“Okay” & “fine” & “I’ll get through this”

Il n'avait pas cherché à compter les jours. Pour tout le monde la notion de temps est sans doute devenue encore plus relative qu'avant depuis l'apocalypse, mais pour Simon, c'était encore pire que ça. Il aurait été purement et simplement incapable de dire depuis quand il était arrivé au ranch. Deux jours ? Un mois ? Non, ça ne pouvait pas être deux jours ; après qu'Elena et Caleb l'aient ramené, il avait passé un long moment dans leur espèce d'infirmerie à se faire examiner sous toutes les coutures – il n'était pas blessé, pas vraiment, juste complètement déshydraté et affamé - avant qu'on le mette dans une chambre et qu'il y dorme pendant une éternité. C'était assez étonnant, d'ailleurs, la facilité avec laquelle il plongea dans le sommeil. En plus de ça on l'obligea à se laver et à manger, et il s'opposa à tout avec toute la véhémence dont il était encore capable avant de finir par capituler avec une lassitude extrême.

Rapidement, et malgré lui, il repris ses forces et se sentit moins assommé par la fatigue. Il n'avait toujours pas envie d'aller mieux – l'absence de Liv était encore trop oppressante et trop douloureuse et dès qu'il pensait à elle il sentait ses yeux se remplir de larmes, mais il ne se forçait pas non plus à vomir ce qu'on l'obligeait à avaler. L'abattement qui le caractérisait à son arrivée s'estompa peu à peu, laissant place à une totale nervosité ; il avait davantage d'énergie, et il ne savait pas comment la canaliser autrement qu'en se mettant en colère. La fureur pris la place de l'apathie et il se mis à envoyer encore plus promptement chier ceux qui osaient venir s'adresser à lui, se renfermant dans une sorte de bulle muette et hermétique où il restait seul à remâcher l'aigreur qu'il ressentait par rapport au fait d'être encore en vie. Tout ça lui semblait horriblement injuste. Issaquah était l'endroit le plus agréable dans lequel il ait mis les pieds depuis maintenant des années ; même s'il n'y avait évidemment pas d'électricité ou quoi ce soit, ça restait un endroit incroyablement confortable. Les gens qui y vivaient lavaient leurs draps et leurs vêtements, chacun avait sa chambre, les conflits et l'organisation semblaient être gérés avec une certaine efficacité, tout semblait presque trop parfait mais Simon était incapable de s'en réjouir. Si Liv avait été là, ça aurait été différent, mais il ne supportait pas l'idée de vivre et de profiter de ça sans qu'elle ne puisse prétendre à la même chose. L'air sombre, il resta alors enfermé dans la chambre qu'on lui avait attribuée bien qu'il fut à présent en état de sortir. Il se doutait bien qu'on ne lui ficherait pas la paix éternellement, cependant, et cela se confirma quand un type vint le chercher un après-midi en lui disant qu'Elena voulait le voir.

D'après ce qu'il avait compris, cette meuf était finalement la daronne du camp. Ca semblait pas si surprenant, mais il comprenait alors mieux pourquoi on avait apparemment toléré aussi longtemps qu'il n'en foute pas une. Non pas qu'il pense qu'Elena l'apprécie particulièrement, mais il lui décelait un côté fier, et puisque c'était elle qui avait insisté pour le ramener elle ne voulait sûrement pas avoir tort à ce sujet. Elle allait être déçue. Il n'avait aucune intention de l'aider à quoi que ce soit, et s'il accepta de quitter sa chambre, ce fut uniquement parce qu'il se disait qu'il ferait un tour en revenant pour voir s'il y avait de l'alcool ou des cigarettes quelque part.

On lui avait filé de nouvelles fringues et son pull était un peu trop grand pour lui, alors il n'arrêta pas de tenter de remonter un peu ses manches pendant le chemin qu'il fit pour rejoindre la grecque. Mais ça tenait pas. Il finit par renoncer et enfouit ses mains dans ses poches en sortant finalement sur le porche, à l'extérieur, où elle l'attendait manifestement. Il n'avait pas discuté avec elle depuis son arrivée, et pour ainsi dire, il n'avait pas vraiment eu l'occasion de parler à beaucoup de monde. Il avait toujours été naturellement social, mais cette fois, il semblait n'en avoir strictement rien à foutre, et fallait pas qu'elle pense qu'elle était au-dessus du lot. Simon s'arrêta à deux mètres d'elle et la regarda un instant avant de souffler par le nez avec agacement pour lui signifier sa présence. "Keskia ?"

« Le rayon de soleil d'Issaquah en personne ! » ironisa la grecque en voyant l'expression profondément désenchantée du blond qu'elle avait convoqué, non sans avoir une certaine idée derrière la tête. « Moi qui pensais que tu serais enchanté de me venir me voir. » enchaîna-t-elle, son sourire s'agrandissant à mesure que l'air de l'homme semblait au contraire se renfrogner.

Plus d'un mois maintenant qu'il avait été introduit au ranch, et hormis les blessures physiques que Caroline avait soigné avec toute la fermeté et la détermination qu'on lui connaissait, il n'y avait aucune forme d'amélioration dans son attitude. Braqué, meurtri par une mésaventure sur laquelle il refusait de s'exprimer, Simon passait ses journées enfermé dans sa chambre et il repoussait farouchement toute tentative d'approche. Et entre le retour de Connor, la rencontre avec Selene et le départ pour Tacoma quelques jours pour aller retrouver Roza, la grecque n'avait toujours pas trouvé le temps de s'occuper de son cas. Maintenant qu'elle était là, les autres dirigeants lui avaient gentiment fait comprendre qu'une mise au point s'imposait. Après tout, c'était sa responsabilité. C'était elle qui avait introduit « le problème » chez eux.

« On va faire un tour. Il serait temps que tu prennes tes marques, tu crois pas ? » Et comme c'était surtout pour la forme, qu'elle n'attendait pas de réponse de sa part, elle fit un signe de la tête en direction des barrières de sécurité pour l'inviter à la suivre. Ou le lui intimer. A lui d'évaluer ses chances de s'en sortir indemne s'il se permettait de refuser. Après seulement quelques pas, quelques secondes tout juste pour qu'il prenne conscience que sa tranquillité touchait à sa fin, la jeune femme posa le décor, tranquillement, mais avec un ton qui laissait deviner son sérieux. « Comme tu peux t'en douter, tu n'as pas fait la meilleure des impressions aux autres. Certains se demandent pourquoi on ne te jette pas au milieu d'une horde... » Là, elle songeait principalement à Kareem. « Je les comprend pour tout te dire. Sauf que je n'ai ni l'intention de nourrir quoi que ce soit avec ta carcasse, et je n'ai pas non plus envie de me mettre à dos le reste du groupe pour tes beaux yeux. Tu comprends donc qu'on va devoir trouver un accord tous les deux. Qui arrange tout le monde. »

Inutile de préciser qu'elle avait d'autres problèmes à régler autrement plus important que sa petite personne. Elle n'avait ni le temps, ni la patience de passer des heures à essayer de le sortir de la fange dans laquelle il avait lui même sauté, et dans laquelle il se laissait couler. Alors comme elle était résolue à le garder au sein du groupe, il allait devoir se réveiller. Et pour ça, elle n'allait pas lui laisser des semaines pour réfléchir, se demander si oui ou non il voulait vivre ou se laisser mourir, si oui ou non il était prêt à faire des efforts. Non. C'était maintenant ou jamais. Alors, arrivés à hauteur des barrières, elle jaugea d'abord le nombre de macchabées empalés sur les piques spécialement aménagées, avant de se tourner vers Simon.

« Tiens, prend ça. » Elle lui tendit un couteau, suffisamment long pour aller perforer la cervelle des créatures. « On les achève et ensuite James et Bateson se débarrassent des corps. »

C'était sûrement idiot, mais la grecque pensait qu'en l'investissant d'une mission, en lui expliquant clairement la procédure à suivre, en lui prouvant qu'ils étaient organisés, peut-être aurait-il envie d'essayer. Peut-être qu'il finirait pas aimer la vie en communauté. Peut-être même que cette blessure invisible dont il refusait de parler ferait moins mal avec le temps.

Il ne se méfiait pas spécialement d'elle, parce qu'après tout, les deux fois où il l'avait vue, elle avait été objectivement sympa avec lui. Bon elle l'avait un peu menacé au départ, mais tout le monde faisait ça aujourd'hui, ça remplaçait en quelque sorte les salutations polies qui existaient autrefois. Bien sûr, il était trop buté pour se dire qu'il en avait quelque chose à foutre qu'on soit sympa avec lui, il n'empêche que naturellement, au moins, il ne l'insultait pas directement en l'envoyer chier comme il avait pu le faire avec les rares qui avaient osé tenté de discuter avec lui depuis son arrivée. Non, au lieu de ça il garda la bouche résolument fermée. Il savait qu'elle l'avait appelé pour lui faire la morale, de toute façon, alors ça n'avait pas beaucoup de sens de discuter. Son plan, c'était plutôt de faire semblant de l'écouter jusqu'au bout, de secouer vaguement la tête et de retourner s'enfermer dans sa chambre. Peut-être qu'à force, tout le monde finirait par l'oublier et qu'on lui foutrait vraiment la paix, comme s'il était en quelque sorte le quota irrécupérable du camp.

Le visage fermé, il suivit donc Elena quand celle-ci l'enjoignit à le faire. Ca le faisait chier et il ne le cachait pas, traînant ouvertement les pieds en marchant beaucoup plus lentement qu'elle, mais au moins, il suivait. Il avait bien envie de lui dire qu'il n'en avait strictement rien à foutre de prendre ses marques et que ça ne servirait à rien parce qu'il ne comptait absolument pas s'amuser à aller se promener dans le ranch, mais il n'en fit rien. Il attendait le moment où elle se mettrait probablement à lui gueuler dessus. En soi, ça lui était arrivé souvent, dans sa vie, les périodes d'apathie de ce genre. Quand il avait douze ans et qu'on l'avait foutu dans un centre pour délinquants, quand il en était ressorti, quand il avait été contraint d'arrêter les substances illicites après le début de la fin du monde, mais avec le recul tout ça lui semblait un million de fois moins douloureux que ce qui lui arrivait à présent.

Il ne releva pas les yeux quand elle commença à parler. Ce qu'elle dit ne le surprit pas, sauf pour une chose, le fait qu'elle-même n'ai pas envie de le balancer dehors. Parce que bon, elle avait été sympa, okay, mais il ne pensait pas qu'elle soit quelqu'un de spécialement patient. Mais peut-être que ça n'avait encore une fois qu'à voir avec sa fierté personnelle qui lui intimait de ne pas reconnaître son erreur d'avoir traîné Simon ici. Dans tous les cas, il tordit vaguement la bouche en une légère grimace quand elle lui dit qu'ils allaient devoir trouver un accord. C'était une idée chiante, qui sous-entendait qu'il allait devoir défendre son truc, et il avait pas envie de le faire.

Il rumina ça, mais vite, ils se retrouvèrent devant les barrières. Il y avait des morts-vivants empalés par-ci par-là, et il les regarda vaguement, assez indifférent tant qu'il restait loin. Mais apparemment, elle l'avait emmené jusqu'ici exprès pour eux. Quand il se retrouva avec un couteau dans les mains, il regarda d'abord la lame, puis les corps agités de convulsions crades, mettant un moment à percuter. Et puis, il perdit son expression renfermée ; un éclair d'angoisse traversa son regard alors qu'il relevait enfin les yeux vers Elena. Il détestait ces trucs. Il en avait bien sûr déjà explosé un certain nombre, mais si il pouvait éviter, il faisait toujours tout pour ça.

Il s'approcha du premier. Sans doute autrefois un homme d'âge moyen, avec une chemise encore presque entière. Simon le regarda grogner – ses dents noircies, ses orbites creusées, sa peau qui partait en lambeaux – et il recula alors vivement vers la jeune femme, révulsé. "On... On peut pas juste les laisser là ? Je veux dire, ils peuvent plus faire de mal à personne comme ça, ils sont plus dangereux, ça servirait à rien..."

Etrangement, il avait un réflexe de survie – le premier depuis longtemps. Il serra un peu les dents et détourna le regard. "Je veux pas bosser pour vous, je m'en branle. J'y arrive pas."

Si la jeune femme se contenta d'ignorer la première remarque du jeune homme, elle laissa échapper un souffle las face à son refus de coopérer. Simon n'était pas un mauvais type, et Elena était convaincue qu'en creusant un peu plus, elle saurait découvrir une facette de sa personnalité qui la rendrait fière, lui prouverait qu'elle avait eu raison de ne pas le laisser dépérir dans cette maison. Et ce qu'elle voulait par dessus tout, c'est qu'il éprouve lui aussi autre chose que la colère sempiternelle qu'il traînait derrière lui, comme un boulet dont il ne voulait pas se débarrasser et qui l'empêchait de sortir la tête de l'eau. Elle voulait qu'il saisisse cette opportunité de faire mieux que ce qu'il avait fait jusqu'à présent, qu'il mesure toute sa chance.

« Okay... » fit-elle en fronçant les sourcils, incertaine quant à la démarche à suivre avec lui. Elle ne savait pas comment s'y prendre. Gentiment ? C'est bien ce qu'elle avait tenté de faire, et le résultat n'était guère concluant. Le menacer ? Lui faire peur ? Ce n'était pas ses méthodes, et la brune voulait instaurer une relation de confiance. Elle se pinça les lèvres un moment, le fixant comme pour l'évaluer. Objectivement, il était inutile au groupe, c'était un fait. Et il ne démontrait aucun signe d'amélioration depuis son arrivée. Pas le moindre indice encourageant. Rien. Mais Elena refusait d'abdiquer. Cet échec lui ferait trop mal, elle ne pouvait pas se résoudre à le voir franchir la frontière du ranch pour retourner vers une mort certaine. Mais comment sauver quelqu'un qui avait décidé de s'enliser dans sa propre déchéance ?

« Tu ne devrais plus avoir peur d'eux maintenant. » fit-elle alors simplement remarquer, en parlant évidemment des rôdeurs qui terrifiaient Simon. « Ils font partie de notre quotidien. Il faut s'y faire. Et puis, ils sont terriblement prévisibles. Je trouve que ça les rend moins dangereux que certains hommes. »

Elle avait parlé en laissant son regard glisser sur les traits déformés des cadavres gesticulant et gémissant contre la barrière. Leur quotidien. C'était ça oui. Elle haussa les épaules en retournant un regard sur le blond, scrutant la moindre de ses expressions faciales. Elle n'insisterait pas plus pour qu'il approche les créatures. Elle se chargea seule des macchabées, en brisant d'un coup de lame mécanique chaque boite crânienne putride pour leur rendre leur repos. L'amertume de l'échec tapissait peut-être l'intérieur de ses joues, mais la résignation ne faisait clairement pas partie du vocabulaire de la jeune femme. Elle devait avoir une autre approche. Une de celle qu'elle n'était pas certaine de maîtriser. Pourtant, après avoir abattu le dernier rôdeur et essuyé le sang de sa lame, elle tenta autre chose.

« Je sais que tu ne voulais pas qu'on t'emmène, et crois-moi, je suis désolée qu'on ait du t'y forcer. J'aurais vraiment préféré que ce soit différent, comme la première fois où tu avais accepté mon invitation. »

La brune s'en voulait d'ailleurs. Pas pour les hommes qu'elle avait condamné pour sauver sa peau, mais de ne pas avoir eu la force de se mettre à sa recherche ensuite. De le retrouver et de le ramener chez eux. Entre temps, il avait trouvé quelqu'un et l'avait perdu dans la foulée. Résultat, il souffrait, et Elena ne pouvait rien y faire. Elle invita le jeune homme à la suivre de nouveau, s'éloignant des corps inertes.

« Je comprends que tu m'en veuilles, je n'avais pas le droit de t'obliger à quoique ce soit. »

Et s'il estimait la démarche tardive, elle n'en était pas moins sincère. Elena avait peut-être le sentiment de l'avoir sauvé, il n'en restait qu'elle l'avait privé d'autre chose d'aussi, sinon plus important que la vie elle-même : son libre arbitre. Après tout, elle l'avait jugé inapte à décidé de son propre sort, mais Simon y avait peut-être mûrement réfléchi ? Qui était-elle pour lui ôter sa liberté ? Au fond d'elle, elle avait l'espoir d'avoir fait le bon choix, et en se dirigeant vers le baraquement, elle refusait d'entrevoir le contraire.

"Comment ça, ne plus avoir peur d'eux ? Tu déconnes ?" grinça Simon en jetant un nouveau coup d'oeil vers les corps sans vie mais toujours animés. "C'est pas parce qu'ils sont partout tout le temps qu'il faut plus en avoir peur, c'est débile ! Y a des gens qui ont peur des araignées et c'est con, mais là, c'est des... Des trucs dangereux, putain, évidemment qu'il faut en avoir peur !"

Il ne savait pas si elle avait dit ça pour le provoquer ou si elle le pensait vraiment – dans tous les cas ça ne changeait pas grand-chose, il n'était pas d'accord. Il n'arrêterait probablement jamais de craindre les rôdeurs, il considérait ça comme un réflexe inhérent à la survie elle-même, mais c'était peut-être aussi parce qu'il n'avait jamais vraiment eu l'occasion de se détendre ces dernières années. Il avait surtout vécu seul, sans pouvoir dormir à peu près sereinement puisque personne d'autre n'était là pour surveiller les alentours. Du coup, il les voyait encore comme au départ : des créatures certes souvent prévisibles, mais aussi mortelles et parfois quasiment impossibles à éviter. Sans parler du fait qu'il n'avait jamais eu d'arme à feu et qu'il fallait par conséquent s'approcher pour en venir à bout et leur cogner directement dessus, ce qui ne l'aidait pas du tout à moins en avoir peur.

Elena semblait avoir compris qu'il ne bougerait pas cependant, et il n'eut pas à se rebeller davantage parce qu'elle alla s'occuper toute seule d'achever les rôdeurs. Simon la regarda faire, les lèvres un peu pincées. Au moins, elle faisait ça rapidement, pas comme certains types qu'il avait croisés et qui semblaient vraiment prendre une certaine forme de plaisir à l'exercice. Quand elle fit ensuite référence à la première fois qu'ils s'étaient croisés, il détourna le regard. Il s'en souvenait parfaitement. Il s'était méfié quand elle lui avait proposé de l'accompagner, évidemment, mais il était seul et il n'avait strictement rien à perdre. Il avait voulu la suivre, mais ils avaient été séparés avant d'arriver à destination. Les choses auraient alors été très différentes. Il aurait passé l'hiver à l'abri, il n'aurait jamais rencontré Liv et à présent, il ne se sentirait sans doute pas aussi mal. Il haussa légèrement un sourcil quand elle reprit une nouvelle fois la parole, pas certain de bien comprendre. Est-ce qu'elle était en train de s'excuser ?

"C'est... Je t'en veux pas." finit-il par souffler, assez bas, mais pas assez quand même pour qu'elle ne puisse pas l'entendre. C'était vrai. Il avait pas de rancoeur particulière, plus maintenant en tout cas. En fait il se sentait plus résigné qu'autre chose. "Je sais que tu pensais faire le meilleur truc possible. Et... Merci pour ça." Il n'arrivait toujours pas à la regarder directement, comme si ça aurait pu le décourager. "Tu pouvais pas savoir que ça servirait à rien. Peut-être que ça serait mieux pour vous si je partais."

Il avait pas envie de partir, en soi. Il avait envie de rien du tout. Mais elle méritait pas que tout lui retombe dessus à cause de lui.

Sam 8 Sep 2018 - 22:10

Elena leva les yeux au ciel en sentant l'exaspération grimper à mesure que les minutes s'écoulaient en compagnie de Simon. Faisait-il cet effet en permanence ou pouvait-on espérer une amélioration avec le temps ? Elle redoutait la réponse, malheureusement. Elle l'écouta néanmoins, armée d'une patience providentielle alors qu'il s'emportait de nouveau.

« Ok, ok, t'en as peur, j'ai compris. Crois-moi, ça ne m'enchante pas non plus d'avoir à faire ça. Ils m'effraient aussi, évidemment. Peut-être qu'on devrait songer à te trouver une nouvelle arme ? Quelque chose qui ne t'oblige pas à trop t'approcher d'eux ? »

Rien qu'à voir l'expression plaquée sur son visage, la grecque devinait que l'idée ne l'emballait pas franchement. Il semblait plutôt disposé à l'éviter autant que possible sans chercher à envisager une alternative qui implique un contact de près ou de loin avec ces tas de chairs. Elena laissa un soupir glisser sur ses lèvres, consentant à lui céder une victoire pour l'instant. Elle reviendrait plus tard à la charge. Elle était disposée pour le moment à lui laisser du temps. Bien plus que n'en avait jamais eu aucun autre survivant auparavant. Du temps pour panser ses plaies, faire don deuil, s'acclimater à un environnement qui ne lui était pas hostile, à des personnes qui ne chercheraient jamais à lui causer du tort. Il n'arrivait pas à le réaliser aujourd'hui, il était toujours aux aguets, il entrevoyait le mal derrière chaque service qu'on lui rendait, mais viendrait le jour où il comprendrait que le monde n'était pas peuplé que d'êtres malveillants.

Si l'attitude d'Elena sembla le surprendre dans un premier temps, c'est sa réaction qui étonna la grecque en retour. Il la remercia. Ce simple mot, presque marmonné, sans aucun regard pour en intensifier la portée, réchauffa le cœur de la jeune femme. De la gratitude. Elle n'en attendait pas tant de sa part. La jeune femme n'avait jamais rien fait dans le but d'obtenir quoique ce soit en retour, elle avait toujours agi impulsivement avec la franchise qui la caractérisait tant. Mais en l'écoutant, ses actes prenaient une dimension plus profonde encore. Elle n'avait pas fait ça pour rien non. Simon le lui confirmait encore sans le savoir en suggérant qu'il pouvait partir, pour le bien du groupe.

« Pour aller où ? » La grecque l'imaginait sans peine lui répondre d'un vague marmonnement en haussant les épaules. Il n'avait nulle part où aller. Personne à rejoindre. Rien qui ne le stimule assez pour lui insuffler assez de courage pour affronter l'extérieur. Il partirait simplement, l'esprit toujours embrumé et sans aucune volonté. Il dépérirait seul, quelque part. Dans l'indifférence totale. Elena secoua la tête. Il n'en était pas question. Elle se souciait de lui à présent. « Tu ne pars pas. Parce que je ne crois pas que te ramener ici était inutile. C'était peut-être la seule bonne action que j'ai faite depuis longtemps et je n'ai pas l'intention de laisser ma bonne action filer. » Elle esquissa un sourire.

La jeune femme aurait aimé que le reste du groupe soit en mesure de le comprendre, de voir que ce garçon paumé et particulièrement désagréable avait autre chose à offrir. Qu'ils comprennent ce qu'il pouvait représenter pour elle. Qu'ils voient la rédemption qu'elle ne pensait plus pouvoir tenir un jour. Elle avait conscience cependant qu'elle ne pouvait pas leur imposer ça. Simon ne participait à aucune des tâches, et c'était uniquement au nom d'un certain respect qu'elle pouvait inspirer que personne n'avait encore osé le lui reprocher. Mais elle savait que la situation ne durerait pas. Les siens finiraient par lui demandaient des comptes, et la grecque n'avait pas de temps pour ça. Pas avec cette menace fantôme dont ne cessaient de parler Selene et Roza et qui planait comme une ombre au-dessus du ranch.

L'idée surgit alors qu'elle avait une pensée pour la musicienne... La jeune femme qui sous ses traits juvéniles, derrière son jeune âge, dissimulait un lourd passé. Selene avait du vécu. Beaucoup trop pour une jeune personne comme elle. Inutile de chercher à creuser, à déterrer les cadavres qui jonchaient son sillon, il n'y avait qu'à croiser l'azur perçant de ses yeux pour l'entrevoir. Mais elle avait gardé une certaine fougue, un petit quelque chose qui pourrait faire la différence. Elle saurait lui parler. Elle saurait trouver les mots. Tant d'autorité dans un un corps si frêle, si blême, ne pourrait que percuter. Si elle ne parvenait pas là où avait échoué la grecque, au moins toucherait-elle une corde sensible, Elena en était persuadée. Tellement, qu'elle regrettait de ne pas y avoir songé plus tôt. Le blond avait besoin de voir autre chose, une autre façon de survivre. Ici, peut-être le cadre était-il trop familial pour ce drôle de solitaire. La jeune femme qui avait amorcé le pas en direction du ranch s'arrêta pour plonger ses yeux sombres dans ceux, fuyants, de son vis-à-vis.

« Tu ne peux pas partir de toute façon, j'ai une mission pour toi. C'est ce dont je voulais te parler. » mentit sans remords la grecque. « Nous avons des alliés dans la région, des amis. Ils sont moins nombreux qu'ici, aussi, Quinn va partir quelques jours chez eux pour leur offrir son expertise médicale. Tu vas l'accompagner. Ça te permettra de voir autre chose, de les rencontrer et de leur prêter main forte au besoin. »

Sur ce dernier point, Elena ne se faisait pas de grandes illusions...

Mer 12 Sep 2018 - 14:52

Simon n'avait évidemment pas conscience de la patience exceptionnelle dont elle faisait preuve envers lui, mais le fait qu'elle se soucie de lui – qu'elle vienne le chercher, qu'elle lui parle, et même qu'elle lui ordonne des trucs – tout ça le faisait se sentir un peu plus vivant qu'il n'avait pu l'être ces dernières semaines. Et même s'il râlait et qu'il ne s'en rendait pas encore vraiment compte, ça lui faisait du bien. Et quand elle lui dit qu'il n'était pas question qu'il parte, cette sensation se renforça encore davantage. Il ne s'y attendait pas réellement ; pour lui, jusqu'ici, ce n'était qu'une brève question de temps avant qu'elle ne baisse les bras et lui dise de s'en aller. Ca aurait été assez légitime de sa part vu la façon dont il se comportait, et lui-même n'aurait sûrement jamais réussi à trouver en lui la patience dont elle pouvait faire preuve à son égard. Le fait est qu'elle voyait manifestement quelque chose en lui, un certain potentiel peut-être, et même s'il était convaincu de ne pouvoir rien apporter de bien à son groupe, il réalisa qu'il appréciait qu'elle pense le contraire. Ca avait un côté extrêmement rassurant compte tenu des circonstances et de la solitude qu'il ressentait, et il aurait sans doute pu la remercier encore une fois si elle n'avait pas enchaîné.

En effet, Elena lui appris qu'elle avait une mission pour lui. Il s'attendait bien à ce que ça lui tombe dessus à un moment ou à un autre, mais si le matin même il l'aurait envoyée chier sans même la laisser lui expliquer de quoi il s'agissait, cette fois, à cause de ce qu'elle venait de lui dire, il était disposé à l'écouter. Et c'est ce qu'il fit en relevant les yeux vers elle, l'air toujours un peu méfiant cela dit.

Elle lui exposa rapidement ses intentions, et il resta silencieux pendant un instant. Des amis. Dans un autre camp, plus loin. Et il devait accompagner leur médecin là-bas. Ca semblait vraiment simple, quoi que les trajets à l'extérieur pouvaient être terrifiants, et c'est surtout ça qui retint son attention.

"C'est loin ?... Faut y aller à pied ? J'ai pas d'arme, faudra m'en donner une, pas question que je ressorte d'ici sans rien."

Si elle avait voulu l'envoyer tout seul là-bas, il aurait cru que c'était pour se débarrasser de lui – qu'il n'y avait aucun autre camp à proximité et que ça serait juste pour qu'il se fasse dévorer. Mais la présence de Quinn – c'était bien ça qu'elle avait dit ? - changeait les choses. Ca ne devait sûrement pas être un vulgaire piège, et puis de toute façon, il ne voyait pas pourquoi elle se serait donné autant de mal juste pour le faire dégager alors qu'il aurait suffit de le faire escorter dehors par un ou deux mecs armés. Non, elle devait dire la vérité, et Simon baissa les yeux comme pour réfléchir. Comme s'il s'offrait le luxe d'avoir le choix.

"Okay... Mais je vois pas pourquoi je serais plus utile qu'ici..."

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