Jason n'avait pas oublié le chien, mais il était plutôt partisan de laisser l'animal venir à eux de lui-même. Naturellement, le voir amaigri ainsi lui avait fait mal au cœur et lui avait donné envie de l'aider. Mais le chien n'avait pas voulu de leur aide, pas tout de suite. Il était trop apeuré. Même si c'était difficile, il leur fallait donc prendre leur mal en patience et espérer que la bête allait vouloir s'approcher d'eux et se calmer. En attendant, son estomac lui disait qu'il était temps d'essayer de préparer quelque chose pour le remplir à peu près dignement.
Sans doute allait-il bricoler quelque chose de bric et de broc. Il faudrait faire avec les moyens du bord. Merl ne lui facilitait pas la tâche, puisqu'il demandait déjà à ne pas manger d'ananas. Dans le fond, il était fidèle à lui-même. Des gars de la campagne comme eux avaient tendance à ne se nourrir que de ce qu'ils connaissaient bien. Pourtant, le blond avait fait une entorse à cette règle depuis le début de l'apocalypse. S'il préférait toujours se référer aux valeurs sûres, il jetait son dévolu sur tout ce qui était clairement mangeable. Haussant les épaules, il se dit simplement qu'il leur ferait un sort lui-même, à ces ananas. En attendant, la proposition de ragoût énoncée par son aîné avait des allures plutôt alléchantes. Sans oublier qu'il avait repéré tout ce qu'il fallait dans le garde-manger qu'ils avaient visité plus tôt.

« En fait, y a du riz aussi dans la réserve. On devrait pouvoir bricoler un ragoût. 'Pis tu pourrais essayer de faire griller deux trois trucs au-dessus du feu avant que je me ramène avec la marmite, non ?

Chacun ses tâches, et si Merl se chargeait d'aller leur allumer un feu digne de ce nom lui-même allait se mettre au fourneau. Sans plus attendre, Jason alla jusque dans la réserve pour y piocher les ingrédients cités par son frère peu avant. Il piocha également dans les épices connues qu'il trouva, avant de ramener le tout dans la cuisine qui n'avait pas servi depuis une petite éternité. Il ne mit guère de temps à trouver des couteaux et quelques ustensiles pour ouvrir les boîtes et préparer un ragoût rustique et sommaire. Les couteaux étaient heureusement toujours affûtés, et il parvint à obtenir une préparation rouge et relevée, dans laquelle flottaient des morceaux de saucisse, de piment, de champignons ainsi que du riz. Il en avait rempli une marmite qu'il amena à l'extérieur, où son frère avait une jolie flambée. Une grille disposée au-dessus du feu n'attendait que lui. Il vint poser son récipient dessus et disparut le temps de trouver une cuiller en bois pour tourner tout cela ainsi que des saucisses à rajouter sur le grill, là où il restait de la place à côté du récipient.
Jason ne fit que surveiller la cuisson et remuer l'ensemble de la préparation jusqu'à ce que le tout soit cuit et fumant. Après quoi, il se servit d'une louche pour remplir deux bols, ayant récupéré l'ensemble dans le restaurant peu avant. Les saucisses grillées manqueraient sans doute un peu de jus, mais se révéleraient sans doute croustillantes à défaut. Une fois servi, il alla s'installer sur une des chaises que son frère avait sorties à cet effet. Il n'avait pas commencé à manger depuis longtemps, gardant un œil sur leur cobaye toujours solidement accroché, lorsqu'il aperçut une silhouette basse s'approcher lentement et prudemment d'eux. Cela lui fit donner un coup de coude dans les côtes de son frère.

- Tiens, regarde qui voilà. Faut croire que ta saucisse lui a plu, sans vouloir dire de conneries... Mais... Putain de merde !

Le jeune homme s'était relevé sur cette exclamation, bol à la main. Le chien qui se rapprochait d'eux progressait péniblement, et de manière irrégulière. En réalité, il boitait méchamment. Cela n'avait pas été possible de le voir plus tôt, puisqu'il ne s'était pas déplacé. À présent, il voyait nettement que l'animal ne posait pratiquement pas sa patte avant droite, ce qui lui donnait une démarche particulière. La blessure n'était sans doute pas récente, sans quoi il serait déjà mort de faim. Mais à en juger par son état, il n'en avait plus pour très longtemps si on ne s'occupait pas de lui. Il ne pourrait pas chasser ni se mettre en sécurité ainsi.

- Il est blessé. On dirait qu'il a une patte cassée. »

Jason s'était tout naturellement mis à réfléchir à toute vitesse. Il y avait des vétérinaires au camp, qui pourraient sans doute s'occuper de la fracture afin qu'elle se remette convenablement. Là-bas, il pourrait être nourri et remis en forme. Il voulait le prendre sous son aile, mais il fallait que le chien se laisse faire, accorde sa confiance. Ce n'était pas encore gagné. Ce petit gars là devait en avoir bavé depuis que l'épidémie était apparue. À présent, le blond voulait déjà lui donner à manger et à boire à quelques mètres d'eux pour l'inciter à se calmer et à s'approcher. L'animal devait se convaincre qu'ils n'étaient pas une menace pour lui.

Ce n’était pas vraiment compliqué pour moi de gérer la bouffe. Je haussais les épaules en guise de réponse avant de commencer à m’y mettre. Je n’étais pas emballé à l’idée de faire à manger, mais ce n’était pas quelques choses qui me faisaient chier pour autant. Je n’étais pas le meilleur de la famille pour, c’était clairement M’man, mais comme elle n’était pas ici pour nous aider, il fallait bien s’y mettre. J’offrais un petit sourire à mon frère alors que je m’occupais joyeusement de tout ça. Après quelques minutes d’intense préparation, déjà une magnifique odeur était en train de se faire sentir et me donner déjà envie de manger alors que quelques minutes plus tôt, j’étais en train de gueuler à qui veut l’entendre que je n’avais pas faim. L’expression dit bien qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis. Cette expression doit être plutôt fausse vu que je passe mon temps à changer d’avis et que ça me parait évident que je suis plutôt con, mais enfin. J’étais occupé à ça et c’était en train de prendre toutes mes capacités lorsque la voix de mon frère s’éleva non loin de moi. Je ne savais pas trop de quoi il était question, mais en tout cas, je lui offrais un sourire avant de tourner ma tête vers la direction qu’il était en train d’indiquer. J’aurais pu lui offrir un juron pour le coup dans les côtes qu’il m’avait donné, mais c’était devenu tellement habituel maintenant que je n’y prêtais même plus attention.

- Ah oui…

J’avais bien vu dans le regard de mon frère que c’était devenu sa bestiole et je devais bien admettre que ça me faisait plaisir de le voir comme ça. Il avait besoin de s’attacher à un animal, du moins c’était ce que je ressentais. Je savais qu’Harley lui manquait et qu’il avait besoin de présence animale autour de lui. Alors s’il pouvait bien prendre le prendre sous son aile ce n’était pas moi qui allais me plaindre. Je le voyais s’agiter un peu plus en découvrant que l’animal était blessé. Je n’étais pas médecin et lui non plus. On ne pouvait en soit pas faire grand-chose pour lui dans ses conditions. Attendre éventuellement de l’apprivoiser assez pour le prendre avec nous. Pour le coup, je me contentais de lancer un regard à mon frère pour lui dire que je ne voyais pas trop ce que je pouvais bien faire pour l’aider. Oui, ça me faisait mal au cœur, mais je n’étais pas capable de faire grand-chose pour lui. L’animal semblait déjà comprendre qu’on n’était pas si mauvais que ça puisqu’il s’était approché un peu. Je me contentais finalement de lui répondre.

- Essaye de l’apprivoiser, dans les conditions actuelles mêmes avec beaucoup de bonne volonté, on ne pourra pas faire grand-chose.

Il fallait calmer l’animal, et lui donner à manger était en bon début, en tout cas, je laissais Jason gérait tout ça, il avait l’air enclin à le faire. Je reportais mon attention sur la nourriture qui avait presque fini de mijoter et qui sentait déjà agréablement bon avant de la retirer du feu à l’aide de manique que j’avais trouvée dans la cuisine. Bientôt, on allait sans doute pouvoir se remplir un peu le ventre d’un bon plat et de quelques gorgé d’un alcool sans doute peu passé qu’on avait ramené de la cave poussiéreuse, ça aurait pu être une journée parfaitement normale chez les Rogers, après tout, un animal blessé et un connard attaché à un arbre ce n’était pas si étrange que ça quand on nous connaissait un peu si ?

Pendant que Jason était en train de s’occuper de l’animal, j’avais rempli deux assiettes de nourriture, il restait encore largement de quoi se resservir si l’envie lui prenait après et je lui laisser même ma part si ça pouvait lui faire plaisir. J’avais depuis bien longtemps l’habitude de me sacrifier un peu pour lui après tout, c’était moi le grand frère, il fallait que je veille sur lui-même s’il n’en avait sans doute plus besoin depuis des années maintenant. En tout cas, j’avais évidemment fait ma petite prière en préparant le repas ce qui ferait gagner un temps précieux à Jason qui serait sans doute heureux de tout dévorer comme un goret.

Jason suivit du regard la lente et difficile approche du chien qui n'en menait pas large. La faim qui le taraudait était plus forte que la peur et la méfiance qu'il ressentait. Cet animal avait dû en voir de dures, il avait sans doute été confronté à bien des épreuves pour survivre jusque là. Il avait le poil terne, le regard éteint, et son pelage manquait par endroits. Il y avait même des endroits qui portaient des cicatrices visibles. Pour autant, ce chien était un battant. Plus le blond le regardait, plus il était décidé à le prendre sous son aile. De toute façon, il se savait incapable de se résigner à l'abandonner là, avec une patte cassée, se débrouillant avec son sort. C'était tout de même curieux si l'on songeait qu'il avait bien moins de scrupules à réduire en bouillie la rotule d'un humain avant de l'envoyer crapahuter gaiement dans un champ rempli de rôdeurs. Mais les animaux, ce n'était clairement pas la même chose. Ils n'avaient rien demandé à personne.

« C'est toujours le même bordel quand t'y penses. À chaque fois qu'il y a une catastrophe, on pense à notre gueule et on laisse les animaux de côté. Alors qu'ils en voient de dures aussi... Y a vraiment que quand on peut s'en servir qu'on s'y intéresse, c'est dingue. Passe-moi une saucisse.

Le jeune homme se saisit comme il pouvait de la saucisse brûlante que lui donna son frère, en essayant de ne pas trop se brûler les doigts. Il allait falloir attendre encore qu'elle refroidisse avant de la donner au chien s'il ne voulait pas que la pauvre bête se fasse mal en mangeant. Il la posa donc près de lui, remarquant l'éclat d'intérêt qui s'était allumé dans le regard de l'animal à quelques mètres de lui. C'était un début, même si la méfiance était loin d'avoir été éradiquée.
En attendant de pouvoir lui lancer la nourriture, le blond s'empara du bol plein que Merl lui tendit. La préparation était fumante, mais plus encore elle était épicée. La première bouchée qu'il enfourna après avoir souhaité un rapide bon appétit à son aîné lui brûla le palais et la langue, et il aspira plusieurs grandes goulées d'air pour essayer d'atténuer la douleur. Il venait par son empressement de connaître le sort qu'il avait voulu éviter au chien. Dès que la sensation s'apaisa, ce fut le piquant qui prit le relais. Il n'y avait pas à dire, le ragoût sommaire était bien relevé. Il regrettait presque de ne pas y avoir mis d'ananas pour adoucir. Tout en mangeant, il continua d'observer le chien qui s'était couché dans l'herbe pour les regarder à bonne distance.

- Faudra lui passer quelque chose autour de la gueule. Il aura sans doute peur et mal, et il risque de mordre.

Autant dire qu'une morsure d'un chien errant par les temps qui couraient était un aller simple pour la septicémie, à moins de bien la traiter. Au bout de quelques minutes, Jason put jeter la saucisse – qui avait refroidi – dans la direction de l'animal. Celui-ci se releva et ne perdit que quelques secondes à la renifler avant de s'en emparer et de l'emporter un peu plus loin pour manger. C'était une première petite victoire, qui ne les dispenserait cependant pas de mettre en place la précaution qu'il avait évoquée un peu plus tôt. Les deux frères purent manger tranquillement, le plus jeune s'assurant que son aîné appréciait son bricolage culinaire. C'était visiblement le cas. Même si cela ne valait pas grand-chose, cela avait du goût et était cuisiné, ce qui était donc un très bon point. Le regard du cadet finit par se poser sur le rôdeur qui était toujours saucissonné à son arbre, la tête pendant de guingois sur son épaule droite. Vidant sa bouche, le jeune homme déglutit avant de prendre la parole et de désigner la créature avec sa cuiller qu'il pointa vers elle.

- Et l'autre bouffeur là, il est à point ? »

Ils lui avaient mis une bonne dose d'alcool dans le gosier, mais en ignoraient toujours les effets. Le monstre avait tout l'air d'être en train de cuver, mais cela pouvait simplement être le fruit de leur imagination aidé en cela par l'aspect décrépi du mort-vivant. Dans tous les cas, ils allaient devoir vérifier. C'était leur plan principal en partant en vadrouille, et pourtant la nécessité de se remplir l'estomac ainsi que la découverte du chien l'avaient totalement évincé. Jason en avait presque oublié jusqu'à sa présence avant que son regard ne tombe dessus.

Sans réfléchir plus que ça et sans vraiment répondre à mon frère parce que pour le coup, je n’avais rien à lui dire, j’attrapais la saucisse en question qui était chaude avant de lui balançais sans la moindre retenu. Il avait décidé de s’occuper du chien, c’était bien. Pendant ce temps, j’étais déjà en train de remplir nos assiettes, je n’avais pas l’impression d’avoir si faim que ça à l’origine, mais au final c’était plutôt alléchant de sentir l’odeur faire son bout de chemin jusqu’à mon nez. J’étais presque impatient de pouvoir manger un morceau. On avait beau manger à notre faim dans le fort, c’était toujours agréable d’avoir un repas en plus dans le ventre. Je souriais bêtement alors que je finissais de remplir son bol avant de lui tendre. Je n’avais pas besoin de lui parler, un simple grognement avait suffi pour attirer son attention et lui faire prendre l’objet que je lui tendais.

Pendant une seconde j’avais eu envie de le prévenir de ne pas se jeter dessus parce que c’était chaud, mais l’instant suivant, j’arrivais à la conclusion qu’il n’avait pas besoin de moi pour le materner et qu’il était bien assez grand pour se gérer tout seul. Visiblement, il s’agissait d’une grossière erreur puisqu’alors que j’étais en train de me servir à mon tour, il était visiblement en train de se bruler la langue. J’avais décidément envie de le juger très fort et je me contentais donc de secouer la tête de droite à gauche d’un air qui se voulait résigné et désespéré avant de reprendre l’action que j’étais en train de faire, c’est-à-dire me remplir ma bouffe. Je souriais finalement en m’écartant de ma mixture pour pouvoir finalement manger de bon cœur. Enfin, il faudrait que j’attende que ça refroidisse un peu parce que pour le moment c’était trop chaud pour pouvoir manger. Je regardais mon frère qui avait repris le repas avant d’en faire finalement de même.

Je le regardais alors qu’il était en train de parler du chien, il avait décidément choisi de s’occupe de lui et c’était une bonne nouvelle, je hochais la tête en guise d’approbation comme pour confirmer ce qu’il était en train de dire. C’était lui l’expert pas moi, s’il s’en occupait c’était une bonne chose. Je souriais l’air de rien alors qu’enfin, je pouvais savourer le repas que j’avais entre les mains. Ce n’était pas de la grande cuisine, mais c’était bon, en tout cas ça me plaisait. J’étais tellement à fond dans la nourriture que je n’en écoutais même pas ce qu’était en train de dire mon frère, il était sans doute en train de se prendre la tête avec le chien, en même temps ce n’était pas vraiment surprenant quand on le connaissait un minimum.

Finalement, il attira tout de même mon attention en me parlant du connard toujours attaché à l’arbre qui n’avait absolument pas bougé et dont l’état laissait sous-entendre que ça n’avait strictement rien changé. On avait beau avoir tenté un truc c’était totalement inutile. Mon regard se tournait alors vers Jason après avoir observé l’arbre et notre prisonnier un instant.

- J’ai l’impression que cette expérience tombe à l’eau. Il faudra le détacher quand on aura fini de manger histoire de voir.

Pour moi, le plan était simple, on mange, on le détache et on avise. On le tuera au final quoi qu’il arrive parce que pour moi, il était simplement hors de question de laisser un connard en liberté, un dans l’océan de mort ce n’était pas grand-chose, mais c’est un par un qu’on peut faire changer les choses. Je reprenais alors mon repas comme si de rien été attendant de voir ce qu’il avait encore à dire. De toute façon, il ne restait pratiquement rien dans la marmite et on aurait sans doute bientôt plus très faim non plus. J’avais hâte de voir de quoi il était question avec ce connard.

Laissant au chien errant le temps d'accepter leur proximité, Jason avait recentré tous ses efforts sur la nourriture. Il avait un peu de mal à mâcher la saucisse dure que la cuisson n'avait pas énormément ramollie, mais l'essentiel était de se mettre quelque chose sous la dent. Et même si cette mixture avait un goût original, cela lui donnait l'impression d'avoir fait un bond dans le temps et d'être revenu aux jours passés, lorsqu'ils vivaient encore dans leur ranch. Peut-être qu'il n'en donnait pas l'impression, mais le blond avait parfois un vrai vague à l'âme. Il était sincère en disant que chez lui c'était là où se trouvait son frère, mais il lui arrivait plus d'une fois de regretter la vie qu'ils avaient eue par le passé. Même si, sans mentir, ils s'amusaient tout de même bien dans un monde aussi chaotique, le rôdeur attaché pouvait lui en être témoin.
Merl proposait de détacher la créature pour voir si les effets de l'alcool se faisaient sentir, mais il ne semblait pas très optimiste. Son cadet fit une sorte de grimace un peu tordue et pensive, ce qui eut pour effet de faire couler un peu de sauce dans sa barbe. Il rectifia le tir aisément d'un revers de bras, peu soucieux de se servir de sa manche comme d'un torchon. À sa décharge, il n'avait pas vraiment mieux sous la main.

« Qu'est-ce qu'on fait si ça donne rien ? On trouve autre chose à lui faire faire, histoire de se marrer un peu ?

Il devait l'avouer, il se sentait un peu déçu que les choses tournent ainsi. Il s'était attendu à une bonne tranche de rigolade avec une telle expérience, mais c'était plutôt mal engagé. Et le jeune homme était loin d'être prêt à tout laisser tomber aussi facilement. On pouvait compter sur son esprit douteux pour échafauder des plans absurdes. Pour les bêtises, il était loin d'être le dernier. Mais à qui cela ferait-il du mal ? Personne. Ils avaient le droit de se détendre, et même plus, ils en avaient le devoir. Comment tenir dans un monde pareil, sinon ?
C'était sans compter l'expression que lui servit son frère, et qui lui donnait l'impression d'être teintée de reproches. Jason fit la moue, presque comme un enfant qui était pris d'une soudaine envie de bouder. À vrai dire, il n'avait pas envie d'entendre de leçon de morale maintenant.

- Me regarde pas comme ça, tu sais comme moi que ça n'a plus rien à voir avec un humain. C'est même toi qui as dit que c'était une injure à Dieu et à la résurrection.

Un sourire en coin était venu ponctuer sa dernière déclaration. Il était plutôt fier de lui, et savait qu'un tel argument ne pourrait que laisser son frère impuissant. Une vois son assiette vide, il se leva pour rejoindre le rôdeur toujours ficelé, cette fois sans accorder d'attention particulière au chien. Celui-ci semblait se détendre, et c'était déjà un bon point. Parvenu à côté du monstre, le blond lui tapota la joue avec énergie, comme on le ferait pour un humain un peu dans les vapes. La réaction ne se fit pas attendre, puisque la créature se mit à râler et à s'agiter avec la même détermination à mordre que d'ordinaire, même si elle en était bien incapable. Le jeune homme secoua la tête avant de se tourner vers Merl qui le rejoignait.

- Je crois qu'il a pas bu assez. Enfin, pour un vivant ça aurait assommé un taureau, mais lui là... Il en reste encore, on essaie ? »

Ils avaient encore de la réserve de cet alcool répugnant qu'ils avaient déniché, et il était temps d'en faire usage. Sans quoi... qu'est-ce qu'ils pourraient bien en faire ? Et en ce qui concernait le mort-vivant, Jason pouvait se targuer d'avoir quelques bonnes idées. Cela allait de l'attacher sur le capot comme les paysans du fin fond de l'Amérique qu'on voyait dans les films jusqu'à le traîner derrière leur véhicule pour voir combien de temps il mettrait à semer l'intégralité de son corps sur la route. Et il y en avait bien d'autres : cible de tir, baril d'explosifs, projectile improvisé pour peu qu'ils trouvent avec quoi le lancer... Avec un peu de temps, il savait qu'il pourrait inventer encore, tant et plus. Et qui viendrait leur dire quoi que ce soit ? Après tout, il valait mieux qu'ils expérimentent sur un rôdeur que sur des vivants... et tout le monde n'avait pas ce type d'égard par les temps qui couraient.

Il voulait continuer est-ce que c’était vraiment étonnant, en fait pas vraiment, il était comme ça le Rogers toujours en train de faire chier son monde. Pour ma part, je n’étais pas spécialement intéressé à continuer. On venait de lui faire boire trois bouteilles d’un truc qui aurait fait tomber le pire des alcooliques qu’on avait connu. Il n’y avait pas à dire, il devait nécessairement être immunisé à cette merde ce qui rendait d’après moi la vie un peu triste, mais ça ce n’était que mon avis. C’était toujours avec le regard lassé de l’homme déçut que je regardais mon frère qui continuer de vouloir trouver un truc drôle à faire avec cette créature du diable. Je posais mon regard sur lui avant de hausser les épaules une fois de plus.

- Tu es décidé à le faire, alors fais-le. Mais je suis certain que ça ne marchera pas comme tu veux. On lui a donné de quoi bourrer la gueule à un éléphant et il n’a pas bronché. Je pense qu’il y a des choses plus intéressant à faire avec lui, comme par exemple s’entrainer au lancé de couteau. Il y en a plein dans la cuisine.

C’était un jeu qui en soi, me paraissait vachement plus drôle à mener que de bourrer la gueule à une créature qui ne voulait pas en ressentir les effets. On pourrait facilement passer à autre chose. J’avais mon sourire sur le visage, plutôt content de mon idée. Il restait encore à voir ce que Jason allait en penser. Une chose me disait que l’idée pourrait sans doute lui plaire. On n’avait pas vraiment de compétence en lancée de couteau, mais on se débrouillait plutôt bien pour les fléchettes et c’était relativement pareil non ? On le saurait bien assez tôt de toute de façon. Je me décidais à le motiver un peu plus avec une simple remarque.

- Dix points par couteau planté et celui qui le tue gagne un bonus de cinquante.

Si avec ça, il n’était pas déjà à la cuisine pour aller en chercher, je ne pouvais décidément plus rien faire. Je ne savais pas comment cette journée allait se finir, mais une chose était certaine, j’étais bien ici avec mon frère. J’avais mis un plus de temps que lui pour manger le contenu de mon assiette, mais en même temps, c’était lui le petit frère turbulent qui ne tient jamais en place. Je lui offrais un petit sourire en coin alors que j’étais en train de lécher consciencieusement le plat que j’avais entre les mains. J’aimais bien ce que je venais de manger. Ce n’était pas du grand art, mais c’était vraiment appréciable. J’avais presque un sourire bête sur le visage puisque ça me donnait un peu des aires de déjà vu avec le nombre de repas au coin du feu que nous avions fait tous les deux. Il manquait Jenny qui sautait partout et M’man qui lui disait de se calmer. Au fond de moi, j’avais envie de répéter à mon frère que tout ça me manquait, mais je savais qu’il en était de même pour lui et il n’était pas question de jeter un froid débilement.

Jason fit une petite moue lorsque son aîné doucha son enthousiasme en avançant qu'ils n'auraient pas plus de chance de voir un rôdeur en état d'ébriété en continuant à lui remplir le gosier avec cet alcool immonde. Heureusement, Merl se fit rapidement pardonner d'avoir joué les rabat-joie. Le fait d'évoquer un entraînement au lancer de couteau, aussi peu glorieux que cela puisse risquer d'être, avait de quoi réveiller en lui les flammes de la bêtise. Lorsqu'il était possible de faire les pires âneries, il répondait présent. Et peu lui importait que des couteaux de cuisine ne soient pas faits pour être lancés sur une cible. De même, il se fichait qu'il n'y ait que dans les films qu'on puisse voir quelqu'un tuer aisément en lançant un couteau sur quelqu'un. Le but c'était de s'amuser. De toute façon, s'ils tiraient un peu trop sur l'alcool, ils auraient même bien de la chance s'ils touchaient le malheureux mort-vivant. Peut-être qu'ils n'auraient pas facilement les dix points pour couteau planté, finalement.

« Ah, là on cause ! Combien tu crois que ça a de couteaux en stock, un restaurant ?

La vraie question aurait pu être : combien de couteaux suffisamment aiguisés pour pouvoir encore prétendre au jeu auquel on se prépare à jouer ? Mais naturellement, cela aurait demandé de trop profonde réflexions pour un cerveau estampillé Rogers. Du moins en ce qui concernait une étape aussi préliminaire au jeu que celle d'aller chercher le matériel. Nul doute que les frères pourraient se poser la question une fois qu'ils auraient fait plusieurs essais infructueux.
Sans plus attendre, le cadet de la fratrie prit le chemin du bâtiment. De toute façon, il avait déjà largement terminé et nettoyé son assiette. En passant près du chien qui ne s'éloignait pas davantage, il eut la satisfaction de le voir le suivre du regard sans faire mine de fuir. Un bon point. Ils pourraient plus sérieusement envisager d'emmener l'animal très bientôt, lorsqu'ils prendraient le chemin du retour.

Parvenu dans la cuisine puante plongée dans une pénombre partielle, le jeune homme se dirigea tout de go vers les établis et autres tiroirs où il pourrait trouver son bonheur. Dans un premier temps, il dédaigna les couteaux destinés aux clients et jeta dans une caisse tous ceux qui servaient en cuisine. Puis, jugeant qu'ils ne pourraient que davantage s'amuser en accumulant un plus grand nombre de projectiles, il y ajouta d'abord les couteaux à viande puis les simples couteaux de table. Du moment qu'ils avaient quelque chose à balancer sur leur cible, il ne pourrait pas être plus heureux. Ce fut avec une caisse bien pleine sous le bras qu'il ressortit à l'air libre, la luminosité agressant momentanément sa rétine.

- T'as fini de manger pour de bon ? J'ai ramené tout ce que j'ai trouvé en couteaux pour s'entraîner sur ce bouffeur. Tu te dévoues pour compter les points ou bien ? »

Le blond posa bruyamment la caisse sur le sol, dans un concert de tintements de métal. Naturellement, cela attira l'attention du monstre qui se mit à râler et à s'agiter, apparemment encore déterminé à leur croquer un morceau de chair. Pourtant, il était certain qu'il n'y parviendrait pas, et qu'il serait mort pour de bon d'ici peu. Ce spectacle sembla en tout cas motiver Jason qui eut une sorte de petit rire avant de se pencher pour récupérer un couteau de cuisine dans la caisse. Il passa lentement un doigt sur le fil de la lame pour en vérifier le tranchant. Après le temps d'inactivité que l'objet avait eu, sans doute était-il un poil émoussé. Mais très sincèrement, le jeune homme allait parfaitement s'en contenter.