Stanley marchait d’un pas trainant et fit un mouvement de tête poli en croisant un résident de Fort Ward. La rue était sombre, la nuit était déjà depuis longtemps tombée. Les jours ne cessaient de décroitre alors que l’été passait. Le jeune homme rejoignait tranquillement les baraquements, là où il résidait. Il venait de passer la soirée en compagnie de Paige… et de sa famille ! Oui oui… argh décidemment plus les jours passaient et plus cette relation paraissait compliquée. Il fallait jongler non seulement avec les états d’âme de la jeune fille – et ses réticences - mais aussi avec la présence quasi constante de ses proches. Quelle plaie ! Même au lycée, Stan ne se souvenait pas avoir autant trimé pour réussir à voir sa copine de l’époque dans de bonnes circonstances. Il ignorait encore où tout cela le mènerait, mais son enthousiasme initial était doucement en train de décliner.

Il se frotta l’arrière du crâne et soupira. Pour tout dire, il n’avait pas réellement envie de retrouver sa piaule minable. Il savait que Graham ne serait pas par-là, ils s’étaient croisés en poste dans l’après-midi, et Eddie, à cette heure, serait certainement déjà au lit. Quelle option lui restait-il ? Il ralentit en passant devant la baraque où logeait Simmons. Une pièce au rez-de-chaussée était éclairée. Depuis combien de temps les deux garçons n’avaient pas discuté ? C’était toujours un peu le hasard qui les faisait se rencontrer et refaire le monde en fin de soirée. En dehors de ça, ils ne se fréquentaient jamais. Le jeune homme se mordit la lèvre inférieure, hésitant, puis il haussa les épaules avant de se diriger vers la bâtisse. Au pire, il se ferait envoyer balader.

Il se glissa ainsi dans le jardin de la maison et rejoignit l’entrée, non sans jeter un coup d’œil voyeur par la fenêtre d’où provenait la lumière. Pour s’assurer qu’il ne se trompait pas d’adresse, de un. Et qu’il ne dérangeait pas outre mesure, de deux. Mais l’homme lui sembla seul, affairé à il ne savait trop quoi. Il frappa tout en appelant celui-ci à demi-voix.

- Mason ? Il était rare de se faire déranger à cette heure. Quand ce dernier ouvrit, il le salua d’un sourire. J’te dérange pas ? Tu m’dis si tu comptais aller au lit. Mais j’passais par-là, j’ai vu la lumière. J’me suis dit que ça faisait un bail. Il haussa une épaule.

Il avait tout résumé, ça n’allait pas plus loin. C'était juste une invitation à se poser ensemble et causer un peu. Si l'ancien pilote en avait le temps. Et l'envie.

Il s'y était pas attendu à cette heure-ci et clairement il avait sursauté. Bordel, il aimait pas quand on lui faisait ce genre de frayeur. Il regarda la porte d'un air interdit alors qu'il poussait un soupire profond. Vu comme ça, il avait pas l'air réceptif à la proposition de Stanley. Il avait sans mal reconnu la voix de l'homme de l'autre coté de la porte. Mason avait l'air à la fois épuisé, au bout de sa vie, et totalement à coté de la plaque. Ce qu'il était en train de faire depuis quelques heures étaient de feuilleter un manuel d'aviation, un livre minable qu'il avait récupéré lors d'une mission, un livre qui lui apprenait rien de ce qu'il ne savait déjà au final. Mais cette nostalgie dans laquelle il s'était plongé l'aidait à calmer son esprit. Il était tellement énervé de sa journée. Depuis le retour des blessés, ça ne parlait plus que de ça, le pillage de ce lycée, les morts agglutinés. Si ce qu'il avait fait là-bas ne risquait pas de quitter sa mémoire, c'était bien parce que tout le monde en parlait. Ça l'énervait et les gens n'apportaient rien de neufs dans ces discussions.

Après un moment de silence, il jugea utile de ne pas faire attendre plus longtemps son interlocuteur nocturne et alla ouvrir la porte qui avait été bel et bien verrouillé à double tour : Tu sais, quand on voit une lumière,ça veut pas toujours dire entrez, surtout chez moi. Marmonna t-il avec toujours son même air renfrogné. Il guetta la ruelle qui semblait vide, Stanley était-il réellement en train de se faire un petit footing nocturne, aucune idée... Ça le regardait pas après tout, tout le monde faisait des mauvais rêves après tout. Il se décala sur le coté pour montrer qu'au final, malgré son commentaire hasardeux il acceptait qu'il entre puis poursuivit sur un ton peu monocorde :

J'dors jamais à cette heure-là. Viens entre, je sais pas ce que tu bois mais j'ai plus grand chose dans ma réserve personnelle alors je choisirais pour toi.

Il n'était pas du genre égoïste pour ce genre de chose mais il appréciait quand les gens ne venaient pas les mains vides. Après tout, très peu de personne m'était les pieds ici. Abby était parfois de passage, Lawrence quand il avait envie de le réveiller à deux heures du matin.

Il n'était pas pour un peu de compagnie. S'il côtoyait pas souvent Stanley et que leur relation était tout ce qui il avait de plus neutre, il l'emmerdait pas autant que les autres. Qu'est-ce qui t'amènes ? T'as fini ton tour de garde et tu t'ennuies ? T'es pas le genre à venir causer quand tout va mal alors je suppose que c'est juste une visite de courtoisie. Qui franchement ici avait envie de venir parler avec Mason Simmons ? Peu de gens s'y risquait, peu de gens en avait envie. Il pouvait pas dire que ça lui déplaisait que les gens ne viennent pas naturellement vers lui. Ça l'arrangeait assez mais... même s'il voulait pas l'avouer, parfois ça lui manquait de parler avec des gens, de causer de ses journées merdiques... Et Lawrence était pas toujours libre avec son travail dans ce labo. Alors, d'une certaine façon, Stanley le tirait de sa condition d'ermite et ça l'arrangeait sans qu'il ne le montre par des explosions d'amitiés et de joie. Il appréciait le coté gamin de Stan, et il causait pas mal pour deux aussi. Mason tira deux verres pour les poser sur le bar. Du Rye Whiskey, j'ai que ça à t'offrir. Et il versa cinq centimètre dans chaque verre.

Stan avait donné une opportunité au trentenaire de l’envoyer promener. Un « pas maintenant » suffisait et loin de lui l’idée de s’imposer. Mason mit toutefois un temps fou à apparaitre et se décider. Son silence, comme sa tête de déterré, n’annonçait rien de très engageant. Mais le jeune homme ne s’en formalisa pas. Son visage afficha même un sourire légèrement amusé. Il ne put s’empêcher d’ajouter :

- Toi, t’as une tête à vouloir te changer les idées ! Et Mason l’invita à entrer. N’importe, rien du tout même, t’embête pas. Ok ok, ce sera très bien, répondit-il aux remarques de son hôte sur ce qu’il pourrait boire. Il le suivit jusqu’au salon. Ouais, j’étais du côté de Belfair, chez les Russo, je rentrai juste. Il fit un mouvement dans la direction de la maison où la famille de Paige avait élu domicile.

Il se doutait que son interlocuteur n’avait absolument pas entendu parler de sa romance avec l’ainée des deux filles de la famille. Les ragots n’étaient certainement pas sa tasse de thé. Au contraire même, l’ancien pilote semblait avoir à cœur de se tenir à l’écart des gens et du monde. Pour preuve, son seul ami était le type le plus antipathique du quartier. Quelle idée ! Pourtant, Stan s’était déjà confié à lui sur ses amours passés. Lui seul connaissait l’existence de Sherry par exemple et de leur lien si particulier.

Le militaire prit le verre que lui servit Mason et fit tourner le liquide ambré entre des doigts.

- C’est pas mal chez toi. T’es peinard, déclara-t-il simplement pour discuter. Ce n’était pourtant pas une chose qu’il lui enviait. La preuve, il préférait squatter ici que de rentrer chez lui, où tout serait trop calme à son goût. Alors dis-moi, quelles sont les nouvelles de ton côté ? Il s’en est passé des choses depuis la dernière fois qu’on s’est causé ! Il hocha la tête à sa propre remarque. Il était inutile de mentionner toutes ces choses, elles étaient toutes en rapport avec l’attaque du lycée. Enfin probablement, il n’était pas non plus lui-même toujours au fait des petites histoires de chacun.

Les deux hommes avaient eu l’occasion de sortir une ou deux fois ensemble depuis les évènements ceci dit. Mais ce n’était jamais dans ces conditions qu’ils discutaient.