Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps est-elle partie ? Bien longtemps que mes dix doigts ne sont plus suffisants pour compter les jours sans elle. Bien trop longtemps que j’ai découvert ce message qu’elle nous a laissé, ces quelques lignes dévastatrices, une poignée de mots semblable à un adieu. Pourquoi est-elle partie ? Je n’arrive toujours pas à y croire, je ne peux pas l’accepter, je refuse qu’elle puisse ne plus vouloir de nous. Cette situation me ronge, sans que je ne puisse y faire grand-chose. Tellement de temps passé à l’extérieur, à sillonner la ville, vainement. Mais je ne lâcherais pas, je ne peux pas abandonner. Et pourtant, plus les journées passent et plus mes espoirs de la retrouver diminuent. J’ai promis pourtant. Je l’ai promis à Emy’. Je dois lui ramener Kaycee, je dois lui ramener sa fille. Notre fille. Il ne peut en être autrement. Je dois la retrouver.

Assis face aux grilles qui nous protègent de l’extérieur, mon regard est vide. La nuit tombe doucement. Une nouvelle nuit sans elle à nos côtés. Une nouvelle nuit sans dormir. Je reste là, ne prêtant même plus attention aux râles sourds résonnant dans la pénombre. Perdu dans mes pensées, je cherche désespérément une solution, encore et encore. Où a-t-elle bien pu aller ? J’aimerais tellement le savoir. Mais comment ? Après tout ce temps, elle peut être n’importe où. Elle peut être vivante ou… Non. Je refuse de penser au pire. Je sais qu’elle est capable de s’en sortir. Je sais qu’elle aura su se débrouiller. Et dire que je n’ai cessé de lui répéter le contraire, que j’ai fait toute une histoire à propos de ses escapades en solitaire. Je regrette amèrement d’avoir été aussi dur avec elle, de l’avoir traitée d’incapable, de l’avoir puni sans chercher à la comprendre. Ah ça… Cela fait bien trop de temps que je ne comprends plus Kaycee, comment sommes-nous arrivés là ? Putain de monde parti en vrille. Si seulement il était possible de revenir en arrière, de retrouver notre vie d’avant…

Rien. Je n’ai plus rien.

Ruminant tout cela, je finis par me lever. Je soupire alors que je scrute encore les ruelles sombres qui disparaissent peu à peu devant mes yeux. Je sortirai dès l’aube, encore. Je fais volte-face pour me diriger vers le lycée, d’un pas las. Il faut que je dorme mais je sais que je n’arriverais pas à fermer l’œil comme chaque nuit. Combien de temps vais-je tenir ainsi ? Pour l’instant, je tiens le coup. Bon sang, Kaycee, si tu pouvais m’entendre… Reviens s’il te plaît… Je m’arrête un instant, relevant les yeux vers le ciel, dont l’immensité est éclairée par une lune presque pleine. De vieux souvenirs reviennent alors. Des nuits passées à dormir à la belle étoile avec Kaycee, quelques années avant tout ça. Je finis par secouer la tête, balayant toutes ces images de ma tête avant de reprendre ma route vers le lycée.

Montant jusqu’aux anciennes salles de classe, je passe devant celle que j’occupais avant avec Emy’ et Kaycee. Le doux filet lumineux qui passe sous le panneau de la porte me fait penser qu’Emerson ne dort pas encore. Arrive-t-elle à dormir ? J’en doute. J’hésite un instant à frapper contre la porte mais je finis par continuer ma route jusqu’à ma nouvelle chambre. Qu’aurais-je pu lui dire de toute façon ? Que je n’ai toujours pas retrouvé Kaycee ? Cela ne servirait à rien. Nous nous sommes à peine parlé depuis notre dispute après la disparition de notre fille, et je sais que tout pourra rentrer dans l’ordre seulement si Kaycee revient, si je la retrouve. J’ai promis. J’ai promis mais serais-je capable de tenir cette promesse ? Si je veux retrouver Emy’… Je n’ai pas d’autre choix.

Entrant dans ma chambre sans prendre la peine de fermer la porte de ma chambre, je m’assoie au bord du lit. A quoi bon tenter de dormir alors que je n’ai pas sommeil ? Je me relève, et je finis par fouiller dans un des sacs que j’ai laissé dans un coin de la pièce. Reposant un des sacs je me dirige de nouveau vers le couloir avant de m’adosser contre le mur et de me laisser glisser jusqu’à m’assoir. Posant une carte de Seattle sur mes genoux, j’allume une lampe torche et je regarde un instant le plan qui se dessine devant les yeux. Je fais ensuite plusieurs croix, symbolisant les endroits où je suis allé aujourd’hui, et j’entoure ceux que je dois fouiller… Ceux où je pense qu’elle pourrait se trouver. Un nouveau soupir et je finis par attraper une bouteille que j’ai déniché durant une de mes sorties, à moitié vide. Une bouteille d’un alcool fort que je finis par ouvrir avant de boire quelques gorgées. Durant un instant, je me sens « mieux » mais je sais pertinemment que ça ne durera pas… Comment ai-je fait pour tomber aussi bas ? Si seulement Emerson pouvait sortir à cet instant… Si seulement elle pouvait me voir comme ça…