« Ah c'est pas mal ça ! » S'enthousiasma Connor, alors qu'il était accroupi à côté d'Emily et de Victoria en leur apprenant à faire de jolies boules de neige et à les lancer le plus loin et le plus fort possible. Il avait l'impression de renouer avec son premier amour en l'enseignant aux enfants ici. Bon, il n'y avait bien que les deux jeunes filles qui l'écoutaient vraiment avec attention, les autres ayant préférés rester au chaud à l'intérieur du chalet. Même s'ils étaient habillés comme des bibendum, ça n'empêchait pas de sentir la morsure du froid quand ils restaient trop longtemps immobiles. De ce fait, Connor faisait son possible pour motiver les gamines à bouger. Il avait réussi à les faire courir un moment avec un cache-cache entre les cabanons, puis en faisant de la luge avec elle, enfin en leur apprenant à lancer des boules de neige.

A nouveau, la boule s'écrasa contre la pierre du chalet et éclata en mille morceaux. Victoria tourna ses grands yeux en cherchant le jugement de son coach, pendant qu'Emily offrait un grand sourire amusé. Elle se baissa directement pour rassembler un petit tas de neige, pendant que Connor se tourna vers la brune : « Tu peux lancer encore plus loin et plus fort si tu utilises tes jambes... » Expliqua-t-elle à la muette en veillant à ce qu'elle lise bien sur ses lèvres. Tamara lui avait donner quelques astuces pour pouvoir communiquer avec elle, au cas où. Et cette dernière veillait toujours à la fenêtre du châlet avec son gros ventre rond, pour voir si les fillettes étaient entre de bonnes mains. « Comme ça, regarde... »

Connor s'écarta de deux, préparant son projectile avec soin avant de leur demander de bien le regarder. Il se positionna, bien ancré sur ses appuis, avant d'armer son bras en arrière et de l'envoyer avec vigueur contre le mur. La boule explosa très vite, très fort, contre le mur qu'il visait, dans un « pof » qui les fit sursauter. Elles retentèrent, à une plus maigre distance, et commencèrent à comprendre comment bien se placer. L'équilibre d'Emily étant plus précaire, Connor tenta de lui donner de bonnes bases malgré son handicap. Tout en faisant ça, il vit plus loin l'activité qui commençait à se faire autour, et surtout, la tête d'Arthur perçait au milieu du petit attroupement.

L'homme se baissa vers les deux filles, serrant un peu mieux l'écharpe autour du coup d'Emily en dégageant la neige de ses cheveux, avant de tapoter l'épaule de Victoria pour qu'elle le regarde : « Vous rentrez les filles ! La prochaine fois, je vous prêterais ma batte si vous arrivez à me refaire un lancer parfait ! Allez voir les jumeaux pour faire un jeu ensemble, au chaud. Et demandez à Kassandra un goûter, elle vous résistera pas ! » Elles hochèrent la tête, se rendant toutes deux à l'intérieur, en galérant un peu dans la neige qui leur arrivait jusqu'aux mollets. Tamara leur ouvrit la porte pour les faire rentrer, et les aida à se défaire de leurs gros manteaux, trop large pour leurs petits gabarits.

Se redressant, Connor fit un petit détour vers le mur où il avait posé sa batte, pour bien remettre ses gants et son écharpe ensuite. Bonnet enfoncé largement sur les oreilles, il s'approcha de l'attroupement, et le vit s'éparpiller à peine arriva-t-il à son niveau. Arthur avait apparemment donné ses directives, il espérait qu'il en aurait pour lui également : « T'as besoin d'aide ? » Demanda-t-il sans cacher le fait qu'il était partant pour faire tout ce qu'Arthur voudrait bien lui confier. Une sortie (même si ça semblait compromis vu la neige), une partie de chasse, du patinage artistique (bon, p't'être pas en fait) ou une ronde pour aller chercher les quelques rôdeurs qui zonaient trop près.

Il était même prêt à suggérer à Arthur de partir dans une grosse ville, dans un centre de rééducation orthopédique, pour aller trouver une fausse main à Emily. Mais il savait déjà que la réponse de son mentor serait « mais enfin Connor, c'est trop dangereux, et on va pas prendre autant de risques pour une gamine qui peut s'en passer pour l'instant. On verra plus tard, une autre fois. ». Oui, il entendait parfaitement la voix grave de son ami dans sa tête, avec la moue si sérieuse et noble qu'il était capable de porter sur son visage à chaque fois qu'il lui faisait un sermon. En fait, Arthur, il le connaissait par cœur, et il lui arrivait même de l'imiter pour faire rire Elena des fois.

Le camp. Le chalet. Les ordres. Le camp. Les rôdeurs. Les barricades. Le camp. Isabel..
Arthur ne savait plus où donner de la tête. Les derniers temps étaient un véritable calvaire pour lui.. Le travail n'arrêtait pas. Renforcer les barricades et repousser les morts qui s'y entassaient. Déblayer la neige du toit du chalet pour éviter qu'il ne s'effondre sous son poids. Former ceux qui étaient capables d'être formés. Chercher désespérément de quoi renflouer les stocks de vivre, et se retrouver avec du sang sur les mains et des munitions en moins. Tel était le quotidien de McLeod en ce mois de janvier. En ce bien triste anniversaire.

Arthur n'avait pas le temps de s'occuper d'Isabel comme il l'aurait souhaité. Il était toujours sollicité pour une raison ou l'autre, sans pouvoir décliner ou reporter la charge de travail sur les épaules d'un autre, car les autres en avaient tout autant que lui à faire. Ainsi il se retrouvait entre sa femme enceinte qui avait besoin de sa présence, de son sourire et de ses mots, et ce groupe de survivants qu'il avait juré de protéger. Depuis que Gary était parti, les choses n'avaient fait qu'empirer. Le chalet qu'il croyait intouchable, cet endroit où il voyait une place forte.. n'était qu'un tombeau dans la neige. Et son moral était six pied sous une avalanche.

Ainsi, Arthur se retrouvait une fois de plus à diriger les hommes et les femmes qui peuplaient Evergreen Ridge, après avoir convenu des choses à faire avec Blake. La blonde était elle aussi occupée à donner ses directives, et allait sûrement ensuite s'accorder les plus lourdes tâches. Comme Arthur le faisait. Pendant qu'il distribuait les rôles de la journée, Arthur eut un regard vers Connor. Un seul regard, sans geste ni mot. Il savait que le jeune homme comprendrait et effectivement, il fit rentrer les fillettes avec lesquelles il jouait. Puis il s'avança vers le groupe. Arthur, ayant terminé avec eux, leur dit de se disperser.

Il se retrouva donc seul face à Connor. " T'as besoin d'aide ", lui demanda-t-il. Et Arthur lui offrit cet air noble et hautain, les yeux légèrement plissés. Il n'y avait pas l'ombre d'un sourire sur ses lèvres et pour le coup, Shepard devait vraiment se demander ce qu'il avait encore fait pour s'attirer les foudres du mentor. Il resta comme ça quelques secondes à le fixer, avant de le désigner du menton, et d'enfin lui adresser la parole.

" Elyse m'a tout dit.   "

Les mots que le sergent venait de prononcer sonnaient comme les grognements d'un loup Alpha. Le coin droit de ses lèvres était légèrement relevé, comme l'aurait fait l'animal pour montrer ses crocs. Il avait l'air vraiment sérieux. Vraiment.. jusqu'à ce qu'il transforme cette inquiétante grimace en un sourire.

" P'tit con. J't'ai eu. "

Et là il éclata de rire.

" Je t'ai EU Connor ! Je plaisante ! "

Son rire résonna encore quelques instants. Il était content et fier de lui, le McLeod. Derrière cette immense muraille d'acier qu'il présentait se cachait encore l'homme joyeux et sympathique qu'il avait toujours été autrefois. Sauf peut-être dans les moments les plus sombres de sa " vie " en Afghanistan. Cette bonne humeur, cette envie soudaine de plaisanter - et de se payer la tête du p'tit con - contrastait vraiment avec .. la situation globale. Ils étaient dans la merde, une belle merde blanche bien tenace, il ne pouvait pas faire ce qu'il voulait et lui.. il se marrait. Mais c'est qu'il en avait besoin. Il ne supportait plus d'être le visage morose, l'annonceur de mauvaises nouvelles, celui dont on redoutait de croiser les cernes.

" Bref, suis moi. "

Son rire disparu aussi vite et aussi étrangement qu'il était apparu. Les choses sérieuses restaient à faire et on ne déconnait pas avec les choses sérieuses.

" On a eu de la merde ce matin. Encore une bande de rôdeurs contre la barricade et elle a bien faillit péter. On va devoir la renforcer. Autant que possible. "

Et autant que possible, ça ne sonnait pas bien dans la bouche du sergent. Avec lui, les ordres et les consignes, c'était jamais approximatif. C'était toujours du concret, toujours quelque chose de net et bien défini. Si le camp avait eu les moyens de consolider cette barricade en bonne et due forme, nul doute que McLeod lui aurait annoncé le nombre d'éléments à fixer. Un nombre précis, ou une très petite fourchette. Là, c'était autant que possible, et ça faisait peur.

" J'ai demandé aux gens d'aller me trouver.. ce qu'ils pouvaient trouver. Pendant ce temps, t'as gagné le gros lot, on va faire le travail dégueulasse ensemble. "

Il l'emmena jusqu'à ce qui ressemblait à un petit champ de bataille. De nombreux corps sans vie tapissaient la neige et c'était franchement une image à briser le moral. C'était bien la preuve qu'en haut de leur montagne, ils n'étaient à l'abri de rien. Toute cette histoire de forteresse n'était.. qu'une illusion.
Bref, c'est à lui que Arthur avait demandé de l'aide. Car c'était à lui qu'il faisait confiance. Peut être que Connor lui rappelait un peu son vieil ami Andy, l'homme avec qui il avait partagé l'horreur de la guerre. Peut être le voyait-il comme quelqu'un de réellement capable de devenir comme lui, comme eux. Une chose était certaine : Arthur n'allait en aucun cas le ménager.

" On va balancer ça avec les autres.. Et j'ai hâte qu'on y foute le feu ", lui confia-t-il en se saisissant des bras d'un des cadavres. D'un regard, il l'invita à prendre les pieds..

Connor resta silencieux un long moment en voyant le regard si froid d'Arthur. Son mentor le fixait comme s'il avait fait une grosse connerie, et l'espace d'un instant, il chercha dans sa mémoire à qui il avait parlé, où il avait couché ces derniers jours, s'il avait cassé un truc à part des crânes de rôdeurs la nuit d'avant... Comme un idiot, il remonta vraiment très loin. Même à avant l'Apocalypse, alors qu'Arthur avait aucune raison de savoir ça. Et puis, le nom d'Elyse rentra dans la discussion, comme quoi elle lui avait tout dit.

Oui d'accord. Mais dit quoi ? Connor fit les yeux ronds en fixant toujours son aîné. Qu'est-ce que cette nana avait bien pu lui raconter ? Avait-il été désobligeant avec elle ? Croyait-il que... qu'il y avait quelque chose entre sa sœur et lui ? « Je te jure que j'ai pas touché à Elyse ! » Répondit-il le plus sincèrement du monde, plantant ses yeux dans ceux d'Arthur pour qu'il puisse y lire qu'il ne mentait pas. « Bon, des fois, elle me tourne un peu autour mais- » Mais il n'eut pas le temps de finir sa phrase que déjà, l'autre se marrait.

« Ah... » Fut sa seule réaction. Soulagé, mais aussi un peu blasé de s'être fait avoir aussi facilement pour pas grand chose. Au moins, son ami rigolait bien tout seul, comme un grand. Connor, lui, ne partageait pas trop la blague, parce qu'il avait vraiment eu peur d'avoir fait une connerie. Il était sûr en plus que ses mots tomberaient pas dans l'oreille d'un sourd à propos d'Elyse et du fait qu'elle le cherchait des fois. Là, il aurait des raisons de faire la gueule. « Ahah, c'est très drôle. » Répondit-il en affichant un sourire un peu tendu à son tour.

Il valait mieux passer très vite à autre chose, Connor savait que sinon, il n'hésiterait pas longtemps avant d'enfoncer le clou et rendre fou d'inquiétude ce pauvre Arthur. Il avait quelques cartes en main pour se montrer odieux quand il le voulait. Le souci avec lui, c'était surtout qu'il n'était pas très doué pour reconnaître ce qui était vraiment amusant de ce qui était blessant. Il ne se laissait donc pas si souvent aller à faire de l'humour, au risque de se montrer blessant avec les autres. Si au début, à son arrivée au campement, il se moquait bien de ça, maintenant il faisait au moins gaffe avec les gens qu'il estimait.

« Je vois que tu me réserves les meilleures activités. » Commenta Connor avec un sourire en coin, en voyant les morts s'étaler devant lui, et après les explications d'Arthur. Leurs corps creusaient des tours dans la neige, on pouvait voir leurs empreintes traînantes, également la glace qui recouvrait leurs cadavres. Le temps ne les excusait pas. Heureusement ? Le jeune homme n'aurait su dire. Il soupira, prenant place de l'autre côté d'un rôdeur pour en chopper les pieds, un peu dégoûté, mais tout de même volontaire : « Sache-le, ça me fait toujours chaud au cœur. » Surjoua-t-il avec un air solennel... Digne d'Arthur !

« On a de quoi les faire brûler plus vite ou va falloir le faire... a l'ancienne ? » Demanda-t-il ensuite, en faisant allusion à leur stock d'essence. Ils baladèrent le corps sur quelques mètres avant de le mettre sur un autre tas attendant à se faire brûler. Sans trop ménager la vieille carcasse déjà décrépie, ils allèrent vers un autre et Connor prit le temps d'admirer les marques sur la barricade. Ouais, ils avaient même réussi à y faire un trou, assez pour y passer un bras et attraper quelqu'un de l'autre côté. Pas cool. « Y'en a de plus en plus, hein... »

Essayant de respirer par la bouche pour ne pas être gêné par l'odeur, ils recommencèrent une seconde fois tout en discutant. La décomposition, même ralentie par le froid et couverte par la glace, était tout de même assez désagréable. Sa sœur, Quinn, ne manquerait pas de lui dire qu'il puait quand il rentrerait au chalet le soir venu. Il avait hâte. « Enfin, on devrait avoir l'habitude. » Commença-t-il avec une moue dubitative en haussant les épaules. « Mais j'ai l'impression que ça t'inquiète. » Fit-il alors qu'ils se préparaient à nouveau à balancer le cadavre. « Y'a un souci ? »

Connor désigna un troisième corps, essayant de le dépêtrer des autres qu'il recouvrait. Ils étaient tous en tas, difficile de savoir à qui appartenait un bras ou un jambe, c'était comme un sac de nœud. Pourtant en tirant sur deux bras qu'il comprit comme appartenant au même buste, l'homme eut la surprise de voir un œil s'ouvrir et une bouche claquer doucement. Les doigts osseux se serrèrent autour de ses épaules et Connor grogna : « Merde ! » C'était un peu étonnant, mais il ne se laissa pas démonter.

En tout cas, jamais devant Arthur. Vu les espoirs que son aîné mettait en lui, il n'était pas question de le décevoir. Se servant de son talon, il désarticula l'épaule et lui arracha le bras sans avoir à forcer. Au moins, le mort n'avait plus de prise sur lui. Ça ne l'empêcha pas de vouloir le refaire venir à lui quand Connor chercha sa batte des yeux. « Vous l'avez mal fini celui-là. » Commenta-t-il avec un air déçu, alors que ses pupilles se posaient sur sa chérie qu'il alla chercher. Il s'en empara, la fit doucement et habilement tourner pour s'échauffer, et rajouta : « C'est pas très sérieux. » Avant de fracasser le crâne de sa victime.