"  C'est tout ce que tu trouves à dire ? …. Non parce que si tu crois que je vais me contenter de ça... "

Une fin d'après-midi en Avril 2013... Sarah Miller, une jeune actrice dont la renommée commençait à se faire, et dont plusieurs réalisateurs tentaient d'obtenir se trouvait à l'extérieur d'un cinéma, habillée d'un imperméable cintré, sa coiffure était impeccable, son visage dissimulée en partie sous ses lunettes de soleil. Elle faisait de grands signes à son chauffeur qui l'appelait à l'aide de klaxons et d'appels de phares, de quoi l'agacer encore plus.

"  C'est du travail d'amateur... Voilà ce que j'en dis !... Bien sur que ce sera aux frais de la prod' ! … Archie, tu sais très bien que c'est pas sensé arriver... Oui... Tu viens me chercher après de toute façon... A tout à l'heure. "

Elle raccrocha alors, rangeant son téléphone dans son sac à main avant de revenir vers la voiture, montant à l'arrière, attachant sa ceinture, avant d'enlever ses lunettes, elle fit ensuite basculer le pare-soleil, sortant un poudrier d'une trousse afin d'appliquer quelques retouches à son maquillage, quelques secondes passaient, alors qu'elle appliquait du blush et ouvrait son rouge à lèvres pour en appliquer aussi. Miller jeta alors un coup d’œil, le sourcil haussé au chauffeur. " Alors ?...Vous connaissez le chemin non !? "

Le trajet se passa calmement, Sarah ne notifia sa présence que par de brefs soupirs à chaque feu rouge, et du bruit de son Smartphone dont elle pianotait le clavier tactile, frénétiquement, ponctuant à chaque petite sonnerie de l'appareil, de petits éclats de rire alors qu'elle parlait à ses amis. Elle prévoyait d'ailleurs, dans l'une de ces conversations, des plans pour la soirée à venir, décrivant son ennui de devoirs faire une interview à la sauvette, parce que l'attaché de presse chargé de la promotion de son prochain film, -un blockbuster de genre Action et Thriller et dont elle tenait l'un des rôles principaux- s'était emmêlé les pinceaux dans le planning de la semaine, et l'avait laissé dans l'embarras, dans un cinéma du quartier de Seattle, avec une employée du cinéma qui se chargerait de recueillir quelques propos de sa part autour d'un dîner...

Une fois arrivés au Local 360, c'est le chauffeur qui se chargea de sortir pour aller ouvrir la porte à Sarah. Il donna ensuite la réservation à l'un des réceptionnistes, sous l’œil étonnés de plusieurs clients. C'était une table située plus à l'écart, avec toutefois une vue d'ensemble sur l'établissement qui ressemblait d'ailleurs plus à un Saloon qu'autre chose. L'actrice s'installa alors, enlevant son imperméable, dévoilant une superbe robe bleue lui arrivant un peu au dessus des genoux, complétés par des talons aiguilles et quelques accessoires, alors qu'elle observait les lieux, finissant de répondre à un texto, elle rencontra celui d'un homme un peu plus âgé qui lui faisait des signes et de grands sourires, Sarah leva la main à son attention, haussant le sourcil et secouant négativement la tête.

Quelques secondes passèrent alors, pendant lesquelles elle essaya de ne pas prêter attention à la plupart des regards curieux qui s'étaient posés sur elle. Une jeune femme blonde arriva alors à sa table, et prit place face à elle. C'était forcément l'employée qui était chargée de l'interviewer " Bonsoir ... Holly, c'est ça ?" d'un bref regard, elle l'avait déjà détaillée de la tête aux pieds, un sourire candide se dessina sur ses lèvres, calculé de manière à essayer de la déstabiliser quelque peu. Quoi, ce n'est pas parce qu'il y avait eu un changement de programme qu'elle ne pouvait pas s'amuser un peu non ?

"Comment ça tu taff pas ce soir ?"

"Oh ! J'vais te manquer c'est ça ?"

"Ahah t'es con... Tu sais bien ce que je voulais dire, c'est juste que c'est pas pareil quand t'es pas là..."

12:30 à son téléphone.

"Bon aller j'dois y aller sinon l'autre va encore s'amuser à compter à la minute près."

Le jeune homme engloutit le reste de son café refroidi pour retourner derrière son bar et accueillir les prochains clients. Comme d'hab c'était plutôt calme en semaine, à tel point que les deux premiers clients venaient juste d'arriver. Dick, oui il portait encore bien son nom celui-là, les avaient déjà placées et c'tait bien la seule chose dont cet imbécile était capable d'ailleurs. Tout le personnel savait que s'il avait obtenu son poste d'apprenti c'était juste parce qu'il était le neveu du patron. Kurtis s'amusait à le comparer à Percy dans La Ligne Verte, en gros un poltron tête à claque et hargneux qui dans un film d'horreur crèverait le premier. Voici comment résumer Dick en une phrase, en un mot ? Son prénom suffisait amplement. Toujours était-il que les deux nanas qui venaient de s'asseoir représentaient bien le type de clientèle du restau, c'est-à-dire des des mal baisés dont la seule chose qui égalait leur grande gueule était leur grand portefeuille. Du moins l'une d'entre elles, l'autre quant à elle semblait déjà plus modeste.

Dick, qui n'était pas capable de prendre une commande sans écorcher le nom d'un plat retourna derrière le bar pour laisser le châtain clair prendre le relais.

"Bonjour et bienvenue au Local 360 à votre service, désirez-vous un apéritif avant les plats ?" dit-il en souriant

Sourire forcé qu'il affublait depuis plus de dix ans maintenant. Par ailleurs, il s'attendait à ce qu'elles lui répondent un cocktail qui n'était pas à la carte ou un vin provenant d'une région précise de France dont elles-même ne connaîtraient même pas les caractéristiques mais simplement pour la jouer snob.
Avant qu'elles ne donnent leurs réponses Kurtis ne jeta même pas un regard à la blonde, il savait que ce genre de nana aimait qu'on la reluque et il ne lui donnerait pas cette chance. Cette dernière savait qu'elle était désirable, ce ne devait pas être dans ses habitudes de laisser qui que ce soit indifférent et rien que pour l'emmerder et bien cette fois-ci si, il la lui rendrait bien l'indifférence. Un des seuls petits plaisirs qu'il aimait s'accorder avec ces clients chiants et quand bien même cette dernière le lui ferait remarquer il s'excuserait sans en penser un traître mot, affublé de son plus beau sourire.
Bon, il fallait avouer qu'il arrivait qu'il jugeait un peu vite et parfois le préjugé facile pouvait se retourner contre lui. Tous n'étaient pas comme ça malgré ce qu'il pouvait s'imaginer.

Malgré tout, il n'attendait que ça: le jour où la loi du plus fort ne serait plus régi par le portefeuille mais par sois-même...

Amusée par la nervosité de la femme qui lui faisait face, l'actrice reposa le menu sur la table, l'observant alors que celle-ci essayait de mettre de l'ordre dans ses idées afin de commencer à prendre la parole. C'était étrange de provoquer ce genre d'émotions chez une personne, mais ça n'était pas la première fois que ça lui arrivait. Elle y était habituée en vérité, la réaction variait d'une personne à l'autre mais c'était toujours assez intriguant de voir comment sa carrière établissait comme une certaine distance entre elle et les autres personnes.

Elle semblait toutefois vouloir directement commencer à lui poser une question, comme si elle souhait aller directement à l'essentiel. Sa compagnie lui était à ce point désagréable ? L'actrice n'aurait pas le temps de le vérifier, puisque l'un des serveurs du restaurant venait d'arriver pour prendre la commande des apéritifs. Ses yeux se posèrent sur lui après avoir regardé une dernière fois la carte, laissant à Holly l'opportunité de prendre sa commande. C'était un assez beau jeune homme ! Dommage qu'il semblait autant sur la défensive d'ailleurs.

Le cadre était toutefois sympathique, et le service semblait lui aussi être convenable. Il est clair qu'elle était habituée à des choses plus sophistiquées, mais Sarah était assez encline à se prêter au jeu. " Un Martini Rouge s'il vous plaît... " le quittant progressivement des yeux, ses doigts se reposèrent sur le menu qu'elle continua de parcourir " ... Et pour le plat, le Steak de poulet fris, avec l'accompagnement champignons et œufs s'il vous plait... " dit-elle sans quitter la carte qu'elle tenait dans les mains, avant de regarder à nouveau le brun dans les yeux. " Ça se mariera très bien à ce faux sourire... "

Tiens, encore une mal baisée qui se prenait pour la mentaliste, dit-il. D'où est-ce qu'elle pouvait se permettre de telles affirmations ? Lui qui pourtant jouait si bien la comédie. Seul un dramaturge aurait pu déceler la part hypocrite d'un serveur, ou un serveur lui-même, sauf qu'elle n'avait absolument rien d'une serveuse, au contraire elle avait plus une tête de nana habituée à se faire servir que de servir les autres. En bref, tout ce que Kurtis détestait. Quand bien même sa remarque l'énervait il ne pouvait le nier: "elle avait raison la salope..." pensa-t-il encore.

"Un rosso et une carafe d'eau en apéro suivis d'un steak de poulet frit avec champignons et oeufs et un Farmers Breakfast, d'accord."

Il envoya la commande en cuisine puis retourna au bar afin de préparer le martini. L'une prenait un plat et l'autre un petit déjeuner, étonnant. La mal baisée voulait sûrement entretenir sa ligne avec de la volaille et l'autre devait être une putain d'anglaise pour prendre des biscuits en plein midi. Même s'il s'en foutait au final il aimait faire des préjugés sur la clientèle du restau plutôt friquée. Bah ouais parce que pour payer 18$ un putain de steak de poulet faussement fait maison provenant du même fournisseur que KFC fallait avoir du fric à jeter par la fenêtre... Même s'il n'avait pas d'autre choix que de s'écraser en face d'eux il pouvait toujours les insulter par la pensée, droit le plus fondamental.

Quoique. Il avait quand même ignoré sa remarque donc on pouvait dire qu'il s'agissait d'un manque de respect. Tant pis, il savait qu'il ne risquait pas de se faire virer, qui d'autre accepterait de vendre son âme à un patron aussi con après tout ? Il avait au moins ça de garanti: la sécurité de l'emploi.

Il ajouta enfin le quart de citron jaune au martini et saisit une carafe d'eau qu'il donna à Dick qui par hasard passit par là.

"Tiens toi emmène ça aux deux nanas tant que t'as rien à faire s'il te plaît, moins je les vois mieux je me porte."

Dick s'attela à la tâche. Malheureusement c'était sans compter sur cet andouille qui, à défaut d'être embauché à temps partiel était un couillon à temps plein. Une fois arrivé vers les clientes il les servit tout en ajoutant: "Voici les apéritifs, je vous les ai amené car mon collègue n'en avait pas envie. Kurtis qui assista à la scène depuis le bar n'en revenait pas. L'espérance de vie de Dick était devenue semblable à celle du steak de poulet, c'est-à-dire proportionnelle à celle d'un poulet dans un KFC...