Jack passa un bout de manche sur son front et soupira. S’approchant du bac en plastique, il posa le rouleau de peinture avant de relever le nez vers le mur. C’était enfin terminé. Cela faisait un moment qu’il avait prévu de retaper cette pièce, celle où les cadavres réanimés de grand-parents de Juliet avaient passé plusieurs mois enfermés. L’ouvrier n’avait que trop laissé traîner cette remise à neuf. Le groupe avait toujours eu mieux à faire. Au départ, pendant la belle saison, peu de temps après leur arrivée, ils s’étaient évertués à solidifier les barrières entourant le ranch, les rendre plus solides, plus résistantes. Plus haute également. Sauf que l’hiver était arrivé et c’était à un sale hiver qu’ils avaient affaire. S’il avait pu bien avancer, seul ou aidé, l’épaisse couche de neige qui recouvrait le sol rendait tous travaux en extérieur beaucoup plus compliqués et beaucoup moins supportables en raison du froid. Le froid... C’était d’ailleurs bien pour ça que le quarantenaire s’était attelé à la tâche le plus rapidement possible. Avec les températures qu’ils se tapaient, Isaac et le petit n’auraient jamais passé l’hiver. Dormir dans le box d’une grange l’été, pourquoi pas. C’était certainement agréable. Il devait y faire bon et frais. L’automne, passe encore. Mais l’hiver non. C’était hors de question. Pas alors qu’avec un peu d’huile de coudes, ils pouvaient avoir une chambre à eux. Parce que oui, dormir à l’intérieur sur des couchages à même le sol comme ils le faisaient maintenant, ça non plus ce n’était possible.

Au final, Matheson n’avait pas mis énormément de temps à redonner une certaine jeunesse à la pièce. Une petite semaine tout au plus. Si il avait eu directement tout le matériel nécessaire, il aurait même probablement fini plus tôt. Il y avait pas mal à faire mais rien d’insurmontable. Le plus ennuyeux avait encore été de devoir jeter le matelas imbibé de sang dans lequel dormait autrefois les vieux. Entre l’encombrement et l’odeur... Et puis il avait fallu faire du tri dans les affaires, repérer ce qui était encore sauvable ou non. Démonter les meubles. Balancer les bouts de bois imprégnés de la puanteur de la mort et autres résidus de chair en décomposition auxquels l’ours préférait ne pas penser. Tous donc. Lessiver les murs. Trouver de la peinture. Repeindre. L’affaire de quelques jours vraiment. Ce matin-là, Jack s’était levé aux aurores et en toute discrétion pour permettre à Zoey et au reste de la maisonnée de grappiller quelques heures de sommeil. Plus vite il s’y mettait, plus vite il aurait terminé. Le temps que la couche de peinture sèche, il pouvait le consacrer à autre chose. L’entrepreneur savait déjà quoi. Nettoyant consciencieusement son rouleau, la montre qu’il avait au poignet affichait neuf heures lorsqu’il quitta la pièce quelques secondes pour aller chercher Isaac et le ramener.

- Alors, qu’est-ce que t’en penses ? fit l’ours. C’était plus une question de convenance qu’autre chose en réalité. Qu’Isaac apprécie ou pas, ça ne changeait pas grand chose. Les temps avaient changé. Ils ne guère trop faire les difficiles parce que la couleur des murs de leur chambre ne leur plaisaient pas. Tous avaient bien d’autres soucis en tête. Reste plus qu’à trouver de quoi meubler, reprit l’homme. Il y a un Ikea pas si loin d’ici. J’y étais allé pour un chantier une fois, expliqua Jack. Le client voulait qu’on récupère les meubles qu’il avait commandé et qu’on les monte nous. Il doit encore rester des tas de trucs, c'est pas vraiment le genre d'endroits qui a dû être dévalisé. J’avais déjà chaîné le pick-up l’autre jour. Y a plus qu’à. Tu veux que Joachim vienne avec nous ?

Oui, Jack comptait Isaac dans le lot directement, sans même lui demander son avis. Parce que ça aussi, ça faisait partie des choses pour lesquelles, ils n’avaient guère trop de choix.

Comme à son habitude, Isaac s’était levé tôt. Et ce n’était pas l’épaisse couche de neige qui recouvrait le paysage extérieur qui allait le dissuader de sortir. Jetant un dernier coup d’œil à Joachim qui dormait toujours dans un coin du salon, il avait enfilé son manteau, un bonnet et une paire de gants troués. Qu’importe le temps dehors, il devait rejoindre les écuries. Une routine bien à lui, pour s’assurer que les chevaux allaient bien, comme il le faisait déjà avant… Une fois chaudement habillé, il était sorti de la maison, direction la grange. Le ciel était nuageux, grisâtre, sûrement qu’il neigerait encore un peu dans la journée. Une brise glaciale soufflait et seul le craquement de ses pas dans la neige venait perturber le calme qui régnait aux alentours. Une fois la porte des écuries fermée derrière lui, Isaac avait pu reconnaître le léger hennissement d’Anoki, visiblement heureux de le voir de si bonne heure. L’homme s’était ensuite mis au travail, préparant les seaux de nourriture, faisant avec ce qu’il avait sous la main. Un peu de foin, quelques granulés pour animaux qu’il avait déniché avant l’hiver. Il fallait espérer que la mauvaise saison ne s’éterniserait pas trop longtemps ou bien ils finiraient rapidement à manger de nourriture pour les bêtes. Et il était hors de question pour le cavalier ne laisser dépérir ses animaux… Après les avoir nourri, il avait brisé les couches de glace qui s’étaient formées dans les seaux d’eaux, puis il avait vérifié qu’aucun des chevaux ne s’était blessé pendant la nuit. Il avait également jeté un œil à leur pied, il avait encore une ou deux semaines de marge avant de s’occuper de leurs sabots.

Une fois cela terminé, Isaac était retourné dans la maison pour réveiller Joachim. Le jeune garçon s’était levée, l’air toujours endormi. Le temps que son fils enfile à son tour ses vêtement, Isaac était allé jusqu’à la cuisine afin de se préparer un café, histoire de se réchauffer un peu. Il faisait trop froid à présent pour dormir avec les chevaux, bien trop froid. Et même s’il avait bronché au départ, il avait dû se résigner à s’installer dans un coin du salon. Mais pour sûr, il retournerait dans la grange, une fois les beaux jours revenus. Isaac était têtu, oui. Mais il devait bien reconnaître que ça aurait été de la folie de rester dormir là-bas avec ce froid. Alors lorsque Jack était venu le trouver pour lui montrer quelque chose, Isaac avait tout de suite compris de quoi il s’agissait. Cela faisait plus d’une semaine que l’ouvrier s’affairait à retaper la chambre des grands-parents de Juliet, et il ne fut pas surpris que ce dernier lui montre ce qu’il avait fait.

« Bon travail, Jack ! » Félicita Isaac, tout en observant l’impeccable boulot qu’il avait sous les yeux. L’odeur de peinture encore fraîche contrastait pleinement avec les effluves putrides qui avaient embaumés la pièce après la mort du couple. Isaac aurait pu lui dire qu’il n’aurait pas dû se donner autant de mal, mais l’homme reprit, lui expliquant qu’il fallait à présent trouver de quoi meubler la pièce. Il lui expliqua ensuite qu’il comptait se rendre jusqu’à une grande enseigne de meubles dans la journée, et Isaac comprit tout de suite qu’il allait devoir y aller aussi. Ce dernier n’y voyait pas grand intérêt, mais il serait malpoli de sa part de refuser… Jack s’était donné trop de mal et il fallait bien que quelqu’un l’accompagne. Alors qu’Isaac allait lui répondre, ce fut une autre voix qui répondit à sa place. « Ikea ?! On y allait avec Maman des fois ! C’était super chouette !! » Avant peut-être oui… Isaac n’avait jamais mis les pieds dans un tel magasin, ce n’était pas franchement son truc. « Je peux venir Papa ? » Isaac se retourna vers le gamin, les sourcils froncés. « Joachim, combien de fois devrais-je te répéter que ça ne se fait pas d’écouter les conversations des autres… Et pour ce qui est de venir avec nous, ce n’est pas à toi de décider. » Le petit baissa alors la tête, l’air très embêté. Mais son père finit par reprendre « C’est d’accord. Mais tu devras faire exactement ce que moi ou Jack, nous te dirons de faire. Tu sais très bien que ça peut être dangereux, d’accord ? » Joachim acquiesça d’un signe de la tête. Il savait très bien que son fils était du genre à obéir lorsqu’ils étaient dehors, et qu’il commençait suffisamment à gérer sa peur pour les accompagner. Laissant le gamin retourner jusqu’au salon pour prendre ses affaires, Isaac reprit à l’attention de Jack. « Laisse-moi me préparer… On pourra partir d’ici une dizaine de minutes, si ça te va. »