Ma chère Daniella,

Je ne trouverai pas les mots pour exprimer à quel point je suis heureuse d’avoir été amenée à te connaitre. Tu représentes pour moi tout l’espoir que j’ai dans ce monde et dans les gens qui le peuplent. Tu es la survivante la plus accomplie qu’il soit et tu mérites d’obtenir tout ce que tu recherches. Jimmy est un petit garçon chanceux de t’avoir à ses côtés. J’espère que l’avenir te donnera les réponses que tu attends, pour ce Nouvel Eden et tout le reste. Je sens mes forces s’en aller, mais ne sois pas triste, je me sens enfin soulagée. Prends soin de Leila pour moi. Survis mon amie.

Love xoxo

Romy

Elle ne réalisait toujours pas. Dans son esprit, il lui était impossible que son amie puisse mourir, pas après tout ce qu’elles avaient traversé ensemble. Avec Daniella, Romy était la première véritable relation qu’elle avait tissée : elles s’étaient trouvées, ensemble, elles s’étaient même appréciées, avec leurs défauts. Elles avaient fait le choix de vivre les unes avec les autres et de s’entendre pour le meilleur comme pour le pire. Il n’y avait jamais eu de disputes entre elles, malgré le désordre parfois : Olivia qui ne rentrait pas tous les soirs, ou tard après avoir passé du temps en compagnie de Ludwig, ou lorsqu’elles marchaient pied nu sur les jouets de Jimmy en retenant des insultes…

Romy était peut-être la plus discrète du lot, mais elle n’en était pas pour autant la moins aimée. Elle parlait pour elle mais ne doutait pas que Daniella éprouvait la même chose : sa douceur, son écoute, sa sagesse… Tout ça allait définitivement lui manquer. Cependant, pour l’instant, Olivia ne réalisa pas. Elle avait vu le corps, la tombe. Elle l’avait vu tomber de plus en plus malade, pour ne jamais s’en relever. Et puis, plus rien.

Olivia regagna sa chambre sombrement, sans réaliser qu’elle n’y trouverait pas Romy. Ce fut ce choc qui la figea d’abord dans l’entrée. Les yeux rougis par les larmes, la cuisinière tenait dans sa main sa propre lettre, mais elle n’avait pas eu à cœur de la lire. Pour elle, c’était comme signer une fin à cette amitié, admettre qu’il n’y aurait finalement pas de suite avec la jeune égyptienne. Daniella pourtant avait réussi, lui tendant les derniers mots de Romy, la petite brune s’en empara.

Elle déplia avec soin le papier, fixa ses yeux sur les quelques lignes, lèvres pincées, elle sentit son menton trembler sous l’émotion et ne parvint pas à articuler quoi que ce soit. A la place, les larmes embuèrent ses pupilles, elle vit trouble quelques brèves secondes avant de fondre dans les bras de Daniella. Ça n’était même pas sa lettre et pourtant, c’était comme devoir accepter ce point final qu’elle se refusait à mettre. Elle ne voulait pas que Romy disparaisse. Elle ne voulait pas la perdre, elle n’était pas prête à ne plus la voir.

Dans les bras de Daniella, elle n’eut pas à cœur de parler. Olivia en était incapable, elle n’avait vraiment pas les mots pour expliquer tout le désespoir qu’elle ressentait actuellement. Entre les sanglots et les paroles de sa dernière amie encore vivante, mais meurtrie, elle ne savait pas où donner de la tête, ni quoi dire. Il y avait un vide immense dans son palpitant, un vide qu’elle ne savait même pas comment combler pour l’instant. Les yeux embués de larmes qui débordaient en continue, elle ravala péniblement un autre sanglot en se relevant, essayant de laisser un peu d’espace à la jolie brune à ses côtés.

C’était injuste. Olivia n’était même pas sûre d’avoir eu le temps de donner assez de bonheur pour compenser les atrocités qu’elle avait vécu à l’extérieur. Elle n’était pas persuadée d’avoir été une amie suffisamment bonne pour la combler, le temps que ça avait duré. La gorge nouée, peut-être par un véritable nœud – tout du moins en avait-elle l’impression – Olivia fit de son mieux pour retrouver contenance. Elle aurait voulu cacher sa souffrance des yeux de Daniella qui avait bien plus important à faire…

Mais les amies se soutenaient, n’est-ce pas ? Elle renifla alors, essayant d’essuyer ses larmes à nouveau dans la manche de son pull, avant de tendre cette lettre à sa voisine :

Je ne l’ai pas encore lu, avoua d’une voix enraillée la jeune femme en l’offrant à Daniella. J’y arrive pas, je veux pas…

C’était comme admettre qu’il y avait véritablement une fin. Admettre qu’elles ne reverraient pas Romy, pas avant des années. Ça lui était vraiment douloureux. Pour autant, elle se devait quand même d’être courageuse. Alors, elle proposa à son amie de l’aider :

On peut la lire ensemble ? lui demanda-t-elle d’une petite voix, presque suppliante. Peut-être était-ce aussi un coup très dur pour Daniella, de devoir faire ça pour elle. Mais seule, elle s’en sentait incapable. Une fois que la brune lui donna son approbation, elle déplia le petit papier, et lut à haute voix dans la chambre.

Ma tendre Olivia,

Notre amitié a été un rayon de soleil à mon arrivée ici. Je suis désolée de te laisser sur cette rive, mais je te sais bien entourée. Daniella te protégera toujours comme une sœur et Ludwig a un cœur en or. Je te souhaite un jour de te lier avec Nicholas comme la nature le voudrait. Mais si ce n’est pas le cas, ne t’en veux pas. Rien n’est immuable, à part la mort. Qu’Allah me pardonne. La vie te donne une seconde chance, peut-être le ressens-tu déjà. Saisis-la. J’ai été heureuse de croiser ton chemin. Ta douceur et ta cuisine ont égayé mon quotidien.

Love xoxo

Romy

Un secret.

Un secret que même son esprit avait commencé à nier. Les signes étaient là pourtant, depuis le tout début. Les nausées, les sautes d’humeurs, l’angoisse persistante, les émotions si fortes, décuplées. L’absence de règles aussi, évidemment. La gorge d’Olivia se serra violemment, elle eut l’impression de ne plus savoir comment respirer ou déglutir.

Je… impossible, elle ne pouvait pas être enceinte. Je ne sais pas… avoua-t-elle alors, comme un premier pas vers l’évidence qui la frappa comme un coup de marteau en plein visage. J’en sais rien…

Romy avait pu voir les signes, oui. Une fois, l’egyptienne l’avait surprise en train de rendre son repas, était venue lui dégager les cheveux du visage, l’invitant à se reposer. Olivia avait profité pour faire une pause et récupérer un peu de force. Elle avait mis ça sur le compte d’un écœurement passager, au mieux, au pire peut-être d’un début de gastro. Il n’y avait eu plus que les nausées, une certaine fatigue, une fragilité. Rien que la cuisinière avait envie de voir.

Les pensées d’Olivia se détournèrent du sujet quand son amie demanda à lui confier quelque chose. Elle en profita pour se river sur les mots de la brune, histoire de ne pas les lâcher. Elle ne pouvait pas revenir en arrière désormais. Daniella lui avoua sortir avec Xander, et la cuisinière fronça les sourcils d’étonnement :

Xander ? Le Xander ? Oh ! ça pour une surprise ! Est-ce que ça en était vraiment une ? Elle avait vu quelques moments de flirt, avait parfois taquiné l’homme sur ça, mais lui, il lui avait assuré qu’il n’y avait rien, qu’il n’était pas intéressé ! Et… Attend… Fred ? Répéta-t-elle alors après quoi, sans cacher son trouble cette fois. Deux hommes pour le prix d’un ! Même elle, qui n’était pas au milieu de la situation, était désormais perdue avec Daniella… Et tu…. Tu as pu parler avec Fred ? Tu sais ce que tu veux faire ?

Daniella devait-elle faire un choix, ou est-ce que la réponse était déjà évidente pour elle ?

Il va falloir que tu nous racontes ça depuis le début, Dani, souffla-t-elle avec un sourire. Oui, nous, Romy écouterait sûrement silencieusement.