Ce qui était sûr, c'était ce que ce n'était pas la capacité de bavardage d'Arleen qui leur attirerait la présence des cadavres. Elle était silencieuse, beaucoup trop. Mais si les morts pouvaient sentir la peur, sûr que tous ceux de l’État seraient déjà agglutinés autour d'eux. Ou peut-être étaient-ils justement déjà en route ? L'idée aurait pu faire sourire brièvement le réceptionniste si toutefois il ne se sentait pas aussi compatissant des craintes de son aînée. Il ne pouvait imaginer ce que ça devait être de vivre tous les jours avec une telle peur viscérale qui l'empêchait totalement de vivre. Oh bien sûr, lui aussi avait eu peur, surtout pour Ryan et Milow, mais maintenant qu'il les avait perdus les choses étaient bien différentes. Il se souciait de ses pairs, ici, mais ne ressentait pas de peur à propre parler pour sa propre vie. Advienne que pourra, comme disaient certaines personnes.

Afin d'essayer de détendre un peu l'atmosphère et surtout aider la blonde à penser à autre qu'au fait qu'elle avait mis un pied hors du ranch et, en un sens, était à la merci de toutes les atrocités du monde, Jess avait posé une question sur sa vie. Une question tout à fait banale qui lui valu cependant un sourire ravi de la part de l'aînée. Il avait alors arqué un sourcil, presque étonné de la voir d'un seul coup changer d'expression et, là où certains auraient évité le sujet, ou du moins expédié rapidement, elle avait parlé. Encore, et encore.

Personnal-shoppeuse donc, et apparemment pas mal connue. À dire vrai, le blond s'était bien douté qu'elle faisait partie d'une classe supérieure de la société. Avec ses airs un peu précieux et ces regards quelque peu supérieurs par moments, ça ne l'étonnait pas le moins du monde. Il en avait vu, des personnes de ce genre là lorsqu'il bossait à l'hôtel. La clientèle était relativement huppée, et le bouclé avait cette habitude de les observer. Sans émettre le moindre jugement, si ce n'était qu'une faible jalousie devant leur petite vie si parfaite. Jess ne s'en était pas trop mal sorti, au final, mais il y avaient de ces séquelles qui ne disparaissaient jamais, et la colère née de ce qui était arrivé à son adolescence et les années qui en avaient suivi était encore bien présente en lui. Évidemment, Arleen n'avait pas besoin de savoir tout cela, personne n'en n'avait besoin et, de toute façon, elle était bien trop occupée à lui parler de tous les détails de sa vie pour se soucier de la sienne. Tant mieux.

Par moment, de brefs rires fusaient entre les lèvres du bouclé. Elle en avait vu de belles, avec tous ces clients capricieux. C'était la pire clientèle, lui-même pouvait l'assurer. Mais ça aussi, il s’abstint de le dire, sa partenaire en faisant apparemment elle aussi partie. À la fin de son récit, son regard toujours concentré sur ce qui les entouraient, Jesse avait hoché la tête en lui adressant un sourire. « Sacré vie hein... Tu racontes ça avec une telle passion qu'on s'y croirait presque » avait-il alors lancé sans le moindre jugement dans son ton, une simple affirmation de la manière dont il ressentait les choses. « Mais c'est clair que ça devait pas être simple tout le temps, et pour avoir eu pas mal de gens de la haute sous le nez, je sais de quoi je parle » avait-il avoué en souriant à nouveau. « Comment en es-tu venue à faire ce boulot ? » avait-il alors demandé, avisant quelques silhouettes chancelantes au loin. Tant qu'il occupait son aînée, peut-être ne remarquerait-elle pas ces indésirables, suffisamment éloignés pour ne pas représenter une menace directe.

Écoutant toujours d'une oreille attentive les explications -ou plutôt le long monologue- de la blonde, Jesse gardait un œil concentré sur les alentours. Tant qu'elle parlait, elle semblait avoir l'esprit occupé par autre chose que par les risques qu'ils encouraient à s'éloigner ainsi du ranch, alors autant qu'elle continue. Et si cela pouvait par la suite lui permettre de se dire que ça n'avait pas été si laborieux que cela, ce serait un premier pas pour elle.

Alors qu'ils sortaient de la forêt cependant, le bouclé perçut quelques grincements pas vraiment rassurants, dégageant d'une main les cheveux que le vent venait de balayer sur son front. S'il gardait un œil avisé que les silhouettes chancelantes un peu plus loin, il ne s'était clairement pas attendu au vacarme qui coupa net son aînée dans une nouvelle anecdote. Et autant dire que le cri qui avait filé entre les lèvres d'Arleen l'avait fait sursauter. Son regard passant d'elle au feu tricolore qui venait de s'effondrer sous les bourrasques conséquentes il avait inspiré profondément. « Ne panique pas. Il suffit qu'on s'éloigne à nouveau vers la forêt et on sera à l'abri » avait-il suggéré sur un ton qui se voulait rassurant avant de remarquer que la femme s'était arrêtée quelques pas derrière lui, totalement figée.

Il planta alors ses prunelles sombres sur elle, percevant bien son angoisse et les tremblements qui agitaient ses mains. Arriverait-elle seulement à se défendre si les cinq silhouettes aperçues plus loin venaient jusqu'à eux ? Le réceptionniste en doutait sérieusement, et il n'était pas non plus certain de pouvoir se débarrasser d'eux en devant en plus faire attention à sa sécurité à elle. Si elle n'agissait pas un minimum, leur sécurité à tous les deux serait compromise, sans compter le fait qu'avec le boucan qu'avait provoqué le feu tricolore en tombant, d'autres cadavres s'amèneraient sans doute encore.

S'approchant alors d'elle, le blond avait pris son bras avec prudence. « Viens, on s'éloigne d'ici, dans le bois on aura plus de chance de les semer » avait-il intimé, espérant qu'au moins son cerveau parviendrait à s'activer suffisamment pour que son corps ne s'anime à nouveau et se mette en marche.