« Non en effet, ce n’est pas le même genre de voltige, mais c’est tout aussi impressionnant. » Une petite remarque souriante pour faire plaisir à Indiana, sincère qui plus est. Bien que je ne sois pas une fan, j’ai toujours été bluffé par la maitrise corporelle dont faisait preuve les gens pratiquant l’escalade. Nous passons sur le sujet, presque aussi rapidement d’ailleurs qu’Indiana quand je lui demande de me parler de Levi. Sa réponse est lapidaire, rapide et sans appel. C’est quelqu’un de bien et sur qui nous pouvons compter… bien, je tâcherai alors de m’en rappeler si un jour j’ai besoin de lui. Je me demande d’ailleurs qu’elles sont ses capacités. « Quel était le métier de Levi avant ? Par simple curiosité… le tiens d’ailleurs ? » En tout cas, elle n’était pas militaire, à en juger la façon dont elle tenait son arme.

Je souris légèrement envoyant qu’elle tente néanmoins de tenir correctement son fusil et d’appliquer mes conseils. Le tir est un peu meilleur, pas exceptionnel, mais je note l’effort. Indiana semble être quelqu’un qui a sait apprécier les conseils et l’aide qu’on lui accorde. Je regarde un peu la façon dont elle se comporte. En réalité, si je suis quelqu’un de précise avec une arme, ça tient plus de ma vue que de mes compétences réelles. Indiana me dit n’avoir jamais tenue un fusil avant d’arriver sur l’ile. Etonnant pour quelqu’un ayant vécu cinq ans d’apocalypse, sa phrase sous entendant d’ailleurs qu’elle n’est pas ici depuis très longtemps. « Pour ma part, je n’en avait pas touché un depuis 1997, avant que notre société s’effondre. Tu vas voir, ce n’est pas très compliqué, c’est une simple question de concentration et de calme. »

Je m’approche d’elle pour replacer ses mains correctement sur l’arme, je ne suis pas une experte comme je disais, mais je peux au moins l’aider à faire ça : « Tu dois la tenir plus fermement, colle bien la crosse contre ton épaule d’accord ? ça ira beaucoup mieux également si tu essayais de tirer sur une cible moins éloignée non ? » Ce n’est pas grave de commencer « petit » l’important c’est d’être assidue dans sa pratique, c’est valable dans tous les domaines.

Elle rendit son sourire à Adrienne qui complimentait ses talents d'escalade, restant humble. Pour elle, ce n'était pas impressionnant. Ca ne restait qu'une question de survie, de voir le soleil se lever le jour d'après. Quand à Levi... Elle n'aimait pas trop en dire sur lui. Au risque de se trahir, premièrement, et peu à l'aise avec les jeux de questions réponses. Militaire. Souffla t-elle de manière neutre en revenant s'intéresser à son arme, ses cheveux dégringolant sur ses épaules avant de relever la tête en écoutant la nouvelle question. Et elle ? L'observant un instant sans mot dire, revenant triturer le fusil en reprenant la parole.

Je bossais au 911. En téléopératrice. Les premiers secours, envoyer les équipes, tout ça. La petite voix au bout du téléphone, sensé sauver des vies. Ce qu'elle avait lamentablement échoué à faire, au moment de l'épidémie. Les services étaient débordés, ses collègues quittaient tour à tout leur poste, et les unités étaient incapable de pouvoir rejoindre les adresses qu'elle envoyait au fur et à mesure que la liste ne s'allongeait. Fermant un instant les yeux en chassant de ses pensées les appels à l'aide désespérés de ses derniers appels, écoutant sa partenaire annoncer qu'elle même n'avait pas touché d'arme à feu pendant un long moment.

Ok. Avait-elle soufflé à ses conseils, hochant la tête l'air de dire qu'elle avait compris. Pas du genre à se braquer quand on cherchait à la conseiller pour s'améliorer, plutôt bonne élève quand il s'agissait des armes. Se laissant manipuler quand elle vint indiquer comment bien positionner ses mains, lâchant un rire en l'écoutant remarquer que tirer sur une cible plus proche serait un bon début.

Ouais, j'ai peut-être été trop gourmande. Admit-elle avec un très bref sourire, reprenant. J'ai envie de m'améliorer. D'y arriver une bonne fois pour toute. Si cette-fois c'est pas la bonne, on tentera sur une cible plus proche.

Revenant coller la crosse contre son épaule, appliquant les conseils donnés par son interlocutrice alors qu'elle revenait viser. Inspirant avec lenteur en visant, avant de couper sa respiration quelques secondes et venant appuyer sur la détente, ne retrouvant son souffle qu'en voyant la petite impacte sur la cible, désormais d'avantage proche du centre.

Plus qu'elle ne l'avait été depuis le début du concours tout du moins. Souriant à Adrienne en constatant que les conseils prodigués par son aînée étaient appliqués rapidement, venant recharger. Merci, de prendre le temps. Ca doit être chiant pour toi, de venir à la base pour tirer et finir par jouer les profs.

Voilà une réponse bien laconique de la part d’Indiana sur le métier de Levi… Derrière ce simple mot, je devine qu’il y a une histoire bien plus compliquée et complexe. Une histoire que Levi n’aime visiblement pas raconter et que la jeune femme ne veut pas trahir par mégarde. C’est quelque chose que je peux comprendre, mon père avaient beaucoup de secrets et j’ai dû en garder beaucoup quand j’étais plus jeune. Aussi, je ne prends pas le risque d’insister et de la braquer. Je me contente d’approuver en silence et d’écouter sa propre carrière…

Je sens mes lèvres se pincer et mon cœur également, bien que je n’en montre rien. Nul besoin d’être une psychologue de renom pour savoir qu’elle semble mal vivre la situation. J’ose sans peine imaginer ce qu’elle a vécue lors des derniers jours de notre civilisations. A recevoir les appels des gens en détresse, une quantité infinie d’appels et de personnes dans le besoin. Témoins impuissante d’une chute. Je préfère ne plus aborder le sujet avec elle, c’était il y a cinq ans maintenant, plus rien ne pourra ramener le passé. Tacitement, nous laissons de côté le sujet et nous reprenons ce qui devient une leçon de tir. Je lui souris brièvement quand elle me parle, mais je ne réponds pas tout de suite, préférant l’observer essayer.

Après son tir, un peu meilleur que les autres, elle s’excuse presque de transformer notre session … Je passe une main dans mes cheveux et je m’approche du pas de tir pour lui parler : « Ne t’inquiète pas pour ça, j’étais instructrice après tout, certes, je n’apprenais pas aux gens à tirer, mais une part de mon travail était de leur apprendre des choses. Disons que c’est une petite réminiscence. » J’aimais assez enseigner, surtout aux jeunes personnes, j’aimais voir la satisfaction dans leur regard, leurs progrès, c’était… gratifiant pour quelqu’un comme moi. Même si j’appréciais encore plus les simulations de combat, où je n’expliquais pas, mais où je montrais clairement ce que je savais faire. La voir me sourire et chercher à s’améliorer ; Cela me rappela une histoire, en 2014 je crois…

« De plus, tu es une bonne élève, attentive et amicale. Je me souviens d’un client, il était venu pour une initiation au vol mais aussi pour un vol de voltige, c’est un des services que nous proposions… Jusque-là, rien que du très normal, sauf que le client en question faisait 189 kilos. Je sais qu’il ne faut pas juger les gens à leur physique, mais c’est important pour la suite. Les avions que j’avais sont très légers et leurs performances tombaient facilement en cas de surcharge. Il est vite apparu que je ne pouvais pas faire certaines manœuvres à cause de lui. C’est comme si nous étions quatre dans l’appareil, au lieu de deux ! J’essaie de lui expliquer cela, mais il ne veut rien entendre, au point que je suis obligé de ramener l’appareil, car il tentait d’en prendre le contrôle. » C’est une longue histoire, et je ne suis pas très douée pour la raconter, mais nous arrivons au bout.

« Nous nous posons, deux semaines plus tard, je le vois revenir à l’aérodrome avec un avocat et il a exigé que je le fasse voler gratuitement car j’étais discriminante envers lui. J’ai passé une heure à expliquer à son avocat que si je faisais un looping avec cette personne dans mon avion, il allait se briser. L’avocat se range finalement de mon point de vue, mais lui ! Jamais il n’a voulu entendre raison ! J’ai toujours détestés les gens comme ça… Cet homme, il n’a jamais voulu retenir la leçon il revenait tous les mois avec un avocat différent en espérant que je le fasse voler. Ça a duré jusqu’à l’apocalypse. C’est te dire. Donc je suis contente d’avoir quelqu’un d’attentive comme toi. »

Adrienne ne semblait pas lasse, ou fatiguée de cet entraînement imposé que Indie lui faisait faire. Au contraire, elle sembla même plutôt positive en lui annonçant qu'elle était une élève agréable, son éternel air fermé se déridant un court instant pour qu'un demi sourire ne naisse au coin de ses lèvres, hochant la tête pour la remercier.

Ecoutant parler de ce client qu'elle avait eu, qui exigeait des sessions de vol impossible en lui jetant un bref regard interloqué. Fronçant un instant les sourcils, ne comprenant pas tellement cette stupidité dont pouvait parfois faire preuve les gens. Lâchant un bref soupir en accordant un regard désolée à l'ex pilote.

Ca ne devait pas être évident ouais... En avait-elle eu, des comme ça ? Bien sûr. Des gens qui appelaient pour des urgences loin d'être vitale, de l'araignée coincée dans la chambre au micro onde qui ne démarrait plus. Soufflant légèrement en y repensant, avant de reprendre.

Au 911, quand j'y bossais encore... On avait pas mal de personne comme ça. Elles bloquaient les réelles urgences, pour des trucs cons. Ca nous faisait perdre des minutes précieuses, alors que d'autres avaient besoin d'une assistance immédiate.Et le pire, c'est qu'on se faisait engueuler quand on leur faisait remarquer.

Quelque part, ça lui manquait un peu. Cette époque ou tout allait légèrement mieux, et que ses proches étaient tous en vie. Menant leur vie paisiblement, sans penser à ce qui pourtant leur était arrivé si violemment. Mais je suis contente, si je suis pas l'élève la plus catastrophique de l'année. Lança t-elle dans une petite tentative d'humour, revenant tenter un tir supplémentaire qui à nouveau, se rapprocha du centre de la cible sans pour autant l'atteindre.
Il suffisait juste d'être encore un peu patiente. Et au moins, les conseils d'Adrienne étaient appliqués.

Tu en avais beaucoup, des clients dans ce genre là ?

Elle savait d'avance que jamais, elle n'aurait pu l'être. Bien trop mal à l'aise à l'idée de se retrouver dans les airs. Ce qui était assez ironique, maintenant qu'elle se déplaçait sur les hauteurs des ruines, sans s'inquiéter d'avantage du nombre de mètres qui la distançait du sol, et d'une chute fatale.

Mais là, encore, c'était différent. Elle possédait le contrôle. Pas dans un avion. Encore moins un avion comme ceux que décrivait Adrienne...

Je comprends que trop bien Indiana quand elle me parle des problèmes qu’elle pouvait avoir avec certains usagers… Je secoue la tête pour manifester mon accord et renchérir. « Les gens têtus et stupides sont une constantes dans tous les domaines et dans tous les pays visiblement. Je souhaiterai pouvoir dire que c’est l’apanage des Etats-Unis, mais j’ai eu peu ou prou les mêmes ennuis avec des clients français. J’ose croire et dire qu’il en va de même pour les centres d’appels d’urgence. »

Cela me rappelle Charles, un membre de ma famille qui, lors d’un repas m’avait parlé de son travail : « Un de mes cousins était opérateur d’urgence lui aussi, il travaillait pour la gendarmerie française. Il m’a tenu presque mot pour mot le discours que tu viens de faire. Cela ne me réconforte pas le moins du monde cependant, au contraire. Ça me désole de l’apprendre. » l’Egoïsme et l’égocentrisme sont vraiment des maladies typique de l’humanité. Je le déplore, c’est une évidence, mais j’accepte aussi le fait que j’en suis atteinte. La seule différence, c’est que je n’ai jamais laissé ces deux pulsions nuire à mes semblables. Indiana a certainement était témoin privilégié des pires comportements. Les gens cachés derrière le confortable anonymat d’un téléphone… Mais passons, c’était il y a longtemps

Indiana se permet une petite note d’humour, à la quelle je me permet de répondre en la taquinant un peu. « En terme de résultat tu es une vraie catastrophe, mais tu as un bon esprit. Un professeur plus doué que moi saura très vite te faire progresser, je n’en doute pas un seul instant. » Les conseils que je lui donnes sont bon pour moi-même, il lui faut trouver quelqu’un avec plus d’expérience dans ce domaine pour vraiment progresser. Je prends l’arme et j’entreprends encore quelques tirs avant de reposer l’arme sur le pas de tir et de répondre à la dernière question d’Indie : «Comme je te disais, j’en ai connu aussi en France, un peu en Russie également, mais assez peu quand j’y repense, un ou deux par an, maximum. La moitié des gens qui montaient avec moi voulaient descendre à la fin du premier tonneau et les autres hurlaient de joie dans mon casque...» J’ai eu un sourire en repensant à un jeune de 11 ans que j’avais emmené voler pour son anniversaire. Un grand moment pour lui comme pour moi. « Excuse-moi, je ne sais plus si je te l’ai demandé, mais comment t’es-tu recyclé pour survivre dans ce nouveau monde ? Ce n’est que de la simple curiosité amicale, n’y vois pas de jugement ou quoi que ce soit. »

Pour te donner une idée, j'en ai eu un une fois qui m'a appelé pour une araignée dans sa chambre, sous prétexte qu'il était arachnophobe... Ca m'a fait perdre du temps sur l'appel d'après, qui était une mère dont le bébé ne respirait plus. On à pu le sauver, mais on à perdu des secondes précieuse à cause d'un con.

Et il en allait de même partout dans le monde, elle n'en doutait pas une seule seconde.

Son rire résonna brièvement dans les airs en l'écoutant la désigner comme une véritable catastrophe, alors qu'elle secouait doucement la tête. Loin d'être désolée, puisqu'il s'agissait d'une réalité. Mais comme elle venait de le souligner, elle finirait bien par progresser. Merci de ton temps pour ça, d'ailleurs. Jugea t-elle bon de souligner, avant qu'elle ne lui pose la question qu'elle n'aimait pas spécialement. Comment avait-elle fait pour survivre, à tout ceci ? En ayant pour seul aptitude de savoir répondre au téléphone et conserver son calme en toute circonstance.

Et bien ... Avait-elle commencé, hasardeuse. Je ne saurai même pas te répondre pour être honnête. Lâcha t-elle en captant un instant son regard, haussant les épaules. J'ai juste.. Appris. Sur le tas, tu sais ? Un jour après l'autre. Et quand j'ai tout perdu, j'ai compris que je ne pouvais compter que sur moi. Moins de larmes à verser, moins de tristesse. C'était peut-être plus solitaire, mais ça m'a permis de comprendre qui j'étais, et ce que je voulais réellement.

Survivre. Peu importe le prix à la fin du voyage. Retrouver Tara, la sortir des griffes de ces dingues de New Eden, et la mettre en sécurité. Et puis, Levi était venu s'installer dans l'équation. Lui faisant réaliser que la vie pouvait parfois être plus douce à vivre que la survie animale qu'elle avait connu tout ce temps. Mais ça, elle n'avait pas envie d'en parler.

C'était déjà suffisamment difficile à expliquer pour soi même, alors l'expliquer aux autres...

Et toi alors ? Ca devait être plus facile, non ?

Peut-être, peut-être pas. Elle n'avait pas parcouru le chemin d'Adrienne après tout, elle seule pouvait lui confirmer ou l'infirmer.

La discussion avec Indiana se révéla très instructive sur le fond. J’ai beaucoup appris sur cette jeune femme et je dois avouer que je ne regrette rien du tout. « Je ne saurais te répondre avec honnêteté. En réalité, j’ai, un peu comme toi en fait. Je ne sais pas du tout comment j’ai fait pour survivre seule. » Rien ne me destinait à survivre seule, je n’ai jamais été une femme de terrain, mon année de service militaire n’est qu’un brumeux souvenir dont je ne me souviens d’aucune leçon. Les jours que j’ai passé seules… je considères que ma survie tient du miracle : « J’ai eu la chance de vivre une partie de ces dernières années dans des groupes constituées. Ce n’était pas particulièrement difficile une fois que je faisais partis d’un tout. Mais, à titre d’exemple, j’ai passé plusieurs mois seule à l’aéroport de Skagit. »

Mais quand j’ai enfin rejoint ce groupe, même temporairement et dont je regrette encore amèrement la destruction. Je me suis sentis bien, de pouvoir utiliser une part de mes connaissances et de mes capacités pour un bénéfice commun. Bien que ce ne soit pas dans mon domaine de prédilection. Enfin, la fin d’une société, d’un ordre, nous laisse rarement le choix sur le poste que nous pouvons et devons occuper. « Je retiens que nous avons tous dû faire des choses pour survivre. Des choses dont nous ne sommes pas fières et qui nous ont fait changer. » C’est un constat froid, mais je ne m’y attarde guère plus, mon père et mon grand-père m’ont assez parlés des actes qu’ils ont commis en temps de guerre.

Je me permets cependant une petite note d’optimisme en souriant doucement a Indiana : « J’ai vraiment bon espoir que les Remnants pourront ramener un peu de stabilité dans la région et que nous ne serons plus obligés de faire ce que nous avons fait » Je termine un tir quand mon arme claque finalement vide. Nous n’avons plus de munitions, il est temps de mettre un terme à cette petite session : « Ce fut très agréable Indiana, cependant je crains devoir me retirer. J’ai du travail qui m’attend encore. Ce serait avec plaisir que je referai une telle séance. » Nous avons ensuite redéposé les armes à la réception avant de finalement nous séparer. Beaucoup de lecture m’attendait ce soir, il est fort probable que j’y passe la nuit.