« Calme. Reste calme, il ne faut pas inquiéter Freya au moment de partir ». Deaglan répète cette phrase en boucle, le temps qui charge la voiture et entre dans l'habitacle. Ses mains tremblent de colère, il n'arrive pas à contrôler ses émotions. Depuis plusieurs semaines, elles sont mises à rude épreuve et là, c'est la goutte de trop.
Le quadragénaire regarde dans le rétroviseur que sa fille est bien fermée la porte et soit loin de son explosion de rage. Mais la petite princesse prend les devant en lui disant de laisser tomber. Elle est sérieuse ?
- Tu as intérêt à vider ton sac, Princesse. Car ma patience a certaines limites et arrêtes avec tes « laisse tomber ».

La petite emmerdeuse lui coupa la parole avec « c'est rien », « c'est réglé » et le pompon elle ne veut le mêler à son histoire. Bordel ! Et le prend pour un con ?
- Ah bon ! Pour toi, c'est rien d'avoir frôlé la mort ? Ah non attend, je viens de comprendre. Avoir une cicatrice, c'est la nouvelle mode ? Dire que Deaglan est furax est un mot léger, il est hors de lui. Bon sang, princesse tu me rappelles sans cesse que je suis naïf du monde d’aujourd’hui car je ne connais pas la guerre entre vivants et qu'il faut que je fasse plus attention. Mais tu te comportes de façon inverse avec moi. Tu me cloîtres dans tes idées que tout va bien, alors que tout va mal. Comment veux tu que je m'attends au pire, si tu me dis rien ?

La princesse, lui dit tout le temps qu'il est innocent du monde extérieur, mais si elle lui cache la vérité, Deaglan voit mal comment il peut sauver ses filles. Dans un sens il trouve cela attendrissant qu'elle ne veut rien dire, car ça prouve que Freya et lui son important à ses yeux, mais si elle ne l'avouera jamais à elle, comme aux autres. Pourtant, si un jour elle débarque comme une fleur avec son groupe car ils se sont fait attaquer par des vivants, il faudra bien qu'elle lui informe de tout afin de les protéger.
Certes la vérité peut être dure a encaissé, mais être naïf peut être mortel.

Deaglan prend une grande inspiration. Prend la main de sa petite emmerdeuse et la regarde droit dans les yeux.
- Princesse, tu me dois la vérité... comme à Freya.

Elle avait naïvement espéré que l’habitacle de la voiture encouragerait Deaglan à se focaliser sur leur mission du jour mais au contraire, ça le fit que lui dresser le chapiteau pour une explosion de rage. Instinctivement, la musicienne se sentit férocement bouillir aussi et passa à deux doigts de lui hurler dessus en réponse à son avoir une cicatrice être à la mode ?. Combien de fois devrait-elle lui dire qu’elle n’était pas sa fille et que ses sermons infantilisants de merde, il pouvait se les garder !

- Putain mais-, tenta-t-elle de couper mais elle fut balayée par la voix de son passager.

Dans ces circonstances à plus forte raison, le surnom qu’il lui attribuait lui vrillait les oreilles. C’était vraiment une maladie de ne pas vouloir la prendre pour une égale et de chercher à la surprotéger ? Selene avait pris une grande inspiration pour crier plus fort que le PDG mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Il avait de bons arguments. Elle expira bruyamment et fit mine de se taper le front sur son volant en marmonnant des paroles inintelligibles. La musicienne sursauta quand il lui prit la main et même si elle tourna la tête pour soutenir son regard, elle récupéra ses doigts un peu plus brusquement que voulu. Il devait le savoir qu’elle n’aimait pas les contacts inopinés.

- La vérité ? Rétorqua-t-elle sèchement, la vérité c’est qu’un putain de groupe de je-ne-sais-combien de personnes est en train de recruter ou piller tout le monde dans la région, cracha la jeune femme avec tout le dédain qu’elle éprouvait pour eux, ils ont massacrés un camp de soixante survivants l’année dernière, ils ont attaqué des gens de chez moi l’automne dernier et ont abattu la grand-mère de ma fille, et là, au printemps, ils…, elle marqua un blanc, étouffée par la rancœur, ils ont attaqué la communauté de ma meilleure amie et on prit des otages, y compris sa fille de huit ans, pour obliger les autres à travailler pour eux !

Selene dut inspirer profondément et expirer de la même façon pour vainement tenter d’évacuer la colère. Le teint pâli, les narines gonflées, les muscles de la mâchoires crispées. C’était pour ça que Deaglan la faisait chier avec son complexe du père adoptif alors qu’elle avait bien pire et bien plus grave à régler. Elle essaya mais ne parvint pas vraiment à masquer toute sa nervosité lorsqu’elle reprit :

- En essayant de retrouver leur trace, je suis tombée sur une fille complètement dingue qui s’est jetée sur moi sans raison, certes, la pianiste était armée et la suivait mais ne menaçait personne, c’était elle ou moi, ok ?! Et ça a été moi, de toute évidence ; comme si ça ne suffisait pas, elle précisa avec une expression insolente, j’lui ai arraché la gorge avec mes dents, Deaglan, elle avait bien appuyé sur le moyen utilisé pour qu’il ne le rate pas, voilà qui j’suis, tu vois ?! Je suis pas une princesse et je ne suis pas Freya !

Essoufflée, la musicienne réalisait seulement qu’elle avait arrêté de respirer dès les premiers mots. Elle s’était laissée emporter et si une part d’elle-même l’avait fait volontairement – pour que le PDG cesse enfin de la voir comme une gamine – l’autre hurlait une sorte de détresse invisible. Le fait que ce monde l’avait beaucoup trop changée et qu’elle s’effrayait elle-même. En ne voulant pas les mêler à ces histoires, ce n’étaient pas seulement des autres dont Selene voulait protéger les Euston… c’était d’elle-même.

Deaglan savait qu'en lui tenant la main, il l'a ferait réagir. Pas pour avoir un geste tendre, non. Il sait qu'elle n'est pas tactile. C'est pour avoir une autre réaction, celle de déballer son sac... la cruelle vérité, qui plane autour de son groupe. Hallelujah, c'est ce qu'elle fait! Deaglan se dit qu'il faudra qu'il se trouve une combinaison de ski, car il va neiger sur tout le pays, même si c'est l'été.

Il se concentre sur son récit et bloque aux mots « ma fille ». Sa fille ? Elle a une fille ? Comment ? Enfin si, il sait comment elle a eu une fille. Mais bordel, pourquoi ? D'un coup, il se sent vieux, très très vieux. Il veut lui poser un million de questions sur sa fille. Mais l'heure est dans les révélations de la princesse pas de décrire sa famille.
Alors qu'il pense, que la mort qui plane autour d'elle est terriblement atroce, elle lui révèle l’existence d'une amie et l'enlèvement de son enfant. Huit ans !? Et aussi d'esclavage et chantage contre la petite. Bon sang ! Ces personnes sont loin d'être des saints, le chef doit être le diable en personne. Il est vrai que Selene est loin d'être aussi une sainte et si son amie est pareille alors il peut comprendre que des gens sont en colère ou avoir de la haine. Mais utiliser un enfant, c'est un acte impardonnable, surtout pour Deaglan.

Sa princesse s’arrête de parler en reprenant une forte respiration. Il ne dit rien. Pas qu'il ne voulait rien dire, c'est juste que lui aussi est au point d'exploser de colère et qu'il sent qu'elle n'a pas finit de parler. Non seulement, il a raison et en plus la fin de son discours est effrayant. Le quadragénaire bouillonne d'intérieur, pourtant il ne dit rien. S'il a apprit quelque chose concernant sa chieuse, c'est parfois de fermer sa gueule le temps qu'elle se calme et reprendre le sujet plus tard.
Deaglan hoche la tête.
- Je te remercie pour ton honnêté. Pour ton surnom, il est ironique, je te vois plus comme une guerrière viking, qu'une pouffe qui aime se faire un ravalement de façade. Et tu as tort en disant que tu n'es pas Freya, comme toi c'est une battante. Certes, elle a de la chance jusqu'ici de ne pas s'être confronté aux atrocités que tu as subit. Mais ne doute pas de ses capacités, je suis moi même prêt a le reconnaître qu'elle serait se débrouiller sans moi. Pourtant elle reste ma fille  aimante, que je ne peux m’empêcher de protéger. C'est mon rôle de parent. L'apocalypse ne change en rien à ma priorité absolue, elle et... maintenant toi. Deaglan inspire profondément en repensant à son passée. Je sais que mon amour peut être étouffant, mais crois moi, vaut mieux qu'un amour soit étouffant qu'inexistant ou rejeté.

Selene força une expiration sceptique en secouant la tête. Elle était flattée que le PDG reconnaisse qu’il la voyait plus comme une guerrière que comme une midinette, mais ce n’était pas la question. Il ne comprenait pas ou ne voulait pas comprendre. Chaque fois qu’il faisait un parallèle avec Freya, la musicienne ne sentait que plus cruellement comme elles étaient différentes. Ce n’était ni un reproche, ni dévalorisant. La musicienne donnerait n’importe quoi pour être comme la fille du quarantenaire. Pour mériter l’amour qu’il s’obstinait à lui attribuer.

- Tu ne me connais pas Deaglan, souffla-t-elle d’une voix étranglée, tu ne peux pas dire ça, tu ne me connais pas.

Il ne savait rien des atrocités de son parcours. Le premier meurtre dans son appartement, l’inconnu agonisant dont elle avait vu abréger les souffrances au milieu d’une horde, la fois où elle avait été passée à tabac, son viol, la torture, la perte de tous les êtres chers dont elle se sentait responsable. La liste était interminable. Elle avait été malade à en devenir un danger pour ses proches et n’était revenue à un état stable que grâce au soutien de ses amis, au suivi de William et à la naissance de sa fille. Elle était tout le contraire de Freya, elle était une marionnette brisée que le PDG appréciait pour de fausses raisons.

- Tu ne peux pas dire que je suis l’une de tes priorités, refusa la pianiste, ta fille l’est. Rien qu’elle. Je suis qu’une personne que tu as rencontrée, mais… ça ne vaut pas la peine que tu t’attaches à moi. Je ne veux pas être dramatique, précisa-t-elle brusquement en sentant venir l’accusation, c’est la vérité. Je ne suis pas à la hauteur de… ça.

Toute l’attention qu’il lui portait, envers et contre tout. C’était tellement prématuré, même s’il y avait déjà un semblant de relation entre la prison et le fort. D’ailleurs, cette conversation commençait à la mettre sérieusement mal à l’aise. Selene réajusta son col et mit le contact pour signaler qu’elle avait l’attention de se concentrer sur la route. Pour renforcer un message qui n’était peut-être pas assez clair, elle demanda en évitant soigneusement son regard :

- Tu me guides ?