Selene avait longuement épluché de vieilles revues pour repérer le maximum de magasins de puériculture et autres crèches à moins d’une heure de voiture. Ils avaient beaucoup d’enfants et si Shawna avait naturellement pris à sa charge de coordonner leur survie, il fallait de nombreuses ressources pour que les conditions soient effectivement idéales, vu leur cadre de vie. De toute façon, elle peinait toujours autant à se familiariser à un groupe aussi nombreux ; passer des heures à prévoir des expéditions – et d’autres heures à y participer – c’était sa façon constructive d’éviter d’avoir à sociabiliser.

- Maman, poutoi.
- Hum?

Elle baissa la tête. Elizabeth s’était hissée sur ses petites jambes nues pour lui tendre un cube coloré, ses yeux noirs brillant de malice. Dans la salle qui servait de salon à cette maison, la petite jouait avec Wyatt sur un tapis d’éveil. Un sourire attendri illumina les traits ivoirins de la musicienne qui attrapa le jouet puis le posa sur la table, à côté de sa pile désordonnée de magazine.

- Merci, Effy. Tu en as donné à Juliet aussi ?
- Oh oui, assura la jeune femme qui surveillait les enfants du coin de l’œil, trop même.

Le petit rire de la pianiste contamina, comme très souvent, sa fille qui offrit de son hilarité enfantine. Elle recala machinalement derrière une oreille l’une de ses mèches de cheveux sauvagement lâchés sur ses épaules et décroisa les jambes pour se lever. Entre ses doigts pâles, elle replia la carte de la région sur laquelle elle avait apporté quelques annotations. Pour cette fois, elle allait jeter son dévolu sur une crèche de Lakewood.

- Bon courage alors, je dois y aller.

Sa cadette lui jeta un regard faussement blasé qui faisait parfaitement illusion. Au fond, Selene savait que Juliet préférait encore restée recluse ici à surveiller les enfants que sortir se mêler aux cinquante autres survivants. Là-dessus, elles étaient semblables. La jeune femme enfila alors sa veste en faux cuir usée jusqu’à la corde, rassembla vaguement sa chevelure en chignon flou et quitta les lieux pour rejoindre l’extérieur. Le soleil se cachait timidement derrière un rideau de nuages, donnant à la journée la luminosité grise et maussade des hivers pluvieux. En revenant de l’entrepot qui leur servait également d’armurerie, la pianiste croisa Erika et ça tombait très bien.

- T'es toujours partante pour sortir aujourd’hui ? Demanda-t-elle en allant droit au but, prépare-toi et rejoins moi à la Ford dans quinze minutes.

Un signe de tête pour conclure et elle était prête à poursuivre sa route. Du coin de l’œil, elle aperçut Simon, à qui elle avait demandé de venir également, en train de converger dans sa direction. Théoriquement, Liam devrait les rejoindre aussi. Le dernier arrivé à avoir su convaincre le conseil de les accepter. Selene voulait personnellement voir ce qu’il donnait à l’extérieur ; on était jamais trop prudente. Et puis… survivre seul c’était une chose, mais ça ne garantissait pas qu’il sache travailler en équipe.

Erika attendait encore aussi ardemment le retour de trois personnes, quatre si elle comptait Damian dans l’équation. Devait-elle le fait ? Il était probablement temps de l’ajouter à l’arbre généalogique probablement réduit depuis l’apocalypse. Ce matin, elle s’était réveillée avec trois couchettes vides par l’absence douloureuse de ses occupants. Il n’était plus question de se laisser abattre. Elle devait reprendre du poil de la bête même si elle détestait cette expression. Toujours est-il qu’il y avait de cela quelques jours, elle avait assisté à un débat concernant une possible sortie afin d’alimenter et d’arranger l’espace crèche du groupe. Ce n’était pas tant qu’elle aimait les enfants au point d’y mettre du coeur à l’ouvrage. Personne dans le camps ne l’avait vu approcher la nursery de près ou de loin. Ils étaient un peu cette utopie d’un renouveau, d’enfants nés pendant l’apocalypse, des enfants guerriers, des enfants prêt à sortir un canif pour planter des macchabés à peine sortie du berceau. C’était juste une vision effroyable qu’elle n’avait pas encore eu l’occasion de partager. Seulement, lorsque Selene avait proposé de faire une sortie à la recherche de soins pour les enfants, Erika n’avait pas hésité à entrer dans le groupe d’expédition. Après tout, elle tournait depuis bien trop longtemps en rond. Surement que Sweetman avait remarqué le lion en cage qui enrageait en la brunette mais en tout cas, elle avait finit par accepter. C’était un risque mais pas autant, en réalité. Erika avait déjà cotoyé les macchabés par le passé même si la cheffe ne l’avait connu qu’à l’intérieur du ranch. Depuis le Fort, elle n’était jamais sortie. 

Dehors, Erika attendait vivement le coup de feu annonçant le départ, elle avait, sur elle, son sweet polaire qui avait vraiment connu des jours meilleurs. Elle se souvenait de son état lorsqu’elle l’avait retrouvé, chez elle à Bismarck. Forcément, il était usé, délavé mais au moins, il n’avait pas de trou - pas encore, et il pouvait lui servir encore un moment. Le soleil était plutôt timide aujourd’hui mais vu la saison, elle pouvait toujours s’en contenter pour avoir cotoyé des hivers plus difficile. A croire que le monde semblait avoir prit son rythme. Lorsque Selene passa à côté d’elle, Erika tourna vivement la tête vers la brune au chignon flou pour lui répondre : « Et comment !? » dans un sourire non-dissimulé. « Prépare toi et rejoins-moi à la Ford dans quinze minutes. » Elle voulait voir autre chose et à en croire son état d’esprit, elle était beaucoup plus partante de côtoyer des macchabée que son propre état d’esprit. 

L’aide soignante se dépêcha d’aller chercher son sac à dos où une trousse de secours était toujours prête. C’était un rituel, chaque semaine, elle vérifiait que tout y était et pour avoir vécu à l’extérieur pendant des mois, elle ne lorgnait plus sur ce genre de détail. Son élastique trainait sur une caisse lui servant de table de nuit alors elle s’attacha les cheveux formant une queue de cheval haute. Elle regarda une dernière fois la couchette de sa tante et de Finan. Désespérément vide, elle se débloqua en se pinçant la hanche. Elle n’avait plus le temps de se larmoyer, il était temps de prendre les choses en main. Aujourd’hui, elle avait la chance d’avoir la confiance de la dirigeante, il n’était pas question de la décevoir. 

Lorsqu’elle arriva au niveau de la ford, elle remarqua Selene et Liam déjà présent. Elle ne le connaissait pas très bien mais dans son tempérament, elle se rappelait Jax, son ex-petit ami, du refuge. Le trouble revenait à chaque fois qu’ils se croisaient et étant donné que le conseil avait été positif quant à son intégration, Erika restait égale à elle-même, avenante et souriante. Alors, en prenant place derrière Selene, elle salua joyeusement Liam : « Hey, Salut ! Liam c’est ça ? » Elle demandait par politesse, elle savait très bien qui il était d'autant plus qu'elle avait une mémoire photographique. Un visage croisé, était un visage enregistré. Voyant qu’il n’arrivait pas trop à remettre un prénom sur son visage, elle ne le fit pas languir trop longtemps : « Erika, je seconde Caroline à l’infirmerie. »  Puis elle se tourna vers Selene pour demander : « On attend quelqu’un d’autre ? »

- Hum, fit-elle en simple guise d’acquiescement à un Liam qui lui demandait avec un peu trop d’entrain si elle était prête à « casser du macchabée ».

Ce n’était toujours pas une activité qu’elle prenait à la légère et ne comprenait pas les gens qui le faisaient. A ses yeux, ça restait une horrible nécessité. Plutôt que de répondre pour d’emblée lancer un débat idéologique stérile, elle se contenta d’ajuster la sangle du holster fixé à sa cuisse. Depuis quelques semaines, la musicienne n’utilisait plus la ceinture de flic qui lui avait servi pendant presque trois ans, elle n’était pas encore totalement familiarisée avec son matériel de substitution. Suivant ses habitudes, elle vérifia l’état général de la voiture et s’assura que le coffre était rempli de sacs vides, ne prêtant qu’une oreille aux mots de son aîné. Elle ne l’avait même pas corrigé sur son prénom et, par ailleurs, l’arrivée de Simon autorisa la pianiste à ne pas répondre à la question d’Erika.

- On va tenter notre chance dans une crèche, dit-elle une fois dans l’habitacle pour le rappeler à tous – et notamment à Liam qui avait demandé, si on a le temps, on fera le pâté de maison autour.

Une fois prête à mettre le contact, la jeune femme eut un instant d’hésitation. Elle était toujours mal à l’aise au volant. Son subconscient se faisait un malin plaisir à le lui rappeler, chaque fois qu’elle comptait se déplacer en voiture plutôt qu’à cheval. Finalement, elle fit gronder le moteur et baissa la fenêtre pour faire signes aux personnes en charge de la grande porte de leur ouvrir. Du coin de l’œil, elle observait le manque d’enthousiasme flagrant de Simon – ce qui lui ressemblait bien. Selene lui adressa même un fugace sourire qui esquissa ses fossettes d’éternelle adolescente. Sa présence l’aidait beaucoup à ne pas rester fermée sur elle-même. Ce fut même sans doute la raison pour laquelle ses yeux glaciers se levèrent vers le rétroviseur pour apercevoir le dernier arrivé sur la banquette arrière.

- C’est Selene au fait, prononça-t-elle distinctement, pas Selena, elle s’embarqua sur la route cerclée par les bois qui allait leur permettre de rejoindre l’urbanisation déchue de Tacoma, l’un de vous peut prendre la carte et me guider ? J’ai noté la destination et les axes que je pense emprunter, mais j’aurais besoin d’un copilote, elle n’avait pas appris le trajet par cœur ; elle attrapa donc le dit plan et le tendit à la personne qui se dévouait, il n’y a aucune raison que ça se passe mal, dit la musicienne à Liam comme pour le rassurer, c’était sa première sortie avec le groupe après tout, on a l’habitude de faire ça. On reste prudent et à portée de voix les uns des autres, ça suffit la plupart du temps pour être sûr de rentrer entiers.

Il y avait bien d‘autres règles mais ils avaient le temps de les aborder. Celles-là, c’était la base : qu’aucun ne pouvait se permettre de partir seul en éclaireur ou de prendre des risques inconsidérés. La jeune femme avait appris à ses dépends ce qui se passait quand on pensait être invulnérable fasse à l’adversité. Elle avait bien des stigmates pour le prouver, visibles et invisibles.

Simon arriva, l’air terne, impossible à dérider.
De son habituel optimisme, la jeune femme pensait fortement qu’il était toujours possible de tirer un sourire des cas désespérées, elle avait la preuve avec Finan, qui n’y avait pas mis une grande volonté, que c’était possible. Toujours est-il qu’elle ne le connaissait pas beaucoup et que, partager cette nouvelle aventure, pouvait permettre de les rapprocher un petit peu. Elle lui décrocha un grand sourire lorsqu’il salua tout le monde puis elle se tourna vers Selene, qui répondit : “On va tenter notre chance dans une crèche.” C’était effectivement devenu particulièrement urgent de subvenir aux besoins des enfants qui avaient agrandit le clan de manière considérable. Rika était toujours surprise de voir que de petits êtres pouvaient encore survivre, leurs besoins vitaux étaient tellement spécifiques qu’il était très difficile de mettre la main dessus. Heureusement, le clan était fermement opposé à jeter l’éponge, voilà pourquoi Rika s’était portée volontaire.  “Si on a le temps, on fera le pâté de maison autour. - Espérons que l’on trouve quelque chose !” souffla la brune, sur la banquette arrière.

Le groupe maintenant au complet, il ne restait plus à qu’à partir et alors qu’un silence s’installa dans la carling, elle nota l’hésitation de la musicienne, la main sur le contact. Elle ne pouvait pas expliquer l’attraction qu’elle ressentait envers la cheffe du clan. Leur rencontre avait grandement bousculé l’organisation du ranch mais au fond, ce n’était que pour le bien de tout le monde. Le retour des prisonniers et des rescapés de la bataille avaient résulté de grand changement et des querelles dont Rika avait eu du mal à prendre part. Car effectivement, elle était partagée. Toujours est-il qu’elle n’arrivait pas à savoir pourquoi elle n’arrivait pas à détester cette fille. Elle ne cessait de noter chaque changement d’expression, de réaction et même ces diverses absences. Quand finalement le moteur gronda, elle quitta le profil de Selene pour regarder le Fort s’éloigner peu à peu de son champs de vision.

“L’un d’entre vous peut prendre la carte et me guider ?” Rika n’avait pas relevé la rectification de la conductrice quant à son prénom, c’était surement une insulte pour elle, que d’être appelé par le même prénom d’une chanteuse tel que Selena Gomez. Difficilement, elle essayait d’oublier la petite trace de musique qui résidait dans sa petite tête en se disant qu’elle aimerait quand même trouver une guitare car ces doigts commençaient à la démanger. Quand Liam passa son tour pour la carte, la jeune fille attrapa la carte qui planait dans l’air, aidée par la main libre de Selene : “Je m’en occupe mais au retour, je passe à l’avant. J’ai l’habitude.” Heureusement qu’elle avait apprit à lire une carte en compagne de sa tante, elles n’auraient jamais pu réussir à parcourir autant de chemin sans quoi, elles n’auraient jamais atteint la maison de ses parents, vide mais aucune trace de lutte. C’était déjà ça. Elle gardait, de ce fait, un secret espoir que ses parents survivaient tout comme elle était entrain de le faire.

“Il n’y a aucune raison que ça se passe mal.” Discrètement, Rika leva les yeux vers Selene, croisa son regard à la prononciation de cette phrase fétiche. Addi détestait ce type de formule car elle apportait toujours la guigne. Il était rare que les choses passent toujours bien, surtout à l’extérieur mais elle se tut. “Tu sais que dans les films c'est toujours quand on dit des phrases du genre " Retrouvant le point de départ et le point d’arrivée, elle se repéra et indiqua : “Au deuxième croisement, prend sur ta droite.” Elle cala son sac à dos de survis entre Simon et elle pour avoir plus de place et être plus à l’aise avec la carte. Ils n’étaient pas très loin mais d’après la carte, il existait des grandes routes bouchées par leurs anciennes sorties et il était inutile de se créer des obstacles contraignant surtout si c’était facilement contournable. " Tu sais que dans les films c'est toujours quand on dit des phrases du genre - T’inquiète pas on se sert les coudes ! - On a l’habitude de faire ça.” Erika tapota l’épaule du nouveau venu pour tenter de l’apaiser tandis que Selene continuait à répondre : “ On reste prudent et à portée de voix les uns des autres, ça suffit la plupart du temps pour être sûr de rentrer entiers. "

En se tordant le cou pour vérifier qu’ils étaient sur la bonne voie, elle valida l’embranchement que prit Selene : “Ok, vous inquiétez pas, je ferrais tout comme vous voulez, j'ai pas envie de merder à ma première sortie - Mais oui, ça va aller !" fidèle à son optimisme. " Et puis si jamais on a pas de bol, on n'a une doc avec nous, une des chefs du camp et je suis sûr que ce gars là est pas un pied tendre et qu'il sait très bien se défendre" Un regard vers Simon et elle laissa Liam tenter de se rassurer tout seul. S’il était aussi mal à l’aise de quitter les murs aussi vite, pourquoi s’était-il porté volontaire ? Pourquoi Selene l’avait-elle convié à cette expédition ? La moindre erreur pouvait être fatale et quelqu’un qui n’était pas prêt à sortir pouvait en faire beaucoup. Voulait-elle le tester à l’extérieur ?

Puis, quelque chose la chagrina alors elle se pencha vers Simon : “Dis-moi, t’en penses quoi ?” Elle lui montra deux chemins différents. Au fond, les deux routes menaient à l’endroit indiqué mais elle aimait bien avoir un second avis : “Je pensais prendre cette grande voie mais tout le monde sait que c’est… Et l’autre, beaucoup plus sinueuse, je pense.” Elle avait du temps avant que Selene ne soit confronté à ce choix, alors elle fixa la carte après quelques bref coup d’oeil vers son collègue. Puis quand Liam demanda si la cigarette pouvait déranger, elle s’exclamma : “Oui moi.” Elle regarda le visage du nouveau avec un air penaud : “Je ne supporte vraiment pas l’odeur, tu peux attendre que l’on arrive ? On est pas très loin.” demanda t-elle, tendant une oreille attentive à Simon par la même occasion.

- Sinon, Liam. Tu faisais quoi avant l'épidémie ? demanda Rika. Si elle savait une chose, c'était la patience de Selene qui n'était pas un réel talent. Alors elle jugeait préférable de meubler la conversation dans une autre direction. "Et toi Simon ?" Ils ne se connaissaient pas non plus tous les deux, c'était peut-être un bon moyen de remédier à ça.