J’essaye de sourire alors qu’il me guide dans le dispensaire mais je crois que mon expression se transforme en grimace. En passant devant Lizzie, je lui fais signe que tout va bien. Finalement, je m’écroule sur le lit fait d’une toute petite chambre, qui était autrefois un bureau ou quelque chose comme ça. Mes yeux fiévreux se lèvent sur mon ami qui promet de s’occuper des malades en mon absence.

- C’est gentil… je serai vite d’attaque, ne t’en fais pas.

J’ai envie de croire que ce sera le cas en tout cas. Je me penche péniblement pour retirer mes chaussures et me glisse sous les draps en grelottant. Auréolées par mes cheveux en pagaille, je devais faire peine à voir. Toutefois, l’une de mes mains s’échappe pour attraper la manche de Cole. J’apprécie sa compagnie et pour l’instant, il n’y a pas quand-chose à faire. La récolte les plateaux repas utilisés ne se ferait que dans trente-quarante minutes.

- Reste, que je demande faiblement, il y a une chaise là.

Je lui désigne, même s’il l’a sans doute déjà vue. Je me sens si fatiguée… pendant une seconde, j’ai l’impression d’avoir déconnecté. J’ai fermé les paupières et en les rouvrant, le hacker était à mes côtés. Je fais de gros efforts pour m’éclaircir la gorge et lui parler, même si je n’ai plus l’énergie pour sourire désormais.

- « Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez du repos pour vos âmes », c’était la suite du verset qu’il avait cité ; Matthieu 11:29, tu… tu connais la bible ?

Je suis agréablement surprise. Loin de moi l’idée d’avoir des préjugés, mais je ne pensais pas que le trentenaire soit du genre croyant. Je le voyais comme un sceptique, très intelligent certes, mais rangé du côté de l’athéisme. Ceci étant dit, être athée n’empêche pas de s’intéresser aux écrits saints, tout comme je me suis penché sur la science et la philosophie. Je suis touchée de son attention en vérité.

- Tu… tu as un passage préféré ?

Les gens en ont souvent. Moi, je crois que j’aime surtout son message ; celui qu’on découvre quand on s’affranchit de la forme. L’Amour, sous la plus pure des formes ; total, éclairé, inconditionné.

- Je vois…, dis-je d’une voix faible, c’est un très beau verset, tu sais… le repentir n’est pas qu’une histoire d’actes. Ça se passe aussi dans le cœur : si le Seigneur voit que tu as de sincères remords et que tu es prêt à changer de voie, alors tu auras sa miséricorde.

Je lui précise car je sens qu’il peut être le genre de personne à se tuer à la tâche du pardon. Dieu ne tient pas de compte matériel, il ne quantifie pas le nombre de bonnes et de mauvaises actions. Un pêcheur qui pense couvrir ses méfaits de mille bontés ne sera pas reçu au royaume des cieux alors qu’un criminel repentant au seuil de la mort se verra accueilli au Paradis. Ça a l’air simple, mais rien n’est plus compliqué ; car ce n’est pas une affaire de mots. On peut mentir autant que l’on souhaite avec le verbe, mais le cœur ne sait être autre chose que sincère.

- Merci…, que je murmure lorsqu’il me dit que je peux dormir.

J’aimerais lutter, tout faire pour rester avec lui quelques instants, mais je me sens partir. Mon corps se met en veille, harassé par les symptômes. Je n’ai plus conscience de mes doigts, restés accrochés à la manche de Cole, je vogue quelque part dans le néant entre la veille et le sommeil. Peut-être ai-je plongé dans les affres de l’inconscience, je ne sais plus. Tout ce que je veux dire, c’est que quand je rouvre les paupières, je vais mieux. Bien mieux.

Mon ami est toujours là, ça me donne un sourire timide. Je me redresse lentement, m’assois dans le lit et prend le verre d’eau poser sur la table de chevet pour le vider d’une traite. Je me sens encore engourdie mais les frissons sont passés, la fièvre aussi. C’est incroyablement gentil de sa part d’être resté là, je ne sais pas comment le remercier de sa bonté.

- J’ai dormi longtemps, osé-je demander en levant mes prunelles sur lui, merci au fait… d’être resté là, il avait tenu sa promesse. C’était peu de chose… et c’était énorme.

Je prends le verre. Il me faut encore quelques secondes pour remettre mes pensées en place : mon malaise, notre présence ici, la gentillesse et la confidence de Cole. Je termine mon eau d’une traite et m’assoie sur le bord du lit. Ses compliments me font rougir, ils me touchent aussi, mais me mettent un peu mal à l’aise. Je n’ai pas vocation à mobiliser autant l’attention d’un homme – ou de n’importe qui. Je ne suis que moi… un moi qui n’est pas bien important.

- C’est… c’est gentil mais…, je m’éclaircis la gorge et me penche doucement vers lui, tu sais, je ne suis pas quelqu’un de spécial. Je… je vais juste ce que je peux pour aider les gens, parfois – souvent – j’ai même la sensation que ce n’est pas assez, tu…, un léger sourire ourle mes lèvres, pour l’encourager et lui montrer que je suis bien loin d’être vexée, tu disais que tu as fait des « erreurs » que tu regrettes, tu penses à quoi ?

A défaut d’être sa « rédemption », je peux être son oreille attentive. Je ne sais pas ce qu’il va me dire mais j’espère qu’il sait que je ne le forcerais à rien – déjà – et s’il se décidait à parler… que je suis prête à toute entendre. Surtout aujourd’hui, j’ai appris à accepter l’humanité avec tous ses défauts, tous ses travers, tous ses passages obscurs. Avoir commis des actes condamnables ne signifie pas être une mauvaise personne… pas plus d’ailleurs que d’être généreux ne veut dire être une bonne personne. Je serais d’ailleurs d’avis que cette notion n’existe pas vraiment… on est ce qu’on est, et on impacte les autres, en espérant le faire en bien. Enfin… je crois.

- Oh, et… ne fais pas ton monde tourner autour de moi, hein ? Je suis… je suis une humaine, comme toi, comme toutes les autres personnes du camp… je ne mérite pas une telle attention, même si…, je hausse les épaules et lui sourit de plus belle, même si c’est réellement flatteur, je marque une brève pause et précise, ça ne m’empêchera pas d’être là quand tu as besoin de moi !