J’ai une moue et je relève le museau, pas du tout vexée, non, non. Ce serait pas mon genre et puis, ça lui ferait trop plaisir de toute façon. Enfin je suppose. Je le connais pas vraiment, je peux pas m’avancer comme ça, sans savoir. Oh et puis, on s’en fiche. « Tu parles. » Là, voilà, la réplique qui veut tout et rien dire, c’est parfait. En tout cas, j’adore sa tête quand je lui balance le reste. Il l’avait pas vu venir c’est évident. Et je me retiens de pouffer de rire quand il ouvre la bouche mais qu’il préfère se taire. Je le fixe un instant, la mine narquoise, me retenant pour le moment d’en rajouter une couche. Je garde ça pour plus tard, au cas où.

Je l’écoute avec attention quand il continue, les yeux ronds. Je trouve ça tellement cool le Parkour et je suppose que ça doit se voir sur mon visage. « Tu fais ça depuis super longtemps donc. Enfin, pas que tu sois vieux hein mais… » Ouais bon, on repassera pour les dialogues de qualité. « Tu filerais pas des cours… par hasard ? » Quoi ? On peut toujours tenter non ? Et puis, je suis sure que je peux être super douée si je m’y mets sérieusement. Je me débrouille bien et j’suis du genre agile. Enfin, je vais pas commencer à plaider ma cause s’il m’envoie bouler direct, ce serait une perte d’énergie.

Je fixe le paquet de chips avant de hausser une épaule. « J’suis pas vraiment toute seule. Enfin, j’ai personne avec moi mais les gens sont assez cons pour me trouver mignonne, attendrissante et j’en passe. Ils aiment se filer bonne conscience et s’occuper d’une môme quelques jours En général, je me tire quand ils passent de l’étape gentil héro à celui qui veut passer sa main sous ma jupe. » Façon de parler, je porte jamais de jupe. Le pire, c’est que ma vie pourrait vraiment être comme ça. Si on était pas tombées sur Oxana. Je sais pas si c’est bien ou pas au final. Parce que ouais, on est en sécurité, j’ai pas à me soucier de quoi que ce soit grâce à Johanna. Mais combien de temps ça va durer ? Pourquoi elle devrait continuer de subir tout ça ? Marrant qu’il en parle d’ailleurs. « J’suis un peu jeune pour ça non ? Je veux bien que les mecs soient tous des pervers mais… » Enfin, en vrai, je sais très bien que c’est pas le cas, que je pourrais rapporter du fric si Oxana décidait de me vendre. Enfin, parait que j’aurais toujours le choix. Je fronce le nez quand il me dit que la curiosité c’est dangereux et je souffle, songeuse. « Tout est dangereux maintenant. Au moins, ça m’occupe et ça m’amuse d’être curieuse. » Pour autant, il a pas entièrement tort. Je le suis beaucoup moins qu’avant, surtout avec les inconnus. Mais avec Milow, j’suis un peu moins sur mes gardes. Probablement parce qu’il est pas bien vieux et que ouais, il est cool. Enfin il en a l’air en tout cas.

J’ai un rire quand il reprend et je secoue la tête. « J’ai pas besoin d’un babysitter t’en fais pas. Et si j’en cherchais un, clairement, tu serais le dernier de ma liste. Sans vouloir te vexer t’es pas trop le genre… » Et je me frotte le bras, grattant la croute que je me suis faite en tombant de skate l’autre jour. « Juste que… j’ai envie de faire des activités de mon âge. Enfin qui étaient de mon âge. Avant. Tu vois ce que je veux dire ? » Je sais, c’est débile. Et il va probablement se marrer avant de me laisser en plan. Au moins, j’aurais essayé.

Je continue de le fixer, sans me démonter, alors qu’il me regarde longuement. J’ai l’impression qu’il est en train de se demander si ça en vaut la peine ou si je suis sérieuse. Je saurais pas trop dire. Mais il m’en faut plus pour m’impressionner. Et j’écarquille les yeux à sa répartie. « Quoi ? T’es sérieux ? T’en sais rien du tout ! Tu m’as même pas dit ton tarif. » Et je me renfrogne pour ajouter, boudeuse. « J’parie que tu veux juste pas parce que je suis une fille et que tu crois que j’serais nulle. » Ouais, tous les mêmes. Oxana avait raison. Est-ce que je suis vexée ? Evidemment. Surtout que là, y avait carrément moins de faire un truc cool et l’autre il se la pète et tout. Le gros nul. Il est pas aussi cool que ça en fait. Et toc.

Bon d’accord, je dis tout ça dans ma tête, donc forcément, je peux pas m’attendre à ce qu’il suive mon raisonnement. Alors quand il change de sujet, j’peux pas lui en vouloir. J’ai une moue quand il commente et je hoche la tête. « On dirait que t’as vécu ça aussi toi. J’pensais pas que ça le faisait pour les garçons aussi. » Remarquez, après tout ce que j’ai pu voir ou entendre, je devrais même pas être étonnée. La perversité des mecs, j’en connais un rayon maintenant. J’suis pas vraiment sûre que ce soit une bonne chose pour une fille de mon âge mais, vu le monde dans lequel on vit, difficile de faire autrement. Et puis je vois pas trop comment je pourrais changer de vie de toute façon. Surtout que ça pourrait être pire et ce que je suis en train de raconter, la vérité.

En tout cas, je me rends compte que je fais mouche sans le faire exprès même si j’ai quand même un temps d’hésitation avant de souffler un « Abi »… comme si j’allais lui dire mon nom en entier. Déjà, il est moche – le prénom hein, pas lui  – et en plus, je le connais pas assez pour ça – lui hein, pas le prénom.  Bref. Je croise de nouveau les bras quand il saute tout près de moi. Il fait une bonne tête de plus que moi mais en vrai, je l’imaginais plus grand. Je relève le nez quand je vois qu’il m’observe encore, remettant une mèche de cheveux derrière mon oreille alors que j’attends son verdict. J’me sens plus nerveuse que je voudrais bien le dire et, quand il se décide enfin, j’ai un large sourire qui se dessine sur mes lèvres. J’ai déjà tout ça dans mon sac mais, pour le principe, je vais pas lui filer de suite. Des fois qu’il pense que je suis encore plus riche que je le suis vraiment. « … bon, j’dois pouvoir me débrouiller pour trouver ce genre de trucs. Me faudra quelques jours. » Cinq minutes, dans la boite sous mon lit. Enfin, est-ce que je suis prête à sacrifier quelques précieuses piles pour ça ? … ouais totalement. « On fait comment ? Je te retrouve dès que j’ai tout ça ? Et t’acceptes de me filer un premier cours ? » Hors de question de lui dire où lui, il peut me trouver. Sinon il risque de demander un tarif plus élevé. Je tends la main dans sa direction. C’est comme ça qu’on fait pour toper là et faire des affaires non ?