L'insomnie. Plus trop d'actualité ces derniers mois elle revient en force cette nuit. Je me tourne contre le mur pour finalement me retourner une nouvelle fois. Je grelotte, ma couverture n'est pas assez épaisse. Tout un tas de pensées envahissent mon esprit sans pour autant qu'il y en ai une de plausible et de réalisable. Je m'imagine près d'un feu, un chocolat chaud entre les mains et le regard absorbé par les flammes qui dansent. Mais dans cette pièce, dans cette pseudo chambre que j'ai aménagé du mieux que j'ai pu, tout est froid. Il n'y a rien de chaleureux dans cet environnement. J'ai l'impression que l'odeur de la mort s'est infiltrée entre les murs et que le râle des rôdeurs est la seule mélodie que j'entendrai jusqu'à la fin de mes jours.

Je me mets sur le dos et passe une main dans mes cheveux emmêlés. Je repense à ces nuits où si je n'arrivais pas à dormir Hélios me prenait dans ses bras, m'embrassait le front. Il avait la faculté de m'endormir en quelques secondes. Mais maintenant je suis seule, sur ce lit peu confortable, dans un monde qui ne tourne plus rond. Je me redresse, allume les deux bougies posées sur ma table de nuit d'appoint et prends Les Hauts de Hurlevent abandonné au chapitre 4. Mes yeux parcourent le papier fin pendant quelques minutes avant que je ne me rende compte que je suis entrain de lire la même phrase. Je soupire et referme le livre d'un coup sec. Je plonge mon visage dans le creux de mes mains avant de prendre la décision d'aller arpenter les couloirs déserts.

J'enfile mes fidèles boots fourrées, mon gros pull et mon écharpe. Ma main glisse sur la poignée de la porte et l'ouvre en douceur pour ne pas faire de bruit. Le couloir est illuminé par la lune qui transperce les vitres sales du lycée. Je déambule jusqu'au couloir de l'infirmerie pour ensuite prendre la direction de la bibliothèque. Peut être qu'entourée de livres je me sentirais plus apaisée. Et puis je distingue une silhouette qui dans un premier temps me fait reculer. Un rôdeur ? Non, un rôdeur n'est pas si concentré devant une lune et les étoiles. Alors je prends la décision d'avancer, mon coeur s'accélère face à l'appréhension de la personne sur laquelle je vais tomber. Salut. Je préfère annoncer ma présence histoire de ne pas me faire planter s'il est pris par surprise. Je me poste à côté de lui et porte mon regard dans la même direction que lui. Je le reconnais, cet homme mystérieux que je n'ai jamais vraiment osé approché. Cet homme qui physiquement me fait penser un peu à Hélios. Toi non plus, tu n'arrives pas à dormir ? C'est seulement à ce moment précis que je relève la tête vers lui pour pouvoir le regarder dans les yeux.

Je ne m'attendais pas à tomber sur quelqu'un si tard dans la nuit. Je n'ai pas regarder l'heure avant de sortir dans le couloir mais tout me laisse à croire que l'horloge fictive se situe entre 3h30 et 4h00 du matin. Je viens déconcentrer cette âme perdue ne sachant pas s'il a envie de solitude. J'opte pour le fait qu'il n'est pas contre un peu de compagnie, de discussion et si ce n'est pas le cas il n'aura qu'un mot à dire pour que je disparaisse dans les ténèbres. Je pose mes mains sur le radiateur qui est devant moi, la fonte est d'un froid glacial. J'engage la discussion en balançant une phrase courte, une question à laquelle il pourra répondre aisément. Mon regard se fixe sur les traits de son visage que j'analyse le temps qu'il admire encore la lune. Sa phrase reste en suspend et lui vaut un léger sourire de ma part. Que répondre à cette affirmation quand on sait qu'elle est pertinente ?

Le moment des présentations est venue. Un prénom, un nom. Le reste de notre lignée familiale, ce qui nous assure qu'on avait une vie avant notre chute dans les enfers. Calypso Taylor. Ma voix résonne dans le couloir et semble se transporter jusqu'au deuxième étage du lycée. J'attends une suite mais ne perçois que son regard qui semble attendre quelque chose de ma part. Je le scrute et me demande ce qui va advenir de nous dans les prochaines heures. Allons nous rester là à contempler la lune et ses amies les étoiles ? Cela parait plutôt tentant mais pas assez pour satisfaire mon insomnie. Pas besoin de lui poser trente mille questions pour comprendre qu'il pense la même chose que moi, qu'il a besoin de divertissement pour ne pas sombrer dans des questionnements qu'on préférerait refouler. Nous sommes tous un peu pareil, nos histoires de vie après l'épidémie nous ont tous rendu nostalgiques. Tu es déjà sorti dehors en pleine nuit? Question dangereuse, idée dangereuse. Qu'est ce qui te passe par la tête Calypso ? Mon regard toujours planté dans le sien, j'attends sa réponse qui pourra déterminer nos prochaines heures de vie. Je place entre les mains de cet homme, à qui je n'ai jamais osé adresser la parole, le reste de ma nuit.

Je ne sais pas pourquoi lui, je ne sais pas pourquoi ça tombe sur nous cette nuit. Comme si tout était prévu, comme si la vie en avait décidé ainsi. J'attends sa réponse et j'improviserai en fonction. Aucune idée de ce qui me passe par la tête. Je ne le connais même pas, il ne m'a jamais approché et pourtant je sens que je suis en sécurité. Que pourrait il me faire de plus ? Je ne l'imagine pas vouloir profiter de la situation, d'abuser d'une femme naïve qui veut faire un tour dehors. Ce genre d'hommes existe mais il n'en fait pas partie. Je jauge son humeur, ses traits que je n'avais jamais vu d'aussi près. Il a l'air ferme et tourmenté, une raison de plus pour avoir envie de le connaitre. Sa voix s'élève de nouveau dans la nuit pour accepter mon invitation implicite à me suivre. Il me suit. Un regard entendu et je l'entraine à l'autre bout du couloir.

Sortir la nuit n'est pas recommandé ni même vraiment autorisé mais les règles sont faites pour être enfreintes, non ? J'avance tout en lui jetant des petits regards sans pour autant prononcer le moindre mot. Je ne veux rien dévoiler, rien dire pour qu'il apprécie encore plus notre sortie. Je tourne au bout du couloir sur la droite alors qu'une ombre se dessine sur le mur. Un membre du lycée monte la garde et patrouille les étages. Je m'arrête net pour ne pas être vus à un tel point que Aodhan me rentre dedans. Je le tire par le bras pour nous coller contre le mur dans un petit coin histoire de ne pas se faire repérer. Je tourne ma tête vers cet étranger envoyé par mon insomnie et pose mon index sur ma bouche pour ne pas qu'il fasse de bruit. Mon regard s'éternise dans ses yeux le temps que l'homme de garde disparaisse. Plus discrets que des mites. Un dernier regard et nous reprenons notre route.

Nous arrivons au bout du couloir et tombons sur la porte de sortie qui donne sur l'extérieur. J'actionne la poignée et nous sortons sous le regard de la pleine lune. Nous ne risquons pas grand chose entre les murailles du lycée mais je jette un coup d'oeil autour nous, par réflexe. Tu me suis toujours ? Je n'attends pas vraiment sa réponse préférant ne pas trop lui laisser le choix. Je l'invite à me suivre sur le côté du bâtiment qui révèle un escalier de secours menant aux toits. Je commence à monter les marches, Aodhan me suit. Au bout de quelques instants nous arrivons sur le toit du lycée qui nous offre un certain panoramique, un endroit que j'adore. Elle est encore plus belle vu d'ici, non ? Je lui montre la lune d'un signe de tête et pose mon regard sur lui un petit sourire sur les lèvres.