Maxine n'avait jamais été une cuisinière hors pair. Elle savait se débrouiller, confectionner quelques plats particuliers mais rien à voir avec les talents culinaires de sa belle mère. Pourtant, dès toute petite, la brune avait été initiée par sa mère et bien plus tard par son beau père. Loin de disposer d'un équipement aussi complet que celui que Jaden et Maxine possédaient dans leur maison, elle avait du apprendre à cuisiner des choses parfois compliquées avec très peu de moyens.  Ray lui avait appris comment dépecer, couper, préparer le gibier chassé quelques heures auparavant dans la neige de l'Alaska. Alors, au final, la brune s'avérait capable de savoir comment découper correctement une biche ou un lapin mais totalement nulle en confection de plats sophistiqués.

Anna avait bien essayé de lui transmettre et, en vérité, la brune avait fait beaucoup de progrès durant les dernières années. Seulement, préparer de grands plats ne lui arrivait quasiment jamais. Avec Jaden absent et sa famille restée en Alaska, les deux femmes Preston n'avaient guère l'occasion de passer une journée entière derrière les fourneaux. Sauf que désormais, Maxine n'avait plus vraiment le choix. Elle devait cuisiner comme beaucoup d'autres dans le camp et, aidée par Lee, il fallait qu'elle prépare tout en quantité impressionnante. Ce matin là, Maxine s'était dirigée aux cuisines afin d'apporter son aide. Le visage encore tuméfié, résultat de sa rencontre avec Grant, Maxine s'était présentée devant Lee, les poings sur les hanches, bien décidée à ne pas rester inutile. Depuis sa mésaventure, Maxine fournissait pas mal d'effort pour se sociabiliser le plus possible. Cherchant, peut-être, à s'excuser de ses quelques dérapages durant les mois précédents.

Une fois les ordres donnés par l'ancien cantinier, l'institutrice s'était mise au travail. Elliot confiée à Jessie qui s'occupait de le promener afin qu'il prenne un peu l'air, Maxine s'était concentrée sur sa tâche, cherchant sans doute à s'occuper l'esprit. Accroupie face à l'imposant four autrefois utilisé pour nourrir les étudiants de l'établissement, Maxine fronça les sourcils. « Lee....tu sais comment ça marche ce truc là ? » Un à un, Maxine bidouilla tous les boutons dont disposait la machine jusqu'à ce que le cantinier vienne lui prêter main forte.  « C'est pas compliqué. » Lui répondit-il avec lassitude. Maxine posa un regard mauvais sur le dos de l'homme. Il la prenait pour une imbécile. Évidemment qu'allumer un four, elle savait faire. Sauf que cette fois-ci, la machine ne s'allumait pas. Rien ne se produisait. Voyant Lee faire exactement ce qu'elle avait tenté un peu plus tôt, Maxine croisa les bras attendant le délicieux moment où, lui aussi, viendrait à réaliser que l'objet était défectueux. « Laisse. J'vais trouver quelqu'un pour regarder. » Lança la brune alors qu'elle était déjà en train de quitter la pièce.

D'un pas pressé, Maxine traversa les différents couloirs. Elle savait exactement qui chercher pour cette tâche, il ne restait plus qu'à le trouver. Finalement, elle trouva Jim qui sortait à peine de sa chambre.« Jim ! » Maxine l'interpella avant qu'il ne parte dans la direction opposé. Arrivée à son niveau, elle lui adressa ce qui devait normalement ressembler à un sourire mais qui s'avéra être une grimace à cause de la douleur qu'elle ressentait encore à la lèvre et au nez. « Est-ce que tu peux venir voir en cuisine ? » Demanda-elle en lançant son pouce derrière son épaule. « Je crois que le four est cassé. » Une silhouette apparut derrière l'homme et Maxine n'eut aucun mal à reconnaître Sarah, la fille de Jim. La brune n'eut pas le temps de la saluer que l'adolescente la foudroya du regard. « Lee n'est pas...vraiment doué pour réparer ce genre de truc. » Dit elle avec un ton plus léger.

Un nouveau jour se lève sur l’horizon. Jim n’avait pas dormi de la nuit. Il s’étonnait encore de tenir debout avec toutes ces insomnies. Comment arrivait-il à garder l’esprit clair ? Qu’importe. L’important était la survie du groupe avant tout. Mais parfois, en jetant un coup d’œil au delà les barricades qui entouraient le camp, Jim se demandait s’il ne valait pas mieux pour lui et sa fille, de tout quitter. Faire leur chemin de vie et laisser tout ce beau monde derrière eux. Car plus il restait, plus il s’attachait et plus il était difficile de perdre des amis. Jim n’était pas convaincu que rester trop longtemps au sein d’un même groupe, puisse être la solution. Car la survie était individuelle. Il était convaincu que tôt ou tard un événement grave allait se produire. Il en avait croisé des types louches lors de ses sorties. Et ce qui était arrivé à Maxine n’était pas anodin …

Il laissa échapper un lourd soupire tout en observant Sarah dessiner. Machinalement, il lui caressa les cheveux, comme pour se réconforter que ses visions d’avenir ne fussent pas forcément exactes. Sarah se dégagea de l’emprise de son père, comme pour lui exprimer une certaine antipathie. Ces derniers temps, il faut dire que ce n’était pas l’amour fou entre les deux protagonistes. Du moins, Sarah en voulait beaucoup à son père de l’empêcher de voir Kaycee.

Jim : Que dessines-tu ? demanda-t-il poliment en se penchant au dessus de l’épaule de sa fille afin de mieux discerner les traits de son coup de crayon.
Sarah : Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Tu t’en fiches de mon bien être … tu fais semblant de t’intéresser à ce que je pense et ce que je fais, juste parce que tu es trop têtu pour accepter tes torts !
Jim : Sarah … tu ne sais pas de quoi tu parles.
Sarah : Bien sûr que si je sais ! Kaycee m’a dit que tu as parlé à sa mère, et que tu ne veux plus qu’on se voie, de peur que je devienne une folle alliée de la gâchette. Bonjour la confiance ! Tu me prends pour une gamine débile ? Punaise Papa … tu ne me connais pas ! T’as jamais été foutu de t'intéresser à moi, t'as jamais été là pour moi, même Seth me connaît mieux ! Parfois j’aurai préféré que ce soit toi qui meurs plutôt que Maman …

Jim ne s’emportait pas souvent. Du moins, pas devant sa fille. Il avait toujours fait preuve d’un calme olympien et d’un contrôle de soi plutôt impressionnant. Mais les paroles que venait de lui asséner Sarah le blessèrent si profondément, qu’une claque lui échappa des mains. Le crayon tomba au sol et Sarah se releva instentanément de sa chaise, se tenant la joue endolorie par le coup de son père. Elle lui balança un regard noir, rempli de colère et de haine. Jim ne broncha pas. Il n’était pas désolé, ni même chagriné. Non, ça lui semblait parfaitement juste. Sarah n’avait pas à lui balancer de tels propos avec tout ce qu’il faisait pour elle. L’ingratitude des adolescents c’était peu pour lui.

Jim : Tu crois que je fais ça pour te punir ? Non. Je fais ça pour ton bien. Tu n’es pas prête Sarah. Loin de là. Des gens meurent dehors. Des gens sont morts pour que tu puisses te réchauffer dans ces vêtements, pour que tu puisses manger à ta faim, pour que tu puisses tirer à l’arc tous les matins avec Seth et les autres ados ! Et toi, t’as qu’une idée en tête, aller dehors pour jouer à tuer des rôdeurs ?! Je peux te dire une chose jeune fille … tu n’es pas prête de fouler les pieds en dehors des limites de ce lycée.
Sarah : Essaie voir …
Jim : Tu … ha Maxine !

Le visage encore amoché, Maxine venait tout juste d’apparaître dans l’encadrement de la porte de la chambre de Jim, alors qu’il s’apprêtait à sortir. Il n’aimait pas vraiment les surprises et encore moins les visites imprévues. Mais bon, il s’agissait de Maxine et pour elle, il n’était rien de plus agréable que de lui rendre service. Au moins, il pouvait échapper à cette conversation père-fille qui tournait au vinaigre.

Jim : Lee … le four … je vois. Très bien, j’arrive tout de suite.

Sarah bouscula son père d’un coup de coude, puis jeta le regard le plus méprisant et le plus sombre dont elle était capable à Maxine. Il faut dire qu’elle aussi elle aurait voulu la voir morte. Avant que son père n’ai eu le temps de lui dire quoique ce soit, Sarah courut jusqu’au bout du couloir, puis bifurqua à droite en hurlant le nom de Kaycee. Provoque quand tu nous tiens …

Jim haussa les épaules et laissa transparaitre un sourire désolé, dissimulé dans sa barbe mal rasée. Il suivit Maxine jusqu’à la cantine, lieu dudit incident. Lee était en train de préparer une quantité monstre de nourriture, maugréant dans ses trois poils de barbe. Jim le salua brièvement de la main et se dirigea vers le four défectueux.

Jim : Désolé pour … Sarah. Elle n’est pas très gérable ces derniers temps. Notre relation en a prit un coup depuis que j’ai refusé sa compagnie lors d’une expédition de ravitaillement dans un centre commercial. Je ne suis pas très doué en matière d’éducation, il faut croire …

Avec Josh ça aurait été plus simple. Mais ça, il s’abstenait de le dire à voix haute. Jim se baissa, puis jeta un coup d’œil aux tuyauteries du four. La bombonne de gaz était vide et un des tuyaux semblait bouché ou défectueux.

Jim : Ca va toi ? Je veux dire, depuis ton retour … je n’ai pas vraiment pris le temps de prendre de tes nouvelles.

Les œillades assassines que lui jetait sans cesse Sarah n'atteignaient pas spécialement l'institutrice. Qu'elles soient justifiées ou non, Maxine savait qu'elle n'avait rien à se reprocher mais surtout que la haine d'une adolescente ne lui importait pas vraiment. Comme tous les adolescents présents dans le lycée, sa vie n'avait plus aucun sens. Elle n'avait plus de repère et défiait sans cesse l'autorité parentale. Sarah n'était pas la seule à agir ainsi et...les parents étaient là pour arranger cela. La brune elle, n'avait pas à s'en mêler dans tous les cas.

Cependant, ça ne l'empêchait pas d'être compatissante. La survie était déjà bien assez compliqué. Devoir surveiller et affronter son enfant était un supplément dont les parents se seraient bien passés.  Lorsque Jim s'excusa pour le comportement de sa fille, l'épouse Preston lui adressa un léger sourire, comme pour lui dire que ce n'était pas grave. « T'en fais pas pour ça. » Avait elle simplement répondu, sans vouloir y donner son avis. Que sa fille aille ou non en ravitaillement ne regardait que lui. En se mettant à sa place quelques secondes, Maxine su que si quelqu'un, un jour, se permettrait de venir lui donner des leçons d'éducation, elle ne le vivrait pas vraiment bien. Du coup, elle préféra se taire. Ces choix restaient les siens.

Les mains sur les hanches en observant Jim bidouiller le four, elle attendit le pronostic. Mais à la place, l'homme préféra lui demander comment elle se sentait. La brune pinça les lèvres brièvement et hocha la tête. « On fait aller. » Était la réponse la plus honnête qu'elle pouvait donner. Ce n'était pas la joie mais elle s'efforçait d'aller de l'avant. En se rendant compte que sa réponse n'apportait pas vraiment d'élément à Jim, elle reprit. « Comme tu le vois, mon visage traverse une période difficile. » Elle inspira, les yeux braqués sur le sol. « Maaais, ça se soigne. Rachel a limité la casse. » Les mains moites, elle frotta les paumes contre son tablier blanc puis se racla la gorge. « Je n'ai pas encore remis les pieds dehors pour l'instant..c'est un peu...trop tôt. Je pense. » Et plus sur le ton du murmure, elle continua. « Ça va prendre un petit peu de temps. ».

La brune se mit en mouvement et changea de sujet. Elle n'avait rien de plus à dire concernant son état de toute façon. « Et toi ? » Doucement, elle s'aventura sur un sujet plus délicat. « Pourquoi refuses-tu que Sarah vienne avec toi dehors ? » Sa question était parfaitement neutre. Elle n'émettait aucun jugement, aucun prise de position. Elle voulait simplement savoir ses raisons. Ce qui le poussait à vouloir la garder enfermée ici. « Tu ne crains pas qu'elle finisse par faire une bêtise ? Je veux dire que...plus on interdit, plus ça devient tentant. ». D'une certaine manière, Maxine prenait des conseils d'éducation. Voir un peu les explications de chaque parent lui permettait de faire elle même des choix. Même si elle avait le temps, elle savait très bien que ce jour finirait par arriver. Qu'un jour, Elliot devrait affronter l'extérieur. Même si Jaden et elle feraient tout pour que cela se produise le plus tard possible. Mais une question trottait dans son esprit. Valait il mieux préparer ses enfants à ce monde ? Ou les protéger et limiter la casse en les exposant le moins possible ? Dans tous les cas, cette décision, Maxine ne la prendrait jamais seule. Mais le couple Preston ne s'était pas encore posé cette question.

Bricoler au sein du camp lui permettait de souffler un peu. Ces gestes mécaniques lui rappelaient les doux moments du passé. Ce passé si proche, mais en même temps si lointain. Il revoyait les visages familiers de John Atticus et Rita Gondzales, ses anciens voisins de pavillon qui lui demandait de l’aide. Rita était une vieille portugaise qui appelait souvent à l’aide auprès de Jim dès qu’il rentrait du travail. Elle avait toujours un truc sous la dent à lui faire réparer. Une fuite d’eau, des tuiles à remettre sur le toit, réparer la machine à laver … à croire qu’elle ne prenait jamais soin de ses affaires. Mais bon, c’était de l’histoire ancienne. Rita devait probablement reposer dans un monde meilleur, ou errer dans les rues de Seattle à la recherche de chair fraiche. C’était des souvenirs heureux, auxquels il se raccrochait. Car Jim estimait que le monde passait un mauvais moment, qu’il était malade, mais qu’il finirait par guérir. Il n’avait jamais eu une vision fataliste des choses, car sinon, il n’aurait jamais pu devenir qui il était.

Après avoir nettoyé la crasse qui bouchait les tuyaux permettant l’alimentation du gaz, Jim resserra les boulons à l’aide d’une large pince à défaut d’avoir le matériel nécessaire pour bricoler de manière professionnelle. Il écoutait attentivement Maxine parler de sa mauvaise expérience. Les marques sur son visage étaient impressionnante et Jim n’osait pas imaginer les violences qu’elle avait du encaisser. Il était même étonnant de considérer que Jaden n’ait eu aucune envie de réduire à néant l’immondice personnage qui avait osé violenter sa femme. Mais peut-être qu’il était plus sage d’attendre. De laisser l’eau couler sous les ponts. Il n’était pas à Jim de décider de quoique ce soit, mais si ça ne tenait qu’à lui, il n’aurait pas cherché à réfléchir bien longtemps. S’en prendre à ses proches, c’est s’en prendre à lui directement. Il essuya son front à l’aide du revers de sa manche, couverte de crasse.

Mais au lieu de compatir, Jim se contenta d’acquiescer à chacune des paroles de la jeune femme. Il sentait bien qu’elle n’était pas prête à reparler de ces épreuves difficiles et Jim n’était pas le genre d’homme à insister. Mais la question fatidique fut tombée. Il tendit le cou vers Maxine, puis la considéra un bref instant, comme s’il analysait chaque mot avant de répondre à la question. Sarah était une énigme à elle seule. Il ne se considérait pas comme le père de l’année, mais la laisser sortir en dehors de l’enceinte du lycée n’était, selon lui, pas une bonne idée. Il poussa un lourd soupire, avant de se relever.

« Humm … élever une enfant dans ce monde n’est pas quelque chose de facile. Tu le verras bien par toi même. Je m’inquiète pour elle, pour son avenir. Je n’ai pas envie de tout foutre en l’air en me pliant en deux sous ses caprices. Le monde est dangereux et je ne serais pas tranquille à l’idée de la savoir dehors à combattre ces créatures. »

Il détourna son regard vers le four d’un air songeur, comme si Sarah se trouvait là, juste à ses côtés.

« Si ça se trouve, le monde redeviendra comme avant. Les rôdeurs pourrissent, il n’en restera pas définitivement. Peut-être qu’on finira par trouver un remède, que les choses retourneront dans le bon ordre. Et ce jour là, je ne veux pas que Sarah soit totalement déphasée. Qu’elle soit devenue étrangère aux règles civiques et à la bonne morale, à cause de mon laxisme. Tuer des rôdeurs ce n’est pas quelque chose que j’aime faire. Je le fais pour protéger le camp, pour protéger Sarah, pour ceux que j’aime. Mais Sarah veut sortir juste parce qu’elle trouve ça amusant, qu’elle veut imiter les adultes. Elle pense que nous sommes des héros, qu’on a du courage, qu’on s’est endurci, qu’on a peur de rien … mais elle se trompe. Et je ne veux surtout pas qu’une fois dehors, elle se retrouve totalement dépassée par les émotions, par son désarroi et par la déception de ce qu’elle pourrait trouver. Elle n’est pas prête. »

Il esquissa un léger sourire sur son visage fatigué, puis tapota sur le four. D’un claquement de doigt, il demanda à Lee de remettre le gaz en route pour vérifier le bon fonctionnement du four. L’homme s’exécuta. Après quelques grincements étranges dans les tuyaux, le four s’alluma. Satisfait, Jim écarta les bras d’un air de conquérant.

« Tadam ! Machine réparée ! »

Il attrapa un linge propre, puis s’essuya les mains pleines de cambouis et grasses, sous le regard noir de Lee. Jim voyait déjà le gros asiatique lui gueuler au visage « ce ligne je l’utilise pour laver la vaisselle ! ». Mais qu’importe, il savait très bien qu’il n’oserait rien dire, face à l’efficacité et la réactivité de l’architecte.

« Des bêtises elle en a toujours fait. Je sais qu’elle fait de son mieux et qu’elle ne veut pas me décevoir. Même si elle me fait la tête, au fond elle sait que je n’ai pas tort. Et toi, tu t’en sors avec ton petit ? Il a quel âge maintenant ? Ca fait un moment que je ne l’ai pas vu … »