquoi il s'en est pris à nous. Le sang, c'est le sien. Elle est pratiquement morte dans mes bras. En fait, elle l'était déjà quand j'ai pu la tenir.

Sa voix trembla légèrement, et il ferma les paupières en sentant les larmes lui monter aux yeux. Il avait revu l'horreur bien des fois. La perte était difficile, mais l'impuissance l'était tout autant. Quelque part pourtant, il savait qu'il l'avait perdue bien avant. Peu après qu'elle se soit fait mordre. Elle avait commencé à changer, et elle n'avait jamais plus été la même, dans tous les sens du terme. Peut-être que la situation était pour le mieux. Il le saurait peut-être un jour. Pour l'instant, il voulait apaiser la douleur qui le rongeait, reprendre les choses en mains... et se sortir de cette errance dénuée de sens. Il ne savait pas exactement comment, mais son regard avait une lueur bien plus déterminée lorsqu'il regarda la femme à nouveau.

- J'ai pas réussi à faire la peau du meurtrier. Il s'est barré. J'ai bien tenté de le rattraper, mais je l'ai perdu. Avec de la chance, je pourrais peut-être lui faire payer un jour. »

Quand, comment... ce genre de considérations viendraient plus tard. Kaidan ne savait pas encore ce qu'il allait faire, ni où il allait aller. Il fallait qu'il recommence à penser de manière rationnelle. Plus logique. Il poussa un soupir et se massa les tempes. Tout cela commençait à lui donner mal au crâne.