L'étreinte était revigorante, c'était bien le mot et retrouver l'odeur comme la proximité de sa meilleure amie faisait chaud au cœur, tout ce dont elle avait besoin à ce moment précis. Comme coupées du monde, la tatouée la serra davantage contre elle en sentant les premières larmes couler et dans cet effort elle put repousser la douleur qui émanait de ses côtes en serrant ses mâchoires tremblantes. Il n'y avait plus rien qui pouvait la décontenancer à cet instant précis, elle était intouchable, imperturbable et surtout, elle était elle même. Il n'y avait plus de masque, plus de jeu d'acteur, plus d'esquive, rien. Les mots soufflés plus tôt par l'amazone ne trouvèrent alors aucune réponse, tout était dit et bien assimilé de toute façon.

"Humpf !"

L'intimité des deux femmes ne dura pas bien longtemps. Eli était vraiment le roi pour choisir ses moments. L'encrée ne pouvait alors que s'en prendre à elle même, elle qui avait exposé son chantage plus tôt ne s'attendait pourtant pas à ce qu'il débarque aussi vite, et merde. Reniflant un bon coup, elle lui lança un regard humide en coin, mais juste en coin, faut pas déconner non plus. Vint la tension entre ces deux amis qui était on ne peut plus perceptible, Roza aurait même pu la toucher à ce stade. À son tour de ne pas se sentir à sa place et son état n'aidait en rien, Eli ne devait pas la voir comme ça, ça restait le privilège de Calypso. Conserver cette image de femme forte avait son importance, triste constat mais bien réel. Il ne lui restait alors plus que la carte de la fuite.

"M'bah.. j'vous laisse... Mer.. Merci Caly'."

Esquivant ensuite soigneusement leurs regards, celle-ci grogna tout en se redressant avec lenteur, l'exercice était difficile malgré le fait qu'elle se sentait bien plus légère depuis cette entrevue bénéfique partagée avec sa best. Ça faisait du bien, mais il fallait maintenant qu'elle souffle et digère. Pourquoi pas dans le canapé de sa piole ? Mark devrait s'y trouver, y avait moyen de passer une bonne séance déconnade pendant que les deux autres se déversaient. Elle n'était pas sans ignorer la tension entre eux et espérait que toute s'arrange alors qu'elle s'éloignait à pas décidés vers l'entrée du lycée. Les marches allaient être dures à monter mais le salut en valait la peine, une bouteille de vodka l'attendait, là haut.

J'les arrache à leur étreinte larmoyante. Et j'culpabilise sincèrement, planté devant elles comme un con, à n'plus savoir où me mettre. J'suis bien le premier, d'habitude, à tendre les bras pour consoler mes amis. Mais pour Roza, c'est différent. Elle me met constamment à distance par fierté, et je n'lui en veux absolument pas. C'est juste tel qu'elle est. Calypso m'autorise à les rejoindre, dans un air aussi gêné que le mien. Et la russe, sans surprise, s'esquive. Ça m'fait mal de l'entendre souffrir de ses blessures, d'voir ses traits trempés par les larmes. La rencontre avec ses anciens amis l'a complètement renversée. Et il n'y a rien que je puisse y faire.

J'déglutis, la laisse filer sans dire un mot de plus. Et quand elle s'est assez éloignée, j'me permets de prendre sa place. Pas évident de poser l'cul par terre quand  j'me soutiens sur une putain de paire de béquilles. J'me laisse doucement tomber, prenant soin de tendre la jambe blessée, et lâche un bref râle quand j'finis ma course un peu trop brusquement. "Fuck..." J'grince un peu, et pose les béquilles dans l'herbe à mes côtés. Il se passe bien quelques secondes d'un silence pesant, à chercher une position un peu moins inconfortable, avant que je n'tourne la tête vers Calypso. Les yeux baissés vers son poignet, toujours orné du bracelet blanc que je lui ai confié, il y a plus d'un mois. C'est le symbole de notre attache qui a tenu malgré tout, sans s'effiler. Je l'espère, du moins. Mais forcément, fatalement, ça fait également revenir quelques souvenirs malvenus. A l'échelle du temps, ça n'était rien qu'un soir, mais c'était le dernier, avant que notre complicité ne parte en éclats. C'était le début de quelque chose, qui est mort presque aussitôt.

"Comment tu..." vas ? Comme si mes neurones ne s'décidaient à se connecter qu'avec quelques secondes de retard, j'ravale la fin de ma question, trouvant la réponse évidente sur les traces salées qui perlent le long de ses joues. Bordel ; j'détourne encore les yeux, les plante sur l'étendue verte qui s'ouvre face à nous. "J'suis désolé d'être parti comme un voleur." l'excuse sort dans un débit rapide ; plus vite dit, plus vite j'en serai déchargé. J'grimace légèrement, et poursuis, "... et d't'avoir évitée jusque là." Calypso n'est pas conne, elle doit au moins percevoir, en surface, ce qui se trame. N'importe quel amant à peu près loyal aurait fondu dans ses bras à son retour. On aurait pu se retrouver dans les sourires, les étreintes ; mais tout s'est fait dans le silence.

J'me pince les lèvres, l'coeur serré tandis que j'approche du sujet dangereux. Impossible pourtant de l'esquiver pour toujours. Il faudra bien que je lui dise pour Selene. J'espère seulement, putain, qu'elle ne le prenne pas pour une trahison. Après tout, j'n'ai jamais voulu faire de mal, à qui que ce soit. J'ai juste un don pour me saboter tout seul, et foirer mon timing.

"Faut que..." j'te parle de quelqu'un, Caly. Ça reste coincé dans l'fond d'ma gorge, bien malgré moi. Alors, un peu pris de court par ma propre incapacité à m'exprimer franchement, j'essaie de m'rattraper comme je peux, maladroitement, "... j'récupère mon bracelet, enfin..." C'est pire, gros con, putain de merde. "... sauf si tu veux l'garder, j'veux dire, en soit j'm'en fous..." L'regard fixé dans l'vide, j'écarquille mes yeux, témoin de ma propre bêtise et des mots qui semblent franchir le seuil de mes lèvres sans logique aucune, sous l'effet du stress et des anti-douleurs. J'décide de faire une courte pause pour limiter les dégâts. Et j'reprends, d'un nouveau souffle et en lui avisant un regard désolé doublé d'un mince sourire, "Laisse tomber ok ? Raconte moi juste c'que t'as fait depuis l'temps." Et si l'intérêt est foutrement sincère, c'est également une lâcheté pour gagner un peu de temps.

Serrer sa meilleure amie contre soi, ça n'a pas de prix. Pas même si je lui faisais la gueule pour tout ça. Mais je crois que son récit avait heurté mon coeur de plein fouet, je la comprenais enfin. Sa décision était compréhensible, j'avais juste du mal à assimiler pourquoi sans moi. Mais je devrai y faire face, mettre tout ça de côté pour préserver notre amitié qui était la seule chose dont j'étais sûre dans ce monde merde. Nous sommes blotties l'une contre l'autre quand Eli débarque. J'sais plus vraiment où me mettre, j'sais pas vraiment si j'ai envie de lui parler. mais j'accepte finalement qu'ils nous rejoignent, ça sera plus simple avec la présence de ma poupée russe.

Mais ça ne se passe pas tout à fait comme prévu. Roza se relève tant bien que mal, je ne comprends pas tout de suite pourquoi. Elle s'en va pour nous laisser nous parler. Je la cherche du regard, putain je suis limite entrain de paniquer. Me laisse pas. Si je pouvais je le lui aurais crié. Mais je ne le fais pas, je dois affronter ça toute seule. Et puis ma russe n'a peut être pas forcément envie d'entendre ce qui va suivre. Eli s'avance vers moi, je me recule un peu comme pour me protéger. Il a du mal à s'asseoir, je m'apprête par réflexe à me relever mais visiblement il se débrouille sans moi. J'vais devoir m'y habituer. Je grimace en le regardant faire, sa souffrance est palpable et dans le fond ça me rend vraiment triste.

Sans suit un long silence bien gênant comme on les aime. Je remarque que quelque chose à changé, que notre complicité en a pris un coup. Et puis il lève ses yeux sur moi, je les sens. Il prend la parole, s'arrête en plein milieu de sa question. Je le regarde à mon tour, c'est tellement délicat que s'en est éprouvant. J'essuie mes larmes qui commencent à sécher sur mes joues et ne dis rien de plus préférant lui laisser le soin de se démerder. Il s'excuse finalement, j'ancre mon regard dans le sien pendant une fraction de secondes et détourne le regard. Moi aussi je t'évitais. J'sais pas pourquoi j'ai absolument voulu qu'il le sache, peut être pour lui montrer que moi aussi je peux avoir un caractère de merde, même s'il le sait déjà.

J'arrache quelques brins d'herbe comme je l'ai fait avec Roza au début de notre discussion. Il se remet à parler, j'attends une fois de plus la suite de sa phrase qui vient en retard. Je crois que j'aurais préféré qu'il se la ferme plutôt que de me demander ça. J'ouvre les yeux en grand, grimace d'énervement. Son bracelet genre vraiment ? Je reste quelques secondes sans voix, le laisse s'enfoncer encore plus dans ses explications de merde. Il termine par me demander ce que j'ai fait "depuis l'temps". Ma mâchoire se serre, j'suis à deux doigts d'exploser, il se fout de ma gueule c'est pas possible autrement. Ce que j'ai fait ? Genre vraiment ? Mon ton monte en puissance, j'essaie de me contenir mais c'est de plus en plus difficile. Et bien si tu veux vraiment savoir, j'ai commencé par restée comme une merde dans un coin pendant quelques jours... je m'attaque à son bracelet pendant que je lui parle ...et après je suis allée régulièrement dans la piaule de Roza pour lui vider ses bouteilles de vodka... je parviens à le retirer, je lui lance à la gueule ...et c'est finalement Finn qui m'a retrouvé un jour dans un état second dans ma chambre ! Voilà ce que j'ai fait, Eli. J'te déteste. Tu m'as manqué. Ces mots ne franchissent pas la barrière de mes lèvres.

J'me contente d'acquiescer bêtement quand elle avoue m'avoir évité, elle aussi. Bien, on s'comprend sûrement, alors. Et si j'ignore précisément ce qui l'a poussée à agir ainsi de son côté, j'me contenterai de rester dans le flou plutôt que prendre dans les dents quelconques paroles blessantes.

Pourtant, elles arrivent, déboulent suite à ma putain de maladresse. J'lève les yeux vers elle en entendant sa voix de nouer de colère. "Je..." Pas l'temps d'en caser une. J'déglutis nerveusement, r'garde le bracelet qu'elle s'acharne à vouloir enlever sans délicatesse aucune. La vérité, c'est que je n'me suis pas franchement inquiété pour elle. Pas dans ce sens, du moins. J'avais peur qu'elle parte, elle aussi, qu'il lui arrive quoi que ce soit. Mais je n'me doutais pas qu'elle sombrerait mentalement à cause de notre absence. Qu'elle irait se consoler dans les bouteilles de Roza. Que j'suis naïf, putain. On l'a complètement brisée, en l'espace de quelques semaines.

Le bijou en tissu vient claquer sans douleur sur ma pommette avant de retomber le long de mon T-shirt. J'le récupère au creux de celui-ci, le love dans mon poing. "J'pensais... qu'ça irait." J'réalise seulement, à peine. J'parle un peu plus rapidement, "Aodhan était pas supposé partir. J'pensais même vous r'trouver ensemble." Ensemble, en couple, en batiffolage ou je n'sais quoi. On s'comprend bien. Pas que cette pseudo-rivalité soit l'unique raison de mon départ, mais c'est certain : elle y a joué son rôle.

J'joue nerveusement avec le bracelet en l'étirant entre mes doigts. Les perles portent encore sa chaleur, sa présence. Damn. Finalement, l'groupe s'est complètement éclaté. Le professeur absent, le fossée qui m'sépare de Calypso et la distance émotionnelle avec la russe depuis notre altercation avec ses amis. J'sens la furieuse envie de rattraper la situation à coup de gros scotch et d'épingles à nourrices, mais ça n'empêchera pas les liens de se défaire.

"Tout ça pour que tu d'viennes potes avec Finn. Putain." Y a un écœurement savamment exagéré dans la prononciation de son nom. Pas que j'le déteste viscéralement. Mais c'type est pas loin de mon opposé parfait. Elle n'a rien à foutre près de lui. Soudainement conscient que la remarque n'arrangerait rien à mon cas, j'embraie, "J'suis désolé, Caly. J'ai fait l'con. J'suis con." J'chope le dos de sa main, lutte un peu pour la garder dans la mienne, la retenir le cul sur ce morceau d'herbe. J'veux pas qu'elle se lève et s'casse alors qu'on commence tout juste à discuter avec sincérité. "Tu pourras m'faire la gueule autant qu'tu voudras, ou m'en foutre une. Mais avant, faut que j'te parle." Ça m'serre la gorge ; j'relâche sa main, espérant qu'elle tienne encore en place quelques instants. L'temps de débaler ma faute.

"Pendant notre sortie, j'ai rencontré une amie de longue date. On a... un passif, ensemble, si on peut dire." Même s'il n'a jamais été question de tromper Kate avec Selene, son acharnement s'est faufilé jusque dans mon inconscient qui, lui, s'en donnait à coeur joie. "Elle est repartie de son côté, mais j'compte bien lui rester... fidèle, et finir par la retrouver." Ça sous-entendrait sans doute suffisamment pour ne pas avoir à expliciter davantage. J'm'en veux d'avoir possédé Calypso. De l'avoir cherchée, moi-même, pour que finalement... Ça n'donne plus lieu qu'à un nœud de sa haine et de mes remords.