Connor ralentit la camionnette à quelques mètres du magasin de bricolage qu'il visait. A sa droite, Caroline était là, assise sur le siège passager et concentrée comme à son habitude lorsqu'il s'agissait des sorties en extérieur. Lui eut un rire amusé :

J'sais pas pourquoi, ça m'rappelle des souvenirs. Confia-t-il à sa voisine, comme par nostalgie.

Quelques années en arrière, tous deux se trouvaient pour la première fois dans les rues de Tacoma, en quête de biens de la même manière qu'aujourd'hui. Sauf que cette première sortie les avait amené tous deux à abattre des individus qui avaient chercher à leur faire du mal. Le souvenir était lointain pourtant, mais Connor était capable de s'en souvenir comme si c'était hier. Peut-être parce que c'était une première fois plutôt marquante. Mais il chassa cette idée de son esprit et esquissa un sourire à sa complice :

On a besoin d'isolant, de ciment, et de tuyaux pour l'évacuation de la fumée. Lui fit-il avec le plus grand des sérieux.

Ils étaient là pour ça. Peut-être s'y prenaient-ils tard, mais vu l'installation récente de tous au fort, mieux valait ça que jamais. Ils avaient globalement besoin de tout, que ça soit au niveau des ressources ou du confort dans lequel ils vivaient - relativement précaire en vérité -, et pour cette raison, Connor s'était porté volontaire pour trouver ce qu'il fallait pour le chauffage. Le bois était à disposition, mais les dortoirs restaient très frais malgré leurs efforts, et il faudrait quelques travaux pour les installations.

Vu qu'il désirait que ça soit bien fait, l'homme avait fait une liste auprès de Jeff. Le bricoleur avait fait au mieux, se renseignant même chez Andrea et Duncan. Et il trouva en la personne de Caroline une motivation certaine pour la survie de tous. S'éviter de mourir de froid, c'était plus qu'un confort en réalité.

Et si on trouve un poêle ou deux... Ajouta-t-il, même s'il savait que ça serait plus difficile, et pour cause : Juste que... ça risque d'être lourd à porter.

Le coffre du van était assez grand pour en contenir plusieurs, mais un poêle avait tendance à peser plus de cinquante kilos facilement. Et s'ils étaient pressés par le temps ou les morts, ça pourrait devenir vite pénible pour eux.

Il n’était pas le seul à y penser. Il n’était pas le seul à s’en souvenir. Il aurait été difficile pour Connor d’oublier l’amitié qui le lier à Caroline, la volonté qu’elle avait toujours eu de faire au mieux. Et aujourd’hui, l’homme se sentait chanceux de faire parti de son cercle d’amis. Avec Jeff, et elle, les choses semblaient plus simples, plus douces.

Dis, c’est sûrement bête mais…. Il haussa les épaules en récupérant ses affaires. Hochement de tête à propos du caddie, ils allaient en avoir besoin, il attrapa ses armes pour sangler sa batte dans son dos : Jeff, il va bien ?

La question sortit d’elle-même, un peu maladroitement et trop franchement comme à chaque fois lorsqu’il parlait. Il n’imaginait pas que ses amis avaient des problèmes tous les deux, davantage que le canadien pouvait cacher ce qu’il ressentait vraiment au fond de lui, et comment il souffrait de sa situation et des morts traversées. Un point que Fred avait relevé assez justement : Connor était devenu trop dur, trop impatient, insensible aussi. Et c’était une chose qu’il ne voulait pas être pour Jeff :

Il parle pas beaucoup de c’qui s’est passé là-bas… Comme si… Comme s’il évitait d’y penser. Ajouta-t-il à sa voisine, en prenant la direction du magasin : J’m’inquiète. Avoua-t-il.

Oh, il n’était pas mieux placé que lui pour faire cette remarque : lui-même parlait peu de la douleur que l’extérieur lui avait infligé. D’une certaine manière, si Connor se forçait à n’en voir que le potentiel, c’était pour s’éviter de penser à ce qu’il avait raté, ce qui faisait de lui le grand absent de l’aventure.

Allons voir. Souffla-t-il à Caroline alors que les stores fermés leurs barraient la route. Le temps de contourner le batiment et d’aller vers la porte de service, les deux eurent l’occasion de constater que ça ne serait pas si simple. Avisant une chaine qui verrouillait leur entrée, le blond soupira : C’est bien fermé. Au moins, on trouvera personne pour nous emmerder.

L’absence de bruit laissait entendre qu’il n’y avait personne à l’intérieur de toute façon, et que peu de gens se trouvaient intéressé par ce qu’il se trouvait dans ce magasin.

J’défais le cadenas. Fit-il à Caroline en attrapant sa batte. Il fallait un coup sec, descendant, pour faire sauter le verrou. Un jeu d’enfant pour le blond, qui avait affronté bien pire que ça dans sa vie : le tout sauta d’ailleurs, et il esquissa un sourire : C’est bon, ça f’sait longtemps que j’avais pas fait les boutiques en bonne compagnie, blagua-t-il.

Les mots de Caroline ne le rassurèrent pas vraiment, à dire vrai. Pinçant les lèvres, le grand blond avisa sa voisine d’un regard surpris, mais pas autant qu’il n’y semblait. Sans doute partagé entre ce qu’il envisageait vraiment et ce que son instinct lui disait de tout ça. C’était plus sinueux encore, Jeff pouvait s’avérer têtu lorsqu’il s’agissait de ne pas parler de lui, de ne pas dire ce qu’il avait sur le cœur. Se contentant d’être là pour les autres en toutes circonstances, sans pour autant se livrer au passage. Connor était persuadé depuis longtemps que ça le perdrait à un moment. Mais le forcer ? Impossible. Quand on aimait, on ne forçait pas.

Je vois… Souffla-t-il un peu maladroitement. Il… Il t’a parlé de sa captivité là-bas ? De comment ça s’est passé ?

Des retours qu’il avait eu, on ne les avait pas si maltraité. Ça ne voulait pas dire pour autant qu’ils avaient été bien traités, évidemment. Partagé, l’homme préféra se concentrer sur ce qui permettait désormais de les rassurer : l’arriver de Nicolas. Il n’avait pas vraiment suivi toute l’histoire, mais comprenait que l’enfant était une pierre angulaire de leur existence.

Tu es heureuse ? Demanda-t-il ensuite. Il vous rend heureux tous les deux ? Reprit-il. Pourquoi ne pas… En avoir fait un ?

Connor ne se doutait pas qu’il se trouvait sur un terrain glissant. Caroline ne lui avait jamais parlé de sa stérilité, et Jeff avait précieusement gardé son secret. Sans doute parce que si ça devait être dit, la brune devait le faire d’elle-même. En pénétrant dans le magasin, il huma la poussière qui y régnait, manquant de tousser à la suite. Ça ressemblait à une mauvaise idée, n’est-ce pas ? Heureusement, il n’y avait vraiment personne à l’intérieur, l’endroit était pour eux. Refermant avec précaution derrière eux, il se tourna vers Caroline :

On trouve un caddie, on met tout dessus et ensuite on repart vers la voiture. Souffla-t-il. Si l’endroit reste calme, on sera tranquille un bon moment, autant en profiter.

Et si ça n’était l’histoire que de deux ou trois rôdeurs de temps en temps, c’était gérable pour deux survivants comme eux. En compagnie de la femme à ses côtés, Connor se sentait parfaitement en sécurité.

Oh… Beaucoup d’trucs. Et j’ai pas mangé tant d’écureuil et de rats que ça, pour ta gouverne. Juste vu énormément de monde, de vie, c’était… Saisissant. Y’a tellement de potentiel, répondit-il avec passion. De mauvaise augure, n’est-ce pas ?