“ Tu comprends rien, tu comprends jamais rien…”

Soupir. À quoi bon essayer. Genre qu’il allait faire exprès pour ne pas la voir, genre qu’il l’avait fait par le passé. Judy ne faisait aucune différence entre volonté et devoir. Farrell avait choisi un métier qui impliquait des départs successifs et longs. C’était comme ça. Ça ne changeait rien à eux, à ses sentiments. La réalité c’était qu’elle était égoïste et possessive, mais qui aurait pu lui en vouloir ? Le pilote n’était pas dupe, évidemment que c’était, ou plutôt ça avait été difficile pour elle. Mais en quoi Matthew allait-il s’en vouloir pour ça ? Elle se berçait d’illusions depuis le tout début. Encore des reproches, toujours des reproches. Le pilote eut envie de lui dire ses quatre vérités, la première étant qu’à force d’être blâmé à chaque fois qu’il faisait un choix professionnel, l’envie de revenir à la maison avait disparu. Ah ouais, faire ce que je veux, dis-tu ? Parce que j’ai vraiment eu envie de m’écraser tu crois ? De faire cette mission, même ?

Tu crois que j’ai aimé voir les balles voler me passer à quelques centimètres de la gueule ? Ou encore juste de voler au-dessus d’humains complètement paniqués, affligés  par un truc qu’ils ne comprenaient même pas ? D’entendre les mêmes discours appelant au calme. D’être de l’autre côté de la barrière de sécurité mais tout aussi aveugle. T’as rien compris, Judy, rien compris à ma vie… Et c’est pour ça qu’on doit envisager de faire nos vies chacun de nos côtés. C’est ce qu’on a fait avant mon dernier départ, tu te souviens pas ?

Elle le blâma mais il se coucha quand même sans se faire prier et surtout, sans répondre. Finn décida de l’utiliser comme oreiller et le militaire tapota la bête gentiment quelques instants. Brave truc. Il se ferma les yeux et bien vite il sombrait dans un sommeil un peu agité mais quand même réparateur. Le vide faisait du bien à sa tête douloureuse. Si bien qu’à son retour dans le monde des vivants, il eut un léger réflexe de recul en sentant un poids sur son bras. Ce réflexe bizarre de survie, qui lui annonçait que non, pas d’infecté en train de lui mâchonner le bras. Ç’aurait été plus simple à interpréter que la tête blonde qui l’observait d’un œil curieux. Elle lui jouait dans les cheveux. Il soupira, elle faisait vraiment exprès… Matthew ne la repoussa pas malgré tout. On pouvait parler de reproches pendant des heures mais le pilote n’avait pas non plus oublié ce qu’il aimait chez elle. Ses manies, sa douceur et son intelligence mordante. L’enthousiasme et tout le reste.

« Ah je vois, une sorte de trêve »

Elle s’amusait alors il n’allait pas se gêner non plus en la rapprochant un peu, question de remplacer la chaleur de Finn qui faisait le spectateur dans un coin, entourant sa taille du bras. Ses doigts passèrent dans ses cheveux à elle, sa manie à lui. Malgré l’apocalypse et tout ce que sa fait, ils étaient quand même lisses et soyeux.

« Si j’avais un jour pensé qu’on en serait là, que le monde finirait… Ça reste irréel, tout ça. Au dirait que je réalise pas, pas encore. Pourtant j’en ai croisé sur mon chemin entre l’épave et ici. Mais je sais pas, au dirait que je les vois juste comme des blessés de guerre. Si tu avais vu tout ce que j’ai vu de là-haut, Jude… Des émeutes arrêtées à coup de M16 et d’autres qui ne prirent jamais  fin. Encore heureux qu’ils ne puissent pas courir. Ils n’en ont pas besoin quand tu y penses. »

Son œil se pointa vers une des fenêtres de la classe plongée dans l’obscurité. Farrell insistait souvent sur les choses qu’il voyait parce que sa vision était traitresse. Quand on voit trop bien, on voit trop bien le pire également.

« Il y aura pas de cavalerie, pas de secours. Que des ruines. L’âge de pierre quoi. Je ne réalise pas. J’ai l’impression que demain tout sera comme avant. Que mes amis seront en vie. Mes parents, tout le monde quoi. »

Il y a que Finn qui restait relax là-dedans, en fait. Il appuya sa tête sous le menton de la veto,  trouvant un certain réconfort dans le bruit de son cœur.

« C’était mon dernier déploiement. »