Ils étaient pas bien, là ?

Gary regarda sa femme et son fils, l'entourant de près, s'échinant à côté de lui à ranger avec soin la caisse des derniers médicaments que la pharmacie contenait. C'était pas grand chose, mais toujours ça, et même s'ils voyaient un peu trop le fond, l'homme se rassura en se disant que c'était pas si déconnant à force, ils étaient nombreux ici, et loin de tout alors forcément... Le truc, c'était que ces derniers temps, Gary passait la majorité de son temps à seulement se rassurer en se disant que c'était pas déconnant et... rien d'autre. Pas moyen de faire mieux, et tellement de possibilités de faire pire. Il avait l'impression qu'il allait finir chauve d'ici quelques semaines, à force de s'arracher les cheveux pour rien.

Mais comme il le répétait souvent : c'était ça la vie désormais. Un quart d'espoir, trois quart de malchance. On se passait de mots pour ce genre de choses, de toute façon, Gary avait trop fait claquer la baveuse ces derniers temps pour se permettre de l'utiliser encore. Puis, il était à court de phrases rassurantes. Donc, chacun sa merde. Après plus d'un an de ce bordel sans nom, l'abruti était celui qui continuait à se dire que ça allait. Et parfois, l'homme pouvait être un peu con, pour garder la forme. Mais non, ça allait pas si bien que ça, et les mots doux n'y faisaient rien. Ça ne changeait jamais la situation dans laquelle ils étaient, ou le fait que les stocks se réduisaient toujours, jamais l'inverse.

Pis y'avait pas que ça. Quand ses yeux bleus se portèrent sur sa femme, Gary sentit son ventre se tordre. Y'avait elle, aussi. Y'avait elle, et le fait que depuis deux petites semaines, elle ressentait des petites douleurs de ci de là, des contractions qu'elle lui disait, mais jamais un début d'accouchement. Sauf que cette nuit, ça avait été un peu différent. Il n'avait pas dormi, et il l'avait senti se tourner et se retourner dans le lit. Se raidir en ressentant de la douleur entre deux phases de sommeil troublé. Y'avait le fait que de temps en temps, elle pâlissait à vu d'oeil, en disant aux autres de ne pas s'inquiéter, que c'était normal. Alors après cette nuit blanche, et cette matinée plutôt pâle, l'homme avait dit à Joey qu'il resterait auprès de sa femme dans les prochains jours, ou prochaines heures, selon le rythme.

Et son meilleur ami avait compris. Quelque chose se tramait forcément, et l'histoire était assez évidente. L'histoire, elle était enceinte jusqu'aux yeux de lui, et lui souriait en lui disant que non, c'était pas encore ça. Et quand ça se répéta, malgré les affirmations de sa douce sur le fait que « NON C'EST PAS CA OK TU ME LAISSES TRANQUILLE UN PEU », Gary regarda sa montre dont la petite aiguille trottait vivement, avant de relever les yeux vers Rose. Il lui fit un air un peu dur, parce qu'il était fatigué lui aussi, mais toujours moins qu'elle qui souffrait par instant, et de plus en plus régulièrement, et lui souffla d'une voix sèche : « Tu vas encore me dire qu'c'est pas ça. Mais ça s'rapproche. »

D'un ténor un peu enroué, il se tourna vers son fils : « Tu vas rejoindre Christie, un peu ? J'dois parler à maman... » Norman hocha la tête, et Gary attendit qu'il soit loin pour revenir vers Rose. Il la regarda faire comme si tout était normal, alors que ça ne l'était pas du tout. Ce qu'elle pouvait être têtue, tout ça pour ne pas se rendre à l'évidence. 11 décembre 2016, ouais. Il était encore 11h. Et sa femme se refusait à admettre qu'elle allait sous peu perdre les eaux. Et ouais, il s'était renseigné quand même. Loin d'être con le gars. Il s'était renseigné auprès de Brooke pour savoir comment ça se passait. La naissance de Norman ayant été médicalisé, Brooke était la seule à connaître ce que c'était pour l'instant d'accoucher dans ce monde. Bref. « J'appelle qui pour aider ? » Fit-il à sa douce, prêt à se lever pour aller le chercher.