Eeeet oui ! L’inspectrice Gordon reprend du service ! Je suis sûre qu’il y a une super enquête à mener aujourd’hui.

… bon, en vrai, je m’ennuie comme un rat mort. Je sais pas d’où vient cette expression mais, pour avoir déjà vu un rat mort, je suis à peu près sûr qu’il y a rien de plus ennuyeux au monde. Je vous jure pourtant, j’ai essayé de m’occuper. Vadrouiller au hangar aurait été une bonne idée s’il faisait pas genre 1000 degrés. Et même en short et débardeur, il fait beaucoup trop chaud. J’ai enfoncé mes cheveux sous ma casquette mais ça m’empêche pas de sentir des regards peser sur moi. Et je vous garantis que je préfère de loin l’hiver, juste pour me planquer sous un gros sweat.

D’autant que ces machins-là, ils ont poussé d’un coup. PAF. Me suis retrouvée affublée d’un soutif avant de piger ce qui se passait et il fait encore PLUS chaud avec ça. La vie, c’est bien de la merde. Donc, y a des gens qui m’intéressent pas, j’ai chaud et je commence à ronchonner toute seule. Sauf que là, y a une silhouette que je connais. Enfin, façon de parler. Je l’ai déjà vu faire du parkour et du skate. Il est super balèze. Le truc de dingue. Bon, évidemment, je suis pas allée lui parler, faut pas déconner. Mais j’ai passé du temps à le regarder faire en étant planquée dans mon coin. J’aimerais bien arriver à faire pareil en vrai.

Je me demande s’il va aller s’entraîner alors, forcément, je le suis de loin. Pour lever un sourcil quand je les vois … mettre des trucs dans ses poches. Mais il a payé pour ça ? Ouais, ouais, c’est un bien grand mot en fait, vu que l’argent existe plus vraiment. Je vous ai dit que j’avais trouvé une liasse de billets l’autre jour ? C’était trop cool. Inutile. Mais cool. Bref. J’en étais où ? Ah ouais, le cascadeur pick-pocket donc.

Vu que plus personne fait attention à moi, je me faufile aussi entre les gens occupés à troquer tout et n’importe quoi. Et je le vois sortir du bâtiment, soupirant de soulagement à la bouffé d’air vaguement frais. Il faut chaud ici aussi mais, au moins, c’est pas étouffant comme là-dedans. Les gens macèrent pas dans une grosse boite de métal, doit y avoir un lien scientifique hyper cohérent et tout pour dire que ça pue de façon classe.

Je me frotte le nez, la mine songeuse, alors que je cherche l’autre du regard. Oh, il perché sur un camion. Sans vraiment réfléchir, je pose ma main sur la poignée pour grimper à mon tour. Je vois bien qu’il me fixe, je vais pas me tirer comme une poule mouillée quand même non ? Même si ouais, j’y ai pensé l’espace d’un instant, j’avoue. En tout cas, j’ai un petit cri de douleur quand je touche le métal brûlant et j’ai une grimace contrariée. « Comment t’as fait pour monter là-haut sans te cramer ? T’as pas ton pantalon qui va prendre feu là ? » Quoi ? Je demaaaande d’accord ? Et mon regard s’attarde sur le paquet de chips. « Tu sais ce qui va t’arriver si on sait que tu l’as piqué ? » Assorti de mon plus beau sourire colgate, bien évidemment.

Je croise les bras, la mine un peu revêche, alors que je me dis qu’il va ptet se tirer sans que j’ai le temps de vraiment lui parler. Ce qui serait carrément pas cool. D’autant que, vu comment j’ai pu le voir grimper un peu partout, je sais que j’aurais aucune chance de le suivre. Mais non, on dirait qu’il est pas pressé. Je me lève sur la pointe des pieds quand il lève sa main rougie et j’ai un sourire satisfait en voyant qu’il est pas si doué que ça. Bon, n’importe qui se serait brûlé, c’est un peu obligé. Mais quand même, c’est bon à savoir. « Quelle idée de t’percher là-haut en même temps… »

Je pouffe de rire quand je vois qu’il a l’air de vérifier si son pantalon est effectivement pas en train de cramer, même si je plisse des yeux quand il dit qu’il a rien volé. « Bin voyons… » Et en plus, il joue au kéké quoi. Mais j’avoue que, rien qu’à voir le paquet de chips, j’ai le ventre qui gargouille. « Possible. » Difficile de dire si je réponds à sa proposition ou si je vais le dénoncer. Mais, vu que je suis un peu vexée à l’idée qu’il me voit comme une gamine, ce que je suis ptet encore possiblement un peu, je sais très bien que je vais cafter à personne. « J’ai rien à gagner à te dénoncer. Le type à qui tu l’as piqué, c’est un connard. Et il serait capable de balancer que je suis ta complice, que j’ai changé d’avis pour avoir une récompense, blablablaaaa… » Tout en parlant, j’agite la main avant de finir par la plonger dans le paquet de chips.

C’est malin inspectrice Gordon, vous êtes complice de vol maintenant. C’est un coup à perdre ma plaque ça. Hum, qu’est-ce je raconte ? C’est un truc de gamin ça, non ? De jouer à l’inspectrice. Mouais, possible. Mais ça m’occupe, surtout au NML. En tout cas, je finis par m’adosser contre le camion, sentant la chaleur de la carrosserie même à travers le tissu. « T’es plutôt doué pour faire les poches. » J’ai un bref regard dans sa direction avant d’ajouter, comme si de rien était. « Mais t’es meilleur pour faire tes cascades-là, sur les murs et tout. » Je me rends compte tout en parlant que je passe ptet pour une stalkeuse ou, pire, une groupie. C’est pire ça ? Je sais pas trop en vrai. Mais je vais juste passer pour la dernière des connes à l’avoir observé comme ça alors que lui sait même pas qui je suis. Enfin, je sais pas comment il s’appelle, ça veut dire que je suis pas un cas si désespéré que ça non ? De toute façon, c’est juste parce que c’est trop cool de grimper sur les murs comme il fait. J’aimerais bien faire pareil en vrai.

Je lève un sourcil à sa répartie avant de secouer la tête. « Si tu crois que j’vais me sentir insultée, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude. » Ou un truc du genre. Je suis à peu près sûre que c’est la bonne expression. Même si ouais, elle sonne un peu bizarrement quand même. En tout cas, il prend le temps de me répondre sans se tirer, ce qui est plutôt une bonne chose. Je suppose.

Je pioche dans les chips avant de laisser filer un rire quand il me balance qu’il dira que je suis sa complice. « … oh tu sais, je pourrais dire que tu m’as forcée. Que tu m’as menacée de me faire des trucs et que j’avais peur. Si je pleure par-dessus ou mieux, si je fais tout pour faire genre que je retiens mes larmes, tu finiras avec tes bijoux de famille autour du cou avant d’avoir eu le temps de dire ouf. » Je lui décoche mon plus beau sourire. Je suis sûre de mon coup et, s’il connait un peu la vie au no man’s land, il sait que j’ai carrément la bouille innocente qui me sauverait la mise. Mais pour le moment, ça m’intéresse pas plus que ça.

Je laisse échapper un sifflement admiratif quand il me dit qu’il fait ça depuis super longtemps. « J’suis épatée. Et t’as appris genre tout seul ? » Je me demande si je saurais faire moi, ce serait quand même carrément cool. Et ça pourrait vraiment me servir accessoirement vu que je suis pas vraiment taillée pour me battre. « Abi. Je m’appelle Abi. Toi c’est Milow c’est ça ? » Quoi, je vais pas cacher le fait que je sais comment il s’appelle. Ce serait un peu hypocrite vu ce que je viens de lui dire.

Et il enchaine les questions. Forcément, ça me fait sourire et je le fixe un instant, malicieuse. « Tu poses encore plus de questions que moi c’est rigolo. » J’hésite un instant à lui dire ce que je sais ou à inventer des trucs. Faut dire que la deuxième option me botte carrément plus. Alors je souffle, avec un haussement d’épaules. « J’suis toute seule ici depuis deux ans. Je survis tant bien que mal, même si c’est pas toujours facile. J’traine où je peux et forcément, le no man’s land c’est une meilleure planque qu’ailleurs. Surtout en étant une fille seule. Ca fait un moment que je traine dans le coin, alors je t’ai vu débarquer. Y a pas beaucoup de jeunes, ça se remarque vite. » Pour le coup, la fin est plus proche de la vérité que je l’avais pensé au premier abord. « Mais je compte pas te faire chier tu sais. J’suis juste… curieuse. » Parce que ouais, des mecs qui savent grimper aux murs comme ça, ça court encore moins les rues qu’avant.