Le temps semblait s'être figé depuis des lustres, chaque jour se ressemblait et ne prenait jamais fin. La pluie s'annonçait. Erine regardait les nuages s'amasser dans le ciel, autrefois la pluie pouvait gâcher sa journée, maintenant le mauvais temps ne changeait plus rien. Ce serait une journée de plus, une journée de trop.

Il faisait froid, Erine avait passé la nuit dans le coffre d'une voiture en bord de route, la veille, elle avait repéré une habitation cloitrée à 600 mètres de là. Des planches étaient clouées à chaque porte et fenêtre, le toit tombait en lambeau, elle s'était dit qu'elle reviendrait le lendemain quand elle y verrait mieux. La maison avait l'air abandonnée mais comment en être sure sans avoir vérifié. Dans son sac à dos il devait lui rester une boîte de crackers et un peu d'eau, il fallait bien qu'elle s'approvisionne si elle voulait tenir quelques jours encore.

Elle donna un coup de pied dans la banquette arrière et sortit de la voiture par la portière droite. Emmitouflée dans sa parka bleu marine, elle se mit en chemin, son sac à dos sur l'épaule. L'endroit n'était pas très loin mais la route était escarpée, il y avait un grand dénivelé. Il lui faudrait au moins trente minutes pour y arriver peut-être plus si elle se perdait. L'humidité était maximale, le terrain glissé, elle faillit perdre l'équilibre à plusieurs reprises, dans sa tête elle se rappelait la route, les repères qui l'avaient marqué. Elle allait vers l'est. Elle pensait que l'endroit était difficile à trouver et qu'avec un peu de chance personne ne l'aurait pillé. Elle s'arrêta quelques instants, elle s'enfonçait dans la forêt.

Le terrain devenait plus praticable, la pente était moins abrupte. Autour d'elle un épais feuillage semblait la protéger d'une éventuelle attaque. La veille elle avait aperçu plusieurs rôdeurs mais elle avait évité l'affrontement. Il ne lui restait plus que son couteau pour se protéger, en groupe, elle ne pourrait faire face. Elle entendit remuer derrière les branches, elle accéléra le pas et descendit encore un peu, l'habitation était à 20 mètres. Elle la voyait de là. Erine s'approchait doucement, elle était sur ses gardes. Une fois arrivée, elle observa plus précisément le lieu, qui pouvait habiter là, dans un endroit aussi isolé ? Les propriétaires étaient-ils encore à l'intérieur ? Elle devait le savoir.

La maison était toute en bois, elle était plutôt petite et mal entretenue. Dehors rien ne laissait imaginer qu'une famille avait vécu là, il y avait des rondins de bois, des planches et quelques outils. Peut-être un bucheron où quelqu'un de solitaire vivait ici. Le fait que toutes ces choses jonchent le sol était bon signe, car personne ne les avait récupéré. Elle frappa à la porte. Aucun bruit ne résonna. Tous les accès étaient condamnés de l'extérieur hormis une fenêtre inaccessible. Elle chercha quelque chose pour ôter les planches de la porte d'entrée. Avec le manche d'une pioche qu'elle ramassa par terre, elle commença à arracher les clous. La pluie se mit à tomber.

Elle avait dégagé toutes les planches et s'attaquait maintenant à la serrure déjà fragilisée. Elle cassa rapidement. Erine se glissa à l'intérieur de la maison, la première chose qui la marqua fut cette odeur nauséabonde de pourriture et de renfermé. Ça devait faire des mois que la maison était confinée. Hormis cela, tout était rangé, il restait le tiers d'une bouteille de whisky sur une table. Il n'y avait qu'un verre brisé sur le sol. C'était vieillot et un peu rudimentaire comme lieu de vie mais ça semblait tellement mieux que le coffre d'une voiture. Il y avait a priori 3 pièces, l’entrée et le salon, sur sa droite la cuisine et au fond surement une chambre. Elle se dirigea vers la cuisine et ouvrit les placards. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Il y avait une dizaine de pots de confiture et plusieurs boîtes de conserve, un sachet de pâte et deux bières. Elle dévalisa la cuisine. Son sac a dos était déjà rempli mais elle voulait voir le reste de la maison.

Elle entendit remuer dans la supposée chambre, sur la pointe des pieds elle ouvrit délicatement la porte. L'odeur la saisit. Sur le lit, le corps à moitié décomposé d'un gros bonhomme d'une cinquantaine d'années, un revolver dans une main, le crâne explosé par l'impact d'une balle gisait ainsi. Erine courut jusqu'à la porte d'entrée, c'était ignoble. Elle prit une grande bouffée d'air. Après tous les morts qu'elle avait vus, l'odeur la dégoutait toujours autant. Elle s'assit quelques instants sous la pluie, savourant sa victoire. Puis ramassa le revolver et fouilla le reste de la maison. Elle ne trouva rien de plus. Ne supportant plus l'odeur, elle s'empara de son sac à dos et voulut rebrousser chemin. Elle rejoignit la route.

Erine perdue dans ses pensées était distraite, la pluie tombait de plus en plus fort. Elle avait parcouru le chemin en sens inverse, son sac à dos remplit contrairement à l'allée. En chemin elle avait englouti l'intégralité d'une conserve, elle ne saurait dire ce que c'était mais son ventre était un peu moins vide, c'était le principal. Épuisée, elle avait finit par regagner la route non sans mal. Elle était trempée et elle tremblait comme une feuille morte. Elle marchait depuis un bon moment sans se poser, elle espérait trouver un endroit qui ne serait pas contaminer par tout les morts, elle devait trouver un but à sa survie, se rendre utile quelque part. Erine s'attardait rarement sur son passé, quand elle y pensait malgré elle, c'était comme si le poids du monde s'abattait sur ses épaules, elle ressentait tout un tas de sentiments qui la paralysait comme en cet instant. Elle revoyait le sang, entendait les cris de chaque membre de sa famille puis se rappelait ce silence qui la hantait depuis des mois.

"Attention ! " cria une voix féminine.

Elle eut juste le temps de se retourner quand un rôdeur se rua sur elle, elle mit ses mains en avant et chercha à le repousser. Il était beaucoup plus lourd qu'elle, le sol trempé se déroba sous ses pieds et elle bascula. D'une main elle essaya d'attraper son couteau mais elle n'y parvint pas. Elle avait laissé le revolver dans son sac à dos. À sa droite se trouvait la jeune femme qui l'avait alertée, elle se précipita pour l'aider et la débarrassa du mort. Erine, haletante, se releva difficilement, lui murmura un merci et reprit son souffle. Elle l'observa quelques secondes. Elle était seule elle aussi, du moins elle semblait l'être. La jeune femme venait de lui sauver la vie. Elle lui demanda si ça allait.

-C'était moins une, tu m'as sauvée.

Elle regarda autour d'elle, à une trentaine de mettre, elle aperçut un petit groupe de rôdeurs qui approchait en leur direction. La route était un lieu de passage important, il n'était pas rare d'en croiser par dizaine ou plus encore. Elle lui montra du doigt. Il fallait reprendre la route au plus vite. Elle préférait fuir que de se battre. D'autres pouvaient arriver à tout moment. Mieux valait éviter de prendre des risques.

- Viens, il faut partir, suis-moi.