Cela faisait tout juste 24 heures qu'ils avaient retrouvés la Galloise, et déjà elle avait senti son un énorme besoin de sortir prendre l'air. Par chance, elle devait sortir s'occuper d'un ravitaillement peu de temps avant le retour de Rosaleen, et c'était tout bien tombé au vu de la situation. A contre coeur, elle laissa Voron se rouler sagement en boule au pied de son lit, alors qu'elle enfilait sa veste en cuir pour rejoindre la sortie du lycée, tirant Ayden par le bras. Si le muet avait oublié qu'il était de corvée, la poigne ferme de la jeune femme dût le lui rappeler immédiatement. Elle qui était pourtant d'une nature calme et peu encline à parler, décidait presque pour lui de ce qu'il allait faire de la journée, mais qu'importait.
La vitesse de la moto lui fit un bien fou, alors qu'elle ne s'inquiétait même pas de savoir si Ayden était à deux doigts de s'effondrer ou à l'inverse, était autant grisé qu'elle par les sensations de vitesse. Elle s'était contenté d'un vague "Fais signe si tu trouve un truc utile" alors qu'elle avait rangé les casques de moto,

Elle se rappelait de la silhouette vague qu'elle avait aperçue. Mais sans Voron, les chances de les retrouver approchaient du zéro pointé. Ca ne l'empêcherait pas pour autant de fouiller les environs. Peut-être trouveraient-ils des choses intéressantes ...
La fouille dura peut-être une bonne heure et demie, sans qu'elle n'ait prononcé un seul mot, se contentant de fouiller les maisons abandonnées du quartier en observant parfois les cadres photos poussiéreux d'un air désapprobateur. Tant de sourires, de familles brisées ou disparues, alors qu'elle foulait le parquet anciennement ciré comme si elle y avait vécu toute sa vie.
Rien, niet, nada. Elle venait de fouiller l'intégral d'une maison de luxe, tout ça pour foutre dans son sac des vêtements, quelques médicaments encore viables, et des jouets pour chien qui seraient utiles pour dresser Voron à l'attaque, et une bouteille de whisky qui pouvait toujours être utile si au pire des cas, ils venaient à court de désinfectant.
Voilà tout.
Dépitée, elle avait fini par se laisser tomber sur le canapé rembourré du salon, soupirant longuement avant de venir prendre sa tête entre ses mains.

Personne est passé dans ce coin depuis le début de l'épidémie au moins... T'as trouvé des trucs utiles ?

Il ne risquait pas de lui répondre, songea t-elle amèrement avant de sortir son calepin du sac, cherchant son stylo. Depuis leur arrivée dans le coin, elle n'avait trouvé que deux rôdeurs. Sans doute le couple qui vivait là, et qui n'avait pas dû comprendre que se tailler les veines n'allait pas les aider à quitter ce monde en paix, vu la quantité de sang noirci qui était restée ancrée sur leurs poignets béants.
Posant la pointe du stylo sur le papier vélin, elle hésita un instant avant de griffonner d'une écriture ronde "N°8, N°9". A défaut d'avoir trouvé leur identité, elle faisait avec les moyens du bord...

Observant le liquide ambré dans sa bouteille, elle déboucha cette dernière pour sentir brièvement l'odeur du malt, fronçant le nez. L'alcool, ça n'avait jamais vraiment été son truc, elle était plutôt du genre thé vert glacé par le passé, se rappela t-elle avec un sourire mélancolique avant de relever le nez vers le muet, sa main libre toujours posée contre son carnet.

Alex avait parlé de silhouettes le jour où ils avaient récupéré Rosaleen, amochée. Le chien de la femme semblait être d'accord avec l'idée puisque c'est lui qui avait donné l'alerte. Puis ils avaient décidé de rentrer pour s'occuper en priorité de la rousse et de parler à Jaden de l'incident afin qu'il accepte une patrouille, même courte. Avec un peu de chance, les dites silhouettes feraient une erreur suffisamment importante pour pouvoir leur mettre la main dessus. Le lendemain du sauvetage, Ayden avait passé du temps auprès de la galloise, veillant sur elle autant que sur Ian qui ne supportait pas du tout la situation. C'est au détour d'un couloir que Lex l'attrapa par le bras pour le traîner vers la sortie. Par ce geste, le muet comprit facilement qu'elle avait choisit ce moment pour partir en expédition.

A l'arrière de la moto, le casque sur la tête, le français s'était contenté de suivre les ordres. Prévenir s'il voyait un truc utile. Rien. Rien de putain de rien. Il n'y avait rien d'utile dans ce bled pourri à part des macchabées, des animaux errants et eux, les cons qui se baladaient dehors. Au moment de s'arrêter, après avoir fait le tour au cas où ils tombaient sur d'autres vivants, ils entreprirent de se fouiller. Quitte a faire une expédition, autant en profiter pour ravitailler. Sa partenaire du jour s'en alla de son côté tandis que l'illustrateur s'éloignait du sien, prenant la peine d'inspecter les baraques pièce par pièce. Dans son coin, il en profitait pour faire le point sur sa situation. Avec la disparition de l'européenne, il n'avait pas hésité à se donner corps et âme aux expéditions, aux ravitaillements et à la garde. Peu sociable, c'était une nouvelle pour lui. S'il lui arrivait de mettre la main à la pâte, ce n'était pas tous les jours qu'il faisait le volontaire. En général on venait plutôt le chercher. Mais là c'était différent. Perdre Rosaleen, c'était comme perdre Fawn, c'était bien trop douloureux pour accepter la chose. Alors il s'était bougé et avait tout donné. Et puis, il fallait se l'avouer, il aimait ça, être dans le feu de l'action. Ce n'était pas la même chose que lors de la rébellion et ce n'était pas aussi lourd à porter. Finalement, ce n'était pas si inutile d'être utile à la populace.

Après avoir fouillé un long moment, après avoir dézinguer trois têtes réparties dans deux maisons différentes, l'homme grimaça et décida de retrouver sa coéquipière du jour, la rejoignant dans la dernière baraque où il l'avait vu se diriger. La demoiselle prit place sur un canapé aux restes luxurieux et posa sa question. Simplement, il tira de sa poche un petit carnet qu'il balança près d'elle afin qu'elle puisse voir d'elle-même avant de la rejoindre sur les coussins poussiéreux. Deux bouteilles d'eau neuves, deux boites de médocs, un bocal de café, un peu de thé aussi, des vêtements et le must pour les femmes enceintes du camps, du matos pour bébés, biberons, couches et même chaussettes. Évidemment, s'il avait rangé ça dans son sac à dos, il s'était aussi servit des sacs à marmots trouvé sur place pour ranger tout le bordel. Sinon, traînait dans le sac un fond de vodka et une demi bouteille de malibu, du moins, d'après le poids. Voyant Alex se mettre à sniffer l'odeur de sa propre bouteille, Ayden grimaça. Allait-elle se bourrer la gueule maintenant ? Fallait-il lui donner ses propres trouvailles pour qu'elle se mette mal ? De son côté l'idée de boire ne le tentait pas vraiment mais quelque part, il se demandait ce que ça faisait d'être déglinguer. Les gueules de bois ? Il connaissait pas. Pour les quelques verres qu'il avait bu dans sa vie, il s'était contenté de deux, trois grand max. Il laissait ça aux autres, avant tout par peur de se faire ficher comme étant un alcoolique mais aussi parce qu'il n'avait jamais vu l'intéret de se plonger dedans comme une âme à la recherche de réconfort. Simplement et soupirant, il récupéra son calepin, y inscrivit quelques mots avant de le passer à la brune.

- Bon, on fait quoi ? J'ai pas vraiment envie de rentrer mais bon, fouiller ici sert à rien et pas de trace des potentiels agresseurs...

Un nouveau soupir échappa à l'illustrateur qui ferma les yeux et rejeta la tête en arrière, calant sa nuque contre le dossier du canapé pour réfléchir. Qu'est-ce qu'ils avaient manqué par rapport aux probables humains ? Est-ce qu'ils n'avaient pas chercher suffisamment loin ou alors ils avaient raté un indice ? Afin de ne pas s'énerver, écoutant d'une oreille distraite les paroles de la femme, le muet prit une des deux bouteilles et fit comme sa compagne, l'ouvrit pour respirer l'odeur. Bon sang, que c'était fort ce truc au coco ! Pourquoi il avait pas trouvé du jus d'orange, ou une boisson sucrée, ç'aurait été tellement plus facile que renifler l'odeur fortement alcoolisée piquant presque les yeux.

On trouvera. Lâcha t-elle avec douceur, observant les lieux abandonnés avec mélancolie. On finira bien par comprendre ce qu'il s'est passé.

Secouer Rosaleen comme un prunier n'avait pas servi à grand chose, pas plus que d'essayer de lui parler. Si elle adorait la Galloise, elle préférait désormais éviter sa présence au risque d'être tentée de la gifler tant son mutisme lui donnait envie de sortir de ses gonds.
Ayden ne savait pas quoi faire non plus visiblement. La réponse était dans les bouteilles à leur pied, alors qu'il respirait le parfum d'alcool de l'une d'entre elle.
L'observant du coin de l'oeil, elle ne put s'empêcher de sourire légèrement avant de lui tendre la bouteille de whisky.

Mon père disait toujours que c'est le meilleur moyen de passer le temps, alors bois un coup au lieu de râler.

Et puis, peut-être que ça leur ferait penser à autre chose ?

J'ai pas envie de rentrer tout de suite. Remarqua t-elle presque pour elle même, fixant ses mains abîmées par les trop nombreuses sorties en plein air en fronçant légèrement les sourcils.

Rien que le fait d'imaginer le regard vide de Rosaleen lui donnait presque envie de pleurer. Sensible comme elle était sous ses airs de muette, Lex avait l'impression de se revoir à son entrée au lycée, encore sous le choc et endeuillée par la mort de son berger allemand.
Elle se sentait tellement lasse de cette situation. Elle avait eu beau retourner le problème un million de fois dans sa tête, entre les silhouettes et le silence forcené de Rosaleen, parcourir les Etats Unis de fond en comble ne les aideraient pas. Ils croiseraient probablement ces types sans même savoir de qui il s'agissait. Si les rôdeurs ne leur tombaient pas dessus avant du moins, pensa t-elle amèrement avant de soupirer à nouveau, venant boire une gorgée de whisky en grimaçant.

Au moins, on rentrera pas les mains vides... Preston sera content, et le reste du groupe aussi.

C'était mieux que rien. Au moins elle croiserait quelques sourires sur les visages de certains en voyant les provisions ramenées. A l'inverse de la Galloise, ou de Ian qui dépérissait, ou de Sally qui pleurait toute les larmes de son corps.

J'aimerai qu'elle crache le morceau. Rosaleen. Précisa t-elle en rendant la bouteille à Ayden, croisant un instant son regard avant de détourner les yeux.

Qu'on sache au moins ce qu'il s'est réellement passé, pouvoir mettre des mots sur son mal-être, je sais pas... Ca nous aiderait un peu déjà.

Toujours affalé dans le canapé miteux, Ayden observa un instant la bouteille entre ses doigts, hésitant l'espace d'un moment. Il n'avait jamais vraiment bu de sa vie. Quelques cocktails alcoolisés, quelques bières mais ce n'était jamais allé plus loin. Fallait dire, il n'avait jamais compris l'intérêt d'avoir plus de liqueur dans les veines que de sang. Il écoutait d'une oreille distraite les propos du maître chien et son regard clair revint se poser sur elle quand il entendit le prénom que beaucoup avaient sur les lèvres, au camp. Rosaleen. Il fallait le dire. S'il avait accepté de sortir, c'était pour savoir s'il pouvait trouver un quelconque indice permettant de trouver des réponses à l'état de la rousse. Un prétexte, les expéditions n'étaient qu'un prétexte bien qu'il fasse tout de même la part des choses comme le prouvait les sacs à ses pieds. Et puis, Lex disait avoir aperçu des silhouettes. Elles n'étaient clairement pas inhumaines sinon elles auraient débarqués bien vite pour croquer du vivants alors que celles là avaient fait marche arrière.

- On trouvera l...

L'homme se stoppa bien vite. Il s'était mis à signer et se doutait que sa compagne ne comprendrait pas un mot si elle le voyait s'agiter. Oui, c'est vrai qu'il n'avait pas l'habitude de discuter avec des gens qui ne comprenaient pas ses "dires" ou généralement, il y avait un traducteur. Cette fois ce n'était pas le cas. En rendant la bouteille à sa complice, il récupéra simplement son carnet et se mit à écrire avant de lui montrer.

- On trouvera le moyen de lui faire cracher le morceau. Même si ça doit prendre des mois. On finira par savoir.

Fallait bien qu'ils sachent un jour. D'autant que... Si ce qui lui était arrivé s'avérait être dangereux, il valait mieux faire ce qu'il fallait pour préserver le reste du groupe. Mais quoi ? Pourquoi ? Il s'était passé quoi ? De la torture ? Non, les toubibes n'avaient rien dit à ce propos alors quoi ? Le muet se passa la main dans les cheveux et ses yeux se perdirent dans le vide. Comment arrivait-on à briser ainsi quelqu'un ? Y avait que dans les films que ça arrivaient, que des gens fassent craquer d'autres par la simple volonté. Est-ce qu'il existait vraiment des gens comme ça, qui blessaient pour le plaisir ? Des personnes sans foi, ni lois ? A l'idée que ce soit réel et que la litho-thérapeute ait pu passer entre leurs mains, l'illustrateur eut un frisson de dégoût dont les picotements remontèrent le long de sa nuque. Une nouvelle fois la bouteille entre les doigts, il avala une longue gorgée, se râclant la gorge par la suite tant la brûlure était désagréable. Un nouveau regard vers sa coéquipière et il soupira, lui tendant une nouvelle note.

- Et si on oubliait ça, pour aujourd'hui ? Je sais pas toi mais ça me tue de repenser à elle aussi... Mal. J'ai du mal à me faire à l'idée.

Yeux clos l'espace de deux secondes, il revit l'image de la belle, allongée au sol, mal en point, lorsqu'ils l'avaient retrouvé puis celle qu'elle envoyait quand elle était à l'infirmerie et enfin celle de lorsqu'elle s'était cloîtrée dans une salle de classe, seule et refusant de piper mot. Personne, à ce jour n'avait pu entendre le son de sa voix, pas même Ian avec qui elle formait un couple autrefois solide et uni. Une nouvelle fois, il se mit à soupirer et s'en rendre compte l'agaçait profondément. Il s'épuisait lui-même à avoir aussi déprimé. Rendant pour la centième fois la bouteille à Lex, après une énième gorgée, il se pencha pour récupéré le truc au coco. Nouveau reniflement puis il porta le goulot à ses lèvres, levant délicatement le contenant pour goûter la denrée liquide. Encore une grimace. On pouvait presque le comparer à un enfant qui venait d'avoir un bouche du citron tant la tête que faisait Ayden était semblable. Et puis, finalement, ce fût une grande gorgée qui vint chauffer le gosier de l'homme. Bah ! Pourquoi se priver ? Le monde partait en couille, une amie était flinguée mentalement, les morts ne restaient pas morts et mieux, ils cherchaient souvent à croquer un morceau de vivant, l'ère "moderne" n'existait plus alors... Ouais, pourquoi se priver ? Paraîtrait qu'un coup dans le nez faisait toujours du bien, de temps à autre alors c'était le moment de tester. Alors, pourquoi ne pas se mettre à l'aise et siroter tranquillement jusqu'à sombrer dans la gueule de bois ?

Dans un geste presque naturelle, il cogna les bouteilles l'une contre l'autre, un "tchin !" improvisé. C'était partie pour la première vraie débauche de sa vie.