C’était sa rage de vivre et la volonté de faire bouger les choses et les gens, qui arrachèrent à Ela un étrange sourire. Elle regarda la jeune femme avec douceur et patience, alors que Merl prenait déjà le pli du lui répondre. Une poignée de personne, au sein du Fort, espérait toujours que les choses redeviennent comme avant. Et malgré leur implication dans le fonctionnement du camp, certaines mentalités n’étaient pas encore prêtes à changer. Tout le monde n’avait pas encore eu l’expérience du terrain. « Une partie de la population n’a jamais affronté ce qu’il se passe dehors. Ce n’est pas tant qu’on leur refuse le port d’armes … Mais ils ne seraient pas un avantage sur le terrain. De ce fait, ils participent à l’organisation interne du Fort. » Elle ancra son regard dans celui de la jeune femme. « Personne ici ne se tourne les pouces en attendant que les choses se tassent. La politique de Chambers laissait probablement trop de libertés aux aristocrates du Fort, mais les choses ont changé et le Sénateur Chambers est mort. » Dit-elle assez sombrement. Elle détourna la tête, le regard perdu sur l’horizon (#Legolas) de ce champ qui deviendrait une nouvelle chance de survie pour ce camp. « Tout le monde participe, mais en fonction du potentiel de chacun. » Assena-t-elle, avant de lui jeter un coup d’œil. « Tu auras l’aide qu’il te faut, mais demande pas à n’importe qui de venir t’aider, tu risques de perdre ton temps. »

Et Merl était la personne qui lui fallait pour la seconder. Ela avait toute confiance en lui et en son jugement. Lui et Jason étaient les meilleures personnes pour diriger les travaux lourds – si on leur demandait, ils seraient capables de s’y mettre juste tous les deux. Elle ne rajouta rien pour appuyer sur les capacités des Rogers, son compagnon était tout à fait à même de parler de lui et de leur motivation. « Je n’y connais pas trop en bétail, mais oui, il me semble que ce n’est pas improbable d’en trouver. L’île est grande… » Dit-elle, songeuse. Il faudrait que les deux frères montent une équipe, trouvent quelques personnes, regroupent les animaux dehors et les amener jusqu’au camp. Elle ignorait encore les démarches qu’il faudrait faire, mais en discutant avec les deux hommes, elle était persuadée de pouvoir trouver un début de plan.

Puis elle se tourna à nouveau vers Valentine. « Je te promets que tout le monde sera sensibiliser à la cause, que tous ceux qui montrent un intérêt aux champs seront sollicités. Et que ceux qui dédaignent la tâche n’auront pas droit à toucher aux bénéfices s’ils ne participent pas activement au bon fonctionnement du camp, d’une manière ou d’une autre. » Devant sa volonté de fer, Ela lui offrit un sourire doux, appréciateur. L’enthousiasme de Merl, à vouloir transmettre – maladroitement – ses connaissances lui faisait chaud au cœur, également. Elle savait qu’il avait besoin de se sentir utile dans ce camp, de trouver une place qui lui permettrait de montrer sa valeur. Sa valeur au combat n’était plus à faire, mais elle savait que ce n’était pas vraiment suffisant. Quelque chose lui manquait. A lui, mais aussi à son frère. Le travail de la terre, le contact avec le bétail aussi peut-être … Elle posa une main sur son épaule. « Je pense que tu es la personne toute désignée pour seconder Valentine dans cette entreprise. » Dit-elle avec douceur et confiance. Elle planta son regard dans le sien et, un court instant, le temps sembla se suspendre devant la tendresse échangée entre eux. Puis Ela rompit le contact, laissant sa main retomber le long de son corps et baissant pudiquement le regard. « Il n’y a plus qu’à s’y mettre, dans ce cas. En commençant par se préparer à parler aux habitants. »

Ce que Valentine entendait, elle ne le comprenait pas. Ou du moins, elle ne le comprenait pas bien. Ils n’étaient entre ces murs depuis quelques mois, on parlait de quelques années. On parlait de trois ans à tout casser. Ce n’était plus une question d’adaptation c’était une question d’aveuglement. Valentine ne pouvait pas croire, non, elle ne pouvait pas concevoir que les gens aujourd’hui n'avait pas à quel point la situation était devenu catastrophique, après tout, il y avait bien des morts qui dévorait des vivants. Peut être avaient-ils tous été préservé de la réalité des choses qui se déroulait dehors, mais la réalité à la fâcheuse manie de vouloir rattraper ceux qui souhaitent l’oublier ou l’omettre. Valentine n’était pas du genre sentimentale, ou émotionnelle, elle disait les choses telles qu’elles étaient, pouvaient être. Son ton restait relativement monotone. Valentine voulait mettre l’accent sur le fait que les parasites de plantations sont les pires choses qui peuvent arriver, et pas seulement pour les cultures, non. Car si en effet ils pouvaient toucher les feuilles et les fruits, voir son dur labeur réduit en cendre, n’était pas bon pour le mental, surtout si derrière il n’y a pas de plan B. En ce qui la concernait, le plan B, elle l’avait chez elle, et en vivait déjà confortablement depuis un an et demi.

« Si les gens n’ont pas affronté la réalité, il faut les mettre devant. Nous ne sommes plus au jour dix d’une apocalypse. Tu sais ce que ça fait au moral de voir un culture mourir quand on a le ventre creux ? Si nous n’avons pas d’alternative, la faim est une ennemie que je n’ai pas spécialement envie de me faire. Et on sera chanceux si ce n’est que la faim.  » Son ton était monotone, elle haussait les épaules. Elle voyait déjà le pire scénario. Elle avait eu de nombreux cours de nutrition pendant sa formation encore très fraîche dans sa tête. Elle s’accroupit à nouveau pour toucher la terre. La Nature était une chose capricieuse, et qui demande beaucoup de patience. Elle soupire longuement, quand elle redresse le regard, elle voit Ela avoir un geste tendre pour Merl, qu’elle décidé de ne pas relever. « Je n’ai pas besoin qu’on me seconde dans mon travail, sans offense. Si les gens veulent manger correctement ils viendront, sinon, tant pis. Je ne suis pas spécialement intéressée par les états d’âmes de chacun… Si Merl veut s’occuper de trouver du bétail c’est autre chose. C’est une autre entreprise à laquelle je ne peux pas participer. Il y a déjà trop à faire juste pour faire pousser quelques légumes et céréales » Elle se redresse, retire la poussière de son jean, avant de longuement s’étirer. Si sa franchise avait quelque chose de tranchant, elle n’avait aucune intention de l’être. Valentine était simplement ainsi. « Je ne m’y connais pas en bétail. Ce n’est pas mon domaine d’expertise. » fit-elle en baillant. Elle avait envie d’un  café et à défaut, un café.

Valentine était louée de bonnes intentions. Elle ne comprenait pas, et s’insurgeait de l’attitude d’une partie de la population. Elle oubliait certaines variantes, et le luxe que leur octroyait leur nombre de survivants vivants sur l’île. Un luxe oui, mais qui ne servait pas le bien commun. Le nombre permettait encore l’égoïsme et le chacun pour soi. C’était une notion qu’Ela voulait éradiquer, mais comme pour tout changement, il se ferait petit à petit. Le ton de la jeune femme ne plaisait pas vraiment à l’israélienne, ni la condescendance qu’elle faisait preuve envers Merl. Elle ne mesurait pas l’importance d’une aide pertinente. Merl s’y connaissait en terre, si elle voulait que la population commence à se la jouer solidaire, ne devrait-elle pas montrer qu’elle est à même de travailler en équipe ? Mais elle laissa Merl se défendre seul, il n’avait pas besoin d’elle pour cela.

« Je te propose de travailler pour la communauté, afin de l’enrichir et de l’instruire à quelque chose de vital pour notre survie à tous, et tu préfères faire la solitaire ? » Ne put-elle s’empêcher de lui dire. Elle se tourna vers Valentine, sans chercher à lui être supérieure, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir l’air un peu déçue. « L’égocentrisme est le plus gros problème de notre groupe de survivants. D’un côté nous avions les forces militaires – parfaitement au courant de ce qui se passait et exclues malgré tout – et de l’autre, des ex-politiciens, des personnes hautes placées qui ont été gardé dans l’ignorance pendant plus d’un an avant que la réalité de ce monde ne nous soit dévoilée… de façon brutale. » Abel, son mari, en avait fait les frais. « Nous avons dû subir les erreurs, les plus irresponsables de la part d’un Sénateur qui avait perdu pied. Le changement a pris du temps, mais le Sénateur Chambers est mort. » Assena-t-elle ensuite. « June Phelbs, Lawrence Davis et moi-même devons à présent réparer les pots-cassés et orienter un groupe qui a été soit dorloté, soit isolé comme de la chair à canon pendant trop longtemps. La rancœur est encore présente, alors Oui, certaines personnes méritent de se retrouver au front pour comprendre. Mais pas n’importe comment. Il y a eu assez de morts. » Elle ancra son regard dans le sien. « Ce projet me tient à cœur, autant qu’à toi. Il est vital que tout le monde ici comprenne, et apprenne à ne pas dépendre des forces armées présentes – de moins en moins nombreuses – ni ne s’accrochent à l’espoir que les choses redeviendront comme avant. Le changement est en place, Valentine. Tout le monde est soumis au même entrainement pour l’extérieur, depuis notre changement de pouvoir. Tout le monde est sensibilisé, conscientisé. Mais nous ne serons pas une dictature. » Parlant pour elle, peut-être (?). Elle n’imposerait personne à s’y mettre. Il n’était pas obligatoire d’ordonner, quand on pouvait convaincre. « Je me charge de convaincre tout le monde de mettre la main à la pâte pour que cette entreprise de culture prenne vie, et ça ne se fera pas en un jour. Peut-être commenceras-tu avec une dizaine de personnes, avant d’avoir tous les autres. C’est ainsi que cela fonctionne aujourd’hui. » Elle haussa les épaules, faussement désinvolte. « Peut-être n’as-tu pas besoin de l’aide de Merl, soit. Mais es-tu capable de travailler en équipe, ou est-ce que je m’adresse à la mauvaise personne ? Est-ce que je peux compter sur toi, pour faire partie du changement, Valentine ? » La patience avait ses limites, l’insolence aussi.

Valentine regarde Merl. Son intention n’était pas d’être … blessante. Elle n’avait pas la capacité d’arrondir les angles à chacune de ses phrases. Elle n’en avait d’ailleurs ni l’envie ni la culpabilité qui pourrait alimentée l’envie. Mais, elle corrigerait le coche. « Ce n’est pas contre toi, Merl. Au contraire, j’apprécie ton geste. Mais taper du point sur la table, je peux le faire. » rajouta t-elle en se rendant bien compte qu’elle avait pu paraître sèche.

Mais c’est quand Ela prends la parole que Valentine reporte son attention sur elle. Choquée, et blessée. Insinuait-elle qu’elle comptait devenir un dictateur dans les plantations ? Égocentrique solitaire, c’était presque ce qu’elle avait comprit. Non, c’était clairement ce qu’avait dit Ela. Si elle avait réellement voulu faire la solitaire, elle ne serait pas sortie de chez elle et aurait continuer son petit bonhomme de chemin en troquant ses denrées fraîches qui avaient mis deux ans à être parfaitement profitable. Pour devenir quelque chose de profitable, de correct, et qui lui faisait des réserves inespérées elle avait du travailler, dur, et avec toute la patience du monde. Quand elle le faisait ça paraissait simple, car les gestes étaient méticuleux, précis, connus et répétés des centaines et des centaines de fois. Elle avait appris de ces erreurs, car elle avait certes la connaissance de plantes mais elle avait du apprendre sur le tas tout le reste, avec un mélange de bon sens et de patience. « Excuse moi ? » fit-elle de la manière la plus française qui existait. Le français lui échappait souvent quand elle se retournait dans des situations telles.

« Ce que tu insinues prouve à quel point, tu ne me connais pas. Non seulement tu m’insultes, mais en plus tu me donnes de mauvaises intentions. Pour quoi me prends tu ? La discrète horticultrice pourrie par l’ambition de devenir quoi hein ? Dis moi ? Dans le domaine dont nous parlons, excuse moi de te le dire et de le répéter, mais je suis celle qui détient l’expertise, que tu le veuilles ou non. Ton insinuation est des plus blessante et déplacée.  La politique ne m’intéresse pas si c’est ce que tu veux savoir. » commença t-elle dans un ton sec, mais qui restait des plus calme. « Ne me prends pas de haut, et ne me prends pas pour une gamine. J’ai aussi tout perdu ma famille, mon pays, mon futur. J’ai été victime de la rancoeur, et de tous les maux de ce nouveau monde. » continua t-elle continua t-elle en montrant les deux énormes cicatrices qu’elle avait au creux des paumes. Valentine n’avait pas apprécié la manière dont elle venait de lui parler. Comme si du haut de ses vingt cinq ans elle n’avait rien vécu. Qu’elle était arrivée ici sans rien perdre, qu’elle n'avait arrosé chacune des parcelles de son jardin de ses sanglots, et de ses crises incontrôlables de larmes. « Tu connais la rotations des plants pour garder une terre fertile ? Sais-tu repiquer ? Traiter ? Guider ? Comment couper pour faire une bouture viable ? Quels légumes planter en quelle saison ? Pour l’instant, les gens doivent apprendre. Il ne s’agit pas de planter quatre pommes de terre et d’attendre bêtement que ça pousse. Ne me dis pas que « tu t’adresses à la mauvaise personne », tu n’as pas ce luxe. Si j’étais l’égocentrique solitaire que tu penses que je suis, j’aurais gardé ma petite tranquillité,  mes provisions, et j’aurais attendu que la faim arrive chez les autres. »

Valentine soupire. « J’ai trop de respect pour ce que je fais. Pour les plantes, pour les choses que je produis pour transformer cela en quelque chose de malsain. Je sais que je devrais travailler en collaboration avec les autres. Mais je ne veux pas que survivre, je ne veux pas de médiocrité, et je ne plus jamais que tu insinues ce genre de choses, tu n’es pas ma mère, tu n’as pas de leçons à me donner.»

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