C’était marrant. Putain ce que c’était marrant ! Il n’avait absolument pas l’air de comprendre que d’une, ils ne déconnaient et de deux, il n’était pas tout seul dans cette galère. Faire le caïd quand on avait que sa propre vie dans la balance, ça pouvait se comprendre, mais là ? Est-ce qu’il percutait que quelqu’un d’autre allait payer à sa place ? Sa meuf ? Ludwig ? La petite gamine de huit ans ? Victoria souleva haut un sourcil devant l’enfantillage de l’otage qui l’éclaboussait avec son eau sale. Comme si après des années à régulièrement se retrouver constellée de tâche de sang et de putréfaction, elle allait s’offusquer devant quelques gouttes de crasses.

- T’es un putain d’génie, commenta-t-elle avec une fausse admiration, t’es tellement con qu’ça en d’vient d’la sagesse.

Elle le toisa un moment pendant qu’il commençait sa grève. Balai jeté au sol, dos contre le mur, visage dans les mains. Il ne lui manquait plus que des pancartes et quoi, il irait manifester dans les rues ? S’il ne voulait pas être une balance, il allait être servi : il serait donc un type fiable mais avec des morts sur la conscience. Le sourire carnassier de la pigiste refit un passage éclair sur son visage laiteux avant qu’elle ne rappelle à sa victime qui devait avoir la mémoire courte :

- L’sénateur a déjà été interrogé. Il a failli accepté une offre en or, mais… faut croire qu’vous êtes tous sacrément abimés dans c’ranch, elle renifla d’un air dédaigneux comme si son interlocuteur empestait soudainement la bouse, mais t’sais, j’déconnais pas avec mon jeu : t’parles pas ? C’ta copine qui va morfler. On lui rendra une p’tite visite, un jour, et…, elle mima un grand coup de batte, bien envoyé dans le visage imaginaire de Marjoline, j’la tuerai pas, promis. J’lui f’rai p’tête sauter un œil… ou le nez… t’l’aimeras toujours ?

Elle n’était pas entièrement sincère, bien sûr. Son truc, c’était de tabasser. Les mutilations volontaires, c’était pas son créneau. Alors la blondasse mangerait un peu oui, et… il verrait bien après ce qui fonctionne encore ! Le suspens n’en était que plus excitant, c’était comme une boîte surprise. Héhé. Bon, c’était pas tout ça, mais Francis avait tout resali. Et qu’est-ce qu’il avait dit déjà ? Ah oui…

- Et c’pas l’heure d’la pause là, tu r’prends l’ménage. Avec ta langue, comme t’m’as dit. C’est ça ou j’te promets qu’j’fais v’nir un d’tes potes ici pour lui flanquer une branlée.

Il commençait réellement à se demander ce qu'il avait pu faire, ou proférer de si contrariant aux grandes puissances qui gouvernaient l'univers pour se retrouver en compagnie de Victoria. Ils ne s'entendaient clairement pas ! Et quand bien même son humour gagnait éventuellement à être connu, le simple badinage avait rapidement pris la tournure d'une intimidation et d'une brutalité psychologique à toutes épreuves.

Qu'à cela ne tienne, il avait décidé de ne pas entrer dans ce petit jeu, ou du moins pas de la manière dont ils l'envisageaient. Bien sûr qu'il avait conscience des risques, il était même persuadé que ses hôtes redoubleraient d'ingéniosité et de sadisme pour lui faire payer, à lui et à ces autres « paysans » leur affront... Ceux qui comme lui trouvent judicieux d'aggraver la situation et de jouer négligemment avec de l'eau sale.

D'autres insultes fusèrent à son attention, alors qu'il refusait catégoriquement de passer à table, s'accordant quelques secondes de répit où il aurait aimé avoir le don de pouvoir faire disparaître son interlocutrice d'un claquement de doigts. Elle pensait lui avoir rivé son clou, pourtant le regard dédaigneux et méprisant qu'il lui jetait opposait encore une fois leurs convictions. Elle lui expliqua que Caleb avait été interrogé lui aussi et avait failli céder, quelques temps auparavant. La brune en profita pour ré-affirmer ses attentions vis-à-vis de sa compagne -pour qui il ne s'inquiétait pas le moins du monde- s'amusant même à l'imaginer mutilée ou mimer un coup de batte, ce qu'il finit par applaudir frénétiquement, en guise de réponse.

L'intimidation se fit plus prononcée, quand Victoria l'avisa de reprendre le travail, de la manière dont il l'avait suggéré, sous peine de voir un de ses potes se faire frapper. C'est suite à ces propos que Jefferson explosa littéralement de rire, avec une gestuelle exagérée, lui faisant signe de se taire d'une main alors qu'il se tenait les côtes de l'autre, comme si sa vis-à-vis venait de lui sortir la blague la plus désopilante au monde. " Ouep, mais tu sais, je pense qu'avec même toute la bonne volonté du monde, je ne parviendrais pas à rendre cette pièce plus propre, il y a quelque chose... Je ne parviens pas exactement à dire ce que c'est mais... " son index posé sur ses lèvres, les yeux roulants, il finit par s'arrêter tout à coup. " Ah oui... " il la pointa alors du doigt. " Je veux bien essayer mais, puisque je suis loin d'avoir inventé l'eau chaude ou le fil à couper le beurre, il vaudrait mieux que tu me montres, non ? " suggéra-t-il, ses lèvres se tordant dans un rictus.

Il récupéra toutefois sa serpillière, pour passer sur les traces qu'avaient fait Victoria, avant de la regarder. " Tu sais quoi, je viens d'avoir une idée ...Puisque la vie pour toi ressemble à un jeu vidéo, et que vous avez de toute façon pris notre méfiance pour de la faiblesse... " il s'approcha alors, la dévisageant. " Pourquoi faire subir aux autres les conséquences de ma stupidité ? Alors que la chose la plus simple au monde tu sais ce que serait... ? " il attendit à peine quelques secondes avant de l'énoncer. " Que tu me tues. " une fois énoncé, c'était comme s'il se sentait soulagé d'un poids, il reprit alors, étrangement guilleret. " C'est vrai quoi !? Pourquoi tu ne me tuerais pas ? " il aurait presque pu la bousculer d'un coup d'épaule pour l'inciter à le faire encore plus vite. " Si je ne dois pas y survivre, je préférerais mourir dignement, plutôt que d'avoir contribué à ça ... Mener mon groupe à sa perte, et surtout, aider des personnes pitoyables et déloyales dans ton genre à élaborer vos plans bancals et mégalo ! " il poussa un soupir, avant déposer le balai. " Alors vas-y, tue moi, tu as tout à y gagner non ? Les louanges de tes pairs pour avoir éliminé les parasites... Ils seraient tellement fiers de toi... " il était déjà mort, de toute façon, et il mourait un peu plus à chaque jour qu'il passait dans la maison de verre, et s'il n'y survivrait peut-être pas, son honneur serait sauf. " Non ? Où est donc passé cette assurance que tu avais il y a quelques minutes ? "

Victoria était sincèrement impressionnée. Y’a pas à dire, fallait être un sacré zozo pour déblatérer autant de bêtise à la minute. Ça lui faisait presque de la peine au fond, parce que Francis devait être un de ces gars qui se croyaient héroïque et courageux… mais ils ne faisaient que passer la serpillère chez leurs ennemis. Autrement dit : il avait le rôle de la petite tarlouze en détresse. Du coup, tout son discours ne suscita chez la pigiste qu'un regard profondément blasé. Genre… c’était inintéressant. De A à Z. Le pire, c’était qu’il prenait son silence estomaqué pour le fait qu’elle se dégonfle. Quel marrant…. En fin de compte, elle émit un sifflement ébahi et trancha de sa voix trainante :

- Ça y’est ? T’finis ? T’as pas d’autre insulte d’maternelle en magasin, comme celle qu’il avait déjà proféré à son égard – elle « empêchait la pièce d’être propre »… c’était censé lui faire du mal ? Ça a l’air d’te faire plaisir d’croire qu’nos plans sont bancales alors… j’vais pas perdre d’temps à t’contredire. Mais dis… t’es sûr d’mourir dignement si j’te tuais maintenant ? Elle haussa un sourcil, t’crois pas qu’tu crèverais plutôt comme un moins que rien qui vient juste d’essuyer derrière moi ?

Remarque, peut-être qu’il trouvait ça glorieux. Après tout, y’avait de quoi flasher sur elle ! Le plus tranquillement du monde, la trentenaire recula jusqu’à l’une des fenêtres du salon et ouvrit pour demander aux « gardes » qui se trouvaient dehors qu’elle voulait faire venir Edward. Il avait une bonne gueule de victime ce con, c’était pas de sa faute. Il allait payer pour captain serpillère. Ensuite, elle se retourna vers Jeffouille pour en rajouter une couche :

- Et p’quoi faire subir aux autres l’conséquences d’ta stupidité ? Faut bien quelqu’un d’stupide pour d’mander ça, railla-t-elle, c’pour qu’t’ai l’temps d’te sentir con pardi. Qu’tu puisses voir tout c’qui arrive à cause d’ton p’tit zizi, un sourire profondément cruel fendit son visage laiteux alors qu’elle ajoutait d’une voix grave, presque suave, j’peux t’promettre un truc : j’vais aller chez toi un jour. Au ranch. Et j’leur dirai bien qu’c’est toi qu’a joué au con avant d’en tuer un. Ou deux, elle haussa nonchalamment les épaules, j’tabasserai ta gonz’ aussi et à chaque coup, j’lui rappellerai qu’c’est d’ta faute, Victoria fit mine de s’interrompre pour réfléchir, est-ce qu’ça t’va ou faut qu’rajoute un épisode au programme ?

C’était sans compter l’adolescent qui allait déguster sitôt que ses complices l’auraient amené dans la pièce. Ça c’était le projet du jour !