Jared se tendit en la voyant serrer le poing et son air se renfrogner. Était-elle réellement si en colère? Et alors il l'entendit presque crier sa haine envers le genre humain. Chose que Jared ne pourrait jamais faire. Comment pouvait-on haïr ses semblables? Ça le dépassait et de loin. Oui, certains hommes se perdaient et finissaient par commettre des actes répréhensibles, odieux, voir même monstrueux. Comme le vol, le viol, le meurtre. Mais personne n’était jamais réellement mauvais au fond de lui-même. Chacun avait sa propre part de lumière et tout homme ou femme poussé à bout pouvait devenir le plus terrible des salopards. Tout comme chaque personne bien accompagnée, écoutée, aiguillée, sera plus à même de faire le bien autour d’elle. Tout n’est affaire que de circonstance, d’éducation, de relations. Le mal à l’état pur ne pouvait pas exister sur terre. Dieu ne l’y avait pas mis.



« Daniella, je pense que tu as une vision trop exiguë de la vie, plus particulièrement de l’être humain. » dit-il simplement, comme dans un sermon. Les vieilles habitudes avaient la vie dure et ce même au bout de trois ans. « Tout comme l’animal, l’homme n’est violence que lorsqu’il se sent menacé. Alors peut-être pas au sens où tu l’entends mais personne ne sera malveillant gratuitement. Il y a toujours une fin à ça, un but. Chaque personne au plus profond d’elle-même ne pense pas être mauvaise. » Il lui sourit finalement : « La vie, si tu le souhaite, ne peut être qu’amour. Envers ton prochain et avant tout envers toi-même. » Puis alors qu’elle semblait s’être mise en tête de l’aider à apprendre à se « défendre » Jared l’écouta lui proposer son deal : « Si tu veux. Mais je ne suis pas très friand de la violence. Quand je peux, je préfère fuir. » il lui sourit : « Mais j’accepte ton aide avec plaisir. »


Puis Jared lui demanda comment était sa vie avant que le monde ne parte la dérive. Cette question sembla la troubler, peut-être même la secouer. Décidément, il faisait naître en elle des émotions bien vives. Peut-être était-elle de celles qui sont à fleurs de peau. Comme l’était sa mère. Et la réponse de Daniella le troubla également. Junkie, voleuse, alcoolique. Il la regarda avec compassion. Quels avaient pu être les chemins qui l’avait menée à cette vie si compliqué ? Sans nul doute qu’ils n’étaient pas aussi éclairés que ceux qu’il avait eu la chance de lui-même emprunter.
Le récit au sujet de la jeune femme et de son meilleur ami fit naître un léger sourire à Jared. Lui aussi avait fui avec un ami. Un professeur. « Connais pas. » répliqua-t-il à sa question, intéressé par son récit. « Pas top en effet. » dit Jared en haussant les épaules : « On y est plus en sécurité, c’est certain. » admit-il. « C’est agréable de pouvoir dormir sans avoir peur que l’on ne me mange ou que l’on ne me braque. » ajouta le pasteur.

Daniella orienta finalement la discussion sur l’éventualité d’ouvrir une « sorte de maison de Dieu ». Jared lâcha un petit rire, la toisant quelques instants : « Une paroisse, tu veux dire ? » il repensa furtivement à cette chanson « Take me to church ». Oh, si seulement quelqu’un pouvait l’emmener à l’église ou même emmener l’église à lui. Mais il fallait être réaliste. Personne en dehors de lui n’était assez fou de foi pour fantasmer à la construction d’un lieu saint : « Je ne suis pas certain que d’autres personnes ici croient encore en lui. » dit-il en levant les yeux au ciel, désignant Dieu lui-même. « Mais la perspective me plairait, c’est certain. Bien que pour exercer sa religion, seule la foi suffit. Si ta foi est grande, Dieu ou l’entité en laquelle tu crois te suivra partout. »

Jared finit de caresser la liste du cheval devant lui et tourna les talons, invitant Daniella à le suivre : « En quoi est-ce que tu crois, Daniella ? » il devait bien y avoir quelque chose qui la faisait se lever le matin et tenir le coup. Il devait il y a voir forcément quelque chose qui l’aidait à rester là, sur terre.

Jared dévisagea clairement Daniella. Comment pouvait-elle être si vindicative ? Il retint un soupir mais n’ajouta rien. Elle semblait buté. Jared l’était aussi après tout.

Il la suivit donc, hochant la tête de temps à autre. Légèrement blasé qu’elle ait rejeté en bloc tout son discours. « Oui c’est sûr » répliqua-t-il simplement quand elle lui expliqua que face à des rodeurs, il valait mieux qu’il sache se servir d’un couteau. Or, il le savait, se défendre. Il lui avait déjà dit. Cependant la jeune femme ne semblait entendre que ce qu’elle souhaitait.

Et là, la réponse de Daniella sur son moteur dans la vie le fit sourire. Un doux sourire attendrit. Les enfants. Son fils adoptif. C’était charmant, étonnant même venant d’elle. Jared s’en voulut un peu de penser cela. Qu’est-ce que « venant d’elle » pouvait bien vouloir dire ? Il ne la connaissait pas, ni d’Eve, ni d’Adam. Alors oui, la première impression était loin d’être bonne mais il ne devait pas s’y fier. Il devait se laisser le temps de mieux l’appréhender. Peut-être que sous cette apparente indifférence et ce penchant à simplement rejeter l’avis d’autrui en bloc, il y avait quelque chose de tendre.

Ce genre de mauvaise fille qu’elle se donnait en était probablement l’exemple parfait. Pourquoi mettre en avant ce passé de junkie ? D’alcoolique ? Ne garde-t-on pas sous silence les sujets sensibles, douloureux, honteux ? C’est ce que Jared faisait.

Et à moins qu’on ne lui pose directement la question, il n’irait jamais parler de ses propres démons. Le flash de l’arme à feu contre sa propre tempe lui revint et il inspira légèrement.
« C’est beau ce que tu dis. » admit-il. « C’est bien que l’Homme continue à avoir des enfants. Le monde n’est peut-être pas à sa fin. Peut-être n’est-il que différent. » il lâcha un petit sourire, saluant une tête connue quand il passèrent vers l’entrée du camp :« Le père Erick, mon mentor, disait que tout arrive pour une bonne raison. Que tout est prévu. Que dieu nous envoie les épreuves que nous sommes capables de relever. »