Le récit de Jonah vient chercher Robert plus que le sinistre individu ne l’aurait cru possible. Flann, l’amie chère au cœur torturé du golem de chair rapiécé, s’était fait violer par des hommes barbares et bestiaux. Ils avaient battu Selene sa sœur d’âme. Mais la musicienne ne lui avait pas certifié que les monstres qui avaient commis ces crimes impardonnables étaient morts ou vifs. Dans l’imagination si peu développée du colosse balafré, le trio d’hommes était des membres de ce groupe de scélérats. Levant une main douce et conciliante, il la déposa sur l’épaule de l’homme aux larmes de crocodile. Dans le regard océanique si pur, une tempête faisait rage au tréfonds de l’être monstrueux. Un tsunami de rage et de fureur se formait et bientôt les vagues déferlantes de la colère emmèneraient loin la pacifique créature. La voix rocailleuse s’éleva alors avec sollicitude et détermination.

Robert- Tu n’es pas seul Jonah… Euh… Je crois que c’est les même qui ont fait du mal à ma famille… Euh… Personne ne fait mal aux gens que j’aime, tu sais… Euh… Reste derrière moi OK? Je ne veux pas qu’on te blesse tu as encore des gens qui t’aiment et qui sont importants pour toi.

Et alors un changement se produisit. L’être si doux et gentil se transforma en un monstre dont la rage semblait augmenter la puissance physique déjà phénoménale. À cet instant précis Rober bascula vers la bête qui sommeille en chaque individu. Mugissant tel un Minotaure fonça directement vers la prote. Quatre à quatre, le mineur descendit la volée de marche. Sortant à l’air libre, il croisa une goule. Celle-ci leva ses bras pathétiques pour essayer de stopper la marche guerrière de l’homme difforme. Celui, tel un dieu de la destruction depuis trop longtemps oublié, repoussa la parodie de non-vie vers un mur de brique. Un bruit de craquements sinistre, annonciateur de plusieurs fractures, déchira le silence oppressant. La créature putride lissa au sol dans un amas sordide. Le mineur, sans réellement arrêter sa progression pour voir sa victime inhumaine, gravit l’escalier. Un voile de fureur rouge, semblable à ceux que les bersekers des temps anciens percevaient, était tombé devant son regard habituellement rempli de candeur. Devant la porte de l’appartement des pourritures qui jouaient aux cartes, le géant ne ralentit aucunement. Il prit même de l’élan. Se propulsant sur le battant de bois, celui-ci s’arracha alors de ses gongs déjà mis à mal par d’autres essais précédents. Déjà des goules avaient défoncé à moitié cette porte. Un meuble tomba au sol et le monstre de foire se trouva dans la pièce. Un pas gigantisme l’emmena à la table de jeu. Son esprit enregistra qu’il manquait un lascar, mais le plus maigre se releva avec un fusil à pompe. Sans attendre que le canon s’aligne sur lui, Robert s’approcha à quelques pouces du bandit paniqué qui essaya de mettre en joue Bobby..

L’homme au fusil tronqué commit sa première erreur. Le géant avait été plus souvent qu’à son tour avec la mire d’une arme qui dansait langoureusement devant ses yeux océaniques. Grâce à ses nombreuses escarmouches qui parsemaient sa vie pathétique, le mastodonte aux muscles disproportionnés et aux cicatrices trop nombreuses, Bobby était devenu un briscard des plus compétents. Et son instinct de protecteur lui souffla souvent les décisions pour être le dernier à rester debout lors de combat pour la survie. Lors de son passage comme portier dans un bar d’effeuilleuses, le chef de la sécurité lui avait appris quelques techniques des plus utiles de Krav Maga. Surtout pour désarmer un ivrogne mécontent ou bien un être colérique repoussé par une jeune femme à cause d’avance incongrue. La proximité dans ces cas de figure était l’alliée du géant balafré. Être près de son agresseur armé restreint ses mouvements et la panique le gagnait rapidement. La seconde erreur de l’homme maigre fut de se rapprocher du colosse prêt à exploser. Celui-ci agrippa l’arme de ses mains gantées. Aussitôt l’homme essaya de se défaire de l’emprise dont il subissait l’assaut. Une déflagration de plombs claqua sèchement dans la salle remplie d’écho, sonnant un peu les personnes présentes. La seule victime de ce coup de feu fut le portrait de famille des anciens locataires des lieux. Mais les mains du colosse ressemblèrent à des étaux que même la mort ne pourrait briser. Prenant un grand élan de la tête, le front de Robert entra en contact avec le nez et le sournois maigrichon qui luttait vainement pour reprendre possession de son arme. Les yeux de l’homme devinrent alors vitreux, du sang coulant en profusion de son nez fracturé. Son visage était devenu une mer écarlate de souffrance et de terreur absolue. Il tomba au sol à moitié évanoui.

Le second homme, un costaud ventripotent, se releva en saisissant un poing américain. Glissant les anneaux métalliques dans ses doigts potelés, l’homme cria alors de rage.

Homme- Vous voulez quoi putain de merde ?

La voix rocailleuse, intimidante et surtout essoufflée de l’erreur de la nature répondit. C’était comme si deux pierres s’entrechoquaient furieusement. Le torse du chainon manquant se soulevait et s’abaissait comme un soufflet de forge.

Robert- Vous avez fait du mal à une famille innocente… Euh… Violer une pauvre enfant… Euh… Je vais vous faire mal.

Homme- Tu es fou on a rien fait de ça !

L’obèse s’avança rapidement, bien décidé à frapper de son poing de fer le golem de chair. Bobby n’en avait cure et il lança sa paluche vers l’avant. Les doigts de sa main immense et rugueuse se transformèrent en serre. Agrippant le cou de taureau l’être qui lui mentait comme si c’était qu’un petit chiot. Tirant violemment vers l’avant, comme si le corpulent homme n’était qu’un enfant, le monstre de foire emmena son adversaire médusé au contact. Le matador grassouillet fut estomaqué et il voulut user de son poing américain sur le faciès monstrueux de Robert. Sans laisser le temps de finir le mouvement, le mineur ferma son poing à s’en faire blanchir les jointures. Tel un boulet de canon organique, le poing vengeur percuta l’estomac de l’homme. Celui-ci essaya de se plier en deux, mais le colosse tenait toujours l’homme par la peau du cou. Remontant subitement son coude, Robert fragilisa la mâchoire du malabar. Celui-ci roula des yeux et essaya de faire un jam de panique de sa main non armée. Encaissant sans broncher le coup mal placé, le géant lâcha le pathétique agresseur. Celui-ci tomba alors à genoux et leva la tête vers le mastodonte. Robert descendit un direct dévastateur sur la mâchoire patibulaire de l’homme, la cassa. Une gerbe de sang, de dents et de morve fit un arc à la sortie des lèvres de l’être vaincu. La brute tomba face contre terre, sonnée pour le compte.

Se redressant subitement, le colosse balafré cria un avertissement à celui qui le menait en bateau depuis le début. Mais dans le monde de l’homme difforme, il n’y avait que les méchants et les bons. Pour lui Jonah était un bon père de famille.

Robert- Attention Jonah… Euh… Un des méchants se planque quelque part.

Le regard océanique de la bête recherchait la dernière proie, voulant protéger le père de famille et lui permettre de retrouver les siens. Il devait vivre et lui pouvait mourir, Robert s’en fichait un peu de son existence monstrueuse…