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Job Brenner -
Jeu 12 Jan 2017 - 21:36
28 ANS≡ Américain≡ Militaire≡ EMERALD FREEDOM
i've got a war in my mind
Marqué à l'eau bénite, bercé de litanies spirituelles, assis sur les bancs austères de l'église, je suis né dans une famille de Catholiques pratiquants. Il arrivait que la foi ne caresse mon esprit que du bout des doigts, ou qu'elle me serre le coeur et soulage mon âme de ses inquiétudes - elle a souvent vacillé, mais n'a jamais flanché. Les longues et trop nombreuses discussions que j'ai pu avoir avec mes parents à ce sujet n'ont fait qu'affirmer une obstination cultivée avec les années. Pourquoi, comment. Pourquoi, encore. Tant de questions qui n'auront jamais de réponse. Tant de questions auxquelles je pouvais si difficilement répondre seul - c'était pire lorsque j'étais entouré de monde. Et, durant l'adolescence, j'ai ressenti le besoin de m'isoler bien souvent ; de mes parents, de ma soeur, de mes amis. Un besoin que je regrette aujourd'hui, même si avec l'isolement est venue une certaine maturité. Mais je n'ai pas suffisamment profité et ce sont des temps qui, plus encore aujourd'hui que jamais, ne se reproduiront plus.
Avec le temps est venu le pessimisme, car j'étais partagé entre la confiance et l'espoir auxquels je croyais - auquels je devais croire -, et la réalité qui me giflait parfois en pleine figure, comme une amère piqûre de rappel. La foi n'est pas tout. La famille, la confiance, ça n'est pas tout. Il y a des choses inexplicables, des gens qu'on ne comprendra jamais, et qui ne nous comprendront jamais. Alors, je me suis évertué à essayer, malgré tout ; l'indulgence de la méconnaissance, peut-être. Je ne connais pas, donc je ne juge pas. Mais si je connais, si je sais pertinemment ce qu'il en est, ou si j'ai déjà pardonné une fois, c'est déjà trop tard. Et alors, comme le péché qui s'insinue sournoisement dans l'esprit, je n'ai qu'une chose en tête : la vengeance. Je dois rétablir le bien, la vérité, le bon. Même si ça n'est pas mon rôle, même si je devrais laisser pisser, je prends les armes et je vais tout faire pour enterrer le faux.
Une tâche à accomplir, quelle soit-elle, et je n'ai plus que ça en tête. Je m'y donne corps et âme, quitte à y passer trop de temps, quitte à tourner en boucle, je ressemble à un vieux disque rayé. Mais je dois le faire. J'ai grandi avec l'espoir vain de pouvoir améliorer les choses, les gens - et le plus grand paradoxe de ma personnalité s'affronte alors : en ces instants, je ne suis plus pessismiste, plus fataliste. L'espoir enfle en moi comme un ballon de baudruche, il rayonne en moi et me donne l'énergie de tout faire.
Mais si l'échec est au bout de l'aventure, c'est la dégringolade. Je tombe de trop haut, parce que mes espoirs étaient irréalisables. Je n'abandonnerai jamais mes chimères.
Et parce que chaque homme à sa part d'ombre, je me suis découvert une grande instabilité. Je suis sûr de moi, très sûr de moi. Très sûr de ce que je peux réaliser et accomplir. Mais je ne suis jamais certain des finalités, alors j'hésite. Je ne connais jamais suffisamment le moindre recoin poussiéreux de chaque histoire, et j'hésite comme un diable. Je sais, puis je ne sais plus. Je dis oui, puis non, puis oui, et... peut-être. Toujours partagé entre l'espoir d'y arriver, de contenter tout le monde, et la réalité glaçante qu'on ne peut faire confiance à personne, qu'on ne connaît jamais vraiment quiconque en ce bas-monde.
Alors, sous l'influence d'une force qui parfois me contrôle, je ne vais pas réfléchir face à une requête et me jeter dans la gueule du loup. J'accepte, sans ciller, sans savoir véritablement de quoi il en retourne - sans suffisamment de réflexion. Alors j'héberge un ami pendant quelques semaines, forcé dans mon esprit de pêcheur qui ne veut que se repentir et faire le bien autour de lui, j'aide mon prochain et je tends des mains à qui en voudra. Un jour, sans prévenir, cette même force me pousse à l'attraper par la peau du cou comme un chiot maladroit et à lui expliquer, sans le caresser dans le sens du poil, que j'ai changé d'avis. C'est peut-être pour cela que je n'ai pas énormément d'amis - l'instabilité grandit en moi, et avec le poids des années se transforme en boulet que je traîne à ma cheville.
Les cheveux sont plutôt courts pour davantage de praticité, et la barbe est fournie et dense. Le tout est naturel, peu entretenu, tout comme la peau. Grand d'un mètre 75 environ, je pèse un peu plus de 70 kilos. Un corps davantage musclé par l'exercice de l'armée, par des mouvements naturels, et des muscles pas particulièrement bien dessinés, puisque je ne recherchais pas la finesse d'une musculature esthétique. Quelques tatouages sont incrustés dans ma peau, sur mon épaule ou encore sur un flanc de ma poitrine.
Je porte toujours des Rangers ou des Doc Martens, vestige de ce qu'on m'imposait à l'armée, avec l'ensemble pantalon et t-shirt basiques, souvent accompagnés d'un sweat ou d'une grosse veste. Pratique. Toutes mes affaires (vêtements, deux/trois photos, munitions, un nécessaire de soin plus que léger) se trouvent dans un grand sac à dos en tissu mou, que j'essaie de trimballer le moins possible et que je laisse près de l'endroit où je dors. Autour de mon cou, je porte la chaîne en or que j'ai eue à ma naissance.
Je transporte un beau couteau pliant que j'ai eu lorsque j'étais gosse, au manche en ébène, et à la lame damas dont les différentes couches d'acier se mêlent et s'entremêlent, d'excellente qualit ; ainsi qu'un pistolet M11 9mm, arme typique de l'armée, et quelques cartouches de munitions.
the last of us
J'ai grandi dans une famille catholique à Seattle même, et passait le plus clair de tous mes étés dans le Montana, chez mes grands-parents, avec ma soeur, de trois ans ma cadette. Tout se déroula de cette manière jusqu'à la fin de mon adolescence, un peu bousculée par des questionnements spirituels trop compliqués pour le gosse que j'étais. En fait, ça a toujours été mon problème : les questions. Pourquoi, comment, quand, où. De toute évidence, j'adore me poser des questions qui n'ont pas vraiment de réponse, ou tout du moins pas de réponse évidente, et plancher des jours là-dessus. Pour finalement laisser tomber, parce qu'au fond, il n'y a pas de vraie réponse. Nous étions catholiques, mais pas rigides - j'ai eu ma première petite amie à dix-sept ans, ça a duré environ trois semaines, et j'en suis sorti encore plus fataliste. Très sincèrement, la vie que j'ai menée jusqu'à l'âge adulte s'est particulièrement bien passée - j'avais de bons rapports avec la plupart des gens que je côtoyais, avec ma famille, et je n'avais qu'une envie : rejoindre l'armée. Me battre pour mon pays. Être utile maintenant, tout de suite, ne pas avoir le temps de m'ennuyer, de me questionner, et servir mon pays, encore.
Si mes parents en étaient fiers, ils m'ont cependant demandé de suivre une première année à l'université. Ce que j'ai fait, en commençant ma préparation physique pour atteindre mon but. Deux semestres de sociologie plus tard, je me suis engagé, à quasiment dix-neuf ans.
À l'armée, le contrat de base inclut quatre années de service, puis quatre années durant lesquelles on est réserviste. Après avoir passé le test de compétences physiques de l'armée (APFT), j'ai obtenu un total de 246 points - un total suffisant pour demander à intégrer l'Airborne School, qui forme les parachutistes.
Je ne savais pas vraiment où je mettais les pieds, mais j'étais curieux et avide de faire au mieux. À la fin de l'année 2006, j'ai pu rentrer à l'école, qui dispense une formation de trois semaines : la première, au sol. La seconde, du haut de tours. La troisième et dernière, de l'hélicoptère. Finalement, c'était peut-être l'entraînement le plus simple que j'aie eu : il fallait se pointer exactement à l'heure, en uniforme. S'asseoir, se relever, sauter, apprendre à tomber, et recommencer. Non, le truc le plus étrange, c'est de claquer les fesses du soldat qui s'apprête à sauter pour vérifier qu'il a bien son équipement sur lui, au bruit. Bizarrement... on s'y fait vite.
Après l'entraînement, j'ai pu intégrer la 82ème division aéroportée, dont la base est localisée à Fort Bragg, en Caroline du Nord. À plus de 4.500km de Seattle. J'aurais difficilement pu m'éloigner davantage de ma famille et de ma ville natale. Je ne savais pas si j'étais particulièrement heureux, et excité de partir, ou si j'étais profondément déçu et anxieux de me retrouver si loin d'eux, même en ayant eu tout le loisir d'y réfléchir. Ma mère était plus inquiète que jamais, bien entendu, et je soupçonne ma soeur d'avoir ressenti une once de plaisir là-dedans - finalement, elle serait peut-être un peu traitée comme une enfant unique, le temps de quelques années.
Entre 2006 et 2009, plusieurs déploiements m'ont amené notamment en Irak, ainsi qu'en Afghanistan, entrecoupés de retour au bercail. Les souvenirs de cette période sont difficiles à réunir - peut-être essayais-je de bloquer fatigue et afflux sentimental. Je donnais peu de nouvelles à ma famille, parce que je ne voulais pas m'épancher, et surtout, je ne voulais ni geindre, ni mentir. Alors on éteint son cerveau, on passe en mode robot, et on y va.
Mais je n'étais pas fait pour ça, j'ai pris la mauvaise route, et j'ai vu dans l'armée un moyen d'aider les autres, de me faire pardonner mes péchés, d'être utile, et de m'oublier moi-même au bénéfice des autres. Finalement, ça ne m'a permis que d'avoir plus et plus de péchés à me faire pardonner, et à chaque fois que je fermais les yeux, je ne pensais à rien d'autre qu'à moi ; qu'est-ce que j'avais fait, comment j'avais pu le faire, quand est-ce que je rentrerais, pour combien de temps, allais-je seulement pouvoir rentrer un jour, et pas les pieds devants. Mes questions existentielles ne concernaient presque plus que moi, et au lieu de devenir un meilleur chrétien, j'avais l'impression de faire partie des pires.
C'était bien là le deuxième paradoxe ultime de ma personnalité. Tu ne tueras point, c'est la volonté de Dieu. Et à l'adolescence, je voulais m'engager dans l'armée, où les pays se muent en des parterres de cadavres. Pourquoi ? Pourquoi ai-je jamais eu le désir d'aller à l'armée ?
Mais tuer des ennemis pour se protéger, pour protéger son pays, ça n'est pas tuer en vain - je me le répétais à tue-tête, toute la journée, tous les jours. Mais les talibans ne sont pas des soldats. Sont-ce seulement des ennemis ? Mais ça n'est pas tuer en vain, parce qu'ils ont des armes, eux aussi. Ils nous tueraient en premier. Mais tuer des civils, c'est tuer en vain.
À la fin de mon contrat, je suis rentré pour ce que j'espérais être un retour définitif. Détruit, émotionnellement malade, psychologiquement épuisé. Toujours partagé en deux, parce que j'avais fait mon devoir, mais que j'avais l'impression de ne pas avoir vu l'Homme à l'oeuvre. Mais je suis rentré. J'ai vu des soldats mourir, pleurer, hurler de rage, et bouffer de la drogue à n'en plus finir pour tenir le coup. En 2010, nous avons été à Haïti pour mon ultime mission humanitaire, et j'étais soulagé de terminer sur celle-ci. Soulagé de ne pas voir la guerre - mais, une fois le pied posé à Haïti, j'ai amèrement regretté de l'avoir été. Ils n'avaient déjà rien avant, mais là, c'était encore pire. Ouais, j'étais psychologiquement épuisé, et je n'avais qu'une envie : éteindre mon cerveau, tout le temps, et surtout ne plus réfléchir.
Les quatres années qui suivirent, je n'ai pas été rappelé - la force divine m'a préservé, peut-être. J'ai tout fait pour me reconstruire, mais on ne rit plus aussi franchement. On ne regarde plus grand-chose de la même manière. Était-ce trop frais pour que je parvienne seulement à m'en détacher ? Oui, peut-être, c'est ce que je me disais. Attends, laisse le temps au temps. Mais je devenais irritable. Laisse le temps au temps, putain. Et attends. Et plus il lui fallait attendre pour me comprendre, moins j'avais de patience à m'accorder. Mais j'ai tout fait pour me reconstruire. Je me suis marié en 2013, à 26 ans. Un bel âge, un bon âge, pour se marier. Nous avons divorcé en 2015. Grand échec de ma vie. J'ai essayé de la reconquérir aussitôt - Julia - mais c'était trop tard. Nous n'avons pas fait d'enfants. Peut-être attendait-elle inconsciemment, ou consciemment, que je lui montre plus de calme, de sincérité, de tranquillité. Elle n'avait jamais arrêté la pilule, de toute façon - comme si elle savait.
Comme si elle se doutait que je ne serais pas vraiment prêt à faire des efforts, à passer outre, que je serais toujours aussi souvent maussade. Parfois, ça allait terriblement bien, pendant des jours - jusqu'à ce que quelque chose se passe, quelque chose de terrifiant, parce que je n'en connais pas la cause. Mais ce quelque chose naît en mois, grandit, et apporte avec lui toute l'irascibilité dont je suis capable. Et le serpent se mord la queue, parce que je m'en veux d'être ainsi, et c'est de pire en pire, jusqu'au jour où le feu s'éteint, étouffé. Et, à nouveau, tout va bien.
Jusqu'à notre mariage, j'ai enchaîné les petits boulots, parce que je ne voulais plus rien faire, j'étais fatigué de tout. Et j'avais le sentiment d'être le pire des chrétiens, de ne pas pouvoir communier, de ne pas pouvoir me marier devant Dieu en ayant une attitude pareille. Si je ne m'aime pas, si je ne suis pas suffisamment aimable, suffisamment bon, Dieu ne pourra pas me considérer comme un homme méritant, et alors... Ce sont des années de pratique, de Foi, qui s'effondrent. Alors je me suis remis debout, et j'ai trouvé un emploi stable ; je suis devenu chef de rayon dans une grande surface. Je ne m'épanouissais pas, mais je participais à ma part au sein du foyer, Julia était soulagée de me voir partir au boulot tous les matins, alors j'imagine que c'était pour le mieux.
Mais après le divorce, j'ai encore dégringolé. J'étais pathétique, j'ai perdu mon emploi, et le réveil a enfin eu lieu. Le choc, la piqûre, la gifle, le coup de pied au cul. Il m'aura peut-être simplement fallu le temps de commencer à guérir de tout, à tout remettre derrière moi. Je me suis dégoté un petit contrat en tant que chauffeur de bus, quelques semaines seulement avant le début de l'épidémie.
Septembre 2015. J'étends les jambes et pose les pieds sur la table basse du salon, en découpant une part de pizza. De l'autre main, je zappe - la chaîne des infos me passe sous les yeux quelques secondes. Je zappe. Et puis, par acquis de conscience, je la remets. "Un forcené s'en est violemment pris à un groupe d'individus dans l'état du Michigan, dans la matinée. La police, qui est intervenue sur les lieux une dizaine de minutes après l'attaque, a abattu l'homme en question, dont le portrait est affiché...". Sur la droite de l'écran, une photographie d'un homme, ainsi que quelques brefs détails de sa vie sont affichés. Il avait l'air normal. Comme les autres. La présentatrice reprend, et j'attrape une deuxième part de pizza. "L'homme, un père de famille d'une quarantaine d'année, n'était pas connu des services de police. Selon les premiers éléments de l'enquête, il aurait attaqué à mains nues un groupe d'amis passant à proximité - les témoins de la scène mentionnent des faits d'une extrême violence". À mains nues ? Je grimace, et engloutis mon mets, en accordant une faible attention au bandeau déroulant de la chaîne d'infos. Meurtre, meurtre, attaque. Violence extrême. Je repousse le carton de pizza et appelle ma mère. Juste au cas où.
Octobre 2015. L'armée m'a rappelé. Pas pour partir au front, non, mais pour apporter mon aide à la protection de la ville de Seattle. Je ne comprends pas. Les violences se multiplient, les gens deviennent un peu dingues, et l'US Army ne peut pas gérer la ville ? L'armée et la police ne sont pas capables de gérer un groupe de personnes. C'est peut-être une maladie, ou une sorte de virus, ou une drogue qui dégénère. Je ne sais pas. Sincèrement, je vois mal l'aide que je pourrais leur apporter, mais comme beaucoup de vétérans, je ne fous rien de mes journées, donc...
**
"- Allô ? Julia ? C'est m... Oui je sais que... Je n... Non je ne devais plus appeller mais t... Julia, attends... Putain Julia, tu vas la boucler deux minutes ? Mais non, c'est pas pour ça que j'appelle ! Tu dois rentrer chez tes parents, retourne dans le Wyoming, il faut que tu prennes un billet d'avion immédiatement ! Non, ça n'attendra pas deux jours, je te promets qu'il faut que tu le prennes tout de suite parce que... parce que... Oui, le... le virus, la maladie. Non, écoute-moi bordel de dieu, prends ton billet tout de suite ! Je veux que tu sois dans le prochain avion, s'il te plaît. C'est une... une grosse épidémie, voilà. Non, je ne te cache rien, je... Non. Prends-le. Fais attention aux gens, je peux t'emmener à l'aéroport, si tu veux. Non, dans quelques jours ils... Je ne sais pas si tu pourras prendre l'avion. Juste... Dépêche-toi, s'il te plaît."
Le souffle court, le coeur battant et les doigts tremblants, je dépose le téléphone maladroitement sur la table. J'ai envie de vomir. Ils m'ont rappelé et, à demi-mots, ils m'ont dit pourquoi. Ou, pas vraiment. À vrai dire, je ne sais pas ce qu'ils m'ont dit, je ne sais plus, je n'ai rien compris. Je n'ai pas voulu comprendre. J'essuie la moiteur de mes doigts sur mon pantalon, et enfonce mon visage dans ses mains, le coeur battant dans la gorge. Mais je devais le lui dire, lui dire de partir, pour qu'elle soit avec ses proches. Elle n'aura pas de meilleure chance de survie là-bas, mais au moins, elle ne sera pas seule.
**
La nuit noire n'endort plus la ville, et les rues sont bruyantes à chaque heure qui s'écoule. Étrangement bruyantes, en fait. Un bruit dérangeant, latent, quelque chose qui me retourne les tripes et qui me donne toujours envie de gerber. Je suis moite, la sueur chaude coule sur mon front froid, je suis mort d'inquiétude. Tout est éteint dans l'appartement, les rideaux sont tirés, et seule la lumière artificielle de l'écran de l'ordinateur m'illumine. Je ne suis pas si je suis davantage pétrifié par l'obscurité ou si elle me rassure. Alors je me concentre sur ce que je lis. Je parcours les forums. Bientôt minuit - je devrais aller me coucher, mais... Mon doigt glisse fébrilement sur la machine, et je lis, les yeux écarquillés. Je lis les atrocités, les témoignages, je regarde avec horreur et voyeurisme les vidéos qui pullulent sur le net. Les cris, le sang, la chair, à même les dents. Dans tous les états du pays - je déglutis avec difficulté. Je vais gerber, putain. Les doigts tremblants, j'actualise l'écran de mon téléphone. Toujours pas le message de Julia, que j'attends comme le Messie. Je regarde l'heure ; elle aurait du atterrir depuis quasiment trois quarts d'heure. Mon regard glisse sur une vidéo. Wyoming. Postée il y a quatre heures. J'hésite, puis je l'ouvre. Elle est comme les autres. Ils sont partout, ils sont tous malades, ils sont tous dingues, ou je sais pas quoi. Les doigts tremblant désormais d'une rage soudaine et brûlante, je me contiens pour ne rien envoyer dans le mur. J'ai envie d'éclater l'ordinateur sur le mur, de hurler de haine, de frapper tous les meubles de ce putain d'appartement. Je me lève lentement et vais jusqu'à l'évier de la cuisine, je me remplis un verre d'eau et m'appuie contre le meuble. De toute façon, j'aurais trop peur de faire du bruit. D'attirer jusqu'à mon appartement.
Une légère vibration m'arrache un sursaut, et je lâche mon verre dans l'évier - je me précipite comme une bête et attrape le petit appareil. Elle est arrivée. Putain, je m'en évanouirais de satisfaction. Après quatorze questions, autant de recommandations et de conseils, je raccroche. C'est pas une vie, putain.
**
"- Madame, reculez immédiatement ! Reculez tout de suite !, je beugle en reculant moi-même, puisqu'elle avance inéxorablement vers moi. Mais je ne suis pas fou, elle est morte. Elle est bouffée de partout, elle a les yeux injectés de sang, elle ne parle même plus. Madame, nous avons ordre tirer !, ajouté-je, par acquis de conscience. Pour ne pas la tuer sans l'avoir prévenue, quoi. Et je tire dans la tête. Elle s'effondre, et je m'efforce de ne plus la regarder.
- Tu sais bien que t'avais pas le choix. Et puis, ce sont les ordres."
Shepard essaie de me rassurer, mais je grimace, tandis qu'un autre se penche sur la femme, attrape sa mâchoire et l'agite rapidement des deux mains, puis prend une voix de crécelle :
"- Job m'a tuée ! Sale connard ! Job m'a tuée!
- T'es dégueulasse putain, elle est vraiment morte, lâche-la !"
À cet instant, le moral prime sur le respect. On en fait des caisses, on en rajoute, on blague comme des beaufs, parce que si on se refuse à le faire, il ne reste qu'à se tirer une balle. C'est eux, ou nous. L'histoire de ma vie. Alors on essaie de plaisanter, même si on se déshumanise un peu plus à chaque fois qu'on le fait. C'est le but - ne plus en être triste, ne pas s'attarder. Si on s'arrête sur chaque personne qu'on doit tuer ou ramasser dans la journée, putain, on a envie que de les rejoindre.
**
Je traîne les caisses de seringues près de l'hôpital qu'on a monté la semaine dernière, et lance un regard amer au vaccin. De l'eau salée va vous sauver la vie, ne vous inquiétez pas. Je lâche la dernière caisse plus bruyamment que ce que j'aurais voulu, et m'éclipse rapidement de la tente. La file d'attente est longue comme le bras - des couples, des solitaires, des parents, des enfants. Je les regarde sans le vouloir, je les dévisage sans le désirer le moins du monde. Je les humanise. Ils ont des espoirs, ils croient, ils espèrent. Des prénoms, des statuts, des proches. La boule remonte dans ma gorge, et je pince les lèvres. Je sursaute lorsque mon téléphone vibre dans ma poche, et décroche immédiatement. C'est ma mère. Je réponds par mono-syllabe, le temps de reprendre mes esprits, mais j'ai la voix un peu coincée dans la gorge. Je la rassure, encore. Je passe mon temps à rassurer tout le monde. Julia, mes parents, ma soeur, les inconnus. Tout le monde veut être rassuré, mais tout le monde sait ce qu'il en est. Je fais mine de tousser et lui demande des nouvelles de tout le monde. Ils vont tous bien. Je m'en veux d'ajouter intérieurement "pour l'instant". Et pourtant.
**
Novembre 2015. L'espoir s'amenuise de jour en jour. Si l'épidémie n'est pas contrôlée d'ici quelques semaines, ce sera terminé. Ce sera trop tard. Au fond, tout au fond de moi-même, je suis certain que c'est déjà trop tard, mais j'essaie quand même. Sinon, ça n'est même plus la peine de se lever le matin. Ma famille est dans un camp de réfugié, et pas celui auquel j'ai été affecté. Je ne les vois jamais, et je n'ai pas vraiment l'occasion d'aller les voir - alors je les appelle. Avec, toujours, l'espoir qu'ils répondent, et que je n'entende pas une autre voix que celle de ma mère, ou qu'elle ait le même ton qu'elle a d'habitude. Avant même de poser la moindre question, j'essaie de deviner tout ce qu'elle peut avoir à me raconter à l'intonation de son premier mot. "Allô". J'en suis réduit à analyser un "Allô". C'est pas une vie, putain. Je me le dis tous les jours, et rien ne change, et je ne peux rien changer, et je ne sais plus où j'en suis. Si je crois, si j'ai l'espoir, la foi. Parfois, oui. Parfois non. Tout est chamboulé, la vie n'est plus la même - j'ai une barbe naissante, que je n'ai jamais eue avant. À l'armée, on se devait d'être rasé de près, et on passait un coup de rasoir tous les deux jours très exactement. Aujourd'hui, j'ai à peine le temps de pisser en me levant le matin, alors le rasoir...
Julia a décidé qu'on ne pourrait plus s'appeller tous les jours. Seulement le lundi. Parce que tous les jours, ça la stresse. Et pas tous les lundis. Franchement, plus rien n'a de sens, alors si ça lui fait plaisir... Elle me raconte qu'elle s'occupe plutôt bien chez ses parents, et qu'elle aide le voisin à jardiner, parce qu'il partage sa récolte avec eux. Quand je l'imagine, accroupie près des légumes et les mains pleines de terre, ça m'arrache un sourire, et c'est tout ce que je demande.
Décembre 2015. Je fais ma ronde en observant les gens travailler avec nous. Il n'y a plus vraiment de hiérarchie, la seule différence entre eux et nous, c'est que nous avons plus d'armes. Nous faisons presque le même travail, mais si je suis davantage dans l'optique de protéger que de faire la cueillette ou que d'aller remplir l'eau, mais bon... Qui sait où on en sera dans un mois. Le téléphone m'a lâché ce matin, et dieu sait que j'économisais sa batterie, mais les smartphones bouffent de la batterie pour absolument rien. J'ai vu rouge toute la matinée, j'étais fou de rage. Finalement, je me suis calmé en me forçant à reprendre mes esprits, et je me suis souvenu d'une prière que je faisais quand j'étais gosse. Je me la suis répété tout le reste de la journée. Je sais que quelqu'un d'autre ici aura un téléphone à me prêter, pour un dernier appel. Je vais devoir aller chercher ma famille, et je passerai un dernier appel à Julia.
** Durant le mois de décembre, je ne trouve pas de temps pour aller chercher mes proches. La boule enfle dans mes tripes, me tord les entrailles, et se loge au creux de ma poitrine. L'angoisse est terrible. Et s'ils étaient déjà morts ? Mais je ne peux pas abandonner ces civils, ni mes coéquipiers, pour mon bien-être personnel. Je le sais. Ils ont quelqu'un qui s'occupe d'eux, là-bas aussi. À chaque fois que je ferme les yeux, je les imagine, et la réalité se tord en un affreux cauchemar. Ce sont mes parents, ma soeur, Julia, éventrés à mains nues. Bouffées comme des bêtes, et ils n'ont plus rien d'humain. Non, il faut que j'aille les chercher.
** Mais l'hiver arrive, terrible et effrayant. Il commence à faire froid, il pleut tous les jours, et je suis misérable. Chaque jour me rapproche du désespoir, et de l'effroyable désir de ne même plus y aller. Et si je perdais du temps, de l'énergie, et qu'ils étaient morts ? Je pourrais m'épargner quelques heures de souffrance, et vivre dans l'inconnu. Ne pas savoir est peut-être moins pire que de savoir.
Et si je pouvais encore les sauver ? Chaque nuit, je m'endors avec les mêmes questionnements, et toujours moins de temps pour aller les aider.
Janvier 2016. Personne n'a simulé la quelconque envie d'un simulacre de nouvel an. Pas s'il n'apporte pas avec lui espoir et guérison. Je n'entends plus que la pluie qui frappe le sol, les râles des malades, les cris des victimes. Tout est arrivé si vite que j'ai à peine le temps d'y réfléchir, et de me souvenir comment la vie était avant. Quelques mois suffisent encore à écraser des décennies d'existence. Aujourd'hui, civils et militaires sont mêlés, seulement liés par le même espoir, le même combat. Je ne compte plus les morts, ceux que je tue et ceux que je trouve, ceux que nous devons enterrer, ce que nous déplorons... La météo n'aide pas, et la grisaille s'abat sur nous tous.
**
Le Centurylink Field est tombé. Nous sommes tous dévastés. Je tremble de rage, d'effroi, à l'idée de ce qui a pu arriver ailleurs. Et si mes parents avaient été envoyés là-bas ?
"- Tu ne peux pas quitter le camp, pas dans ces conditions...
- Je sais, le coupé-je. Je sais, je sais, je sais. J'aurais pu le faire avant... Je ne l'ai pas fait."
Le silence s'écrase. Il n'y a rien à répondre. Nous avons tous les mêmes peurs, nous nous comprenons tous, là-dedans. Nous n'avons presque plus besoin de mots. De toute façon, moins nous parlons, moins nous faisons de bruit, c'est tout ce qui nous intéresse, en réalité. Au milieu des morts, se faire passer pour morts. Je n'arrive plus à faire autre chose qu'à me lamenter. Pourtant, une civile nous a annoncé aujourd'hui qu'elle était enceinte. Je n'ai pas réussi à sourire, et j'ai du lui offrir une sale grimace. Mais demain, nous lui ferons un beau repas, avec ce qu'on a.
Mars 2016. Nous sommes partis à quatre pour chercher à manger, ce matin, parce que les réserves sont maigres. On ne survivra plus très longtemps comme ça, c'est certain, d'autant que de nouvelles personnes ont cherché à rejoindre notre camp dans la journée d'hier. Ils nous ont raconté qu'il y avait eu un sacré grabuge là où ils se trouvaient, au lycée Garfield, et que les civils s'étaient rebellé contre l'armée, sans pour autant nous en dire plus. Sincèrement, tout ce qui m'importe pour l'instant, c'est le nombre de bouches à nourriture, et je le vois grimper, alors... Les groupes explosent. Le nôtre s'amenuise, et je ne sais même plus pourquoi. Les gens ne reviennent plus, ils tombent malades et meurent, et j'ai parfois simplement l'impression qu'ils disparaissent. Je m'évertue à ne pas m'attacher, de toute façon, aux gens qui nous entourent. Alors je ne les vois plus trop partir, je me rends simplement compte que le nombre est réduit.
**
Je suis parti chercher ma famille. Il n'y a plus grand-monde à protéger de toute façon, dans mon camp. La femme enceinte est morte ce matin, fin mars. Je crois que ça a été la goutte d'eau, alors je me suis tiré. J'ai pris mon sac, je l'ai rempli de mes affaires, et je suis parti. Depuis ce matin, je traîne dans les rues, j'ai le ventre noué à chaque croisement, à chaque ruelle, à chaque bruit. Parfois, elles sont vides ; parfois, ils sont dix à rôder, et je m'éloigne sans bruit. J'essaie de tuer les plus collants au couteau. J'avais douze ans, je crois, quand mon grand-père me l'a offert. Les rainures sur la lame m'ont toujours plues, le manche est agréable... Bref. Un beau couteau, bien utile, finalement. Plus qu'à couper les brindilles dans le jardin, en tout cas.
Il pleut toujours, Seattle est plus froide et humide que jamais - je suis trempé, emmitouflé dans ma veste. D'ici quelques temps, je devrais arriver à leur camp - de toute manière, je n'ai plus vraiment conscience de l'heure et je n'ai jamais aimé les montres, alors...
Au bout d'un moment, j'aperçois le camp, au loin. Aucun militaire en hauteur. Je m'approche, encore quelques minutes de marche...
Les barricades sont grand ouvertes, défoncées. Je pose mon sac près d'une benne à ordure, et vais fouiller, à la recherche de mes parents.
Je ne les ai pas retrouvés, ni ma soeur, ni personne. C'était complètement vide. Alors j'ai rejoint le seul endroit dont j'ai véritablement entendu parler : le lycée Garfield.
**
Les mois passent, inlassablement. Je survis toujours, je me débrouille - j'ai rejoint le lycée Garfield, et j'y suis efficace. J'ai mis du temps à avoir leur confiance, étant donné ce qu'il s'était passé avant avec les autres militaires, jusqu'à ce qu'ils comprennent que je suis réglo. J'essaie, en tout cas. Ils sont tous plutôt sympathiques, et ça ressemble à un ersatz de quotidien, là-bas, notamment grâce aux règles.
Je n'ai pas trouvé mes parents, ni ma soeur. Peut-être Dieu les a-t-il rappelés auprès de lui, peut-être les retrouverai-je un jour.
C'est ce qui m'aide à tenir. Bien sûr, je m'attache plus facilement aux gens qui sont ici qu'avant. Ce ne sont plus des civils, je ne suis plus un militaire. Nous sommes simplement des survivants.
Je participe souvent aux sorties, notamment pour le ravitaillement, et peu à peu, c'est aussi l'entraide du groupe qui m'aide à tenir le coup. Peu à peu, qu'on le veuille ou non, on se remet à sourire un petit peu, à rêver.
"- Qu'est-ce qui te manque le plus, à toi ?
- La douce peau d'une femme contre la mienne !, il rit, et on se marre comme des gosses devant un magazine porno, à l'évocation du souvenir. Non franchement, sinon j'ai vraiment tout ce dont j'ai besoin, la vie de rêve quoi. Arrête de rire toi, qu'est-ce qui te donne envie, Job ?
- Je sais pas... Regarder un bon film avec un putain de thé bien chaud, peut-être. Un léger silence suit. Et une femme bien roulée à côté de moi, qu'est-ce que tu veux que je te dise !"
On rit, encore, inconscients du bruit. C'est plus très grave, parce qu'on est ensemble, on se soutient, et on lâche un peu de leste. De temps en temps. Un bruissement, et les rires s'évanouissent aussitôt. Ça va, ça vient.
**
Ce soir, on est rentrés avec ce dont on avait besoin, et j'essaie d'oublier les rôdeurs qu'il a fallu tuer, et les horreurs qu'on a vues. J'aurais bien assez de temps pour raconter celles qui viennent.
time to meet the devil
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Re: Job Brenner -
Jeu 12 Jan 2017 - 22:42
Je salue ton style d'écriture, magnifique à lire ! Bienvenue parmi nous, j'aime déjà beaucoup ton perso et ... excellent choix de groupe !
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Re: Job Brenner -
Jeu 12 Jan 2017 - 23:25
C'est fait Job ! Promis, on à rien vu
Bienvenue parmi nous ! Très bon choix de vava
Bienvenue parmi nous ! Très bon choix de vava
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Re: Job Brenner -
Jeu 12 Jan 2017 - 23:41
Merci Ian !
Merci Wade Je suis très touchée !
Enfin, merci Alex pour cette rapidité et pour le reste **
J'espère vous croiser tous les trois en jeu, amis d'Emerald En tout cas, je vois que le communautarisme est bien présent ici ->
Merci Wade Je suis très touchée !
Enfin, merci Alex pour cette rapidité et pour le reste **
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