Un coude à la fenêtre, la main droite fermement ancrée sur le volant, Jack avait les yeux rivés sur la route. De sa main libre, il tritura sa barbe pendant quelques secondes avant de finalement jeter un regard en coin du côté passager. L'ours n'aurait su dire à quoi pensait Shawna à cet instant précis. Sans doute aurait-elle préférée être dans cette voiture avec quelqu'un d'autre que lui. Un mec plus avenant et plus bavard certainement. À moins que ça ne soit la destination qui la préoccupait ? L'écossais d'origine était resté vague à ce sujet. "Viens avec moi" avait-il dit. Le ton de sa voix s'était presque fait charmant sur le moment. "Tu dois sortir, tu vas pas passer le restant de tes jours entre ces quatre murs" avait-il continué. "Je serai là, je t'assure qu'il t'arrivera rien" avait-il promis. Tu parles. Comme si le quarantenaire pouvait promettre un truc comme ça. Comme si les macchabées ambulants allaient leur foutre la paix juste parce que la petite métisse était là. "Non les gars, écoutez, c'est pas qu'on vous aime pas, vous avez l'air de types sympas avec votre gueule à moitié rongée jusqu'à l'os et vos tripes à l'air mais on aimerait bien être tranquille aujourd'hui". Ça aurait pu marcher dans un monde plein de licornes et de bisounours mais dans le leur de monde, c'était hautement improbable. Il fallait dire que raisonner un cadavre n'ayant pour seule envie que celle de vous croquer était un poil compliqué. Juste un poil. Non, si raisonnement il devait y avoir, il se ferait à grand renforts de coups de marteau dans la caboche. Pourtant...

Pourtant, si le moyen pouvait être remis en question, le but final, lui, était censé être plus honorable. Lorsque Jack disait que l'ancienne coiffeuse ne pouvait pas rester terrée dans la maison vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il n'avait pas nécessairement tort. Du moins, de son point de vue. Si elle n'affrontait pas sa peur des marcheurs, elle n'arriverait jamais à passer au-dessous. Elle resterait avec cette angoisse ancrée en elle, et, quand le jour viendrait, elle ne serait pas foutue de faire ce qu'il faudrait. Parce que oui, fallait pas se leurrer, un jour ou l'autre, il y aurait bien un truc qui finirait par leur tomber sur le coin de la gueule sans prévenir. Et il valait mieux s'y préparer. Qui plus est, si ça pouvait lui faire prendre une part plus importante dans la survie du groupe, tout le monde y gagnerait au final. D'après l'ancien ouvrier, ce petit gros bobard était un mal pour un bien.

De toute façon, dans le meilleur de cas, en supposant que tout se passe comme sur des roulettes, le mensonge n'en serait plus un puisqu'il aurait tenu sa promesse. Dans le pire, ils crèveraient tout les deux et elle pourrait difficilement lui en vouloir. Dans un cas un peu moins pire, il mourrait. En vouloir à un mort, c'est compliqué et puis bon, ça se fait pas quand même. À moins que ça ne soit elle qui passe l'arme à gauche, et dans ce cas-là, ça serait à lui de s'en vouloir. Dernière possibilité, ça se passait mal mais ils s'en tiraient tout les deux. Elle tirerait la gueule sur le chemin du retour, elle tirerait la gueule une fois rentrés et pendant quelques jours. Mais ça finirait bien par lui passer. C'était une nana donc bon, fallait pas s'attendre à autre chose. Mmmh... En fait, maintenant qu'il y réfléchissait, c'était peut-être l'endroit ET la compagnie qui l'emmerdait. Allez savoir.

- On va s'arrêter par là, fit l'homme tandis qu'il levait le pied de l’accélérateur.

Sans lever la main du volant, l'ancien ouvrier désigna de l'index une banque après un croisement. Oh non, la banque, il s'en foutait royalement. Les billets de banque, c'était pas comestible. Ce qu'il y avait après la banque en revanche... L'ouvrier avait traîné la coiffeuse du côté de California Street, dans le quartier de West Seattle. Si, effectivement, la Key Bank qui s'y trouvait ne présentait pas le moindre intérêt, on ne pouvait pas en dire autant du reste de la petite rue commerçante. Derrière la banque, il y avait une pharmacie. Derrière la pharmacie, une boulangerie. Et derrière la boulangerie, il y avait Poggie Tavern, un bar autrefois fort sympathique où il lui était arrivé d'aller descendre quelques bières avec des amis, tout en écoutant les groupes qui y jouaient en live. Médicaments, farine, sucre, alcool. Si ils étaient chanceux, ils pourraient rentrer avec un beau pactole. Le quarantenaire stoppa le véhicule une dizaine de mètres avant l'intersection. La visibilité sur la route de droite était loin d'être parfaite, tant qu'à faire, il préférait ne pas traverser en bagnole et attirer l'attention de ce qui pouvaient potentiellement les attendre. Il voulait que Shawna se prenne un peu plus en main, pas la mettre en danger inutilement. Jack coupa le moteur.

- Prête ? demanda-t-il avec son éternelle douceur.

Depuis combien de temps n’était-elle pas sortie de la maison ? Cela devait faire plus d’un mois, depuis sa dernière excursion avec Jasper et Carmen, le jour où ils étaient tombés sur Erik et Nola. L’extérieur l’effrayait, ce n’était un secret pour personne, tout le groupe était au courant de sa peur des morts. Il suffisait de voir sa réaction lorsqu’un d’eux approchait pour comprendre que ces créatures l’épouvantaient. Et même si elle ne se mettait presque plus à crier à l’approche de l’un d’eux, ça restait très éprouvant pour elle, cela la tétanisait complètement. Elle était parfaitement au courant que cette angoisse était un poids énorme à supporter et qu’elle devait apprendre à faire avec… Qu’il fallait absolument qu’elle surmonte tout ça… Mais pour l’instant, elle préférait rester à l’intérieur de la maison. Il n’y avait que là qu’elle se sentait bien. Et surtout, elle ne s’ennuyait pas contrairement à ce que les autres pouvaient penser. Il y avait toujours quelque chose à faire. Préparer les repas pour les autres, faire la vaisselle, s’occuper du linge, faire le ménage… Quelques-uns de ses nouveaux compagnons étaient même venus lui demander une nouvelle coupe de cheveux, bref, c’était ainsi qu’elle se sentait bien. Une parfaite petite femme d’intérieur et ça lui convenait parfaitement… Alors évidemment, lorsque Jack était venu la trouver pour lui dire de venir avec lui, la belle avait tout d’abord décliné sa proposition. Mais il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour la faire changer d’avis… Lui faisant comprendre qu’elle ne pouvait pas rester éternellement ici, il avait assuré que tout se passerait bien. Pas tellement convaincue, elle avait fini par se dire que Jack devait savoir ce qu’il faisait. Ils étaient donc partis tous les deux en voiture.

Une fois sur la route, le trajet avait été horriblement silencieux pour la jeune femme. Elle, qui d’ordinaire ne savait pas s’arrêter de parler, n’avait pas lâché un mot durant tout ce temps. Tendue et ne sachant pas où Jack comptait se rendre, elle n’avait même pas osé lui demander. Etait-ce à cause de l’angoisse ? Ou était-ce à cause de lui ? Elle ne savait pas trop. Elle ne le connaissait pas plus que cela, même après deux mois passés ensemble. Tout ce qu’elle pouvait dire c’était qu’il était plutôt discret, secret même… Pas bavard du tout, assez bourru. C’était un bel homme avec néanmoins un petit quelque chose qui impressionnait quelque peu la jeune femme. Elle ne savait pas vraiment quoi. Peut-être parce qu’il était plus âgé qu’elle ? Ou sa carrure ? C’était difficile à dire. En tout cas, elle voyait en lui un homme bon et gentil à qui elle faisait confiance. C’était le plus important non ?

Perdue dans ses pensées, Shawna finit par relever la tête lorsque la voix de Jack résonna soudainement dans l’habitacle de la voiture. Le véhicule se mit à ralentir tout doucement jusqu’à s’arrêter totalement. Observant les alentours, le regard de la métisse s’arrêta vers la direction que lui avait désigné le conducteur. Elle aperçut alors une banque ce qui la fit arquer légèrement un sourcil. Non, ils n’étaient pas venus là pour ça… Jack allait sûrement lui expliquer ce qu’ils étaient venus chercher ou faire dans le coin. Ses yeux balayèrent une nouvelle fois les environs, ça avait l’air calme dehors, en tout cas il n’y avait pas l’air d’avoir de cadavres en approche. C’était déjà ça… Tout se passerait bien, il lui avait affirmé avant de partir. Ce n’était pas pour ça qu’elle n’était pas stressée, une légère boule s’était formée au niveau de son estomac au fur et à mesure de leur avancée mais elle tentait de ne pas trop le montrer… Lorsqu’il lui demanda si elle était prête, elle détourna le regard vers lui, affichant un timide sourire, avant de lui répondre d’un ton qui se voulait enthousiaste. « Je n’ai pas vraiment le choix de toute façon, non ? » Un peu d’humour sensé la rassurer mais ce n’était pas vraiment le cas. Son sourire s’agrandit un peu puis ils sortirent de la voiture.

Vérifiant encore qu’elle avait toujours son petit couteau attaché à sa ceinture, elle regarda autour d’eux pour vérifier une nouvelle fois qu’il n’y avait pas de danger puis elle leva brièvement les yeux vers le ciel. Il faisait plutôt beau, un léger voile nuageux laissait tout de même passer les rayons du soleil. Cela était agréable après toute la neige qu’ils avaient dû supporter pendant des mois. Et pour la métisse qui adorait profiter du soleil c’était une bonne nouvelle. Mais bon, ils n’étaient pas vraiment là pour parler de la météo… Elle finit par demander à Jack « Alors, c’est quoi ton plan ? Où est ce qu’on va ? »

- Nah, mentit Jack d'un ton plat en secouant légèrement la tête.

En fait, concrètement, si. La métisse avait encore le choix. Elle pouvait très bien se cramponner au siège et refuser de quitter la voiture. Le quarantenaire n'allait pas la forcer à venir et ne l'aurait certainement pas faite sortir de là à coup de pieds au cul. Oh, il aurait pu hin. Comparée à lui, Shawna était vraiment un petit modèle, elle n'aurait pas résisté bien longtemps. Bon, elle pouvait toujours lui hurler dans les oreilles jusqu'à lui éclater les tympans ça oui, mais niveau technique de combat c'était quand même très contre-productif. Elle aurait fini par se faire becter par un pourri dans les dix minutes. Et puis si Matheson arrivait à encaisser les hurlements de Carmen, il pouvait bien encaisser ceux de Shawna. Il doutait que cette dernière puisse atteindre le même niveau de décibels. Non Shaw, c'était... C'était une nénette quoi. Le genre douce, gentille, douée en amour. Pas comme l'autre hystérique d'hispanique. Y avait pas de risques.

Chance pour le scotto-américain, il n'eut même pas à la bousculer un petit peu. Allez savoir pourquoi, l'ancienne coiffeuse s'était décidée à sortir toute seule, convaincue qu'elle n'avait pas d'autres alternatives. Le visage du brun afficha l'un de ses rares sourires. Bien. Une bonne chose de faite. À son tour, il ouvrit la portière conducteur et mit le nez à l'extérieur. Avant même d'attraper son sac à dos, Jack dégaina son 6 Unica et décala le barillet afin de vérifier une fois encore que chacune des six chambres contenait bien une balle de .357 Magnum. Le magasin cylindrique remis en place, le pouce prêt à tirer le chien du revolver automatique, l'ours attrapa son sac à dos de sa main disponible et le passa à l'épaule.

- On va aller là-bas, fit l'homme en pointant l'outil en direction de la banque et des autres boutiques plus loin dans la rue. Si on a le temps, on ira dans celles-là. Il désigna cette fois-ci les quelques magasins beaucoup moins intéressant pour eux mais à proximité de la voiture. Et j'ai pas vraiment de plan, reconnut-il en faisant le tour du véhicule pour rejoindre la métisse. Regarde tout les trucs qu'il y a autour de nous. Dis-toi qu'on va juste faire les boutiques. Ça devrait te plaire, non ? rajouta l'ancien ouvrier d'un air presque taquin.

Prenant la tête du duo, l'ours marcha calmement jusqu'à l'angle de la rue. Il fit signe à Shawna de rester hors de vue et jeta un bref coup d’œil en direction d'Alaska Street. En voyant la trentaine d'infectés errant sur la route, Jack lâcha un magnifique Putain de merde dans sa barbe. Évidemment qu'il y avait des infectés. Il y avait toujours des infectés. Se trouver en ville sans rencontrer une seule de ces choses, ça, ça aurait été un foutu miracle. Si il s'attendait à croiser leur route assez rapidement une fois sortis de la voiture, Matheson espérait au moins qu'ils aient eu le temps d'avancer de plus de dix mètres pour que ça soit le cas. Comme s'il cherchait à l'empêcher de s'enfuir, Jack attrapa une petite mimine de la métisse dans sa grosse paluche de travailleur. À moins que, dans un élan de tendresse, il n'ait fait ça pour la rassurer et lui transmettre un peu de courage ?
…
…
Naaah, peu probable quand même, pas vrai ? Et pourtant. Pourtant, c'était un peu des deux. L'entrepreneur posa le canon de son arme contre sa bouche en lieu et place de son index et souffla un "Shhh" à peine audible. D'un bref mouvement de la tête, il manifesta son intention de traverser la rue et s'exécuta aussitôt. Ils pouvaient y parvenir sans trop de problèmes. Ils n'avaient qu'une quinzaine de mètre à parcourir à découvert. En plus, les Wenchoses là, ils ne regardaient même pas dans leur direction. Tout ce que les deux avaient à faire, c'était ne pas faire de bruits et ne pas s'éterniser. Ça devait être à leur portée tout de même ?

Oui. Un pas après l'autre, le tandem traversa la route, sans que Jack ne sente la main de Shawna tressaillir une seule fois. Et comme il l'avait compris en apercevant l'animal, les rôdeurs, eux, avaient porté beaucoup plus d'intérêt au chat posté en haut d'un arrêt de bus qu'à la présence des deux bipèdes. Oh bien sûr, tout n'était pas aussi simple. Trois morts se dressaient entre les vivants et le Poggie Tavern, le bar par lequel le brun voulait commencer les courses. Lâchant la main de la jeune femme, Jack prit en main son marteau, prêt à en découdre.

Ne pas sortir de la voiture ? Oui. Shawna aurait pu décider de ne pas bouger, de ne pas quitter l’habitacle du véhicule. Mais elle s’était forcée à sortir, sans même rechigner. Premièrement parce qu’elle n’avait pas suivi Jack jusqu’ici pour rester dans la voiture, deuxièmement parce qu’elle savait très bien qu’il ne lui aurait pas laissé le choix et aurait sûrement fini par la traîner dehors ; et que troisièmement, elle voulait se prouver à elle-même qu’elle en était capable. Téméraire ? Non. Vraiment pas son genre à la métisse mais comme avait dit Jack, elle ne pouvait pas passer tout son temps dans la maison. Elle devait se confronter à l’extérieur, tenter de combattre ses angoisses et ses peurs. Ah ça… Même si elle tentait de ne pas le montrer, le cœur de la belle battait de plus en plus fort dans sa poitrine. La peur était toujours là en elle, attendant simplement le moment opportun pour s’éveiller, pour venir la tourmenter. Pour le moment tout était calme autour, un détail qui l’avait un peu rassurée, tout comme le petit sourire qui s’était dessiné sur les lèvres de Jack. Tout se passerait bien…

Jack finit par lui répondre, lui expliquant qu’ils iraient visiter quelques boutiques. Il avait désigné celles se trouvant près de la banque, un peu plus loin dans la rue. Puis il avait continué en lui disant qu’ils en visiteraient d’autres s’ils avaient le temps. Faire comme si elle faisait les boutiques ? Pour le coup, Jack avait trouvé la parade pour rendre leur sortie moins désagréable… « Hé bien, qu’est-ce qu’on attend ?! Ça fait très longtemps que je n’ai pas fait de shopping ! » Elle lui avait répondu sur le même ton, lui offrant un beau sourire. Vu comme ça, leur petite escapade allait être bien moins pénible. Du moins, c’était ce qu’elle tentait de croire.

Suivant Jack de près, ils se dirigèrent vers l’angle de la rue. Là, l’homme demanda à la métisse de ne pas bouger. Il jeta un œil dans la rue avant de jurer à voix basse. Quoi ? Qu’avait-il vu ? De l’inquiétude apparut alors sur le visage de Shawna. Elle murmura alors « Jack ? Qu’est-ce qu’il y a ? » L’homme ne répondit pas. Pourquoi ne lui répondait-il pas ? Fallait-il faire demi-tour ? Retourner à la voiture ? « Jack ? » Demanda-t-elle à nouveau, d’une voix à peine audible. Mais il ne dit rien, se contentant d’attraper la main de la jeune femme. Puis après lui avoir demander de rester silencieuse, il lui fit comprendre qu’ils allaient traverser la rue. Shawna ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, mais vu la réaction de son équipier du jour, elle n’avait plus vraiment envie de le suivre. La jeune femme fit « non » de la tête, les yeux grands ouverts, mais elle n’eut pas vraiment le choix. La main de l’homme la tira, l’obligeant à le suivre. Une fois dans la rue, elle se mit à regarder partout autour d’elle avant de s’arrêter sur le groupe d’infectés qui se trouvait un peu plus loin. Na lâchant pas la main du brun, elle se laissait presque traîner, n’opposant aucune résistance. De toute façon, elle n’avait pas la force nécessaire pour le stopper. Jack était bien trop imposant face à elle, la belle n’était qu’un poids plume comparé à son compagnon.

Elle regarda de nouveau le groupe de morts un peu plus loin. Par chance ils ne semblaient  pas encore  avoir remarqué leur présence. Mais ce n’était pas ça qui allait suffire à la rassurer. Se laissant entraîner par Jack, ils finirent par atteindre miraculeusement l’autre côté de la rue sans encombre. Mais lorsqu’il s’arrêta brusquement saisissant son marteau, Shawna comprit bien vite qu’ils n’allaient pas pouvoir rentrer tout de suite dans le bar qui se tenait devant eux. Sérieusement ? Il voulait commencer par le bar ? Il y avait sûrement plus important que des bouteilles d’alcool ? Shawna lui aurait bien fait la remarque en temps normal mais là… Elle était incapable de parler, complètement terrifiée. Heureusement pour elle, Jack ne mit pas longtemps à se débarrasser des trois rôdeurs qui leur barraient la route. Elle n’avait pas vraiment eu le temps de comprendre comment il s’était débrouillé pour les tuer, bien trop apeurée. Elle était restée derrière lui et s’était laissé emporter une nouvelle fois lorsqu’il avait repris sa main pour la tirer jusqu’à l’intérieur du bar.

Une fois la porte fermée derrière eux, et qu’ils se soient assurés qu’ils ne craignaient rien. La coiffeuse, qui n’avait toujours pas lâché la main de Jack, lui demanda d’une voix tremblante « Tu… Tu crois que les autres nous ont vu entrer ici ? » Elle avait du mal à respirer, et évidemment de la peur se lisait sur son visage. Ne pouvant s’empêcher de regarder tout autour d’elle, sur le qui-vive, elle détailla rapidement l’endroit. Pas du tout le genre de bar qu’elle avait l’habitude de fréquenter. Le lieu avait quelque chose d’austère, de pas vraiment accueillant. Rien à voir avec les bars branchés où elle avait eu l’habitude d’aller avant que la fin du monde vienne tout chambouler… Elle finit par lâcher la main du brun, tentant de reprendre son calme. Maintenant qu'ils étaient arrivés là, autant qu'ils se mettent en quête de choses qui leur seraient utiles. Bien qu'elle ne voyait pas vraiment l'intérêt d'avoir commencé par un bar... M'enfin, elle n'allait pas lui faire la remarque, Jack avait fait ce qu'il fallait pour qu'ils parviennent jusque-là, entiers.

Jack grogna en abattant son marteau sur la tête du premier rôdeur à sa portée, enfonçant la boîte crânienne si fragilisée de la créature autrefois humaine. Raffermissant sa prise sur son outil, il large mouvement qui s'acheva lorsque la pièce métallique percuta la tempe du second, brisant le squelette dans un craquement sordide. Le brun jeta un bref coup d’œil derrière son épaule pour s'assurer que Shawna n'était pas très loin et s'avança en direction du dernier mort qui se dressait sur leur chemin. Une femme, le visage à moitié déchiqueté, à qui il manquait plusieurs touffes de cheveux ça et là, ayant du mal à avancer dans ce tailleur qui lui avait servi de linceul. Bien qu'elle reçut le même traitement que les deux premiers, contrairement aux autres, la rouquine ne mourut pas sur le coup. Sa faute. Matheson avait frappé trop tôt, manquant de peu sa cible. Le marteau avait ripé contre la tempe de la working girl, éclatant son os zygomatique gauche et arrachant dans le même temps l’œil vitreux de son orbite avant de défoncer le peu qu'il restait de son nez. Le quarantenaire poussa un soupir en regardant le monstre alors qu'un frisson de dégoût lui parcourait l'échine. Il détestait devoir faire ça. Ses mâchoires se crispèrent. Levant sa jambe droite plus haut que son genou, il abattit le talon de sa godasse dans la brèche qu'il avait créé quelques secondes. Un autre coup, tout aussi fort, et il écrasait le cerveau dans un "squouik" des plus répugnants. Voilà. C'était pour ça qu'il détestait faire ça. Le "ploc" que fit son pied lorsqu'il le posa au sol n'était pas des plus agréables non plus. Poussant l'infecté du bout du pied pour l'étendre sur son ventre, Jack frotta son talon sur la veste pour le nettoyer du mieux possible et réitéra l'opération avec son outil. Il n'y avait pas que la chaussure qui avait pris. À en croire les quelques éclaboussures de sang qui la maculaient, sa chemise aussi était bonne à laver. Une chance qu'ils aient une nénette comme Shawna dans le groupe.

Le scotto-américain revint vers la métisse et reprit sa petite main dans la sienne pour la traîner jusqu'au bar. La porte était peut-être fermée mais, comme il le constata assez vite lorsqu'il appuya sur la poignée, elle n'était pas close. Deux possibilités s'offraient à eux. Soit le bar avait déjà été visité et vidé, soit le propriétaire des lieux avait décampé sans la verrouiller. Il poussa la porte et resta planté dans l'embrasure le temps de regarder si la pièce principale du pub était sans danger. Personne à première vue. De sa main libre, Jack frappa à deux reprises contre la planche en bois afin de voir si quelque chose réagissait au bruit. Rien. Ni appel, ni grognement. Une fois à l'intérieur à proprement parler, l'ours alla rapidement chercher une chaise.

- Je pense pas non, répondit l'homme en calant le dossier sous la poignée afin d'en empêcher l'ouverture. De toute façon, on le saura bien assez vite. Si ça se met à cogner, c'est qu'on nous a vu, sinon non. Pour ce qui était de rassurer la coiffeuse, on pouvait repasser. Pose ton sac, fit Jack en désignant la table la plus proche, joignant le geste à la parole, tu vas m'aider à fouiller. On va commencer par le comptoir, on risque de pas trouver grand chose mais ça sera encore le plus simple. Idéalement, il nous faudrait de l'alcool fort. Blanc, de préférence, expliqua-t-il. Gin, vodka, ce genre de trucs. C'est pas le meilleur désinfectant qu'il y ait au monde mais si on doit désinfecter des outils pour soigner une blessure, j'préfère encore ça à une aiguille chauffée à blanc... On va passer dans une pharmacie après mais si on en trouve pas, au moins on pourra se rabattre là-dessus. Et puis si ils en trouvaient du désinfectant, ils pourraient toujours la boire, la vodka. Pas folle la guêpe. Enfin les autres, pas lui. Certains avaient bien des têtes à descendre de la vodka red bull en boîte de nuits. Lui... Pas question de boire cette merde. Des bières ça pourrait être bien aussi. Arrivée à la fin de la journée, t'en auras bien mérité une, fit l'ours avec un petit sourire.

Ça sonnait presque comme un avertissement. La journée allait être longue et ils n'allaient pas chômer. Se mettant accroupi, l'ancien entrepreneur ouvrit un premier placard réfrigéré sous le bar duquel s'échappa une odeur nauséabonde. Vide. Matheson referma la porte et ouvrit celle d'à côté, sans plus de succès.

- Tiens je t'ai pas dit, commença l'armoire à glace pour briser le silence qui s'était installé entre les deux. Tailler la bavette très peu pour lui mais il ne souhaitait pas rendre sa compagnie parfois rustre plus désagréable qu'elle ne pouvait l'être pour la jeune femme. Je venais ici parfois avant tout ça, quand j'avais des chantiers pas loin. C'était plus un bar d'habitués mais c'était vraiment sympa. Y avait des groupes qui venaient tout les... Vendredis si mes souvenirs sont bons et...

Il laissa sa phrase en suspens. Non décidément, faire la discussion c'était pas son truc. Raconter une histoire à la limite pourquoi pas mais parler pour ne rien dire, ça, il avait du mal. Jack ouvrit un autre frigo. Toujours rien.

- C'était sympa, conclut-il en se répétant, un peu plus bougon qu'il n'avait commencé. J'imagine que c'était pas le genre d'endroits que tu fréquentais, j'me trompe ?

Le cœur battant. Le souffle court. Shawna mit quelques minutes à se calmer, essayant de contrôler sa respiration bien trop saccadée. Elle n’avait pas été loin de la crise de nerfs encore une fois. Heureusement pour eux, elle ne s’était pas mise à hurler, c’était déjà ça. Jack avait affirmé que le groupe de rôdeurs n’avait pas dû les voir entrer dans le bar. Posant son sac sur la table comme lui avait dit le brun, la métisse ne quitta pas pour autant la porte de l’établissement des yeux, et ce durant un long moment. N’écoutant qu’à moitié les paroles de l’homme, elle finit par se détendre un peu, n’entendant pas de bruits suspects derrière la porte. Bien, Jack devait avoir raison. Personne ne les avait vu entrer ici. Rassurée, elle reporta alors toute son attention sur son compagnon d’expédition. Il était déjà en train de fouiller le bar, cherchant apparemment de l’alcool qui pourrait servir de désinfectant. En gros c’était ce qu’elle avait compris de ce qu’il lui avait dit alors qu’elle était restée fixer l’entrée.

Passant à son tour derrière le bar, elle se mit à la recherche de bouteilles d’alcool. Lorsqu’il reprit pour lui dire que ça pourrait être également bien de trouver des bières, elle releva le regard vers lui. Ah ça oui, ça serait une belle récompense après toutes ces émotions. En espérant que la suite de leur sortie soit moins mouvementée que le début… Tout était moins sûr pour le coup…

Shawna répondit à son sourire, étirant timidement les lèvres. Osant à peine bouger, ses gestes étaient terriblement lents et ses mains tremblaient encore légèrement. La peur était encore là, bien présente dans, une boule désagréable dans le creux de son estomac, qui avait décidément beaucoup de mal à disparaître. Soufflant encore pour tenter d’apaiser ses angoisses, la jeune femme ouvrit également l’une des portes, sous le comptoir. Rien. A croire que le bar avait été complètement dévalisé, ce qui était peut-être le cas d’ailleurs. D’autres avaient sûrement eu la même idée que Jack. Continuant sa quête, elle ouvrit une nouvelle porte tandis que la voix masculine se fit entendre une nouvelle fois. Jack lui expliqua alors qu’il était déjà venu plusieurs fois ici. La belle détourna une fois encore le regard vers lui, écoutant alors ce que lui racontait l’homme. Elle ne put retenir un sourire bien plus franc, cette fois ci. Il avait l’air de tenir à cet endroit et surtout, elle était contente qu’il parle un peu de lui, pour une fois. L’entendre parler, focaliser son attention sur sa voix rauque, ça la rassurait énormément. Comme si sa seule présence, à côté d’elle, suffisait à lui faire croire qu’il ne pouvait rien lui arriver… Et pour une fois que ce n’était pas elle qui parlait…

Alors lorsqu’il lui avoua qu’il appréciait cet endroit, son sourire s’élargit encore un peu plus. Puis, elle se mit à rire doucement quand il précisa que ça ne devait pas tellement être le genre de lieu qu’elle fréquentait avant tout ça. « Non. Moi, c’était plutôt des bars branchés ou des boîtes de nuit… ‘Fin, tu vois… Et… Oh ! » Tout en prononçant ces quelques mots, elle avait laissé sa main plonger dans l’un des recoins du placard, et il y avait bien quelque chose là-dedans. Une bouteille apparemment. Elle l’attrapa avant de la sortir. Elle y jeta un œil, à en juger par la couleur du liquide, ce n’était pas ce qu’ils cherchaient… Mais ça devrait tout de même intéresser l’ouvrier. « Regarde Jack. J’ai trouvé ça, elle avait l’air d’avoir été planquée au fond du placard… C’est du whisky, je crois… » Elle n’y connaissait rien à vrai dire… Mais elle avait cru comprendre qu’il aimait le whisky. Une chance, pour lui…

« Et toi ? T’as trouvé quelque chose ?! Y’avait plus rien dans les placards à part ça… » Elle se redressa vers lui, avant de lui tendre la bouteille. « Tiens… On sera pas venu pour rien au moins… » Une légère moue se dessina sur ses lèvres. Tout ça pour une vulgaire bouteille de whisky… Mais elle ne dit rien de plus, laissant Jack contempler la bouteille. Peut-être qu’ils trouveraient d’autres choses plus utiles à la pharmacie ? Y’avait plus qu’à croiser les doigts…

Des bars branchées ou des boîtes de nuit. Mouais. Typiquement le genre d'endroits que Matheson avait soigneusement évité avant et après son quart de siècle. À moins que ça ne soit l'inverse. Sa présence n'était pas vraiment la bienvenue en ces lieux. Incompatibilité de personnalité certainement. Sérieux, peu sociable, pas très avenant. Déjà vieux pour son âge, auraient dit certains. Peu importe les termes employés, Jack n'avait jamais été le genre de gars expansifs allant s'exhiber sur les pistes de danse dans l'espoir de trouver une petite pimbêche à ramener chez lui le soir. Non, lui préférait de loin les soirées calmes et posées avec son cercle d'amis. Et puis de toute façon, Jack ne savait pas danser. Il n'y avait guère que la valse – une amie à son père ayant tenu à lui apprendre pour le jour où il se marierait, jour qui n'était jamais arrivé – et encore... Lui demander de bouger en rythme sur une chanson serait à peu de choses près revenu à contempler un bâton planté dans le sol, avec Jack à l'autre extrémité. En quelques quarante années, il avait eu droit à la remarque plusieurs fois. D'ailleurs il rétorquait généralement que s'il n'était effectivement pas doué pour la danse, le balais qu'il avait dans le cul était bien pratique pour cogner la tête des emmerdeurs. La surprise de la jeune femme attira son attention.

- Mmmh ? marmonna Jack en jetant un œil par-dessus son épaule. L'ours se releva et s'approcha de la métisse, délaissant le frigo, vide, qu'il venait d'ouvrir. Il secoua la tête rapidement et attrapa la bouteille qu'elle lui tendait. Du Johnnie Walker Double Black. En ces temps, c'était presque le Saint-Graal. Belle trouvaille, dit-il d'un ton enjoué. Maintenant il avait presque hâte de rentrer pour pouvoir goûter à cette petite merveille. Viens, fit l'homme en posant la bouteille sur le comptoir, j'aimerai quand même jeter un œil à la réserve.

Passant dans le dos de Shawna, Jack retourna à leur affaires et fouilla rapidement dans son sac pour en sortir une petite lampe torche qu'il coinça entre ses dents le temps de récupérer la bouteille et de la ranger. Tout comme la porte d'entrée, la lourde porte de la réserve, elle aussi derrière le comptoir, n'était pas fermée. Matheson l'ouvrit précautionneusement et un petit rayon de lumière ne tarda pas à balayer rapidement les lieux. Il y avait un foutoir innommable. Des dizaines de cadavres de bouteilles ça et là, les caisses en plastique qui devaient autrefois les contenir étaient en vrac au lieu d'être soigneusement empilées. À croire que l'arrière salle avait été la témoin d'une sacrée bagarre. Mais plus que le désordre, ce fut le râle morbide qui attira son attention. Le faisceau lumineux se posa sur la source du bruit - un tas de caisses plus haut que les autres - et le cadavre animé qu'il y avait en dessous. Le plus étrange était encore le fût de bière presque planté dans son ventre rongé par la décomposition. Les pièces s'assemblèrent dans l'esprit de Jack. Il y avait dû effectivement avoir du grabuge ici. L'homme qu'était autrefois le rôdeur avait dû se retrouver au sol et le fût lui était probablement tombé sur le bide. Même avec une chute de moins de deux mètres, le choc avec le fût avait dû être brutal et lui broyer les entrailles. Si l'histoire paraissait étrange mais pas improbable, une chose était certaine cependant. Le bidon avait beau contenir une bonne trentaine de litres de houblon, ils ne le ramènerait pas à la maison.

C'est pas beau à voir, prévint Jack en restant dans l'encadrement de la porte.

Dégainant son fidèle marteau, le scotto-américain se fraya un chemin vers le rôdeur et dégagea les quelques caisses qui obstruaient sa caboche. Trois coups plus tard, la créature avait cessé d'être. Après avoir essuyé la tête de son outil, Jack inspecta la pièce avec un peu plus d'attention. Certaines des bouteilles qui jonchaient le sol étaient vides, d'autres, cassées au niveau du goulot, contenaient encore quelques gouttes de leurs précieux liquides mais aucune n'était en état d'être ramenées. Un pack de bières Desperados dans un état passable attira toutefois son œil. Avec précaution, le quarantenaire déchira le carton gondolé. Même constat. Une d'entre elles avait survécu. Et une autre. Et encore une. Quatre au total. C'était mieux que rien.

- Hey regarde, fit l'homme, voilà nos bières. Il en tendit deux à Shawna. Attends. Il récupéra plusieurs bandes de cartons sur différents packs et en refila également à la métisse. Faudrait les enrouler dedans. Moins de chocs. Moins de casses. Moins de tintements. Moins de bruit. Jack sonda la pièce une dernière fois. On devrait continuer. On trouvera rien d'autres ici.