Bien sûr qu'il s'y était attendu, à devoir supporter les reproches de sa cadette. Il s'y était attendu et pourtant ils faisaient mal. Pire que tout : Nigel était tout bonnement incapable de contrer ses dires pour la simple et bonne raison qu'elle avait raison. Il aurait pu lui laisser un mot, un signe, n'importe quoi qui lui aurait prouvé qu'il était encore en vie. Mais il ne l'avait pas fait, bien trop aveuglé par sa propre volonté de la retrouver coûte que coûte. Il l'avait été du moins, jusqu'à ce que l'espoir laisse place à un vide béant et qu'il soit incapable de savoir pourquoi il continuait à avancer chaque jour. Il avait baissé les bras oui, et il se doutait bien que la situation de la jeune femme avait dû être des plus compliquées. Néanmoins, le fait qu'elle parle des types qui l'avaient arrachée à lui ne rendit que la chose plus compliquée. Que lui avaient-ils fait ? Comment s'en était-elle sortie ? Combien de temps ? Des tas de questions et d'images qui tourmentaient désormais l'écrivain, ne laissant transparaître dans son regard que la peine, l'impuissance et la culpabilité. Sans doute aurait-il dû se relever face à ces types, se relever même lorsqu'ils l'avaient mis à terre et laissé pour mort. Il aurait dû se relever. Quitte à devoir mourir pour de bon sous leurs coups. Au moins n'aurait-il pas eu à affronter la haine dans le regard de sa petite sœur.

Malgré les errants qui avaient remarqué leur présence, Hannah semblait bien décidée à mener cette discussion jusqu'au bout et, surtout, à enfoncer encore plus le couteau dans une plaie désormais redevenue béante. L'ayant alors lâchée, le brun s'était contenté de la regarder sans mot dire, complètement désemparé face à toutes ces vérités qu'elle lui mettait dans la figure. Inutile de préciser que la blondinette avait toujours su avoir les mots les plus tranchants, en cet instant plus que jamais et, à peine ses lèvres s'entrouvraient-elle pour laisser passer ces mots que l'aîné avait le sentiment que des milliers de lames venaient taillader son corps. Les mots pouvaient être bien plus destructeurs que les actes, et Hannah devait bien s'en rendre compte.

Devant l'urgence de la situation cependant, ils avaient fuit le coin, suivis de près par Marvin qui tâchait de ne pas quitter son maître d'une semelle. À peine furent-ils arrêtés que la plus jeune reprit sur un ton toujours aussi acerbe, lourd de rengaine et d'une haine que Nigel ne pouvait que comprendre. Sans doute aurait-il réagi de la même manière s'il s'était retrouvé à la place de la jeune femme, mais il ne l'était pas, et il devrait encaisser toutes les merdes qu'elle avait vécu depuis un an, à cause de lui. S'étant tourné vers elle à ses mots, il n'avait retenu un soupir plus résigné qu'agacé avant qu'elle ne se mette à le pousser en arrière. Et là aussi, il se laissait faire. Qu'elle décharge sa rage, sa haine, ses peurs, elle ne parviendrait de toute façon pas à réfléchir correctement en gardant en elle tout ce qu'elle avait emmagasiné depuis tout ce temps.

N'ayant même pas le temps d'en placer une, le brun la laissait déblatérer ses reproches, dire ce qu'elle avait à dire, et seulement après il parlerait. Si du moins il y parvenait. Autant dire que l'émotion de la retrouver était forte et, si elle ne s'était pas énervée de la sorte, sans doute n'y croirait-il pas encore tout à fait. Mais outre le soulagement et la joie de la voir bel et bien en vie, en face de lui, la culpabilité était insoutenable, assombrissant son regard déjà noir alors qu'il se passait une main lasse sur le front. C'était elle qui lui courait après depuis tout ce temps. Il ne pouvait le nier. Mais pouvait-elle seulement comprendre que s'il s'était borné à la chercher un jour de plus il en serait mort ? Qu'il l'avait même été, à l'intérieur, dès le moment le temps s'était attelé à réduire son espoir en bouillie ? Peut-être, peut-être pas, ce n'était pas le moment d'avancer ce sujet. Une phrase lui fit cependant froncer les sourcils. Ainsi donc Hannah avait croisé la route de Kerwan ? L'écrivain ne doutait pas que l'agent immobilier avait aidé la blonde, tout comme il avait été pour lui d'une écoute attentive.

La voyant alors lui tourner le dos, il avait inspiré profondément, restant figé quelques secondes avant d'ouvrir la bouche puis de la refermer. Il avait finalement rompu la distance qui les séparaient, posant une main sur son épaule pour qu'elle lui fasse face avant de déposer ses mains sur ses joues, encadrant son visage pour planter son regard dans le sien. « Je n'en pouvais plus de passer chaque jour à espérer te retrouver alors que le monde, tout ce qu'on a connu, tombait toujours un peu plus en ruine. Je n'en pouvais plus. Tu peux le comprendre ça ? » avait-il demandé d'une voix bien plus douce que celle de la jeune femme, presque démunie. « Te perdre m'a complètement détruit, Hannah, au point que je me demande moi aussi ce que je fais encore là aujourd'hui. » Marquant un temps de silence, il avait soupiré avant de reprendre. « Je sais que ça a été encore plus difficile pour toi. Je le sais... » Sur ces mots il l'avait doucement tirée contre lui, l'enserrant d'un bras alors que l'autre vint de loger dans ses cheveux. « Je suis désolé, même si c'est trop tard... je suis tellement désolé de n'avoir pu être là » avait-il soufflé d'une voix étranglée, fermant les yeux pour contenir le trop plein d'émotions qui l'habitaient en cet instant.

La négation catégorique de la jeune femme n'avait pas ébranlé le brun, du moins pas en apparence. Il avait continué à lui exposer la situation, de qu'il avait ressenti, puis ce qu'il ressentait désormais, tout pour ne pas laisser le temps à la blondinette de lui balancer d'autres atrocités mais, au fond, elle y était déjà parvenu. Et ce simple non avait été aussi difficile à encaisser que tous ses autres reproches. Mais il refusait de se laisser démonter et de prendre le risque qu'elle lui file entre les doigts, pas maintenant qu'il l'avait retrouvée, pas alors qu'il avait tant de questions et de temps à rattraper. Certes, le temps perdu ne se rattraperait jamais, rien n'effacerait ce qu'il avait vécu sans elle, ce qu'elle avait traversé sans lui, mais elle était là maintenant, devant lui, et c'était ce qui importait le plus à ses yeux.

À la fin de ses mots, le brun avait laissé planer un court silence, la gorge nouée sous un mélange de joie, de culpabilité et de colère. Les mots de Hannah libérèrent cependant de son cœur un poids qui avait été bien trop étouffant alors qu'il la serrait un peu plus en la sentant trembler et fondre en larmes. « Moi aussi » avait-il simplement soufflé, sentant également une larme rouler sur sa joue. Il avait perdu l'espoir de la retrouver il y avait bien longtemps déjà et, pourtant, cette larme était bien la preuve qu'il s'était totalement fourvoyé en se persuadant qu'elle n'était plus. En cet instant et malgré tout ce qui était arrivé, il était heureux de l'avoir enfin retrouvée, comme un miracle auquel il ne croyait plus, auquel il ne s'était plus permis de croire parce-que dans ce monde, ceux qui gardaient l'espoir étaient fous et tous finissaient par être détruits par cet espoir. Les nouveaux mots de la jeune femme lui arrachèrent un bref rire alors qu'il hochait la tête. « Tu as mon aval si ça arrive » avait-il répondu sur un ton presque léger, bien conscient cependant qu'elle ne devait plaisanter qu'à moitié mais une chose était sûre : il n'avait aucune intention de la quitter maintenant qu'il l'avait enfin retrouvée.

Relâchant doucement son étreinte, l'écrivain avait laissé sa cadette se reculer un peu, posant sur elle ce regard bienveillant gorgé de toutes les émotions qu'il ressentait en cet instant, un faible sourire étirant les commissures de ses lèvres. Il prit le temps de la regarder. Avait-elle changé ? Assurément. Elle avait quelque chose dans son regard qui prouvait qu'elle avait grandi, bien trop vite et sans doute bien trop difficilement au vu de tous les dangers qui regorgeaient désormais le monde. Hannah avait changé. Mais, malgré tout, elle restait aux yeux du brun la petite fille qu'elle avait toujours été, cette petite sœur qu'il avait sans doute trop surprotégé au début de tout ce cauchemar. Et elle avait réussi à s'en sortir, sans lui. Une preuve de plus qu'elle était bien plus forte que ce qu'il aurait pu penser et, en un sens, Nigel était fier d'elle, fier de la voir toujours debout et de voir la personne forte qu'elle était devenue malgré elle.

Souriant un peu plus lorsqu'elle lui accorda un baiser sur la joue, il avait hoché la tête. « Tu m'a manqué toi aussi » avait-il répondu avant de hausser un sourcil en percevant son air un brin plus sérieux. Juste un brin, parce-qu'elle gardait cette expression rayonnante qui était la sienne et ne semblait pas avoir été brisée par les horreurs du monde. Sa question le laissa une seconde pantois avant qu'il ne secoue la tête. « Nous avons un abri dans le quartier universitaire depuis quelques mois déjà, il y a quatre autres personnes avec nous, dont cette chanteuse que tu aimais bien, Miracle. Elle est infecte » avait-il ajouté sur un ton qui se voulait un peu amusé malgré ses propos sérieux, comme si l'information pouvait avoir une quelconque importance dans son explication. Il reprit cependant rapidement son sérieux, replantant ses prunelles sombres dans celles de sa cadette. « Et toi ? Tu es... seule ? » Si en un sens il craignait qu'elle ne le soit pas, il avait tout autant peur d'entendre que la jeune femme avait évolué toute seule depuis tout ce temps, sans personne sur qui se reposer, sans aucune attache.

C'est peut-être très bête, mais entendre que je lui ai manqué me fait du bien. Ça semble évident, mais entre savoir et entendre, il y a un fossé, non un gouffre même ! L'effet n'est pas le même. Bien que j'y connaisse pas grand chose en la matière, je suppose que c'est pareil en amour, on sait que l'autre nous aime, mais si elle nous ne le dit plus du tout, on ressent forcément ce manque... Enfin, je suppose... Et n'allez pas croire que je suis amoureuse de Nigel hein ! Je l'aime évidemment, mais de manière tout à fait normale dans une relation entre frère et sœur quoi. Bref, tout ça pour dire que ça me fait chaud au cœur.

Puis, quand je lui demande s'il est seul, mes yeux s'écarquillent et ma mâchoire tombe. Il est avec Miracle !!! Non, mais attendez, vous ne vous rendez pas compte, c'est THE star quoi ! « Une seconde... Tu dis ça pour me taquiner, c'est ça ? Hein?! » mon ébahissement laisse place à un visage d'enfant ayant un énorme sourire et un regard de chien battu version chat potté, mêlant espoir et envie que ce soit bien vrai. Dicky opine alors et dans la seconde, je me mets à trépigner toute excitée à l'idée de la rencontrer enfin. J'adore cette fille, je la trouve magnifique et ses chansons le sont tout autant. Je tape des pieds avant de me stopper net en repensant à ce que mon frère avait dit à la fin. « Quand tu dis infecte... T'entends quoi par là? » Pas que je doute totalement de ce qu'il me dit, mais il doit penser ça parce que c'est une nana, rien d'autre.

Nigel me retourne la question avec un air bien plus sérieux. « Oui, Monsieur ! Seule de chez seule ! – dis-je tout d'abord en affichant la même mine que lui l'espace de deux petites secondes pour lui laisser le temps d'y croire – Mais non, je plaisante ! – petits ricanements un peu fiers – Nan, je suis avec des amis ! Enfin, pas des amis d'avant, mais de maintenant quoi. Il y a d'abord eu Kaycee, ensuite Roxanne et depuis peu Lee et sa petite-sœur, mais j'ai encore un peu de mal avec eux, je sais pas pourquoi. » ajoutais-je avec un petit haussement d'épaules. Je continue toujours enjouée. « On est pas très loin d'ici, et non, je te vois venir, d'habitude on évite de faire des sorties en solo, mais j'avais envie de me sortir les doigts du cul ! Puis, les filles sont super sympas, un peu plus jeunes que moi, mais on s'entend super bien ! Elles sont plus douées que moi pour ce qui est de la survie d'ailleurs... Par contre, elles... » je m'arrête en réalisant doucement l'impact et les changements qu'apporteront les retravailles avec Dicky. Elles détestent les adultes à un point presque inimaginable et lui en est un. Mais maintenant qu'on s'est retrouvé, il est hors de question d'être de nouveau séparés.

Je regarde dans le vide, obnubilée par ces pensées. Est-ce qu'elles accepteraient de venir ? Et est-ce que le groupe de Nigel nous accepterait ? « Dis, dans l'hypothèse où elles voudraient venir, tu crois que ça ne poserait pas de souci avec ceux avec qui tu es? » Ma voix est bien plus calme avec une pointe de tristesse en arrière plan car je n'ai pas envie de devoir faire un choix. De toute manière, peu importe la réponse de mon frère, si la petite bande veut venir, elle viendra et c'est tout... Mais j'ai quand même un petit, pour ne pas dire énorme, doute sur ça.

Évidemment, la nouvelle que l'écrivain survivait avec Frances avait fait naître sur le visage de la blondinette une joie sans nom et, automatiquement, l'aîné n'avait pu s'empêcher de sourire d'un air à la fois amusé et bienveillant. C'était bon de la voir comme ça, de la voir sourire, et ce malgré tout ce qu'elle avait dû traverser pendant une année. Aussi, lorsqu'elle lui demanda s'il plaisantait, Nigel avait simplement secoué la tête, répondant un bref « non » sans quitter le sourire de sa cadette des yeux et ses prunelles pétillantes de joie. Elle se stoppa cependant bien vite, lui demandant ce qu'il entendait par infecte. La question lui arracha un bref rire alors qu'il secouait la tête. « Une vraie diva » avait-il expliqué, jugeant préférable de ne pas en expliquer plus. Diva, ça englobait suffisamment de chose pour décrire le caractère de la chanteuse, mais il n'allait pas s'amuser à la décrédibiliser en long en large et en travers, il n'y gagnerait rien et Hannah était assez grande pour se faire sa propre opinion de son idole. Si toutefois elle venait avec lui au complexe.

Raison de plus de lui demander si elle était seule ou non. Si elle ne l'était pas, sans doute serait-il plus compliquée pour elle de laisser un groupe entier pour le suivre, tout comme il lui était impensable de laisser ses nouveaux compagnons derrière lui, principalement Isiah. Malgré cela, lorsque la jeune femme annonça qu'elle était totalement seule,, une certaine peine s'était glissée dans le regard sombre du plus âgé. En tout ce temps... elle n'avait trouvé personne de confiance ? Avait simplement dû se débrouiller livrée à elle-même ? Ou pas. Une blague. Et Nigel n'était que peu enclin à rire sur le sujet, ne retenant pas un soupir presque agacé tout en levant les yeux au ciel. Décidément, elle ne changeait pas, ou du moins ne lui laissait pas entrevoir ces potentiels changements. Mais elle n'était pas seule. Ils étaient un groupe de cinq, ce qui était plus qu'acceptable dans un monde tel quel celui dans lequel ils évoluaient désormais. Hochant alors la tête en souriant. « C'est bien » avait-il répondu, vraiment soulagé de savoir qu'elle avait su s'entourer. La nouvelle remarque de la blonde lui arraché un bref rire alors qu'il levait les mains comme pour témoigner qu'il n'aurait rien dit sur le sujet avant de froncer les sourcils. Elles étaient plus jeunes qu'elle ? Y avait-il au moins un adulte pour prendre soin d'eux ? Assurer leurs arrières ?

Les sourcils toujours froncés, Nigel attend en regardant toujours sa sœur. « Elles... ? » Dire qu'il n'était pas inquiet par ce qu'allait dire Hannah serait totalement faux. Il était inquiet, totalement, pour elle, parce-que même si elle semblait en forme et plus forte encore que quand ils avaient été séparés, elle restait sa petite sœur, celle qui comptait plus que tout à ses yeux. À sa question, il se remit à sourire doucement, secouant la tête. « Ça ne posera pas de problème. » Oh bien sûr, il pouvait déjà entendre dans un coin de sa tête la voix de Frances lui dire que non, ils n'accueilleraient personne d'autre, que ce n'était pas négociable, qu'elle ne voulait pas de trois gamines sous son toit, mais elle n'aurait pas le choix, parce-qu'il était totalement hors de question qu'il perde à nouveau sa cadette.

S'approchant à nouveau d'elle, le brun avait placé ses mains de par et d'autre du visage de sa sœur, caressant sa joue du pouce en plantant ses prunelles dans les siennes. « Je ne veux pas avoir à te perdre une nouvelle fois, Hannah, surtout pas » avait-il soufflé sur un ton grave avait d'inspirer légèrement. « Vous arrivez à survivre correctement ? Tu es en bonne santé ? » Des inquiétudes tout à fait légitimes et perceptibles autant dans son ton que dans son regard protecteur.