C’était tout de même étrange de mener ce train de vie presque normal. Depuis décembre, la survie des siens ne dépendait plus d’elle. Elle pouvait se lever, prendre une douche et se servir une tasse de café – bien que le terme soit un brin trop élogieux pour ce qu’il en était en réalité. C’était la première chose qu’elle avait établi en s’installant ici. Cela pouvait sembler ridicule après cette vie de nomade qu’elle avait vécu ces cinq dernières années ainsi que toute cette violence qui allait avec. En offrant cette tasse de café à Dawn, elle lui offrait ce que Fort Ward lui avait donné à son arrivée : une impression de sécurité. Jacqueline n’était cependant pas assez naïve pour se croire hors de danger, dormant toujours avec son browning caché dans sa table de nuit, une arme blanche – pour le coup abandonnée près du dispensaire – toujours à portée de main. Les réflexes de survie de Dawn n’ont pas à disparaitre avec le temps, mais il s’habituera au calme relatif qui régnait en ces lieux, il profitera également du soutien de quelque centaine d’hommes pour survivre et se protéger.

Elle s’appuie contre le plan de travail quand il s’excuse, des paroles qu’elle balaye d’un revers de la main. « Tout va bien, ce n’est rien. Il y avait de très bonnes raisons à ce qu’il s’est passé hier soir… Ce n’est pas pour te vexer, mais j’ai connu pire comme première rencontre » Répondit-elle avec un brin d’humour et un sourire engageant. Il s’était réveillé dans un endroit inconnu, dépouillé de ses affaires, l’esprit embrouillé par la douleur que lui provoquait sa blessure. Dawn revenait de loin, elle ne lui en voudrait pas pour ça. « Nous sommes arrivés fin novembre, une de leurs équipes était en mission pour attaquer un avant-poste ennemis, nous étions là-bas en transit pour rejoindre ce fameux camp qu’ils appellent New Eden… Pour ce que j’en ai appris par la suite, je pense pouvoir dire que nous y avons gagné au change… Même si la moitié de mon groupe n’a jamais pu faire la traversée… New Eden les abattu après notre départ. » Il y avait beaucoup d’informations dans ces quelques mots, mais ils faisaient à présent partie du même camp, n’est-ce pas ? Dawn n’avait pas été traité en ennemi public numéro un à son arrivée, et vu le lien qu’il avait partagé autrefois avec June, elle ne voyait pas pourquoi devait-elle faire de la rétention d’informations. « Goûte-le, tu verras que tu n’as pas changé de dimension, c’est malheureusement la seule chose que je pouvais t’offrir de bon matin. Mais si tu le bois vite, il fera peut-être illusion ? » Elle essayait d’adopter un ton léger, mais l’homme en face d’elle était plutôt abattu et mal à l’aise. Il fallait dire qu’il s’était passé beaucoup de chose pour lui, en très peu de temps.

Elle finit néanmoins d’abandonner son ton léger pour lui parler plus sérieusement, tout en restant prévenante. « Tu as été gravement blessé à la tête, les pertes de connaissances sont fréquentes tout comme la perte de repaire et pour le coup… Tu t’es réveillé dans un endroit totalement inconnu pour toi, je trouve ta réaction parfaitement normale. On appelle ça du stress post-traumatique, je te crois quand tu me dis que tu n’es pas ainsi d’habitude… Si ça avait été le cas, tu ne m’aurais sans doute pas écouté hier. » Expliqua-t-elle, posément. Il était comme ces soldats blessés, revenus de la guerre et victime de ce stress les mettant dans des situations improbables. « A ma connaissance, ça ne s’est pas déjà produit avant, pas avec toi en tous cas. » Une manière de dire que ce n’était pas nouveau pour elle, et pas seulement sur ces cinq dernières années. Elle amena sa tasse de café à ses lèvres pour boire un peu de ce liquide affreusement amer dont elle n’arrivait cependant pas à se passer. « Je sais que ce n’est pas facile d’arriver dans un nouvel endroit, surtout dans une communauté aussi vaste et ‘évoluée’… Je ne sais pas où tu vivais avant qu’on ne te récupère, mais cet endroit m’a longtemps donné des vertiges quand je suis arrivée. » Dit-elle, avec sincérité, et aussi pour lui partager son ressenti et l’aider à déculpabiliser un peu. Elle réfléchit à ses mots, avant de finir par hausser les épaules. « Ils sont terriblement conscient du danger qui rôde, mais… ils vivent presque comme avant ici… C’est assez déroutant. Irréel… comme tu dis. » Ils possédaient un confort auquel elle n’aurait jamais songé quand elle vivait sur les routes : eau chaude, maison et électricité, technologie avancée. Vaccin. Dawn avait totalement raison, ce qu’ils vivaient était presque irréel. « Je suis désolée pour la perte de ton amie. » Dit-elle finalement. « Comment s’appelait-elle ? » Demanda-t-elle, avant de se raviser rapidement. « Désolée, tu n’es pas obligé de me répondre. » Elle replonge à nouveau le nez dans son café, regrettant un peu sa curiosité souvent déplacée.