C'est exactement dans ces moments là que je regrette qu'il y ait jamais eu un Prix Nobel pour les bourrins. Non parce que l'oeuf à la coque devant moi, là, il gagnerait sans même avoir besoin de participer. Je vois pas trop ce que ça a de compliqué de lancer un simple caillou sur une cible. Surtout que c'est pas comme si je lui demandais de se tenir à cinquante mètres. Là, la prochaine étape c'est de le mettre carrément debout dessus. Et il serait encore capable de pas y arriver. Tout ça parce qu'il a la capacité de concentration d'un enfant hyperactif de trois ans.

J'échange un regard avec Paco qui est toujours allongé sur mes pieds, à me regarder comme si j'allais lui apporter des réponses à ses questions existentielles. Même si je suis pas convaincu qu'il en ait. Bref. En tout cas, il l'air aussi désespéré que moi par la situation. A croire qu'il se fait chier, lui aussi. Ou qu'il a peur de servir de cible s'il ose se balader un peu trop loin. Ce qui est possible aussi.

Sauf qu'il sursaute d'un coup et se met à grogner quand Donovan hurle. Tout dans la discrétion, comme toujours. Enfin, quand je dis grogner, on dirait plutôt qu'il imite un cochon. Quel taudis ce chien. En tout cas, je reporte mon attention sur ce que vient de faire la boule de cristal. Tous les cailloux jetés en même temps, un seul qui a touché la cible.

Un long soupir m'échappe, en particulier quand le colosse se tourne vers moi en contractant ses biceps comme s'il venait de réussir un truc incroyable. Et il hurle, encore. Je me frotte le visage, vraiment aussi blasé que j'en ai l'air, et observe mon ami quand il se décrit comme étant une catapulte. Ouais... Une catapulte...

Franchement, plus les minutes passent et plus j'ai l'impression de perdre mon temps. Je sais pas si je suis le seul à avoir ce sentiment là, mais ce serait bien qu'il soit partagé. Au moins, on pourrait abréger un petit peu cette torture et passer à autre chose. Don revient vers moi, passant une main dans ses cheveux qu'il n'a d'ailleurs pas, et me gratifie de sa remarque la plus intelligente depuis bien longtemps. Me laisser gérer les flingues. Pour éviter une quelconque catastrophe à l'avenir, c'est une sage décision. Mais forcément, il devait tout gâcher en proposant de se balader sans cesse avec des cailloux dans un sac pour les lancer sur nos ennemis. T'as conscience que ça tue pas, des cailloux?

J'ai l'impression qu'il a besoin que je précise. Et déjà qu'il est ni discret ni compact en général, lui ajouter un sac à dos plein de pierres risque d'empirer encore la situation. Le propre du Petit Poucet, c'est qu'il était petit, lui. Mais bon, il marque un point le géant. Les armes à feu, c'est clairement pas pour lui. T'es pas capable de te concentrer un peu, juste pour essayer de faire ça correctement une fois ? Tu peux pas compter que sur ta force. Et je serai pas toujours là pour assurer ses arrières.

Évidemment qu'un soupir m'échappe quand j'entends non seulement la réponse de Donovan mais en plus le surnom qu'il me donne. Sérieusement ? Et après il ose se demander pourquoi j'ai toujours l'air « blasé » mais franchement avec des trucs comme ça faut pas s'attendre à me voir sauter au plafond.

Je lève les yeux au ciel sans même prendre la peine de lui répondre quand il se la joue bodybuildeur sans cervelle. Je suis censé être impressionné par ses veines gonflées sur son front qui lui donnent l'apparence d'une coquille de noix ? Parce que si oui, c'est raté. Je me contente de l'observer, silencieusement, tout en plongeant ma main dans ma poche pour récupérer une énième clope et la porter à mes lèvres.

Balayant un peu sa remarque concernant son dicton habituel du revers de la main – faisant passer ça pour le mouvement naturel avec lequel j'éteins mon allumette – j'essaie de revenir à l'essentiel. Parce que s'il a vraiment décidé de pas se concentrer aujourd'hui, je vois pas pourquoi je ferais l'effort de perdre mon temps juste pour l'entendre dire qu'il veut balancer des cailloux à la tronche de nos ennemis.

Mais apparemment, l'idée a fini par se faire un chemin dans sa caboche – parfois aussi vide que son crâne est lisse – et le géant reprends le flingue entre ses mains en m'annonçant qu'il veut bien essayer même s'il ne promet pas de devenir un tireur d'élite. Il croit quoi ? J'en suis pas un non plus, je vais pas lui demander l'impossible. Mais il gâche tout en ajoutant que ça pourra lui servir pour me sauver encore une fois mais d'une manière différente cette fois. Ouais... Si ça peut lui faire plaisir. Il a conscience que dans n'importe quelle situation impliquant une arme à feu je serai plus à l'aise que lui n'est-ce pas ? Oh, oui il doit bien le savoir... Au fond de lui. Bien, bien au fond. Là où il range les trucs intelligents. Donc loin.

Il colle son genou à terre, lève son flingue pour se mettre en joue et je l'observe avant de m'approcher pour corriger sa position. C'est vrai que ça ressemble à quelque chose, mais n'importe qui ayant déjà vu un film d'action dans sa vie saurait imiter cette position. C'est pas pour autant que la qualité du tir suivra.

Du coup, je corrige certaines choses, replace ses épaules, remonte légèrement son arme pour ajuster sa ligne de visée, déplace l'une de ses mains et j'en passe. Évidemment ça pouvait pas être parfait du premier coup mais j'apprécie l'effort.

La clope au bec, toujours, je hoche légèrement la tête avant de répondre tout en expirant la fumée contenue dans mes poumons. Pas mal. Maintenant, ton œil de visée. Je fais une petite pause le temps de tirer une nouvelle fois sur mon cancer en tube et ferme une paupière en grimaçant rapidement parce que de la fumée est venue me piquer l’œil. Clignant plusieurs fois, ça finit par passer et je peux reprendre où j'en étais. Quand tu fermes un œil, avec lequel le point bouge pas ? Il doit rester au même endroit que quand t'as les deux yeux ouverts.

J'espère que je suis clair. J'ai jamais été du genre pédagogue moi alors bon... C'est pas super simple.