Olivia n’eut pas la force de répondre à haute voix, elle se contenta de baisser la tête. Oui, les nausées elle en avait eu. Et des crampes. Les hormones, des sautes d’humeur.

Je n’ai plus mes règles, avoua-t-elle alors d’une toute petite voix en évitant soigneusement le regard de Daniella.

Son amie lui promit alors qu’elle serait là pour l’aider si jamais. Ça eut le mérite de lui mettre du baume au cœur, même si ça ne retirait pas l’angoisse que tout ça suscitait chez elle. Elle était vraisemblablement enceinte, il n’y avait pas trop de doute là-dessus désormais. Romy avait vu clair dans son propre déni, pendant qu’elle avait lutté pour fermer les yeux le plus longtemps possible. Olivia avait honte…

Heureusement, Daniella vint à son secours. Elle eut brièvement l’impression de se retrouver, comme d’ordinaire, dans cette pièce avec leur amie commune, pour des discussions interminables sur leurs vies respectives. D’une écoute à toute épreuve, Olivia vit en sorte de patiemment entendre ce que lui disait Daniella sur tout ça. Entre Xander et Fred, il y avait visiblement de quoi faire ! Si la cuisinière n’avait pas la solution à son problème, elle avait au moins un début de quelque chose pour l’aider : elle était son amie après tout…

Ca fait beaucoup à gérer en très peu de temps… souligna-t-elle avec un air sérieux : Fred a l’air en effet plutôt immature sur la question, il n’y a qu’à l’école qu’on va dire ses sentiments pour partir se cacher ensuite, elle jeta un bref coup d’œil en face d’elle, prête à y trouver Romy. Il n’y eut rien, mais dans sa tête, ce fut presque comme si… Après, c’est mignon aussi, ces petits émois…

Elle eut l’impression d’entendre l’Egyptienne à travers elle.

Tu dois leur parler, à tous les deux. Mais pas en même temps évidemment ! précisa Olivia. Tu dois poser les doutes que tu as, et trouver les réponses que tu souhaites… Avec Fred, tu dois lui dire qu’il ne peut pas lâcher une bombe comme celle-ci et s’enfuir dans la minute, vous n’êtes plus à la maternelle… Et à Xander, tu dois voir avec lui si… Si comme tu le ressens parfois, il a honte de toi, sa main se saisit de celle de la brune pour la rassurer : Si tu as peur, tu as le droit de le dire Daniella, ils doivent te répondre, c’était la moindre des choses. Et peut-être qu’à ce moment-là, tu pourras faire un choix.

Elle posa tendrement sa tête sur l’épaule de sa voisine

Ma pauvre Dani, tu n’es pas aidée… Souffla-t-elle.

Olivia ne montra aucun enthousiasme à Daniella lorsqu’elle la félicita. Elle savait que c’était d’usage lorsqu’une femme tombait enceinte, après tout : elle créait la vie. Le problème étant que la brune aurait sans doute préféré naitre sans un utérus pour fournir cette fonction. La gorge nouée, elle lui fit tout juste un sourire reconnaissant. Ce qui la rassurait, c’était que sa meilleure amie serait au moins là pour la soutenir. Mais ça lui mettait les larmes aux yeux : Romy aurait peut-être eu les bons mots pour lui faire passer cette douleur qui lui creusait le ventre.

Aussi fit-elle plutôt l’effort de se concentrer sur ce que lui disait Daniella. Son histoire, elle lui accordait bien plus d’intérêt qu’à ce qui grossissait dans son ventre actuellement. Ça n’était pas digne d’une mère, mais Olivia était bien incapable de savoir ce qu’était concrètement une maman : elle n’en avait jamais eu l’exemple. Lorsqu’elle pensait à ses géniteurs, elle n’en gardait qu’un souvenir froid, un profond sentiment d’injustice : comment des gens aussi insensibles avaient pu continuer à vivre, quand ses grands-parents qui l’avaient élevé avec tout l’amour du monde étaient morts. Le deuil n’était pas encore fait, la rancœur restait, et la disparition de Calvin n’aidait pas.

C’est peut-être ça aussi qui… Qui sonne étrange pour Fred, analysa-t-elle alors d’une voix enraillée par l’émotion. Elle tenta de cacher les signes de son chagrin, la discussion donnait l’impression que Romy était toujours là : Vous êtes les « parents » de Jimmy, tous les deux mais vous n’êtes pas ensemble, vous n’êtes pas un couple, fit-elle.

Là, alors que ses mots se déroulaient, Olivia avait l’impression de voir la situation sous un autre éclairage :

Au rendu, tu es avec quelqu’un d’autre, qui est une bonne personne et je n’en doute pas, précisa-t-elle au sujet de Xander, qu’elle appréciait sincèrement ! Mais c’est comme si vous aviez eu un enfant avec Fred sans avoir jamais été un couple avec les autres avantages d’une relation, il y avait évidemment des avantages à une relation, sinon pourquoi les couples existaient-ils ?

Elle poussa un petit soupir. Ce brave Fred allait subir ce que beaucoup d’hommes subissaient en tout temps : des échecs amoureux.

J’aurais aimé aussi, fit-elle à sa voisine avec un sourire triste. Peut-être… Vous rencontrez plus tôt, avant tout ça… Quand le monde était encore vivant. Elle aurait eu de vraies amies comme ça.

Est-ce que ça change quoi que ce soit sur ce que tu ressens pour Fred ? s’inquiéta alors Olivia.

Car Daniella lui confia qu’elle n’avait pas pensé à ce point, sans doute trop prise dans le tourbillon de sa vie, elle n’avait pas réussi à prendre du recul sur les relations qu’elle tissait avec les gens. Olivia pouvait tout à fait comprendre ça, parfois, l’esprit ne permettait pas de penser à tous ces détails, en s’imaginant probablement qu’il n’y avait plus que ça qui tournait. Or, le monde continuait à l’extérieur, plus rude encore que ce cocon d’affection qu’on portait aux gens dans l’espoir d’être aimé aussi en retour.

Ou pour Xander ? demanda-t-elle dans la foulée.

Elle pouvait le sentir que dans l’esprit de Daniella, les pensées s’entrechoquaient un peu, qu’elle avait alors apporté un éclairage tout particulier à sa relation et que ça la perturbait grandement :

Parce qu’en fait, c’est ça le plus important : ce que toi tu veux, souffla-t-elle avec un sourire.

Pour qui son cœur balançait au final ? Si l’intervention de Fred la travaillait, était-ce parce qu’elle couvait encore des sentiments pour l’homme, comme elle leur avait confié il y a moins d’un an de ça ? Ou est-ce que la présence d’Alexander dans sa vie était venue modifier ce point ? Elle savait que ce dernier pouvait avoir une certaine prestance, un charisme même, qui avait de quoi transformer une personne. Mais est-ce que Daniella aimait Xander, ou est-ce qu’elle l’admirait comme beaucoup de ses petites universitaires à l’époque où il enseignait encore ?

Xander n’a pas l’air très bavard à ce sujet, il le fera peut-être un jour, fit-elle avec un sourire. Et puis après tout, est-ce qu’un « je t’aime » valait plus que tous les actes qu’on faisait pour se prouver qu’on aimait ? Peut-être qu’il ne sait pas comment le faire, ou alors, qu’il te le prouve autrement, souligna-t-elle.

Elle n’était pas entre eux, elle ne vivait pas cette relation et encore une fois, ça n’était qu’un point de vue. Olivia posa une main tendre sur l’épaule de Daniella :

Tu vas t’en sortir, il te suffit de poser les questions, fit-elle alors.

Peut-être qu’il n’est juste pas démonstratif, tu sais ? Tout le monde n’arrive pas à s’assumer devant les autres, et elle comprenait parfaitement ce point : elle-même avait mis beaucoup de temps avant de parvenir à tenir la main de Ludwig en public. Les jugements des autres, les doutes, les remarques,… Surtout qu’elle venait tout juste d’arriver et qu’elle ne s’occupait de son premier fils. Et puis, Xander est bien plus âgé que toi, il a reçu une autre éducation…

Elle pinça les lèvres, tentant de trouver des raisons pour tout ça. Parce qu’elle n’avait pas envie de croire que Xander l’utilisait pour son égo, et que désormais qu’il l’avait, il la jetait comme un enfant lassé de son nouveau jouet. Sauf qu’Olivia n’arrivait pas à savoir si c’était aussi incohérent que ça. Après tout, il s’était parfois vanté d’être charismatique, de ne pas avoir réussi à tomber amoureux, à garder quelqu’un dans sa vie.

Il faut que tu prennes ça en compte pour revoir tes attentes à ce sujet, tu ne pourras pas exiger la même chose d’une personne de cinquante ans, et d’une de vingt ans… Ce n’est pas les mêmes expériences de vie, ni la même mentalité… ajouta-t-elle alors.

Olivia ne pouvait rien dire de plus, elle avait exprimé son point et Daniella voulait apparemment passer à autre chose. Tout ça la perturbait évidemment, devoir penser à sa vie sentimentale alors qu’elle n’avait rien expérimenté depuis longtemps, tout ça pour se rapprocher de deux hommes en peu de temps ! Oui, même pour son amie qui ne vivait pas ça, c’était vraiment effrayant. Elle soupira. Devoir parler de sa grossesse avec Daniella lui remettait une boule au ventre, elle haussa les épaules :

Je ne suis pas faite pour ça… avoua-t-elle à son amie, sans l’ombre d’un doute dans la voix : Être mère… Précisa-t-elle. J’y arrive pas…

Tout comme ces sentiments qui ne se déclenchaient pas pour Nicolas. Pour qui elle peinait à ressentir cette affection qu’elle voyait chez les autres. Elle espérait encore qu’en grandissant, ce point change. Mais Olivia craignait encore de souffrir si elle se mettait à l’aimer.

Je… Ludwig ne sait pas encore et… elle craignait sa réaction. C’est encore récent entre nous, nous n’avons pas beaucoup fait de fois l’amour, avoua-t-elle à nouveau à Daniella, affligée d’être si malchanceuse.