Comme convenu avec Vaughn, Elena l’avait retrouvé quelques jours plus tard, le temps pour lui de parler à la gérante de la Taverne de l’opportunité qu’offrait le groupe de Blake en matière de protection, et les deux avaient convenu d’un rendez-vous pour discuter des termes de ce contrat potentiel. C’était cette fois-ci en compagnie de la blonde que la grecque arpentait les alentours du No Man’s Land pour y rencontrer la dénommée Mallowee qui, selon l’infirmier, devait les accueillir avec son bras-droit. À quel genre de personnes allaient-elles être confrontées ? Là demeurait le mystère, et la tension crispait les muscles et exacerbait l’attention scrupuleuse d’Elena qui hocha doucement le menton aux directives de son amie.

C’était en partie la raison qui l’avait convaincue de rester auprès de Blake et les siens ; cette symbiose quasi parfaite et instinctive qui liait les jeunes femmes et cette prudence partagée. Elles étaient les mêmes et visait un seul objectif : protéger les leurs et survivre. Pour cela, foncer tête baissée ne faisait pas partie de leurs habitudes et l’une comme l’autre envisageaient rarement un mouvement sans l’avoir cent fois planifié au préalable en évaluant les risques hypothétiques et en préparant une issue de secours dans le cas où le plan subirait des imprévus. Après tout, elles n’étaient pas étrangères aux aléas capricieux de la vie. « Sans parler de l’intérêt que va bientôt susciter le lieu. » renchérit-elle. Outre les attaques raciales et purement gratuites qui étaient, espérait-elle, un malheureux et hasardeux coup de malchance, l’établissement s’il fonctionnait, attirerait bientôt la convoitise d’autres survivants. « Puis si ça fonctionne, qu’il y a vraiment du passage, des habitués, ce sera l’endroit idéal pour régler ses comptes. » Un regard de travers, une dette impayée, une vieille rancoeur… C’était si simple à présent de déchirer la carotide d’un ennemi d’un coup de lame. Le groupe aurait tout intérêt à veiller au grain et se montrer à l’écoute pour anticiper les hostilités.

Elena stoppa sa progression devant la Taverne. Son regard glissa furtivement sur la carte de la blonde, annotée différemment de celle qui avait été son outil de travail pendant plus de deux ans auparavant, mais qui lui était malgré tout familière. Elle avait étudié les plans de la ville des centaines de fois pour ses opérations de ravitaillements. Elle acquiesça et échangea un long regard entendu avec l’aînée Rhodes. Machinalement, ses doigts se mirent à pianoter contre sa cuisse alors que les deux patientaient maintenant devant la porte.

On les invita à entrer simplement, sans qu’aucune demande particulière ne soit formulée. Pas d’armes à laisser à l’entrée, pas de fouille, même pas un coup d’œil rapide dans les environs pour parer une éventuelle embuscade. Blake n’aurait jamais programmé une rencontre directement dans le lieu intéressé, surtout d’après ce qu’Elena lui avait raconté. Mais sa présence ici était justement basée sur cette problématique : la sécurité. La petite brune qui leur avait ouvert la porte ne semblait amochée, ni même craintive de les voir là, de les faire pénétrer dans leur antre. Pendant que cette dernière installait les chaises autour de la table, la blonde jeta un coup d’œil dans la pièce. Les stigmates de leur récente attaque étaient encore visibles bien qu’ils avaient certainement du travailler dur pour tout remettre sur pieds. « De l’eau, ça sera très bien merci. » Répondit poliment Blake tout en tirant la chaise pour s’y installer.

Son attention fut attirée vers la silhouette qui apparu un peu plus loin. Une jeune fille si frêle qu’il était difficile d’imaginer que c’était elle qui tenait les rennes de ce lieu et presque inconcevable de croire qu’elle réussissait à tenir debout, surtout après la gravité des blessures dont elle avait écopé. Pourtant, rien de tout ça n’influa sur le jugement que s’était fait Blake sur cet endroit. Qu’une aussi jeune et maigre jeune fille soit au commande lui importait peu. Tout ce qu’elle cherchait, c’était un moyen d’apporter de quoi vivre à son groupe. « Vaughn a rencontré Elena » Répondit-elle en glissant le regard vers l’intéressée. « Elle m’a ensuite raconté ce qui vous était arrivé. » Il était certainement difficile pour elles de faire pleinement confiance à Blake et Elena et, toutes les deux s’étaient préparées pour les éventuelles questions concernant leur groupe mais également leurs méthodes. Alors, lorsque la brune la questionna sur leurs préférences, Blake prit soin d’y répondre avec sérieux. « Notre groupe est polyvalent. Certains sont plus à l’aise avec les armes, d’autres au corps à corps. » Une réponse qui n’en était pas vraiment une. Mais Blake n’avait pas le temps de lui expliquer tout leur parcours et comment ils fonctionnaient. En tout cas, pas pour le moment.

Après avoir laissé Elena répondre elle aussi aux questions, elle écouta attentivement la petite blonde lui expliquer pourquoi elle nécessitait leur présence. Les coudes posés sur la table, légèrement penchée en avant, Blake hocha lentement la tête durant son récit. Lorsque, enfin, la proposition de travail fut abordée, l’ancienne kinésithérapeute laissa son dos retomber contre le dossier de son siège et croisa les jambes. « Je peux mettre à disposition deux personnes. Il y aurait bien évidemment des roulements, pour assurer une protection sur vingt quatre heures. » Pensive, elle se passa la main sur les lèvres, visualisant dans sa tête tout un planning à mettre en place, ainsi que les équipes. « Pour commencer, en tout cas. » Elle leva une main dans les airs, comme pour évoquer le futur. « Il faudra ajuster en fonction de la fréquentation de votre bar. » Elle tourna la tête vers Elena, réclamant silencieusement ses idées. Pour ce qui était du troc de ressources, c’était plutôt elle la boss.

« Rien, merci. » répondit-elle et tandis que la brune qui leur avait ouvert s’éloignait vers le bar, la grecque resta un instant debout à évaluer les lieux autour d’elles. L’endroit avait été aménagé avec les moyens du bord, mais l’esthétisme désaccordé conférait un certain charme à cette taverne. Elena balaya la pièce d’un regard inquisiteur, repérant les différentes ouvertures, se projetant déjà à travers une configuration mentale quasi professionnelle. Les diverses issues, les coins de replis… Au même moment, le pas léger de la propriétaire des lieux résonnait dans l’escalier et très vite la silhouette chétive d’une petite blonde aux airs juvéniles s’avança vers elles. Si Elena dissimula aisément sa surprise derrière le masque froid et impénétrable qui couvrait ses traits, elle s’était certainement attendue à une carrure plus imposante. Elle salua d’un hochement de tête courtois et concis l’étonnante maîtresse des lieux et s’installa sur l’une des chaises, les avants bras calés contre la table, ses prunelles cuivrées allant de l’une à l’autre de ses hôtes.

Elle releva les yeux vers la femme qu’elle présumait être le bras-droit dont lui avait vaguement parlé Vaughn ; Nina. Elle ne tournait pas autour du pot, ça avait le mérite de plaire à la grecque qui n’avait pas l’habitude de s’épancher plus que nécessaire en paroles superficielles. Elle échangea brièvement un regard avec l’aînée Rhodes. Les compétences de leur petit groupe étaient variées ; Gabriel avait exercé suffisamment en milieu hostile avant l’apocalypse et son efficacité faisait de lui un élément fort qui trouverait parfaitement ses repères ici. Ben et Peter étaient aussi tous les deux des survivants taillés pour le poste. Quant aux soeurs et elle, leur tempérament faisait d’elles des guerrières pugnaces, sans l’ombre d’un doute. Et les connaissances d’Elvis leur fourniraient bientôt de quoi s’équiper sérieusement pour endosser sereinement leurs responsabilités ici, ou ailleurs. « On a l’avantage d’avoir des survivants de terrain. On sait tous se défendre, et Vaughn vous l’a peut-être dit, on s’est lancé dans le mercenariat. » informa-t-elle pour accréditer leurs aptitudes dans le domaine. Ne devenait pas mercenaire qui voulait. Les missions étaient souvent périlleuses et exigeaient, outre de la discipline et du sang-froid, une bonne condition physique et de bonnes capacités.

Elena hocha silencieusement la tête, réécoutant plus qu’elle ne découvrait les premières propositions de son amie qu’elles avaient déjà étudiées ensemble avant de venir ici. Mais avant d’engager quoique ce soit et surtout qui que ce soit, la méfiance était de mise. « Avant d'aborder nos conditions, j'aimerais avoir certaines précisions. Avez-vous prévu des conditions d’accès spécifiques pour la clientèle ? Je pense notamment aux armes, elles seront autorisées par défaut ?  » Difficile de les interdire à leur époque mais la présence d’armes rendrait leur tâche plus risquée et le moindre conflit risquerait de terminer en éclat d’hémoglobine. Pas très bon pour les affaires. Elena décida d’aborder ensuite le sujet inévitable qui était à la fois la source du problème et la raison de leur présence ici. Elle regarda tour à tour les deux jeunes femmes. « Est-ce que vous avez connaissance de personnes ou de groupes dont on devrait spécifiquement se méfier ? Des ennemis, des vieilles rancoeurs qui pourraient représenter une menace ? » Elena et Blake devaient juger du degré de dangerosité de la mission pour donner leur prix.

« Nous partageons la même volonté de mener à bien cette collaboration, mais celle-ci n’est pas aussi anodine qu’un simple échange de troc, c’est un partenariat qui doit se bâtir sur une relation de confiance. À la fois de votre côté et du nôtre. Nous investirons, au delà de notre temps, nos propres vies et celles de nos amis, et pour cette raison nous devons pouvoir compter sur votre totale transparence en ce qui concerne les menaces potentielles qui peuvent indirectement nous concerner. » expliqua la brune calmement en tâchant de jouer franc jeu avec ses hypothétiques futures clientes. Elles devaient aussi comprendre que le groupe de Blake prenait d’énormes risques pour lesquels il devait obtenir de solides garanties. Mallowee ne pouvait certainement pas leur assurer un travail exempt de débordements ; elle ne ferait pas appel à leurs services autrement, mais si elle se montrait honnête, leur partenariat avait toutes ses chances de perdurer. Ils avaient tous à y gagner.