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La mère et l'enfant

Lun 24 Avr 2017 - 18:29



L’hiver était fini. Le printemps avait fait disparaître les dernières traces du gel qui avait paralysé l’état pendant de nombreux mois mais pourtant, le froid s’attardait sur la peau ankylosée de Rowen. Une sensation portée par la mort, omniprésente, qui les entourait, les étranglait même. Une semaine était passée depuis la mort d’Arthur – ou deux. Il ne comptait plus vraiment. Le silence n’aidait pas vraiment, imposé comme une lourde chape de plomb par le deuil d’une épouse violemment veuve. April n’avait pas seulement tout perdu : sa famille lui avait été arrachée, blessée, mutilée. Là où l’illustrateur s’offrait le luxe de ne pas savoir ce qu’étaient devenus les siens, son aînée devait continuer avec la certitude que les êtres les plus chers étaient éteints. A jamais.  

Le jeune homme avait beau être tiraillé par l’angoisse de savoir sa mère et sa sœur de l’autre côté de l’océan, ou l’obsession de ne pas avoir la moindre idée d'où était passée Rosaleen, c’était la compassion qui rongeait ses entrailles. La chargée de communication interne l’avait accueilli comme un fils, l’avait aidé, protégé, consolé. Pas une fois la blonde ne lui avait soufflé qu’elle aurait préféré qu’il meurt à la place de son Bruce. Peut-être l’avait-elle pensé ? Il ne lui ne voudrait pas. Ce monde était cruel et souvent, Rowen se disait que sa mort aurait été un prix moindre à payer pour que le sourire d’April n’illumine encore son visage.

Ils erraient. Sans trop savoir où, se contentant d’aller là où les possédés ne les traquaient pas, là où les vivants ne les trouvaient pas. Depuis la veille, ils dormaient dans une maison au bord de l’eau, sur l’avenue Lakeside. Les anciens propriétaires devaient être du genre aisé : ils avaient un ponton privé avec un petit bateau agonisant sur les flots. Ce dernier était rongé par les intempéries, couvert de dépôts verdâtres. Dommage. L’artiste aurait adoré monter à bord avec sa compagne de route et l’emmener loin de tout ça, de ce désastre à grande échelle. A la place, ils avaient pu se restaurer dans les stocks intacts de la cave et voir le coucher de soleil sur les eaux immobiles. Au loin, on pouvait aussi loin le pont de la voie rapide qui traversait le bras de mer ; mort, lui aussi. Pétrifié par l’épidémie, transformé en cimetière de voitures.

La nuit venait de tomber sur leur deuxième jour de pause. Ils n’avaient vu qu’un cadavre par la fenêtre, claudiquant sur ses articulations putréfiées, une longue robe effilochée voletant dans son sillage. Tous les deux dînaient à la lueur de grandes bougies. Au menu : biscottes et beurre de cacahuète, salade de fruits en conserve en dessert. On faisait plus diététique mais ce n’était pas comme s’ils risquaient le surpoids. Chaque bruit était décuplé par le mutisme oppressant qui les unissait presque continuellement depuis qu’ils avaient dû abandonner le cadavre du père Hamilton. Lorsqu’il osa enfin le rompre, Rowen eut l’impression que sa langue était engourdie d’avoir fait trop peu d’effort :

- Tu sais… je fais partie des gens qui pensent que… parler permet vraiment de… résoudre des problèmes ou d’aller de l’avant, il osa un regard sur April et poursuivit timidement, je veux dire… souvent les gens ne parlent pas parce qu’ils sentent, à tort ou à raison, que ça ne résoudra pas leurs soucis ou leur ressenti. Mais en fait… ce n’est pas ça l’important, il s’éclaircit la gorge et fit vraiment face à son aînée, c’est souvent le simple fait de parler qui… aide. C’est cathartique. Des fois aussi la personne à qui on parle, ou la raison, ou le contexte, ou le moment… le sujet par contre, bizarrement, n’a parfois aucune importance…

Il sourit, cherchant à vraiment capter l’intérêt de la blonde. Tirant machinalement les longs poils de la barbe dont il n’avait plus la possibilité de prendre soin, l’artiste s’accrocha aux yeux de la veuve. Ils étaient toujours aussi étonnants, intenses. Sa carcasse pourrait dépérir qu’il prenait le pari que ses pupilles seraient inaliénables. Il les adorait ; cette femme l’impressionnait, sincèrement.

- Si… si tu avais envie de me parler de quelque chose maintenant, ce serait quoi ? demanda-t-il avec candeur avant d’ajouter malicieusement, n’importe quoi. Ce sera toujours mieux que de mâcher en silence…

L’illustrateur était patient mais cette absence de communication le tuait à petit feu ; car chaque minute passée sans prononcer une parole, il pensait aux autres. Ses parents, ses amis, ses collègues, ses connaissances, même l’épicier chez qui il se rendait régulièrement. Tous ces gens qui, aujourd’hui, étaient certainement morts ou/et possédés…
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