- Avril 2019 - le No Man's Land

C'était une période noire. Plus noire que tout ce qu'elle avait pu connaître jusqu'ici. A peine trois semaines plus tôt, Roxanne se prenait une flèche dans le dos. Juste ici. Le regard bleuté de Kaycee se perdait souvent à cet endroit précis, au beau milieu de l'entrepôt. Elle savait qu'une partie d'elle ne s'en remettrait jamais. La bouclée était plus qu'une amie ou une sœur pour elle. Comme un double. Son autre moitié allait progressivement s'en sortir toutefois, au même rythme que le No Man's Land panserait également ses plaies. Grâce au troc. Grâce à Kara.

A l'écart de l'agitation molle des lieux, la jeune fille regardait les autres interagir. Elle mit un bonbon dans sa bouche. Il était dur comme du caillou, mais son goût sucré à la cerise faisait le job. Ses yeux revenaient fréquemment vers un type qu'elle avait déjà vu ici à quelques reprises. Elle le vit sortir quelque chose de son sac, alors qu'il effectuait visiblement un échange avec un barbu particulièrement hirsute et négligé. Alors qu’il se retrouvait tout seul, elle se décida à aller lui parler. Sa renaissance passerait par des gars comme lui, qui feraient revivre les lieux. Elle l’avait soutenu aux autres juste après l’attaque des Scarecrows : s’ils faisaient de cet endroit une plaque tournante indispensable, personne n’aurait plus jamais intérêt à les attaquer. Et surtout pas ces hommes masqués qui avaient pris la fuite, dans l’anonymat le plus complet. Clairement : elle se trompait.

- Hey. Elle s’était arrêtée juste devant Kilian, le dévisageant de plus près, ouvertement. T’en veux ? De sa main valide, elle tendit le paquet de bonbons. Comme pour lui prouver qu’ils n’étaient pas empoisonnés, elle entrouvrit la bouche et sortit sa langue sur laquelle se trouvait un exemplaire partiellement sucé. Son autre bras était plâtré. Un souvenir nettement plus tolérable que tous les autres de cet affrontement. Le visage pâle, les traits tirés, l’adolescente ne présentait pas une mine superbe. Qu’importait. Ça ne fait pas longtemps que tu traines ici, j’ai vu qu’tu troquais des trucs. Elle essaya de jeter un coup d’œil à ses affaires, mais ne parvint pas à y voir grand-chose. C’est bien. On essaie de développer un peu plus le troc par ici, tu pourrais avoir ta place. C’est quoi ta spécialité ?

Elle parlait comme l’habituée des lieux qu’elle était. Sa main avait pointé quelques « stands » plus aménagés. Il n’y avait pas encore la tente médicale de son groupe, mais Kara avait déjà un petit étal. Et Monroe aussi, pour ses talents de mécanicienne, c’était quelques semaines avant qu’elle ne déserte pendant quelques temps.

Ça allait bientôt faire trois mois que Kilian avait découvert cet entrepôt du Industrial District que tous appelait le No Man’s Land. Trois mois qu’il avait tâter le terrain pour commencer tranquillement à y faire son nom – sans pour autant chercher à attirer tous les projecteurs sur lui. L’homme s’était montré discret lors des premières semaines. Prenant d’abord le pouls de la place en observant et écoutant tout ce qui s’y tramait. Demeurant tapis dans son coin, il avait peu à peu commencé à s’intéresser à certains prospectes pour son troc. Lançant des lignes, ici et là, pour voir qui mordrait à l’hameçon. Parfois, il ne s’agissait que de voyageurs sans nom, qui ne faisaient qu’un bref passage au NML avant de disparaître de nouveau dans les méandres. Alors que d’autre fois, il s'agissait plutôt d'habitués. Des survivants que l’on voyait, de temps à autres, faire leurs apparitions à l'entrepôt. Chacun avait ses raisons pour mettre les pieds dans ce lieu d’échange… il suffisait donc de trouver ce dont ils avaient besoin pour l’échanger contre ce qu’ils avaient.

Puis, il y a trois semaines, les choses avaient considérablement bougé au No Man’s Land. L’entrepôt avait été attaqué par des hommes masqués qui se faisaient appeler les Scarecrows et bien que Kilian n’ait pas été présent sur les lieux lors de la frappe, il en avait largement entendu parler. Il avait écouté les récits de ces événements avec un plaisir déplacé – comme un film d’action que l’on écoute confortablement installer dans son salon, simplement pour se divertir, sans jamais se sentir personnellement impliqué dans l’histoire. N’hésitant pas à profiter du malheur des autres pour tirer son épingle du jeu en offrant ses bouteilles d’alcool à tous ceux et celles qui auraient souhaité y étancher leurs douleurs et leurs craintes. Et il avait trouvé preneur. Plus d’une fois même !

Il en était là, aujourd’hui, face à cet homme qui ne s’était jamais nommé et dont le nom était, de toute évidence, le dernier de ses soucis. Cet inconnu à l’apparence négligé qui avait visiblement grand besoin de se perdre dans la bouteille. Échangeant avec lui un excellent rhum contre deux belles grosses carcasses de lièvre fraichement trappé. Ce n’était pas la première fois qu’il le rencontrait et Finch savait que ce ne serait sûrement pas la dernière fois. Ce barbu hirsute était le cliché même de l’alcoolisme… Il l’avait ciblé pour cette raison et ne s’était visiblement pas trompé à son sujet. Alors, tant qu’il aurait de belles pièces de viande à lui échanger, le cogérant s’engageait à répondre à sa soif. C’était ce qu’il avait fait dans une autre vie et c’est ce qu’il continuerait de faire aujourd’hui. Le monde change, mais ne change jamais complètement, pas vrai ?!

Son client venait de partir, le laissant seul avec ce gibier qu’il s’empressait de mettre en sûreté tout au fond de son sac à dos, lorsqu’une voix l'interpella. Relevant les yeux sur une adolescente au bras plâtré et aux traits tirés, Kilian l’avait dévisagé aussi ouvertement qu’elle le fit à son égard. Ne bronchant pas d’un pouce lorsqu’elle lui offrit un bonbon à la cerise, il s’était contenté de la fixer avec méfiance – non pas qu’une adolescente l’inquiétait vraiment, on va s’entendre, mais il ne connaissait pas encore ses intentions réelles. Jetant un coup d’œil autour d’elle, comme pour voir qui l’envoyait, il était resté silencieux. S’empressant de refermer la fermeture éclair de son sac à dos lorsque le regard de la jeune fille se montra un peu trop curieux à son goût. Sa méfiance grimpant d’un cran en apprenant qu’elle l’avait observé. Puis, il l’écouta débattre de leur intention de développer un peu plus le troc par ici. Laissant entendre qu’il pourrait avoir sa place dans ce projet, avant de le questionner sur "sa spécialité"…

« Et toi, c’est quoi ta spécialité comme tu dis ? » lança-t-il après quelques secondes de silence. Qui était ce "on" qu’elle avait mentionner un peu plus tôt ? « Surement pas la distribution de sucrerie, hm ? » Il avait laissé un sourire étirer la commissure de ses lèvres. Un sourire qui laissait entendre qu'il ne goberait certainement pas n'importe quoi !

Kaycee fit un haussement d’épaules, puisque le gars ne désira pas prendre un bonbon. Tant pis pour lui, elle rangea le paquet dans la poche arrière de son jean, tout en terminant de sucer celui qu’elle avait en bouche. Elle soupira ensuite, sans se montrer vraiment surprise de le voir lui retourner sa question sans y avoir répondu en premier. Typique. Elle haussa une épaule.

- J’suis dans la comm’ en quelque sorte, répondit-elle. On a un stand médical. Même si j’aide, c’est pas vraiment moi qui soigne les gens. Mais je m’occupe des comptes, en quelque sorte. Elle négociait les tarifs et s’assurait que le business restait prospère.

En cet instant, Emerson n’était pas là. Elle avait aidé plus que de raison pendant l’attaque des Scarecrows et avec les autres, ils s’en étaient retournés sur l’ile de Mercer dans leur refuge du moment. Pour reprendre des forces et digérer les évènements de leur côté. La petite blonde ne les avait pas suivis, ils s’étaient séparé après le dernier hommage qu’ils avaient rendu à Roxanne. Elle n’y remettrait d’ailleurs jamais les pieds. Elle avait d’autres démons à chasser.

- T’en as peut-être entendu parler, on a soigné pas mal de monde, y a quelques semaines. Elle souleva son plâtre aussi, comme pour illustrer l’attaque qui s’était produite ici. Elle parlait de ça avec un détachement bizarre. Quiconque la connaissait pouvait deviner que quelque chose clochait. Mais quand on la rencontrait pour la première fois ? Ça a fait fuir pas mal de monde d’ici, t’as du le remarquer. C’est pas top pour les affaires. C’est pour ça qu’on essaie de s’entraider, de faire en sorte que les gens aient envie de revenir. Il n’était nullement question de refiler des vivres gratos à des survivants en galère, non évidemment. Mais des conseils, des encouragements, ça, ça pouvait faire la différence. Et si Kilian cherchait la fameuse équipe médicale dans les parages, elle précisa : les autres sont pas là aujourd’hui. C’est pas tous les jours. Elle fit rouler le bonbon dans sa bouche, avant de montrer le stand de Kara plus loin. Je traine avec Kara entre temps. Elle fait ses propres armes. De la bonne qualité. Dans ce style. Elle montra au type la batte de baseball cloutée que lui avait remis la forgeronne, récemment. Elle l’adorait. Stylé, non ? Elle faisait la pub de son amie au passage, ça ne mangeait pas de pain. Elle marqua une courte pause. Et toi donc ?

Cette gamine s’exprimait avec une assurance et un détachement qui commençait sérieusement à agacer le cogérant. Après tout, il n’avait jamais demandé à ce qu’elle vienne lui taper la causette… et elle était là. À lui parler comme si elle connaissait tout et tout le monde dans ce No Man’s Land. Comme si elle – et ce "on" qu’elle ne clarifiait jamais, d’ailleurs – était à la tête du troc dans un refuge qui était, disons-le, supposé être régis par aucunes règles… Comme si ça lui donnait le droit de venir foutre son nez dans ses affaires ! Oh, il l’aurait bien envoyé promener, la petite, s’il n’avait pas senti qu’elle pouvait peut-être lui apprendre deux ou trois trucs. Qu’à parler comme elle le faisait, elle allait probablement finir par laisser couler quelques informations pertinentes. Alors, il ravala son agacement et la laissa déballer son sac, parce que ça ne lui coûtait rien d'écouter. Rien, hormis du temps et ça, il en avait pas mal à perdre dernièrement.

Assit sur une caisse en bois, Kilian s'efforça donc d'écouter son monologue – parce que c’est un peu ce qu’elle faisait, quand même, un monologue. L’écoutant lui parler de ce stand médical dans lequel elle s’occupait des "comptes" et dans lequel ils avaient déjà soigné pas mal de blessés depuis cette attaque survenue quelques semaines plus tôt. Lui répondant par un haussant de sourcils, nonchalant, lorsqu’elle lui mentionna qu’il avait probablement dû remarquer que ces évènements avaient fait fuir pas mal de monde d’ici. Que ce n’était pas bon pour les affaires… Ses affaires à elle, peut-être, mais les siennes ? En quoi ça la concernait.

Puis, lorsqu’elle lui parla d’entraide, là, Finch dû carrément baisser la tête pour étouffer un rire insolent dans son col. C’était vraiment naïf – elle était vraiment naïve – de croire qu’il existait encore une telle forme de solidarité dans un monde comme le leur. De la manipulation, des mensonges et de l'hypocrisie, ça il y en avait à profusion, mais jamais rien qui puisse être considérer comme de l'entraide, car cette dernière avait cessé d’exister depuis que l'épidémie s’était répandue. C’était chacun pour soi, Kilian l’avait compris depuis fort longtemps déjà ; depuis qu'il avait tenté de survivre dans un groupe et que ça avait bien failli se retourner contre lui. Alors non, il ne le croyait pas lorsqu’elle lui disait vouloir essayer de s'entraider. Il n’embarquerait pas là-dedans et ne ferait surtout pas parti de ce "on" qu’elle évoquait. Les mots n’étaient, d’ailleurs, même pas nécessaires pour le faire comprendre à la jeune fille, alors que l’expression railleuse sur le visage de Finch en disait déjà bien assez long sur la question.

Entre temps, la petite lui expliqua qu’elle trainait avec une dénommé Kara ; une forgeronne qui faisait ses propres armes et qui lui avait justement confectionné cette batte de baseball cloutée qu’elle lui montra fièrement. « Hm… » acquiesça-t-il, simplement, lorsqu'elle tenta de le convaincre que cette arme était stylée. Cherchant à prendre son air détaché alors qu’en vrai, Kilian trouvait cette batte plutôt intéressante. Assez, même, pour lui faire décrocher un coup d’œil intrigué vers le stand en question. Assez, pour qu’il se dise qu'il ne manquerait pas d’aller y faire un tour sitôt qu’il en aurait l’occasion.

Ils revinrent ensuite sur cette fameuse question ; et lui ? Que venait-il faire au No Man’s Land ? « Et bien, pendant que vous soignez tous ces gens, moi je m’occupe de leur santé mental. » Répondit Kilian, en tapotant sa tempe de son index, un sourire venant étirer la commissure de ses lèvres. Puis, il marqua une pause pour laisser mariner un peu la jeune fille. S’amusant de la voir tenter de deviner, par elle-même, de quoi il s’agissait. « De l’alcool, c’est ça ma spécialité. » Finit-il par lâcher, une lueur espiègle au fond du regard. « Au fait, t'as envie d'un verre ? Parce que si t’aime les bonbons, il désignant du menton, l’endroit où elle avait ranger son sac de friandises, j’ai une liqueur qui pourrais certainement te plaire ! ».

Fut un temps où Kilian n’aurait jamais pu faire une telle proposition à la jeune fille qui se tenait devant lui – pas avant ses 21 ans, ou du moins, pas légalement aux États-Unis – il prenait donc un malin plaisir à profiter de la situation pour le faire aujourd’hui. Moyennant un certain prix, bien entendu, puisque plus rien n’était gratuit de nos jours...

Kaycee ne nota pas immédiatement l’agacement de Kilian. Peut-être parce qu’elle s’en fichait pas mal, ou alors elle était simplement habituée à ne pas se formaliser de la réaction des autres. Elle n’était pas là pour lui à proprement parler, de toute manière. Si elle lui parlait, ce n’était finalement que dans son intérêt à elle. Et cet intérêt était de redonner un petit coup de peps au hangar. Elle parla donc, un moment, sans parvenir à créer un dialogue. L’homme la regardait, se contenant de réagir comme s’il n’y était pas invité.

Néanmoins l’homme accepta tout de même de répondre finalement à sa question pour en dire plus sur son petit business. Kaycee haussa d’abord un sourcil, le bonbon diminuant progressivement dans la bouche, ne comprenant pas tout de suite où il voulait en venir. Elle lâcha un simple « oh » quand il le précisa. Il paraissait visiblement très fier et la petite blonde se demanda comment des gens pouvaient vouloir se dépouiller pour ça. Ok ça avait la cote auprès de bien de gens, mais il n’était pas siii difficile de s’en procurer. Évidemment, avec son manque d’expérience dans le domaine, la jeune fille ne savait pas que tous les alcools ne se valaient pas…

- Ça dépend, tu proposes quoi ? Répondit-elle à sa question, en haussant une épaule. Et ça me coutera quoi surtout ?

Pour tout dire, elle n’avait pas particulièrement envie de boire. Ce n’était pas dans ses habitudes. Elle avait bien gouté quelques fois des alcools plus ou moins forts, mais elle restait trop inexpérimentée pour vraiment les apprécier. Elle ne s’était un peu saoulée qu’une fois seulement dans sa vie. Mais si elle ne refusait pas purement et simplement l’offre du vagabond, c’était déjà pour renforcer ce début d’échange, mais aussi par curiosité. Pour ce qu’ils avaient à offrir et la manière dont il le vendait. Inutile de dire que la négociation serait peut-être féroce. Ou pas, qui savait, Kaycee se montrerait peut-être clémente pour cette première approche. Elle le regarda l’air de dire « convainc moi ».

- Ta clientèle, c’est plus du désespéré ou du connaisseur ? Demanda-t-elle, en parallèle. Car sous leurs allures de clodo, qui savait vraiment à qui ils avaient à faire ? Sombrer dans l’alcoolisme pouvait être tentant, mais la plupart des vrais pochetrons n’avaient clairement pas survécu jusqu’ici. Décuver sur un banc public n’était plus vraiment une possibilité ! Alors peut-être qu’il avait davantage à faire avec des experts !

Toujours un sourire aux lèvres et cette lueur espiègle au fond du regard, Kilian avait haussé les épaules à la question de la gamine. Qu’est-ce qu’il voulait en échange ?! Eh bien, un peu de tout, à vrai dire… Selon ce qu’elle avait à offrir.

« J’ai, là, une excellente – et il pesa le mot – liqueur de framboise ! Si, bien sûr, t’aime la framboise ? Lança-t-il, tout en se penchant sur son sac à dos pour en sortir la bouteille en question. C’est plutôt sucré comme boisson, tu verras… et assez fort en alcool aussi ! Donc, il faut faire gaffe et ne pas tout boire d’un coup. À moins, bien sûr, que tu veuille t’enivrer comme un marin perdu en pleine mer… Ce que je te déconseille fortement ! » Il avait ri. Se disant, qu’après tout, il fallait bien la mettre en garde… Qui sait si elle avait même déjà gouté à l’alcool, auparavant ?! Non pas qu’il accordait la moindre importance à cette petite – à vrai dire, il s’en fichait éperdument – mais s’il voulait se faire un nom ici, il n’y parviendrait certainement pas en semant le doute autour de lui par de mauvaises informations. Il se devait de rester un brin professionnel.

Finch avait finalement choisi de laisser tomber cette muraille de méfiance qu’il avait si dument érigé autour de lui – même si, ça ne signifiait en rien qu’il baissait la garde ! Lui valant, ainsi, un changeant assez drastique d’attitude. Beaucoup plus détendu, on pouvait enfin voir cette fameuse facette charismatique qu’il gardait un peu trop souvent pour lui-même, ces derniers temps… « T’as qu’à goûter et voir si t’aime ça. Puis, en échange, j’aimerais seulement que tu me présente à cette forgeronne qui t’as confectionner cette jolie batte ! » C’était simple, pas trop compliqué comme troc. Rien qui demandait une longue négociation – enfin, pas pour l’instant. Après, toutefois, si elle en voulait plus, Kilian en demanderait plus également. Mais pour l’instant, on n’en était pas là… Alors autant profiter de sa "clémence" pendant qu’elle passait.

« Un peu des deux… Avait-il répondu, après avoir réfléchi à la dernière question de la gamine. Même si j’ai de quoi intéressé les connaisseurs, je vois aussi passer quelques "désespérés", comme tu les appel. Disons, simplement, qu’il n’est plus l’heure de faire son difficile quant à la clientèle… Je prends, donc, tout ce qui passe, ou plutôt ; tout ce qui paye. »

Tout en parlant, Finch avait alors rempli, de liqueur de framboise, les deux verres à shooter qu’il sorti de son sac comme par magie. Tendant le premier à Kaycee, il leva ensuite le sien dans sa direction ; « Cheers ! » Scanda-t-il, avant de descendre, d’un trait, le liquide ambré qui lui réchauffa agréablement la trachée. Gardant son regard, amusé, braquée sur sa camarade de beuverie. Observant attentivement sa réaction.

Progressivement Kilian se transforma, devenant par le commerce quelqu'un de presque avenant. Kaycee observa ce changement. De bourru, le type se fit jovial en parlant de ses produits. Elle découvrirait par la suite que c'était effectivement un rôle, que le vrai Kilian était davantage le type aigri qui l'avait accueillie. Mais pour son business, le fait qu'il sache s'ouvrir, était  plutôt rassurant. Indispensable, même.

Elle acquiesça avec retenue, confirmant son amour pour la framboise. Elle n'avait pas eu cinquante occasions d'en manger dernièrement, mais elle se souvenait être tombée sur un plan dans un jardin, deux ans plus tôt. Quel délice ! Il fallait maintenant savoir apprécier la vie pour ce genre de belles surprises. Elle attendit la contrepartie et esquissa un sourire en entendant cette dernière. Lui présenter Kara ? C'était plus que dans ses cordes effectivement, et cela ne lui coutait rien. A vrai dire, pour qui souhaitait réellement s'installer ici et faire un commerce durable, les présentations avec la blonde deviendraient vite inévitables.

-  Ça me va, répondit-elle donc, sans chercher à négocier davantage. L'art du troc, c'était aussi de savoir reconnaître un deal correct d'entrée ! Marchander pour marchander, cela signifiait parfois que de bonnes affaires vous passaient sous le nez ! Un luxe qu'ils ne pouvaient plus vraiment se permettre.

Elle fit donc un mouvement du menton pour lui signifier qu'il pouvait remplir ces petits verres qu'il venait de sortir. Elle l'écouta parler de sa clientèle et ne put que hocher la tête, d'accord.

- Tu trinques avec tous les gens avec lesquels tu fais affaire ? Demanda-t-elle, avec malice, en prenant le verre qu'il lui tendit. Si c'était le cas, il devait être un peu pochetron aussi sur les bords. Et sinon, elle appréciait le geste qu'il faisait pour elle. Même si elle était bien consciente qu'il désirait sûrement davantage faire affaire avec la forgeronne qu'elle-même. Mais elle ne s'offusquait pas, il n'était pas le premier.

Ils trinquèrent et la jeune fille trempa d'abord simplement ses lèvres dedans. Elle sentit la chaleur de l'alcool – fort ! - et le sucre du fruit. Elle aurait pourtant été bien incapable de reconnaître le fruit rouge. Hum... Son visage trahit probablement une micro-grimace un court instant. Elle reprit une deuxième petite gorgée ensuite, levant alors les yeux vers le trentenaire.

- Un marin perdu en pleine mer, s'amusa-t-elle, alors qu'il avait bu son verre d'une traite. Et comment tu t'es lancé là-dedans ? T'as juste saisi une opportunité, ou bien c'est un domaine qui te tient à cœur aussi ?