Le petit complexe d'appartements dans lequel j'habitais était autrefois un quartier tranquille du centre de Tacoma, un endroit où des familles venaient s'établir ou des gens d'un certain niveau de vie. Les bâtiments étaient regroupés entre eux et formaient comme une petite citadelle mais le seul point faible étaient les entrées, situées en bas des bâtiments. Nullement des entrées très larges mais elles permettaient de laisser passer pas mal de résidents à la fois. Forcément, lors de la crise, c'était un endroit difficilement défendable contre les infectés qui se pointaient. Aujourd'hui, avec le temps devant moi, j'avais pu dépouiller chaque logement de ce qui pourrait m'être utile dans le complexe et quiconque se mettrait à fouiller les appartements verraient que rien n'avait été laissé derrière. C'est donc dans cette "forteresse" aux pieds d'argile que j'observai ce qui se passait dans les alentours.
Rien à part le vent qui se mit à souffler en ce début d'automne de l'année 2018 ne vint troubler le silence de mort qui régnait en maître sur notre monde. Le soleil de l'été avait depuis longtemps laissé la place à la grisaille et aux nuages gris de cette saison fraîche. Tout au plus ai-je entendu le gazouillis de quelques oiseaux en ce début de matinée mais depuis mon observation des alentours, rien ne venait dénoter dans ce paysage désolé de la ville américaine abandonnée. Pour me protéger de la fraîcheur, je m'étais vêtue d'une veste de cuir noire par dessus un t-shirt noir et mon gilet pare-balles. Un jean bleu nuit et une paire de Converse noires aux pieds complétaient mon accoutrement, rien de très extravagant en somme. Je réajustai la ceinture enserrant mon jean avant de balayer devant moi de nouveau la lunette de combat de mon M4, tâchant de voir quelque chose par dessus les bâtiments et les arbres encore feuillus. À priori, il n'y avait rien à signaler jusqu'au moment où quelque chose attira mon attention. Poussant la lunette de mon M4 à fond, -c'est à dire, pas grand chose- je vis du mouvement. Je me demandai si je n'étais pas en train de devenir folle avant de regarder plus longtemps la zone par laquelle je pensai avoir vu du mouvement. Pendant un moment, j'étais en train de me dire que je pétais vraiment un câble mais cet instinct qui me tenait en haleine depuis plusieurs jours me poussait à continuer d'observer ce qui se passait. Ce fut alors au détour d'un angle de rue que je vis enfin la confirmation en chair et en os que je n'étais pas déglinguo. Il y avait bien quelqu'un qui se déplaçait deux ou trois rues plus loin. Difficile de dire si c'était un homme ou une femme mais en plissant l'œil le plus possible à la lunette, la carrure de l'individu me portait à croire que c'était une femme.
Merde, je me demande si...
Je ne terminai pas ma phrase, laissant les mots mourir le long de ma gorge, je savais cependant ce que j'aurai pu dire et exprimer ma pensée à voix haute. Je savais aussi que mon esprit était soudainement en ébullition et turbinait à la vue de ce signe de vie. C'était donc ça ? Ce pourquoi mon inconscient me gardait alerte sans vraiment préciser la nature de la dite alerte ? Était-ce donc cela ce que j'attendais depuis des jours ? À la regarder, je voyais qu'elle prenait ses précautions pour se déplacer, comme si elle ne voulait pas être vue. Manque de chance ma cocotte, moi je t'ai vu... Elle s'approchait des résidences où j'étais basée. D'ici un petit moment, elle pouvait s'amener ici. Est ce que je devais lui tendre une embuscade ? Les lieux s'y prêtaient et je connaissais quasi parfaitement l'endroit comme ma poche vu le temps que je vivais ici. Non elle ne m'avait rien fait, je n'avais pas de raisons de l'attaquer, d'autant plus qu'elle semblait seule, sans traîner un groupe avec elle. Je n'arrivai pas à me décider sur ce que j'allais faire avec cette inconnue que chaque pas rapprochait de ma base. Dans ma tête, je ressassai mon protocole de premier contact et j'arrivai toujours à la même conclusion : je n'en avais pas et la plupart du temps, je me présentai en armes à l'individu, ça posait le cadre et ça dégénérait une fois sur trois. La dernière fois, j'ai failli flinguer Lance, un homme était mort et j'ai dû réconforter Daniella. Après un instant de réflexion, j'envoyai bouler mes calculs et je partis à la rencontre de l'inconnue. Elle paraissait armée de ce que j'avais vu, là où certains auraient vu une menace ambulante, pour le coup j'y voyais une opportunité. Vérifiant une dernière fois que j'avais bien gilet pare-balles, munitions, Glock 22 et M4, je dévalai les étages pour sortir du complexe au dehors. Je mis un genou à terre à l'entrée de la résidence, le canon du M4 pointé vers l'avant et j'écoutai. Mes mains habillées de leurs mitaines de combat caressaient doucement mon fusil pendant que je restai à l'affût. Après plusieurs secondes de vigilance, je dus admettre qu'il n'y avait pas un bruit, pas même le bruit d'une personne se déplaçant avec précaution ou le cliquetis d'une arme. Merde, cela ne manquait pas de me troubler.
Je me remis en route, l'arme en avant, l'œil aux aguets, ma main sur la poignée amovible se crispant légèrement. Il y avait une douce pente herbeuse de l'autre côté de la rue devant la résidence et je pris mes précautions pour avancer, essayant d'avoir un œil partout non seulement pour repérer le moindre ennemi mais aussi pour essayer de "tomber" sur l'inconnue. Mais c'était bien entendu impossible et ces quelques jours d'attente avaient eu raison d'une bonne partie de ma vigilance et de ma concentration. Peut-être mon âge aussi mais ce n'était pas quelque chose qui me préoccupait. Serrant les dents, je parvins à la rue parallèle de celle devant la résidence et je me calai contre un angle pour observer la rue. Brusquement quelque chose attira mon attention sur ma droite, je crus entendre un bruit. L'arme levée, je me déplaçai le plus doucement possible, prenant couvert derrière un pickup dont la vitre était brisée. Il y avait un cadavre sur le seuil de l'entrée de la maison à côté du véhicule. Gardant un œil dessus, j'ouvris la portière et je jetai un regard dans le pickup pour m'apercevoir qu'il n'y avait personne dedans. En revanche, j'étais un instant de trop concentrée sur l'intérieur du pickup, ne prêtant plus attention autour de moi et ce fut un râle bien trop familier qui me fit faire volte face. Le cadavre s'était mit à remuer et était déjà debout en tendant les bras vers moi. D'un coup, mon expression passa de la concentration à la surprise mêlée à du stress et de la colère. Merde comment il avait fait pour se relever sans bruit ? J'essayai de rester calme en me retenant de crier, tout au plus je me mis à gronder comme un animal acculé et alors que le mort-vivant se porta vers moi, j'eus un éclair de lucidité qui me rappela un combat d'une ou deux semaines en arrière. Au lieu de porter un front kick qui ferait basculer mon ennemi en arrière pour qu'ensuite je l'achève au risque d'être à portée de morsure, je m'écartai d'un coup en faisant un pas de côté. L'infecté rata la marche sur le perron et chuta la tête contre le rebord du pickup. C'était l'occasion que j'attendais et en levant le pied, je balançai un violent high-kick dans la portière pour qu'elle s'écrase contre la tête de l'infecté. La portière ne se referma pas immédiatement et je le vis encore remuer malgré la violence du choc, me poussant à donner un autre kick dans la portière qui se referma presque mais en ne laissant pas intacte la tête de la goule. Cette dernière cessa de remuer alors que je refermai pour de bon la portière de force. Soulagée de voir mon ennemi définitivement mort, je repris mon M4 en main et je relevai donc les yeux.
Loin de moi d'avoir fait du raffut mais l'affrontement avait été peu discret. Durant un instant, j'avais oublié l'inconnue, concentrée et happée par la macabre mise à mort à mes pieds. Ce fut en relevant le regard pour observer la rue que je vis que je n'étais toujours pas seule. Et... à défaut de trouver l'inconnue, pour le coup je devais l'admettre, c'est elle qui m'avait trouvé.