Attaché à un pilier. Est-ce que c'était la solution ? Véritablement oui. Par les temps qui courent, les humains ne peuvent pas déceler la bonté d'une personne à ses traits physiques. Un type avait débarqué, sur leur terrain. Couvert de sang. Armé d'un couteau - et d'une guitare, qui aurait très bien pu servir d'arme dans le conscient collectif. Il s'était écroulé. On ne sait pas pourquoi. Les traces sur ses bras, avant-bras, montraient qu'il avait récemment "combattu". Du moins, ça le présumait. Du coup, ne sachant pas trop à qui ils avaient à faire, et étant quand même de sacrés chics types, ils avaient décidés de l'attacher à un pilier et de le soigner. Pourquoi chics types ? Parce qu'un enfoiré l'aurait simplement laissé crever sur le parvis de la porte, ou même, l'auraient abattu et dépouillé de ses vivres. Enfin, vivres. Il n'avait guère grand chose sur lui. Une petite bouteille d'eau, dont le contenu était chaud. Et quelques paquets de nouilles déshydratés, écrasées, qu'il avait trouvé à même le sol, la veille.

Putain, j'suis où?

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il était loin d'être dans une sacré merde. Certes, il aurait pu tomber mieux. Certes, il aurait pu tomber dans pire que ça. En tout cas, il remarquait quelque chose dès le premier coup d’œil. Il était dans un groupe, de personnes certainement très méfiantes d'autrui. C'était tout à leur honneur. A vrai dire, c'était même très logique. Par les temps qui courent, Liam avait du être confronté à plusieurs hommes et femmes ayant des mœurs pour le moins... Dérangeant. Des pillards qui abattaient tout ce qui pouvait bouger afin de récupérer du matériel sur les corps inertes. Des marchands ambulants, qui kidnappaient des pauvres victimes esseulées afin de les revendre contre de la nourriture, de la boisson et des armes. Des sacré salopards qui profitaient du chaos pour révéler leur véritable identité.

En l'espace de deux jours, on devait être le six novembre, il avait pu voir du monde. On lui apportait "régulièrement" à manger, et à boire. Il était attaché, solidement. La première nuit fut très compliquée pour son dos. La seconde également. Quant à la troisième, il avait l'impression que sa colonne vertébrale était totalement détruite. Le poids de l'âge. Le poids des liens sur sa poutre. Un mal pour un bien, car au final, il était vivant et plutôt en bonne santé. Ils avaient expliqués qu'ils gardaient ses affaires, quelque part. Et souvent, il avait droit à une pléthore de questions. Si ça peut sembler, d'apparence, sans queue ni tête, il faut savoir que la prudence est mère de sûreté. En cette journée, il eu une pensée pour ses frères portés disparus depuis les incidents. Cela devait faire... Cela faisait trop longtemps qu'il était sans nouvelles d'eux. Il n'avait jamais croisé l'ombre de ses frères, que ce soit sous forme humaine ou non. Pour passer le temps, Liam essayait de remuer sa cervelle pour se remémorer ses belles années. Celles avec le groupe. Le temps était étrangement long à passer, même en farfouillant sa mémoire. Mais il était patient. Docile. Calme. Et le plus arrangeant possible. Non pas parce qu'il n'avait pas le choix. C'était surtout parce qu'il tentait de rester le plus naturel possible. Et que même si ça lui crevait le dos, il acceptait cette décision qui avait été prise.

Mais y'avais un problème. En ce sept novembre. Un putain de problème. Il y avait ce type. C'était pas une montagne de muscles, mais il était plutôt en forme physiquement. Bien plus jeune que lui aussi, d'ailleurs. Il faisait, ce qu'on appelle dans un jargon, un putain de sacré petit manège à la con, qui déplaisait énormément le guitariste. Premièrement, il avait ramené une table. Jusque là, ça allait. Allez savoir pourquoi il y avait une table d'ailleurs, mais passons. C'est lorsqu'il vit la suite, que son sang fit qu'un tour. A la fois une étrange chaleur. Celle de ses nerfs qui s'étaient tous mis en boule. Qu'on menace sa vie, c'était une chose. Et limite, il préférait avoir un couteau sous la gorge. Niveau sensation, c'était moins dérangeant. Et de l'autre côté, il y avait comme un froid. Comme si la vue de sa guitare et de cet instrument diabolique servant - de base - à taper très fort sur des clous, lui avait fait tourner de l’œil.

▬ Wowowowo. Tu... tu compte faire quoi avec tout ça? Si tu compte me buter, fais-le là. Mais me torture pas comme ça mec.

Il en était tout tremblotant. Angie, c'était la prunelle de ses yeux. C'était la dernière chose à laquelle il s'était raccroché pendant tout ce temps. C'était la seule qui arrivait à lui redonner le sourire, pendant les jours de misères. C'était, jusqu'à ce jour, sa seule alliée.

Jack n'aimait pas ça. Toute cette situation là... Ça ne lui plaisait pas. Pas du tout. Pas du tout du tout.

Tout avait commencé quelques jours plus tôt avec l'arrivée impromptue d'un élément perturbateur. Et Jack, les perturbateurs, il les aimait pas des masses. Là en l'occurrence, il s'agissait d'un pauvre type blessé qui était venu s'écraser devant le ranch. Il pouvait pas s'échouer ailleurs, non. Il avait fallu que ça soit ici, chez eux. Leur groupe n'était pas nécessairement terré dans un trou non, mais qu'on les trouve comme ça ne lui plaisait pas. Et puis il avait fallu que ce soit les gosses qui le trouvent. Ça aurait été lui, sans doute que les choses se seraient passées autrement. Forcément les gosses étaient allés chercher les filles. Et naturellement, les filles avaient pris le pauvre type sous leurs ailes. Elles avaient ramené le pauvre type à l'intérieur. Ça aussi, ça ne lui plaisait pas. Qu'on ouvre grand la porte à un parfait inconnu dont on ignorait tout, simplement parce qu'il était blessé... Le type aurait pu tout aussi bien être un dérangé de la caboche, ça n'aurait rien changé. Et... Non. Ils n'étaient pas les secours sociaux. Ni un dispensaire à dire vrai. Qu'on utilise du matériel médical durement acquis, de la nourriture, de l’eau pour aider un paumé qu'ils ne connaissaient ni d'Eve ni d'Adam, ça ne lui plaisait pas plus que le reste. Heureusement qu'Isaac et lui avaient pu un peu rectifier le tir en rentrant au ranch. Un peu seulement. Parce qu'à part l'attacher dans la grange, il y avait pas grand chose d'autres à faire. C'était déjà mieux que rien. Maintenant que l'inconnu savait où les trouver, combien et qui ils étaient, le relâcher dans la nature n'aurait servi à rien et aurait été plus préjudiciable qu'autre chose. Évidemment, les deux hommes n'avaient pas échappé au couplet de "Mais non, on ne peut pas faire ça, c’est pas bien". La dispute qui avait suivi, que Zoey lui fasse ses gros yeux... Même si cela avait permis d’avouer certaines choses, que le couple, et de manière plus générale le groupe, puissent se prendre la tête pour un total inconnu, ça aussi ça ne lui plaisait pas. Pas du tout. Donc non. Rien dans cette histoire ne lui plaisait.

Jack n’était pas vraiment inquiet pour autant. L’autre était attaché, ils avaient tous un œil sur l’écurie en journée et Isaac le surveillait la nuit. Tenter quoi que ce soit n’aurait pas été très bon pour lui. Méfiant par contre, ça oui, il l’était. Prudence est mère de sûreté, disait-on. Et dans le monde dans lequel ils vivaient tous désormais, cette vieille maxime n’avait jamais été aussi vraie. Ce type-là, ils ne le connaissaient pas. Ils ne savaient pas qui il était, quel genre d’homme il était et encore quels étaient ses intentions en venant s’écraser chez eux. Il pouvait être un homme bien, oui. C’était possible. Tout comme il pouvait être un salaud de la pire espèce, du genre de celui qui avait bien malheureusement croisé la route de Zoey. Il pouvait être seul. Et il pouvait faire partie d’une bande ayant mis en place un astucieux stratagème pour prendre tout ce que le groupe avait accumulé. Il pouvait être ça et bien d’autres choses encore. Le quarantenaire ne mettait de côté aucune possibilité et il avait la ferme intention de tirer tout ça au clair. Alors forcément, quand il avait appris que la première chose que le type ait dite c’était de demander après sa guitare, Jack avait trouvé son angle d’attaque. Si elle était si précieuse pour lui, il avait à disposition de quoi lui délier la langue.

Ce jour-là, c’était donc dans l’idée de faire parler l’inconnu qu’il se dirigea vers l’écurie, une table en bois, ni très grande ni trop petite, entre les mains. Sans adresser la parole au captif, il posa la table à une distance raisonnable de l’homme. Répétant son manège, Jack revint avec une chaise qu’il installa directement face à l’autre. Et ce ne fut qu’après avoir accroché à sa ceinture le marteau qui l’avait accompagné partout depuis les commencements de l’épidémie qu’il retourna à l’écurie, tenant la guitare du type par le manche. L’entrepreneur posa l’instrument sur la table avant de s’asseoir. Lentement, sans quitter l’autre du regard, il décrocha son instrument à lui et le posa juste à droite de la guitare. À portée de mains. Il n’avait pas prononcé un traître mot que l’autre commençait déjà à chouiner. Soit Matheson avait vu juste et la menace de voir sa guitare réduite en miettes le ferait parler, soit c’était un bon acteur.

- Torturer ? reprit Jack calmement. Je n’aurai aucune raison de le faire, continua-t-il sur le même ton. Si tu réponds à mes questions, enchaîna l’ours en insistant sur le premier mot mais sans aucune animosité dans son intonation. Tu parles et j’écoute. Si j’ai l’impression que tu mens ou que tu essaies de cacher quelque chose, aloooors... Sa voix traîna. Je constate que tu tiens plus à ta guitare plus qu’à ta propre vie. Pourquoi ? demanda l’homme simplement.

Un grand baraqué était donc bel et bien arrivé dans la grange. Ou du moins, ce qui semblait être une grange. Liam n'en avait jamais eu, et n'en avait jamais visité une. Toujours sur la route, dans sa Jeep à l'époque, dans laquelle à quatre, ils sillonnaient les routes américaines allant se produire dans des festivals locaux, des petits concerts privés, des bars. Jamais ô grand jamais il n'avait pris le temps de visiter une ferme. Mais à l'odeur, ça semblait bel et bien en être une. Le bois était omniprésent. Ce qui est dingue avec le bois, c'est que ça prend vite. Et si une personne mal intentionnée bazardait un cocktail flamboyant contre l'une de ses parois, il serait très probable que Liam, attaché à sa poutre, ne puisse pas survivre. Et ce ne sera pas le feu, qui le consumera en premier. Mais les particules nocives dans la fumée, qui noieront ses poumons de crasse insupportable.

Le gaillard avait un physique d'ours mal luné, mal léché. Une barbe de quelques semaines, un physique fort, une voix brute et assez caverneuse. Pourtant, toujours un ton très calme. Liam s'était résolu à continuer. A présent, il allait devoir jouer à son petit jeu de questions réponses. Et si ça ne lui plaisait pas, alors allez savoir. Peut être que la guitare finira en tant que bûche pour alimenter la cheminée. D'après ses paroles, il n'avait aucune raison de le torturer. C'était un bon point. Au moins, ça montrait clairement les intentions du mec. Il était docile, calme comme une vache sacrée. Mais il pouvait très bien péter une durite d'un moment à l'autre, avec son grand marteau et fracasser la guitare comme un mec fracassant le crâne d'un mordeur.

Avec la plus grande honnêteté du monde, Liam s'était mis à lui répondre. La question était, pour le moment, assez simple. Sa guitare, c'était tout pour lui. Comme l'épée du samouraï, elle était le prolongement de son corps, de son âme, de sa main. Elle faisait partie intégrante de sa vie depuis déjà trente années. C'est avec elle qu'il a formé son groupe, qu'il rendait visite à ses gamins des quartiers pauvres, c'est avec elle qu'il avait partagé tant de moments, joyeux, hilares, tristes, sentimentaux. Sans sa guitare, c'est comme confisquer ses pieds à un footballeur. Mais ça, est-ce que la brute allait pouvoir comprendre? Le choix des mots était du coup, très important.

▬ Ce serait trop compliqué de définir le lien entre le guitariste et son instrument. Elle fais partie intégrale de moi, comme un prolongement de mon corps et mon âme. Je sais, ça à l'air stupide dis comme ça. Mais elle m'a permis de me sortir de plusieurs galères, de rencontrer des gens formidables à l'époque avant toute cette merde, et même aujourd'hui. puis, marquant un petit temps de pause, il regardait son treillis militaire. Dans la poche intérieur, au niveau de sa jambe, devait se trouver un vieux paquet de cigarettes qu'il lui restait. Il le savait, parce qu'il le sentait contre sa cuisse. Ceci, ainsi qu'un paquet d'allumettes. ▬ Puis-je vous quémander un service ? J'ai des clopes dans la poche là. Fit-il en regardant de manière soutenue sa cuisse. ▬ Je serais pas contre l'idée de m'en griller une, après tout ce temps. Par ailleurs, n'hésitez pas à en allumer une également, si le cœur vous en dit.

Même dans sa merde, même attaché à un poteau, Liam gardait un sourire franc envers son "tortionnaire". Il n'était pas mauvais, pas méchant. On le nourrissait, le faisait boire, et on lui avait porté des soins pour qu'il puisse continuer à vivre. Et rien que pour ça, pour tout ses gestes faites par cette communauté, Liam avait un certain besoin envers eux. Leur rendre la pareille. C'était tout à fait normal, direz-vous. Mais dans un monde comme celui-ci, la plupart des gens développent un trait de caractère, l'égoïsme. Mais ce n'était pas le cas de Liam. La preuve en est. Il offrait une clope à la personne qui portait le marteau. Si avec ce genre de gestes, il n'arrivait pas à comprendre, alors bah... Il allait certainement crever ici, et cette grange en serait son tombeau, ce qui allait être à la fois dommage et regrettable.