Déjà dix jours...Dix jours depuis la maudite séparation, dix jours que le barbu et la russe étaient de nouveau seuls sur la route. Heureusement pour eux la providence les avait menés jusqu'à une cabane de pêcheur en bord de rive, isolée des grands axes. Cela avait permis à Roza de reprendre des forces après les mésaventures qu'ils avaient rencontrées sur le pont et qui non seulement n'avaient pas arrangé l'épaule de la slave mais qui surtout les avaient marqués à jamais.
Cette petite période de "repos" ne fut pas la panacée mais Mark y trouva son bonheur, une canne encore utilisable et une bobine de fil de pêche. Il avait alors pu mettre à profit ses compétences et était parvenu à subvenir à leur besoin de nourriture. C'est comme si la perte de sa perche de manutention pendant le drame précédent avait été compensée par cette miraculeuse substitution.

Quoi qu'il en était les deux compères marchaient en direction du Georgetown, le refuge qu'ils avaient quitté en compagnie des latinos une quinzaine de jours plus tôt. Plus leur destination s'approchait et plus Roza accélérait le pas, Mark avait bien conscience de sa volonté de retrouver Eli comme promis à l'hôtel mais il réfrénait ses ardeurs comme il le pouvait, elle avait déjà eu un malaise sur la route, ce n'était pas le moment d'en faire un nouveau si prêt du but. D'ailleurs  il lui avait presque intimé l'ordre de finir sa part de poisson séché tranquillement à l'ombre et à l'arrêt, mais non, elle avait voulu tout engloutir en marchant en plein cagnard, et la voilà maintenant à se tenir le ventre tentant de faciliter sa digestion.
Alors qu'ils furent enfin à portée de vue de l'hôtel, la porte d'entrée s'ouvrit d'un coup et une personne venait à leur rencontre jusqu'à ce qu'une seconde la retienne. Mark aurait sans doute fait la même, il n'était pas utile de courir dans la rue alors que les deux routards arriveraient seulement quelques secondes plus tard. C'est Roza qui reconnu rapidement la coureuse, London, Mark lui reconnu le second, Bateson, avec qui il était en froid depuis qu'il avait failli l’amputer d'un bras à coup de climatiseur pendant l'attaque de la horde au lycée.

- "Et y'à Bateson aussi..."

Le docker et la tatoueuse arrivèrent donc enfin sains et saufs au refuge tant espéré et les retrouvailles furent chaleureuses, même avec la pseudo victime de Mark.

- "Rah on est contents de vous voir !! Ça fait plaisir de voir enfin des visages amicaux !"

Le grand sourire de Mark à l'intention de London et de Valeria, se transforma en simple signe de tête à Bateson, c'était déjà ça.

- "Rassurez-vous on traine pas de rôdeurs à nos basques !"

Comprenant bien vite lui aussi que les latinos n'étaient pas présents il se tourna immédiatement vers la tatouée qui commença à péter son câble, celle qui avait tant d'espoir dans les retrouvailles avec Eli se décomposa sur place et repris le chemin inverse pour crier son désarroi à l'extérieur...Pas une très bonne idée.

- "Oh Putain..."

Le barbu lui courut après et alors qu'elle braillait à s'en rompre l’œsophage, Mark la souleva de terre sans ménagement et la fit rentrer de force sans qu'elle puisse toucher pieds au sol.

- "BORDEL ROZA ARRÊTE CA !"

Il la lâcha alors sur le fauteuil du hall d'entrée sur lequel elle jouait aux cartes avec son compagnon mexicain plusieurs jours plus tôt.

- "Calme toi, tu vas pas le faire revenir en rameutant tous les infectés du coin !"

Il se retourna alors vers Valeria lui demandant de refermer la porte d'entrée, signe évident que personne d'autre n'était attendu pour le moment. Et il s'adressa à London comme pour s'excuser.

- "Désolé...On est seuls...On devait retrouver Eli, Lis et Alma ici, on a dû se séparer sur la route de Tacoma, mais apparemment.....Vous n'êtes que vous trois ? Ton frère ne doit pas être loin j'imagine ?"

Il n'osait pas s'asseoir et restait près de la russe, prêt à la remettre à sa place si sa rage revenait à l'écoute de la réponse de la jolie brune.

J'avais décidé de pioncer un peu, histoire de faire passer le temps plus vite. C'est pas qu'on s'emmerder depuis le départ des autres, mais j'avais plus personne à cogner moi... Alors entre les jérémiades de Finn et son accent de merde, le militaire sans intérêt et les deux autres neuneus, je préférais ronfler un coup, c'était plus utile. London était bien gentille, mais tu vois le genre de gamin pendant un voyage qui demande sans arrêter quand est ce qu'on arrive ou qu'il dit toutes les cinq minutes qu'il a envie de faire pipi ? Bah c'était un peu le même principe là, et vu que c'est ton gamin, tu peux pas lui dire de fermer sa gueule parce que t'en as rien à branler de son envie de pisser et qu'au pire, il a qu'à ouvrir la fenêtre et pisser en roulant. Mais non, c'est ton gamin, il est tout petit et tu lui dis juste « Bientôt » en souriant. Ca faisait une semaine que je lui disais bientôt à London et j'en avais marre. Certes on avait bien fait d'attendre au final, on en avait récupérer quatre, mais maintenant on allait attendre combien de temps avant de partir ? Enfin tu sais ce que c'est le mieux dans leur arrivée ? London avait reporté ses questions sur Bateson, ah ah.

J'avais donc pris une chambre à part, histoire de pas les entendre et de dormir du mieux possible. Ca faisait peut être une heure que je dormais, peut être moins, toujours est-il que ce n'était pas plus... Une dégénérée du cerveau venait de hurler à la mort dans la pièce d'en dessous, non mais on est où là ?! Me frottant les yeux rapidement, j'enfilais mon haut et descendis en trombe, arme à la main. J'ouvris leur porte et mis en joue presque tout le monde avant de voir qu'il n'y avait aucun danger. Rien n'avait changer, juste Roza et Mark en plus...

Non mais tu vas pas fermer ta gueule toi ?! La putain d'ta race, on est en plein centre ville, y'a des bordels qui trainent les rues de partout et toi tu trouves rien d'mieux à faire que d'ouvrir ta putain d'gueule pour hurler ?!

Je rangeais mon arme à sa place et allais ouvrir la porte pour regarder dehors en mode venère, on avait pas de jimboz en vu mais ça n'allait sûrement pas tarder. Montrant le dehors à Roza, je lui indiquais la direction.

S'tu veux crever, tu fais 200 mètres par là et tu hurles comme une gogole. La prochaine fois j't'en colle une.

C'pas comme si ça me démangeais de lui en coller une maintenant, mais elle ne gueulait plus, alors bon.. C'est un peu comme les chiens t'sais, si tu leur fous une branlée deux heures après la connerie, ils savent pas pourquoi, donc ça sert à rien. Je regardais tout le monde dans la pièce puis claquais la porte moyennement fort, tout façon c'pas comme si elle avait déjà alerté la moitié du quartier.

Shit for real yo !

Ouais, elle venait de me lever du mauvais pied... Un verre, il me fallait un verre de quelque chose.

Décomposée, c'était clairement le terme qui pouvait la qualifier tant le mal qui lui rongeait les tripes était puissant. Mark vint tout de même essayer de la tirer de sa torpeur mais il n'y avait rien à faire : la tatouée était clouée au sol. De là, il prit soin de la porter pour la ranger confortablement à l'intérieur et s'assurer qu'elle ne fasse pas plus de bordel qu'elle n'en avait déjà fait.

Tout ce qu'il lui soufflait entrait par une oreille et sortait aussitôt par la seconde et il en fut de même pour les dires de Trey qui lui grognait dessus avec un ton qui avait le don d'en dire long. Écouter ce qu'on pouvait lui cracher à la gueule n'était pas à l'ordre du jour, il n'en était pas encore question. Elle se contenta alors de lever silencieusement son majeur dans la direction du rappeur et ce sans même lui adresser le moindre regard. Ça devait être suffisant et assez éloquent comme réponse.

C'était sans compter sur la voix de Finn ainsi que le contact de London sur sa main encrée qui purent enfin l'aider à sortir de sa torpeur. Quelque peu honteuse, elle vint alors bien doucement hocher de la caboche vers la métisse en ravalant difficilement sa salive et le peu de fierté qu'il lui restait pour hisser son menton vers eux.

"Rrravie de vous rrretrouver également. M'ça fait du bien." Il fallait avouer que le simple fait de les revoir avait cette faculté d'aider à surmonter la perte de la bande de mexicains. Un timide sourire vint donc s'inviter sur ses traits et elle rabaissa aussitôt son museau vers la table face à elle.

Plus personne ne viendra comme le souligna si bien son amie la métisse et l'idée mit un temps à émerger dans le cervelet de la russe qui finit par souffler avec lassitude : "Il y a un camp... verrrs l'Est... pas trrrès loin d'ici. On peut toujourrrs tenter le coup." Retrouver un petit nid douillet stable là où la mort ne rodait pas au seuil de la porte lui manquait grandement, elle n'allait pas le nier.

Une révélation pareille méritait cependant un minimum d'explications et elle prit une profonde inspiration avant de reprendre sans quitter de vue la table qu'elle contemplait."J'ai rrrencontré une femme avec une bonne drrroite dans le centrrre y a quelques mois. Elle était pas mal alors on a fait amie amie." Inutile de souligner qu'elles s'étaient toutes les deux tapées sur la gueule avant de sympathiser. "Et elle m'a donné un emplacement pour la rrretrouver si... si jamais tout se barrrrait en couille d'mon côté." Et c'était clairement le cas à l'heure actuelle. Qu'ils suivent ou non, pour sa part, elle était bien décidée à s'y rendre maintenant que l'espoir de retrouver cet abruti de mexicain s'était éteint. "Je vais y aller... dans tous les cas, je la sens bien cette fille. M'alorrs, si ça vous botte... dites le." Les laissant ainsi à leur réflexion, elle vint se saisir du paquet de cigarette défoncé qui reposait dans la poche de son baggy troué pour vite s'allumer une tige à l'aide de son fidèle zippo sans trop oser en ajouter davantage.