Plus le professeur l'écoutait, plus il s'en amusait, c'était à croire que celui qui n'a pas vécu quelque chose le regrette forcément. Elle regrettait de ne pas avoir assez profité de sa jeunesse, il regrettait d'avoir trop profité de la sienne. C'était presque doucement ironique de voir ça et certainement fort pathétique. Ceci dit, il la comprenait un minimum, elle n'avait pas eu une enfance correcte, elle devait avoir quoi, 16 ans ? 17 ans ? Quand l'apocalypse avait commencé elle était à l'aube de sa vie et même s'il avait voulu en profiter elle n'en aurait eu l'occasion qu'un temps ridicule comparé au temps potentiel. Il eut une rapide pensée pour tous ses élèves et tous ses étudiants, combien étaient t-ils à être sûrement morts avant d'avoir pu profiter d'une quelconque jeunesse ? La plupart avait 16/17 ans ils étaient le futur du monde et aujourd'hui, il n'était que du passé dans les souvenirs d'un professeur vieillissant de plus en plus, marqué par le temps, par le sang et par les traumatismes. Autant dire que leur potentiel avait été loin d'être atteint et qu'il ne le serait jamais, triste réalité.

Quand elle pose une question qui aurait pu paraître fort déplacé dans certains cas, le professeur ne put s'empêcher d'en sourire. "Plus que nécessaire, fut une époque où je ne cherchais pas la femme qui ferait vibrer mon cœur mais simplement une présence pour remplir mon lit." C'était un temps qu'il préférait ne plus vraiment se remémorer jusqu'à récemment, il ne le faisait désormais que quand il discutait de ce qui était avant tout cela. C'était une époque bien différente, ses années estudiantines, quelques regrets, beaucoup d'amusements mais parfois, il aurait voulu trouver la perle rare du premier coup, une espèce d'idylle qui l'aurait empêché d'avoir à souffrir de la solitude bien souvent même si d'un côté... à quel point aurait-il souffert si elle était décédée quand il voyait à quel point il avait souffert pour Camélia alors que celle-ci n'avait finalement été qu'une amourette... enfin, un amour de quelques mois tout de même. Faisant tourner son verre dans la main, il écouta sa deuxième question avant de répondre sans réfléchir. "De pas être mort à la place de quelqu'un qui le méritait pas." Il eut une pensée pour Kyle, c'est lui qui aurait dû survivre, il était peut-être lâche d'habitude mais il était courageux et aimant envers tous les autres. Lui, il était simplement un chien qui survivait à travers les meutes qui passaient dans le temps. "Enfin, sinon, je dirais de jamais avoir pu profiter de mon neveu, il est né un peu avant l'apocalypse et j'ai jamais pu faire l'voyage en Louisiane pour le voir." C'était son seul vrai regret de ce qui était avant tout ça.

Quand elle lui expliqua ensuite ce qu'elle faisait de ses journées, Aodhan ne put s'empêcher de rire à la vue de sa moue. "Effectivement, c'est pas les plus trépidantes des activités." Il lui fit un léger sourire de plus avant de continuer. "Je n'oserais donc pas te proposer de sortir en pleine nuit dehors, y a peu de bouquins à lire et peu de Madame Phelbs en dehors de nos murs." Pour le coup, il n'y avait sûrement aucun des deux qui pouvait l'intéressé en dehors du fort globalement.

J’accorde un petit sourire à Aodhan lorsqu’il m’avoue avoir eu de nombreuses conquêtes. Je crois que mes joues se mettent à rougir légèrement suite à cette révélation. J’ai chaud d’un coup. Ou est-ce à cause de l’alcool ingéré quelques minutes plus tôt ? Je ne sais pas trop. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas de mal à imaginer le professeur au bras de jolies jeunes femmes. Je me surprends à penser qu’avec quelques années de plus, c’est un homme qui aurait pu me plaire. Séduisant, intelligent, cultivé sachant faire la conversation… Nul doute qu’il ait eu du succès. Comparé à moi, le contraste est saisissant. N’ayant eu que de brèves amourettes au lycée, je n’ai jamais connu tout ça.

Puis la conversation dérive sur un sujet plus sombre. Je m’en veux d’avoir posé cette question lorsqu’il regrette de ne pas être mort à la place de quelqu’un d’autre. Mon visage se ferme alors, mon sourire disparaît et je détourne bêtement les yeux. Un silence pesant s’installe et il finit par reprendre, parlant finalement de sa famille. A ses mots, mon cœur se serre et je repense malgré moi à maman et papa… « Avec Casey nous étions chez nos grands-parents quand tout a commencé… Nous n’avons pas revu nos parents… » Est-ce un moyen de lui faire remarquer que je le comprends ? Que je sais ce qu’il ressent ? Tous ici avons perdu des personnes chères à nos cœurs et même après toutes ces années, il est important de s’en souvenir, malgré la douleur que cela représente. Un sourire triste naît sur mes lèvres, me demandant bien ce qu’ils sont devenus…

Changeant encore de discussion, nous passons à quelque chose de moins douloureux. Lorsque je lui explique ce que je fais de mes journées, le professeur se met à rire. Je sourcille légèrement, peut-être un peu vexée alors qu’il reprend avec une pointe de défi dans la voix. « Oh tu ne devrais pas me sous-estimer ainsi tu sais… Je peux me montrer surprenante quand je veux. » J’attrape finalement mon verre avant de le terminer, cul-sec. Peut-être pas la meilleure des idées. L’alcool me brûle la gorge et je me mets à tousser…

C'était étrange comme situation, ils étaient passés d'une banale discussion où le professeur et la jeune femme racontaient tour à tour leurs expériences de vie à des sujets plus graves comme ce qu'ils avaient perdus depuis le début de l'apocalypse. En fait, le professeur avait l'impression que c'était un dénominateur commun à toutes les discussions qu'il avait comme si tout le monde avait le besoin de se rappeler que sa vie d'avant avait été détruire par le virus, avait été détruite par cette maudite peste noire qui infectait la chaire des morts et les rendait bien trop violent et assoiffés de sang. Caressa de la paume de la main le bar pour se redresser légèrement, il écoutait les paroles de la petite blondinette qui lui confiait à son tour qu'elle était chez ses grands-parents au moment de l'apocalypse et que malheureusement elle n'avait jamais eu l'occasion de revoir ses parents. Le professeur ne put s'empêcher d'avoir une petite pointe d'empathie pour elle, peut-être parce que c'était parce qu'elle avait l'âge de ses élèves, peut-être que c'était parce qu'il était profondément marqué par le fait de ne pas avoir revu sa sœur. Il ne savait pas réellement mais dans tous les cas, il était compréhensif à ce qu'elle pouvait ressentir.

Il posa ses yeux bleus sur la petite blonde lorsqu'elle eut finit avant de simplement lui répondre tandis qu'il remarquait le triste sourire qui venait orner un si beau visage : "Sûrement qu'ils étaient fiers de toi Madisson, c'est tout ce dont tu as besoin de savoir, je pense." Et elle pouvait être heureuse d'avoir des parents qui étaient sûrement fiers d'elle au vu de la jeune femme qu'elle était. Lui, il n'avait pas eu cette change mais il n'était guère là pour jouer à qui était le plus malheureux des deux, c'était un jeu futile et qui n'avait pas vraiment de résonance dans un monde pareil. Il aurait donné tout de même cher pour montrer ce qu'était devenu le monde à ses élèves quelques années plus tôt, leurs plaintes et leurs gémissements à propos des devoirs n'auraient sûrement rien été comparé à ce qu'était le monde à l'heure actuelle et à la tournure des choses. Tout semblait bien plus futile désormais de ce qu'étaient les problèmes du passé.

Puis quand le sujet revint à ce qu'ils faisaient respectivement et que la jeune blondinette se vexe, le professeur ne peut pas s'empêcher de rire doucement lorsqu'elle lui annonce qu'elle peut faire des choses surprenantes. "Tu ne devrais pas dire ça aux hom.." Il n'eut pas le temps de finir sa phrase avant qu'elle ne se saisisse de son verre pour en engloutir tout le reste du contenu sous les yeux surpris du professeur qui ne s'attendait clairement pas à ça tandis qu'elle se mit à tousser. "C'est de l'alcool fort Madisson, c'est déconseillé de boire ça cul sec en particulier pour les gens qui n'ont pas l'habitude." Le professeur lui fit un nouveau sourire tandis qu'il vérifiait qu'elle ne finisse pas par s'étouffer avec son inexpérience de l'alcool, ce serait dommage de perdre une demoiselle comme elle pour de pareilles futiles bêtises.

Après toutes ces années, je me suis finalement faite une raison. Il y a très peu de chance pour que Casey et moi retrouvions nos parents. Chicago se trouvant à des centaines de kilomètres d’ici, il est impossible que je les revoie un jour. Sont-ils morts ? Ou vivants ? Je l’ignore. Mais je préfère les croire encore en vie, heureux et en sécurité tous les deux. J’imagine que s’ils vont bien, c’est ce qu’ils souhaiteraient pour nous aussi. Mais leur absence est toujours pesante, même après tout ce temps. J’ai beau avoir accepter cette nouvelle vie à Ford Ward, j’ai beau avoir grandi, pris de l’assurance… Ils me manquent terriblement.

Quand Aodhan me dit qu’ils seraient fiers de moi, un sourire mi-triste mi-heureux se dessine sur mes lèvres. Et je ne cherche rien à redire aux paroles du professeur parce que j’ai la conviction qu’ils auraient été ravis de me voir à un tel poste. Maman me disait toujours que j’aurais fini par occuper un travail avec énormément de responsabilité, elle avait raison. Papa lui me protégeait beaucoup plus, il avait mis du temps à accepter que je puisse m’envoler en Europe pour mes études. C’est ma mère qui l’a convaincu… Quoi qu’il en soit, je suis contente de savoir qu’ils auraient aimé voir la femme que je suis devenue, non sans un pincement en cœur en réalisant que malheureusement ils ne le verront jamais.

Sentant que l’ambiance devient bien trop nostalgique, je finis par faire une chose complètement stupide. Mes paroles semblent faire leur petit effet pourtant, le brun a l’air très étonnée de m’entendre dire ça. Et je me rends compte que mes mots étaient emplis de sous-entendus. Mais je n’ai pas vraiment le temps de m’en rendre compte parce que je m’étouffe après avoir vidé mon verre bien trop vite. Visiblement, cela a surpris l’homme en face de moi. Il ne tarde pas à m’expliquer que ce n’est vraiment pas conseillé de boire de l’alcool si fort aussi rapidement surtout pour une jeune femme qui n’avait pas l’habitude comme moi. Et je le regrette très vite en sentant ma gorge me brûler, mes yeux pleurent et j’ai très chaud d’un coup. Je tousse bruyamment avant d’essayer de me reprendre. Je relève un regard confus vers Aodhan, riant nerveusement. « Et je comprends pourquoi c’est déconseillé… » Dis-je alors avant de repousser mon verre sur le comptoir du bar. « Je crois que j’ai retenu la leçon. Je ne referais plus jamais cette bêtise. » Je vais finalement me servir un grand verre d’eau pour tenter de faire passer la sensation désagréable qui me brûle la gorge. Puis en revenant face au professeur, je lui confie « Je pense que l’alcool c’est fini pour moi ce soir… Si je veux pouvoir rentrer chez moi… » Je dis ça sur le ton de l’amusement mais je suis certaine que si je bois un verre de plus, ça ne sera pas du tout raisonnable. Je me sens déjà bien enivrée par l’alcool et je pense qu’il ne faut pas que j’en abuse.

Regardant finalement ma montre, je remarque qu’il est déjà tard. La soirée est passée tellement vite en compagnie du brun, il va falloir que je ferme le bar d’ici une demi-heure. « Si tu veux un dernier verre, c’est le moment. Je ne vais pas tarder à aller ranger le bar. » Je lui offre un sourire avant de reprendre « Merci beaucoup pour cette soirée Aodhan, ça m’a fait du bien de parler… Reviens quand tu veux. » Je retourne ensuite à mes occupations, je vais récupérer les quelques verres vides qui traînent sur les tables pour les laver.