Assit dans le fauteuil en cuir de son bureau, Davis peinait pour ne pas s'endormir. Depuis combien de temps était-il assit là ? Trop longtemps, et cela faisait une bonne demie heure qu'il ne faisait rien d'autre que profiter du petit ventilateur à piles qu'il avait placé juste en face de sa tête. La chaleur le faisait piquer du nez et, s'il savait pertinemment qu'il faudrait qu'il se bouge pour rentrer chez lui et affronter ce soleil de plomb plutôt que de rester au labo à faire acte de présence, il retardait pour l'instant l'échéance. Encore un peu. Soupirant légèrement, il fronça les sourcils en percevant des pas rapides qui se dirigeaient vers la porte du bureau, reconnaissant leur propriétaire même avant de le voir. Quelques coups à la porte avant qu'elle ne s'ouvre et que Sanders passe sa tête dans l’entrebâillement. « Doc, vous pouvez venir ? » Un nouveau soupire avant que Lawrence ne se penche en avant pour éteindre le ventilateur et se lève enfin pour suivre le jeune bactériologue jusqu'à son espace de travail. Là il l'écouta lui parler de ses constatations du jour sur un infecté tout frais qu'une équipe avait ramené la veille ; le virus devait avoir été activé un jour seulement avant qu'ils ne le trouvent et le virologue n'avait pas encore eu le temps de s'y attarder, étant constamment monopolisé pour des réunions avec Siobhán et Alec depuis quelques jours. Il avait donc laissé le soin à son sous-fifre de se charger de ce dernier arrivant, un enfant qui ne devait pas avoir plus de dix ans, et écoutait maintenant attentivement le compte-rendu de Chad. Des explications pas vraiment inédites mais qu'il s'appliquait à démontrer devant le regard inquisiteur de son supérieur. Hochant la tête, Davis agita ses doigts en direction des notes de Sanders. « C'est un bon début. Continue. » Le jeune homme ne s'attendant pas à une réaction plus enthousiaste de la part de son aîné le regarda s'éloigner avant de se remettre au travail ; au moins, il ne lui avait pas demandé de tout recommencer, de revérifier, ou même de laisser tomber, c'était déjà ça.

De retour dans son bureau, Lawrence se décida enfin à le quitter pour le reste de la journée et rentrer chez lui là où l'attendaient sans doute le thé glacé de sa jumelle et sa réserve de cannabis ; de quoi lui permettre de se détendre un peu avant de se replonger dans ses recherches ou dans ses réunions. Seul bémol : la demie-heure de marche nécessaire jusqu'à son domicile mais il n'avait clairement pas le choix s'il voulait décoller du laboratoire, c'était maintenant où jamais ; inutile de dire que s'il se rasseyait, il était foutu. Refermant la porte de son bureau derrière lui, le brun alla jusqu'à l'entrée du laboratoire, jetant un œil las au feuilles des arbres bien immobiles ; pas la moindre once de vent, même pas minime. Il s'engagea dans l'allée de terre, les mains dans les poches, faisant un petit détour pour se rapprocher de la côte et ainsi espérer avoir droit à une petite brise ; ou pas.

Après un peu moins de trente minutes, le virologue arrivait à nouveau aux abords des bâtiments habités, ne prêtant comme à son habitude pas attention aux personnes qu'il croisait ; c'était à peine s'il répondait à leurs salutations mais de toute façon, avec le temps, la plupart avait compris que Davis n'était pas de ceux facilement abordables. Laissant son regard traîner sur tout ce qui l'entourait, il croisa un court instant le regard d'Alejandra, cette psychiatre qui avait toujours l'air d'avoir quelque chose derrière la tête. Si Amanda lui vouait une certaine affection de par le métier commun avec leur mère adoptive, Lawrence, lui, avait beaucoup de mal avec elle et, comme pour tout les autres, gardait cette distance naturelle qui faisait sans doute qu'on le prenait pour un asocial. Ce qu'il était probablement d'un côté, mais il avait toujours été ainsi, incapable de créer de réels liens, alors à quoi bon vouloir faire semblant d'être quelqu'un d'autre ? Pour l'image ? Foutaises.

Alors qu'il s'appétait à détourner son regard, le virologue s'aperçut que la brune arrivait vers lui d'un pas rapide, comme déterminée à faire quelque chose dont il n'avait pas conscience. Fronçant les sourcils, il s'arrêta alors qu'elle arrivait à quelques mètres à peine de lui, la toisant de son regard indifférent. « Un problème, Rivero ? » Cette manie d'appeler la plupart de ses semblables par leur nom de famille devait en agacer plus d'un mais, une nouvelle fois, il n'en n'avait rien à faire et ne se formalisait pas le moins du monde de ce qu'ils pouvaient bien ressentir.

Les sourcils haussés, le quarantenaire attendait une quelconque réponse de la femme qui venait d'un seul coup de se planter devant lui. Tous deux n'avaient jamais réellement pris la peine de se parler alors oui, il ne parvenait pas à deviner ses intentions, et il sembla que le fait qu'il l'appelle par l'un de ses noms de la sorte ne lui plut pas tant que cela mais qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Il savait qui elle était, c'était déjà suffisant. Il tendit à son tour sa main afin de serrer la sienne, ne se défaisant toutefois pas de cet air indifférent, presque supérieur, et ce sourcil haussé. Elle avait quelque chose derrière la tête, c'était évident, et malgré son sourire engageant, le virologue n'était pas dupe. C'était une belle femme, assurément, et celui qui dirait le contraire devait n'avoir aucun goût alors oui, le brun ne niait pas ce fait, mais il n'avait jamais été de ceux qu'on achetait avec un sourire ou un joli minois ; il faisait ce qu'il voulait quand il le voulait, et ce moment ne dérogerait pas à la règle.

Quand elle lui proposa de marcher avec lui jusqu'au laboratoire, parlant d'un rendez-vous qu'elle avait non loin, Davis ne pu s'empêcher de froncer les sourcils. Elle se foutait de sa gueule, un rendez-vous près du labo ? Personne n'était établi là-bas ni même aux alentours proches. À moins qu'elle avait une sorte de rendez-vous caché dans les bois ? Qu'importait, la véracité ou non de ses paroles n'avait pas d'importance, il ne reprendrait de toute façon pas le chemin qu'il venait de faire. Secouant la tête, il lui adressa à son tour un air faussement désolé. « Vous m'excuserez, Madame Rivero-Quinn, mais j'en revenais justement et n'ai pas l'intention d'y retourner aujourd'hui. » Bien sûr, il n'en n'était pas réellement désolé, tout comme il n'avait pas hésité à accentuer l'appellation de la femme simplement pour la prendre un peu en dérision et lui montrer que non, elle n'aurait pas ce qu'elle souhaitait, qu'importait ce que ça pouvait bien être, pas de lui. D'un, la température déjà suffisamment élevée lui donnait juste l'envie de se poser dans une chaise longue et ne rien faire, de deux, il n'allait pas retourner au laboratoire juste pour le fun, même s'il y trouverait assurément des choses à faire. Et de trois : non. Il ne referait pas trente minute de marche juste pour les beaux yeux de la psychiatre.

Penchant légèrement la tête sur le côté de ce même air indifférent, le brun avait relevé légèrement le regard pour le planter dans le sien. « Je vous l'accorde, le trajet semblera bien plus long seule, mais vous êtes une femme pleine de ressources. Sur ce, bonne journée. » Toujours ce ton relativement ironique qui ne lui plairait sans doute pas mais qu'importait, il n'avait pas tort en un sens : si elle n'avait vraiment pas envie de faire ce trajet seule, elle se trouverait un autre larbin pour marcher avec elle. Et s'il était précisément la raison de son soi-disant rendez-vous, sûr qu'elle saurait aussi se montrer insistante. Mais Davis n'avait pas de temps à perdre avec de telles idioties, il avait à faire, comme par exemple se poser dans la véranda avec un verre de thé glacé, ou sur la plage avec un joint ; occupations de la plus haute importance après une journée de travail. Se détournant donc de la brune, il s'était remis à marcher en direction de son domicile.

L'expression déçue de la cubaine ne passa pas inaperçue aux yeux de Davis mais qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Il n'allait pas s'amuser à faire des kilomètres juste pour ces grands yeux larmoyants. Qui était-elle de toute façon pour lui ordonner cela ? Ils ne se connaissaient quasiment pas, n'avaient jamais pris la peine de discuter, alors non, le virologue n'avait pas la moindre empathie devant son comportement. C'était presque comme s'il ne la comprenait pas. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui foutre à elle qu'il accepte de l'accompagner ? Si elle avait simplement peur de se balader aussi loin du centre des habitations, c'était son problème à elle, pas à lui, et s'il y avait autre chose derrière, elle n'avait qu'à mettre des mots sur cet ''autre chose''. Le quarantenaire était comme ça, il ne marchait pas aux prétextes et aux tentatives détournées d'obtenir une quelconque attention. Elle voulait quelque chose, elle lui demandait, point.

Alors qu'il avait repris son avancée pour rentrer chez lui, il ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel en percevant les pas rapides qui se rapprochaient à nouveau de lui. Sûr que c'était elle, deux personnes différentes ne pouvaient pas se précipiter vers lui de la sorte dans le même laps de temps. Et en effet, un rapide coup d’œil sur la gauche lui permis de revoir le visage de la psychiatre qui ne se priva pas pour lui agripper le bras. Gardant les mains dans ses poches, Davis haussa un sourcil. Depuis quand avait-elle décidé d'être si familière avec lui ? Qu'importait. Ses sourcils se froncèrent cependant quand elle parla d'aller discuter chez lui. Elle s'invitait ? Comme ça, tranquillement, sans la moindre once de pression. C'était franchement aberrant. Mais soit, elle ne le lâcherait pas avant d'avoir eu ce qu'elle voulait, ses soi-disant ''appels'', alors autant régler les choses immédiatement, voir où elle voulait en venir et ils pourraient passer à autre chose. Reportant son attention sur le chemin d'un air un peu résigné, il ne pu empêcher un léger sourire étirer le coin de ses lèvres. « A croire que votre rendez-vous n'était pas si important que cela » avait-il lancé avec une ironie non dissimulée, exprimant de part cette pique qu'elle venait de griller sa soi-disant raison de se rendre aux alentours du complexe scientifique.

Environ cinq minutes plus tard, les deux étaient arrivés au domicile des Davis. Le brun n'eut qu'à tendre l'oreille pour percevoir les pas de sa jumelle quelque part à l'étage. Quelques secondes plus tard, Amanda était elle aussi dans le hall, toisant d'un air étonné la psychiatre puis son frère. Au vu de l'air blasé de ce dernier, elle n'eut pas à poser de question pour comprendre que quelque chose ne lui convenait pas et préféra ne pas s'en formaliser, adressant un sourire engageant à sa cadette. « Bonjour Alejandra ! Je ne fais que passer, à ce soir ! » Si le frère avait la manie d’appeler quasiment tout le monde par leur nom de famille, la sœur elle était nettement moins sur la réserve et nouait bien plus facilement des contacts, même insignifiants, avec ses semblables. Une fois la porte refermée, le virologue darda à nouveau son regard clair sur la cubaine. « J'imagine qu'avec une telle chaleur, je vous sers à boire ? » Il n'eut pas besoin d'attendre de réponse, se doutant que la réponse serait positive puisqu'elle ne semblait gênée de rien, et s'était déjà mis en route vers la cuisine.

Un sourire satisfait orné comme un collier de perles le visage de la cubaine. Peut-être, probablement même, qu'il n'appréciait pas qu'on lui force la main mais tant pis, elle lui avait laissée le choix. Observant les alentours quelques instants pour verifier que pour le moment personne ne les voyaient ensembles, elle retourna le regard vers lui avec une pointe de moquerie au bout des lèvres. Elle finissait toujours par l'emporter de toute façon. Lui résister n'avait aucun intérêt, elle était beaucoup trop adorable pour le laisser indifférent, comme tous les autres d'ailleurs. Passant devant la maison d'un de ses patients, la brune eut le réflexe de lui faire un petit coucou alors que le scientifique se permettait une remarque des plus ironiques. La seule réponse qui vint à l'esprit fut un léger sourire accompagné de quelques mots : "À croire que non il n'était pas si important, Davis." Profitant de ce triomphe des plus mérités sur le petit, et c'était le cas de le dire, scientifique, la cubaine se laissa porter par le vent longuement sur le retour. Elle profitait du silence que laissait planer le plus jeune des deux jumeaux pour se reconcentrer sur elle-même et sur les arguments qu'elle pouvait lui faire valoir.

Arrivant à la maison des Davis, elle observa avec des yeux émerveillés la jolie maison que partageait les jumeaux. Fallait-il dire que si Lawrence était un rustre niveau socialisation, Amanda, elle, savait recevoir mieux que quiconque. Retirant son bras lorsqu'enfin le scientifique s'approcha de la porte, elle pénétra à l'intérieur de la maison familiale en compagnie d'un des maitres des lieux qui ne semblait même pas être mécontent de sa présence. Comme quoi être une belle princesse pouvait bien servir quand il le fallait. Observant les lieux, elle croisa le regard au bout de quelques minutes d'une jolie petite demoiselle brune aux même yeux bleus que le virologue et dont le visage n'était pas inconnu à la psychiatre. Souriante face à la Davis, elle lui fit un bonjour de la tête et un au revoir du sourire pour seule réponse, notant au passage ses regards vers son frère.

Plantant son regard dans celui de son hôte lorsque celui-ci lui demanda ce qu'elle voulait consommer, elle s'approcha de lui. "Quelque chose que tu trouveras assez fort pour qu'on se supporte pendant quelques heures." Glissant sa main le long de la manche du scientifique, elle fit demi-tour direction ce qui semblait être la salle de séjour. Bon, elle était probablement la pire invitée que les Davis n'aient jamais pu avoir mais elle voulait absolument ce qu'elle était venue chercher. Elle voulait comprendre ce qu'elle avait vu et qu'importait de devoir déranger un brillant scientifique. Trouvant son bonheur et une salle resplendissante de luminosité, elle s'installa elle-même sur un siège présent, se recroquevillant et profitant de la lumière du jour pour continuer de tisser lentement la toile dans laquelle le scientifique tomberait à coup sûr.