Livre entre les mains, Olivia lisait et relisait la même ligne depuis quelques minutes. Frustrée de devoir rester aliter, la brune claqua le livre pile au moment où la porte de sa chambre s’ouvrit. Elle tira à elle sa couverture, avant de se rendre compte qu’il s’agissait de Daniella. Immédiatement, son sourire s’étira, et elle lui fit signe d’approcher. Son amie avait du s’inquiéter, mais intimement, Olivia la remerciait de ne rien en montrer. Elle déposa un baiser sur sa joue, et ne la laissa même pas parler : elle tira à droite et à gauche des affaires en lui expliquant les tenants et les aboutissants de son départ soudain.

Sourcils froncés, la brune écouta avec patience, pas certaine de savoir quand intervenir. Ce fut à sa dernière question, au « tu es contente » qu’elle eut comme un top-départ. Un bref rire secoua ses épaules :

Oui, c’est gentil Daniella, assura-t-elle alors avec un sourire, elle tritura le pantalon de grossesse ainsi que la robe élastique qu’elle lui avait trouvé. Au moins pourrait-elle mettre quelque chose sur ses jambes pour deux ou trois jours si elle poussait un peu. Cependant, Olivia n’eut pas vraiment le temps de poursuivre la conversation : on frappa à la porte à nouveau et en invitant à rentrer, ce fut cette fois l’asiatique qui se présenta à elle : Oh, voici Sari, fit-elle à Daniella en présentant la dernière arrivée.

Olivia eut un petit sourire amer. Non pas qu’elle n’aimait pas la nouvelle venue, plutôt qu’elle était frustrée d’être limitée jusqu’à nouvel ordre. Et son aigreur commençait à se voir, déjà avant l’alarme de l’hémorragie.

Elle me remplace à la cuisine le temps qu’on me donne l’autorisation d’être libre de mes mouvements et de mon corps, souffla-t-elle à sa voisine en levant les yeux au ciel. Réajustant son coussin, elle se redressa. Et ce fut cette fois à Sari qu’elle s’adressa : Tu t’en sors ? s’inquiéta-t-elle. Même si c’était de la bonne inquiétude à son avis. Bourreau de travail, Olivia avait beaucoup de mal à décrocher de sa cuisine : Je pense que vous vous connaissez, c’est Daniella, ma meilleure amie. Elle m’a apporté… Tout en disant ça, Olivia présenta la robe : Des vêtements que je pourrais porter !

La chef-cuisinière, Olivia, devait se reposer à cause de sa grossesse et avec le départ d’Alexander, il ne restait plus grand monde qui savait cuisiner pour un large groupe, et surtout qui était disponible sur le moment. Quand on était allé la quérir pour cette tâche, Sari avait failli tourner de l’œil. Le nombre de personnes sur le camp lui paraissait soudainement bien plus élevé. Elle avait l’habitude de cuisiner pour un groupe de 15 personnes, pas pour l’armée que représentait The Haven !

Le troisième jour de cette nouvelle organisation, la nouvelle équipe commençait à prendre la main. Le service du midi accomplit, Sari laissa les autres remettre de l’ordre dans les lieux. Il fallait encore apporter leurs repas à ceux qui devaient rester alités. Après un passage à l’infirmerie, Sari se dirigea vers les bâtiments.

Contrairement à ce qu’elle s’y attendait, Olivia n’était pas seule. « Bonjour à toutes les deux. Navrée de vous interrompre. » Elle salua d’un signe de tête Daniella, à laquelle Olivia venait de la présenter. « Oui, nous nous sommes déjà croisées. » Elles n’avaient pas eu l’occasion d’approfondir réellement leur relation et de se parler dans un contexte autre que celui de leurs tâches respectives, mais Sari avait rejoint The Haven fin février. C’était suffisant pour se familiariser avec les visages des habitants et engager la conversation avec la plupart, surtout depuis qu’elle aidait en cuisine.

Olivia, fidèle à son poste – même de loin – lui demanda comment elle s’en sortait. « Tout le monde ne mange pas forcément aux horaires prévus, mais au moins, ils mangent, » sourit-elle. C’était l’essentiel. Remplacer une cuisinière expérimentée presque au pied levé n’était pas chose aisée, et malgré toute leur bonne volonté et leur organisation, Sari et le reste de l’équipe n’avaient pas pu tenir le rythme. Certains membres de la communauté avaient râlé, et s’étaient aussitôt vu enrôlés par l’asiatique, grâce à ses menaces de diminution drastique de leurs portions. Dissimulées, bien entendu, sous de grands sourires rieurs et de plaisanteries doucereuses. Après cela, plus personne ne s’était plaint.

Loin de se soucier de la mauvaise humeur d’Olivia, elle s’avança en souriant. « Je t’apporte ton déjeuner. » Elle déposa le plateau, composé de quelques légumes et céréales, d’un œuf brouillé et d’un fruit, sur la table de chevet. Ce n’était pas une portion copieuse, il fallait composer avec les réserves. Cependant, le menu était adapté à une grossesse ; Sari y avait veillé. Elle venait d’une famille où l’accès aux hôpitaux n’avait pas toujours été garanti, avec pour conséquence la mort de l’une de ses tantes en couche. Autant mettre toutes les chances du côté d’Olivia, dans ce dur contexte de régression du confort et de la santé.

« Voilà une bonne nouvelle, » sourit-elle quand Olivia lui présenta presque triomphalement la robe. « Préviens-moi, si jamais elle ne te va pas. Je pourrai te l’ajuster. » Elle s’était déjà fait la main, pour Hannah, dans son ancienne communauté, lorsque celle-ci était tombée enceinte.

« Il ne me semble pas t’avoir vu aujourd’hui, Daniella, » remarqua-t-elle en se retournant vers cette dernière. « Tu as bien mangé ? Tu as été servie par Janek ? »

Ne les laisse pas prendre de mauvaises habitudes, quand je vais revenir ils risquent de begayer sinon, souffla Olivia avec le sourire en scrutant l’asiatique avec un petit air mutin. Elle réceptionna l’assiette doucement : Merci, ajouta-t-elle ensuite.

Elle plaisantait bien sûr, mais qu’à moitié. Elle ne rajouta rien cependant, partageant l’enthousiasme des deux femmes dans cette chambre qu’elle invita à s’installer. La compagnie lui faisait du bien, la rendait même moins ronchonne. Si elle aimait avoir Daniella pour elle, elle préférait ne pas l’accaparer trop longtemps : la brune avait mieux à faire de sa journée que lui tenir la main ou lui faire la conversation. Là, elle avait tout de même l’impression d’être normale, pas enceinte et menacé de perdre son bébé à tout moment. Son autre fils d’ailleurs était avec Ludwig, très occupé à embêter son beau-père en lui posant des tonnes de questions maintenant qu’il balbutiait ses premiers mots.

Tu sais coudre ? Demanda-t-elle alors à Sari avec des yeux étonnés.

Elle ne connaissait que très peu la jeune femme, les discussions qu’elle avait pu avoir avec étaient discrètes, se comptaient sur les doigts d’une main. L’asiatique était extrêmement discrète tout compte fait, et il était difficile de se faire une place entre Daniella et Olivia en général.

Tu peux partager mon assiette avec moi si tu veux Dani, proposa-t-elle alors pour lui éviter d’avoir à se rendre en cuisine. Je peux avoir un rab sur tous les plats parce que sinon je deviens très pénible, les cuisiniers n’osent pas me dire non, fit-elle. Sa main se posa sur le bras de la brune : Ca ne s’est toujours pas arrangé avec Fred ? Je croyais que c’était bien partie pourtant…

Ses yeux bifurquèrent sur Sari, et elle eut un petit rire, plus léger :

Oh, pour te donner le contexte : Daniella a eu un crush sur Fred, puis elle est passée à autre chose. Puis lui a eu un crush sur elle quand elle était en couple avec Xander… Et maintenant, ça a l’air d’être pire qu’avant. Elle plissa le regard, portant un regard plus léger vers sa meilleure amie, incapable de se moquer trop longtemps. Ça avait l’air trop sérieux. Elle n’est pas restée assez longtemps la dernière fois pour me raconter, mais, ça avait l’air vraiment de te peser sur le moral, souffla-t-elle cette fois directement à Daniella.

Là, elle était toute à elle pour l’écouter.

Décidément, Olivia était très investie dans sa cuisine, et parut soudainement à Sari bien plus sévère que l’image qu’elle se faisait d’elle lorsqu’elle se rendait au réfectoire. Il fallait dire que la corpulence d’Olivia était encore plus menue que la sienne - un point notable vu l’avantage génétique de l’asiatique – et que ses traits doux inspiraient davantage la confiance que la crainte. « Promis, » dit simplement Sari. « Le service d’aujourd’hui s’est déjà beaucoup mieux passé que celui d’hier. » Il avait fallu qu’elle s’approprie le matériel de The Haven. Elle n’avait jamais cuisiné avec une plaque à gaz… voire même avec une plaque tout court. Jusqu’à ses 19 ans, ses parents avaient toujours employés un chef, et lorsqu’elle avait déménagé dans le village de sa mère, elle cuisinait directement au-dessus du feu ou dans des fours en terre. Cette anecdote n’avait pas manqué de consterner le reste de l’équipe.

« Oui, je sais coudre. Des ajustements comme ceux-ci ne me prendraient pas beaucoup de temps, » répondit-elle ensuite. « N’hésite pas à faire appel à moi si tu as besoin d’autres choses, comme des langes. J’ai eu l’occasion de m’entraîner, par le passé, et j’ai quelques heures libres entre deux mises en place. »

Sari avait vu juste. Daniella ne s’était pas rendu en cuisine aujourd’hui, mais Olivia lui proposa de partager son assiette, argumentant que les cuisiniers ne lui refuseraient pas une seconde portion. Sari hocha la tête, elle y aurait veillé de toute manière, les femmes enceintes devaient bien bénéficier d’un passe-droit tacite.

Mais déjà, l’ambiance changeait à celle de la confidence. Sari se força à garder une expression neutre alors qu’Olivia lui faisait un topo, mais ses yeux se mirent à briller, comme si elle se retrouvait devant une immense mousse au chocolat. Ainsi, Danielle a été en couple avec Xander, mais il y avait également une histoire avec Fred ? Oh. Oooh. Ce genre de conversation légère, elle n’en avait pas eu depuis longtemps. Elle venait d’une communauté d’une quinzaine de personnes, où le potentiel de commérage était assez limité, malgré toute sa bonne volonté et celle de son amie, Jenna.

Cependant, bien qu’elle ne souhaitait que rester et profiter de la compagnie de ces deux amies, Sari n’était pas sûre que Daniella soit prête à lui confier toute sa vie amoureuse. Ne souhaitant pas être la cause d’un malaise, elle s’empressa de le préciser à la grande et jolie brune, dans un élan de délicatesse. « Je peux vous laisser, si vous tu le souhaites. Je ne serais pas vexée. »