Anton regarda le fond de son verre, il venait certainement de passer les deux jours les plus pourris de sa vie. Sa défaite dans la cage, humiliante en soit, les moqueries et les remarques qui virent avec. Mais surtout, il y avait l’histoire avec Elle… avait… la blonde ne voulait plus entendre parler de lui désormais. A vouloir jouer, on finissait par perdre à tous les niveaux. Cette leçon douloureuse, il allait la retenir. Au début, il était simplement resté dans sa chambre à se morfondre puis il en avait eu assez, il se sentait oppressé, jugé. Sur un coup de tête, il avait décidé de se rendre au NML, dans l’espoir de voir J… non, il ne devait plus jamais la voir.

Il s’était rendu dans la taverne, elle semblait enfin en passe d’accueillir des clients et il comptait en profiter. Il avait presque entièrement vidé son chargeur de fusil sur le comptoir quand il avait commandé son whisky Laisse la bouteille.avait-il dit au serveur. Un ami de Nina… Puis il s’était perdu dans ses pensées. Indifférent à ce qui se passait autour de lui, les gens passaient, l’évitant. Tant mieux.

Il ne réalisa pas tout de suite que quelqu’un venait de s’assoir à côté de lui… il devait avoir vidé son quatrième verre et commençait à avoir l’esprit embrumé. Il ne tourna la tête que plusieurs secondes plus tard, réalisant qu’une blonde venait de se poser juste à côte de lui. L’espace d’une seconde, il crut que c’était J. Un sourire commença à s’étendre sur son visage avant qu’il ne réalise que c’était Salem. La pauvre jeune femme ne lui avait rien fait, tout était de sa faute à lui, mais il n’avait pas envie de la voir, pas du tout. En fait, à part Victor, c’était la dernière personne du monde qu’il voulait avoir à côté de lui à ce moment. Il se fendit d’un maigre Salut. avant de vider son verre d’une traite.

Le liquide brûlant coula un peu au coin de sa bouche, il se resservit, mais fit signe au serveur de lui donner un deuxième verre et il versa aussi Salem. Que lui importait si elle aimait le label 5 ou pas. Il baissa la tête, avant de soupirer : Désolé, je ne serais pas de très bonne compagnie ce soir. Il ne comptait évidemment pas lui avouer pourquoi il se sentait aussi mal, encore que, l’alcool pourrait l’y aider. Mais quand il se décida enfin à regarder la blonde, il vit un air sérieux sur son visage. Comme si elle avait quelque chose à lui demander. L’espace d’un instant, il eut peur qu’elle ne soit là à cause de J. Je peux faire quelque chose pour t’aider Salem ?

En fait, il espérait qu’elle venait pour ses services, qu’elle lui demande de faire du mal à quelqu’un qu’il puisse exprimer sa colère d’une façon ludique et non pas en la gardant pour lui.

Ça allait pas.

Elle pouvait pas continuer à se mentir, a essayer de faire comme s'il y avait pas un truc qui clochait grave chez elle. C'était pas comme si Sal pouvait fermer les yeux et tout oublier, ou ne simplement pas s'éveiller le matin. Putain, elle le souhaitait ça, un peu trop même... Elle avait plus rien. Plus de famille, plus de refuge, plus nulle part où aller, plus aucun but. Ça faisait quelques jours qu'elle dormait dans son pickup, réveillée par le moindre bruit, s'endormant avec ses sanglots. Pas question de retourner au port, déjà pour les souvenirs, mais surtout pour la bande de goules qui avait dû être attirées par l'explosion du bateau.

Ce que la petite blonde aurait donné pour se réveiller chez elle, dans son lit à Monroe, avec son père au salon, comme si tout ça n'avait été qu'un cauchemar terrible. Aller au garage ensuite et bidouiller dans un moteur avec son paternel, faire quelques blagues, boire quelques bières et rentrer se faire un BBQ. Étendue sur la banquette arrière de sa bagnole, Sal se laissait aller à quelques souvenirs, les yeux rougis par les larmes. Aurait-elle dû rester à Monroe ? Ne pas prendre la route avec Zayn ?

Zayn...

La jeune mécanicienne se relevait, ivre de douleur et de colère. Le coup parti tout seul contre l'habitacle du pickup, c'est d'ailleurs lui qui gagnant. Salem lâchait un râle de douleur, mais cette douleur-là elle était plus facile à gérer, vachement plus facile à gérer. Son regard se perdit quelques instants sur ses jointures abîmées.

Qu'est-ce que foutait maintenant ? Visiblement ses pensées noires n'étaient pas encore assez prenantes, puisqu'elle ne s'était pas encore jetée en pâture aux morts, ou en bas d'un gratte-ciel... Les faits parlaient d'eux même, bien plus que les trucs qui tournaient présentement en boucle dans son crâne. Salem se passait une main sur le visage tout en soupirant. Elle en pouvait plus de se sentir comme ça, elle pouvait plus le supporter.

Fallait qu'elle sorte de là, qu'elle prenne un peu l'air avant de faire la connerie du siècle. Pas loin du No Man's Land et de la taverne, ça lui laisserait quelques minutes pour réfléchir tandis que ces pas la mèneraient à cette dernière. Peut-être réussirait-elle juste a respirer un bon coup, à reprendre sa résolution, ou pas. Boire jusqu'à oublier le bordel qu'était sa vie était tout autant valide.

Si elle était restée au garage... Si seulement elle était restée là-bas. Dieu qu'elle regrettait de ne plus avoir cet endroit. Était-il encore possible d'aller le récupérer ? Est-ce que c'était suicidaire ? Est-ce qu'elle en avait vraiment quelque chose à foutre en fait même si ça l'était ?

Trop rapidement, elle poussait les portes de la taverne sans s'en rendre compte, un peu perdue dans ses pensées de merdes. Relevant le museau, elle reconnut toute suite la silhouette de l'ex-flic, mais restait là un instant à le regarder au loin sans bouger. Sal était pas complètement seule, pas entièrement.

Peut-être... Peut-être qu'il pourrait lui filer un coup de main. Il lui devait bien une faveur, un service.

Salem bougeait enfin, essayant de pas avoir une tête trop minable. Non, fallait être un peu plus sûre de soi là pour demander un truc pareil, oui être plus décidée. Elle avait besoin de son garage. Pour survivre.

- Hey. Lançait-elle quand Anton se retournait enfin vers elle.

Il avait une sale tête lui aussi. Bienvenue au club. Elle lui souhaitait sincèrement que ces maux étaient moins pires que les siens, très très sincèrement. De mauvaise compagnie, ils seraient deux franchement, mais Sal ne préférait pas répondre, attendant le bon moment pour aller droit au but. Elle se contentait de souffler un merci pour le faire qu'on lui offrait gracieusement, avant d'y tremper ses lèvres. Un verre ne serait pas assez, pas pour un putain de moment, mais elle était plus là pour ça.

- J'ai besoin de toi. Buter du pillard et reprendre un endroit qui m'appartient.

Salem se taisait un instant. Il lui devait bien ça, oui, mais à voir sa tête... Elle soupirait. Ce qu'elle était à chier en affaire des fois.

- Si ça va pas par contre, t'en fais pas tu peux refuser.

Il acceptait, c'était déjà ça. La partie facile peut-être même en fait, parce que Sal avait aucune idée de ce qui les attendait à Monroe. Est-ce que le groupe de pillards était resté au garage ? Possible vu ce que son père et elle avaient installé pour y survivre. Un autre groupe aurait pu prendre l'endroit par la suite aussi ? D'autres survivants ? Les délogerait-elle ? C'était chez elle... Il y avait même probablement des photos avec sa tronche qui traînaient ici et là encore. Putain, ça ce serait le pire scénario en fait ! Il était peut-être bien abandonné le garage aussi, ça ce serait pas mal aussi, quoique l'idée de tuer des fils de putes la démangeait grandement là. Ce serait un bon exutoire pour ce qu'elle ressentait là.

La grosse patte d'Anton vint se poser sur son épaule. Sal devait vraiment avoir encore plus une sale tête qu'elle le pensait, c'était raté pour sa tentative de camoufler ça visiblement. La blonde évitait le regard qu'on posait sur elle, son visage commençant à se tordre de douleur, de tristesse, pouvant sentir que les larmes étaient pas loin, encore. Salem refusait de se laisser aller, se raclant la gorge tout en durcissant son expression, reprenant un peu contenance. Elle faisait tourner le whisky dans son verre un instant avant de finalement le porter à ses lèvres pour le vider d'un trait pour se donner courage.

- L'explosion d'il y a quelques jours. Ça venait du port. Ça venait de chez moi. Y a plus rien. Plus personne.

Sal déglutissait avec difficulté, même le whisky arrivait pas à faire descendre cette boule qu'elle avait dans la gorge. Valait mieux qu'elle en dise pas davantage là pour le coup, sinon elle allait vraiment craquer. Aller, on pensait plus aux Scarecrows, plus aux Gordon, plus aux Turner, plus à Zayn...

- Donc... Enchaînait la jeune mécano en relevant enfin son regard pour trouver celui d'Anton. Je veux récupérer mon garage. J'en ai juste... besoin. J'ai été obligée de l'abandonner y a quelques années. On était pas assez pour le défendre contre un groupe qui voulait l'endroit. Son coeur se serra, mais soin expression endurcie ne laissait rien paraître cette fois, al colère reprenant sa place. Je. Veux. Mon. Garage. Rien à chier de qui y est présentement.

Elle osait pas ajouter qu'elle espérait que ces trous duc y soient encore qu'elle puisse faire le ménage elle-même, mais ça l'obnubilait d'un coup. Comme si c'était là le remède à ses maux. Et si c'était pas les pillards, ils auraient intérêt à obtempérer tout autant...

Sal avait envie de croire en cette promesse, mais fallait jamais rien promettre, spécialement maintenant. Elle se retournait donc vers le comptoir, le fixant comme s'il y aurait un truc d'intéressant à un moment qui finirait par attirer son oeil.

C'est Anton qui brisa leur petit silence, pour lui raconter à quel point tout était parti en couille pour lui aussi il y avait quelques années. Salem relevait le museau pour le regarder un instant. Elle pouvait imaginer ce que ressentait l'ancien flic, dans les fibres de sa chair pour le coup. L'impuissance, le deuil, la culpabilité... Tout perdre et ne plus savoir comment avancer. Sal n'était pas particulièrement douée avec les mots, encore fallait-il qu'il y aille vraiment un truc à ajouter à tout ça...

Sa main vint se poser sur l'avant-bras d'Anton pour le serrer. La blonde comprenait cette douleur, la vivait aussi, mais il n'y avait rien a ajouté. Le geste parlerait de lui même.

Retrouvant finalement le bois du comptoir, les doigts de Sal se trituraient entre eux, ne sachant quoi d'autre jouter, ce fut une fois de plus le  grand barbu qui brisa le silence. Les yeux de la petite blonde s'ouvrirent un peu plus en entendant ce que lui demandait son ami. Les faire souffrir à quel point ? On lui demandait réellement ça ? Savait-il qu'elle avait ce penchant ? L'avait-il simplement lui-même ? Le vert de ses yeux se faisait bien froid du coup, bien cruel.

- Au max.

Même si c'était pas exactement les mêmes qu'à l'époque en fait, sauf que ça, elle le garda quand même pour elle.

Salem avait bien envie de lui répondre qu'ils pouvaient y aller maintenant, mais fallait être réaliste. Ni lui, ni elle n’étaient vraiment en état ce soir. Le plus intelligent serait sans doute d'y aller le lendemain tôt et préparé.

- Demain matin ? C'est trop tôt pour toi ? Faudra quand même se préparer un minimum. Ils étaient une quinzaine à l'époque. Avec un peu de chance, certains sont morts depuis. Marquant une petite pause, la mécano espérait quand même qu'il en resterait assez pour les faire chialer et regretter d'être resté en vie. On se rejoint quelque part demain ou j'passe te chercher?