Re: Players anthem

« Le basket hein ? J’y connais rien non plus. J’ai jamais fait de sport. Enfin si, gosse on jouait au football. Mais le football européen. Le soccer comme vous dites. J’étais nul. »

Le gosse n’avait jamais été sur un bateau de sa vie. Bon pourquoi pas ? Raoul non plus n’avait pas passé sa vie en mer, loin de là. D’ailleurs il n’était même pas un bon marin, c’était juste le dernier job qu’il avait fait avant la fin du monde et puis il avait passé presque un an sur la mer après l’effondrement. Donc il avait lié inconsciemment ce nouveau monde avec l’océan, pour lui désormais, une apocalypse ça commencerait toujours au large. Et peut-être que s’il remontait sur un bateau le monde redeviendrait ce qu’il était ? Comme dans les mauvais romans d’aventures ou pour briser le sort il faut refaire la même chose ?
Raoul marchait en essuyant sa crosse. Déjà on pouvait sentir l’air iodé. La mer était à quelques minutes désormais et bientôt le panneau indiquant la direction de la marina allait apparaître.

« Tomas ? Ouais. Un blond je crois. Ouais faudrait que je le rencontre j’imagine. »

Raoul n’avait pas forcément l’air emballé. M’enfin si après tout quelqu’un était déjà sur le coup ça pourrait lui éviter de se casser le cul à pêcher. Tomas était peut-être un bras-cassé lui aussi ? Peut-être qu’il avait absolument besoin de Raoul ? Merde. En mer au moins il n’y avait pas de rôdeurs mais Raoul n’imaginais pas que le nouveau monde ressemblerait autant à l’ancien. Il allait encore bosser pour des blancs contre de la bouffe et un toit. Raoul se demandait à quoi pouvait bien ressembler cette marina ? il espérait le genre petit port de pêche, avec des petits bateaux à voiles et à moteurs et des filets. Une sorte de rêve idyllique. L’image d’Epinal de la petite marina de Seattle.
Ruben avait lancé un grand sourire à Raoul lorsque le panneau indicatif s’était finalement présenté. Ils arriveraient très bientôt.

« Je suis pas sûr de savoir vraiment naviguer. Mais je suis certainement le seul type ici qui a passé plus d’un an sur la flotte. Mais j’ai fait de la pêche aux crabes, en Alaska. Et ça j’peux te dire que ça te fait passer directement du rang de novice à celui d’expert en survie maritime. Après j’ai jamais rien pêché sur des espèces de lacs comme ici. »

Raoul venait d’avouer qu’il n’était pas totalement sur de ce qu’il faisait tout en mettant en avant le fait qu’il avait commencé la pêche par son utilisation la plus extrême. Une sorte de « Ok j’suis nul mais je déchire quand même » qui avait pour de but de ne pas lui faire perdre la face et surtout de mettre en avant qu’il était certainement le seul avec un curriculum vitae aussi bien fourni dans le domaine.
Enfin ils arrivaient à la marina. Tout de suite Raoul agrippait son fusil par la poignée et se mettait accroupis, posant sa main sur l’épaule de Ruben il l’encourageait à faire de même. C’était plusieurs grands bâtiments délabrés, ils étaient en partie en bois, il y avait des sortes de tourelles et des pontons. Ça devait être très moderne au moment de l’apocalypse. Mais depuis la nature avait véritablement repris le lieu. De la moisissure partout, quelques effondrements, une tour abîmée, heureusement assez peu de végétations. La forêt ne pousse pas sur les « plages ». Le lieu était complètement délabré. Des planches de bois étaient manquantes à certains endroits et il y avait de la taule rouillée un peu partout. Ici c’était l’eau qui avait repris ses droits. Ils étaient encore à quelques mètres du parking. Il n’y avait qu’une carcasse de voiture à l’entrée. Heureusement qu’il faisait jour, l’intérieur semblait très sombre. Raoul avait regardé une dernière fois la chambre de son canon pour s’assurer qu’il était bien prés à tirer, il se mettait à chuchoter :

« Bon. Écoute-moi : Un endroit comme ça, j’te l’donne en mille que y’a des rôdeurs là-dedans. Et si y’en a pas encore au moindre bruit j’suis certain que t’en as une dizaine qui débarquent. Donc dans l’idée, on ne va pas tout explorer, le sol à l’air pourri en plus c’est un coup à se casser une jambe. Donc on reste groupé, tu me suis et tu fais gaffe derrière, moi je m’occupe de tout ce qui arrive devant. On va juste vérifier les enceintes un peu excentrés et s’approcher pour voir. S’il y a du matos de pêche, genre des filets, des cannes, des cages à crabes ou ce genre de trucs là tu me les montres j’irais peut-être les chercher. En gros : on prend le moins de risques possible. Je te préviens que je tire que si c’est extrêmement nécessaire. On pourrait entendre le coup à des kilomètres à la ronde ici. Si ça dérape, tu essai de me sauver, si marche pas tu te sauves. Mais surtout pas vers le camp, le projet ce n’est pas de leur amener une horde. Tu sais escalader un peu ? Monte sur un arbre si t’es poursuivi, les rôdeurs finiront pas bouger ou le Fort finira bien par envoyer des gens. Est-ce tout ce que je viens de te dire te vas ? Si non, c’est pas grave. J’préfère que tu m’dise qu’on y va tranquillement plutôt que tu te débine une fois sur place. Alors ? » Raoul n’avait pas parlé autant depuis son arrivée à Fort Nisqually.

Le crabe royal, c’est quoi la différence avec le crabe pas royal ? que je demande spontanément en le regardant. Sans rire, c’est si dur de chopper un crabe ?

J’ai aucune idée de ce que c’était son métier. J’ai jamais vu l’Alaska non plus pour tout dire, alors forcément, il me parlerait ouzbek, ça serait du pareil au même pour moi. Et j’ai pas non plus été élevé par les documentaires et la télévision, ça se trouve des gens ont expliqué tout ça mais impossible que j’en ai vu une seule image. De fait, je regarde Raoul avec étonnement, j’essaie de comprendre en quoi c’est trop classe d’aller pécher en haute mer, ou en tout cas en quoi c’est différent de la pêche au poisson sans pinces.

Oh t’inquiète, la Marina donne sur l’océan alors tu seras pas trop dépaysé, mais y’a quelques lacs en effet. Sauf que j’pense qu’ils sont vides de poisson depuis, on a pas trop essayé mais avec les rôdeurs qui vont s’échouer dedans et qui terminent de s’y décomposer… Autant dire que je préfère encore boire ma pisse.

Il faudrait qu’on en nettoie le fond, mais on a pas forcément le matériel. Après, on traite l’eau, on la chauffe, en fait en sorte de pas s’exposer à des maladies auxquelles on survivrait pas. Nolan fait hyper attention à tout ça, on a pas envie de se retrouver avec une épidémie sur les épaules, surtout pas aujourd’hui où ça serait hyper dangereux et hyper galère de s’en sortir. Dans tous les cas, je suis presque à franchir le terrain que Raoul me ramène au sol avec lui pour observer les lieux.

Ah oui, peut-être qu’observer avant de foncer, c’est plus malin. Je me fais plus vigilant et attentif, me redresse légèrement pour essayer de discerner une silhouette quelconque. Mais non, rien. C’est un coup d’œil en arrière qui me fait dire qu’on a eu de la chance de pouvoir s’occuper du plus gros de la horde du mois de mars qui a… qui a emmené Freya avec elle.

Hmhm, je peux faire ça, que je lui assure avec confiance : Ils ont dégagé le matériel qu’ils ont trouvé dans un endroit accessible, et forcément encore debout, donc on a pas besoin de s’aventurer vers les bâtiments qui craignent trop, je lui désigne ceux juste avant les pontons, qui sont montés sur des bases en ciment et qui ont moins pris le risque de se faire pourrir en cinq ans : Si y’a besoin, je peux amener les rôdeurs qui se présenteront vers la ville plutôt que vers le fort, je connais plutôt bien la zone, que je lui assure.

Et autant pas lui dire que y’a ZERO CHANCE que je grimpe sur un quelconque arbre. Dans tous les cas, on va pas rester planté là, je me relève avant lui et j’avance prudemment en évitant de faire trop de bruit. Je sors des herbes et m’avance sur le bitume, et m’avance vers le Breakwater Marina, un batiment en dur qui fait carrément face au reste. Un soupir m’échappe, je vais pour jeter un coup d’œil à l’intérieur, par la fenêtre.

C’est vide, que je dis à Raoul : Pas de morts, ils ont bien nettoyé mais je sais pas s’ils ont rangé tout ça là-dedans, que je lui souffle. Je jette un coup d’œil vers la mer. Les bateaux ont pris l’eau depuis le temps, c’est pas hyper engageant mais tant pis. On va voir dedans ? que je lui demande en essayant de m’affirmer, même si c’est plus pour avoir son autorisation.

Raoul n’avait pas attendu la fin de la question de Ruben qu’il se faufilait déjà dans le bâtiment. Il parlait beaucoup ce gamin. Un intérieur salis par le temps, des vitres cassées, des restes de décorations, photos marines en tous genres laissées de travers. On pouvait entendre le bruit des goélands et le clapotis des vagues. Une ambiance presque festive, une ribambelle de souvenirs revenait à Raoul, tous ces éléments formaient une véritable madeleine de Proust, il se rappelait lorsque enfant il allait sur la côte pacifique du Mexique à quelques minutes d’Obregón. Raoul avait déjà les chaussures pleines de sables, mais comment cette saloperie finissait toujours pour s’immiscer partout ? L’endroit semblait effectivement clean, pas de rôdeurs en vue. Sur ce coup-là, Raoul se savait imprudent. Apparemment le Fort avait déjà envoyé toute une expédition pour simplement découvrir l’endroit. Même s’il ne prévoyait pas pour le moment de participer à la reconstruction du lieu, aller jusqu’ici avec un garçon de dix-huit ans sans plans ni idée précise du lieu ou de l’état des bâtiments pouvait paraître idiot voir inconscient. Et inconscient était le terme qu’aurait choisi Raoul à ce moment-là. Il cherchait dans son sac la lampe dynamo qu’il avait mise dans son sac. Il faisait jour et même assez beau aujourd’hui mais toutes les constructions modernes avaient pensée avec l’électricité.

Raoul tournait la manivelle de la lampe pour avoir un peu de lumière. Il ne se sentait à son aise ici, il se rendait compte qu’il avait vu trop grand cette fois. D’habitude il n’était pas trop idiot, et essayait un peu de réfléchir mais l’idée de trouver du matériel de pêche était su alléchante qu’il s’était jeté dessus sans trop se renseigner avant. Il avait réagi instinctivement. Prenant la lampe entre ses dents il inspectait les lieux en avançant doucement à pas feutré prêt à faire feu au moindre problème. Il avait aussi pris le temps d’ouvrir l’étui de son poignard, au cas où il faudrait l’attraper précipitamment. Il enlevait un moment la lampe de sa bouche en faisant un arrêt pour regarder autour de lui et voir Ruben à quelques pas à côté de lui.

« Tu vois rien ? On dirait vraiment que c’est pourri comme endroit. Putain je ne sais pas ce qu’on va faire. C’est vraiment à chier et en plus je ne vois rien. J’te propose qu’on ressorte et qu’on regarde un peu si on peut monter sur un des bateaux ou si l’espèce de de restau dehors est accessible. »

Il commençait déjà à rebrousser chemin. Raoul était casse-cou et déterminé à trouver quelque chose aujourd’hui mais il était hors de question de s’attaquer à un bâtiment de cette taille aussi sombre maintenant. Même quand il était seul il évitait ce genre de lieu, c’était le genre d’édifice qui puait le coup foireux. On risquait d’y crever à chaque pas. Et le but de la mission ce n’était pas « Mourir avec un gamin don on a usurpé la responsabilité » mais plutôt quelque chose comme « Revenir victorieux avec du fil de pêche et des manuels sur les saisons dans la baie de Seattle ». Raoul se trouvait un peu bête actuellement d’avoir foncé tête baissé. Il prenait le chemin de la sortie avec un peu plus d’assurance que lorsqu’il était entré. Il ne regardait pas trop Ruben, ne sachant pas comment faire un jeune comme lui. Même s’il se comportait presque comme un adulte, forcément l’apocalypse sa supprime l’adolescence. Dans un monde comme ça on est un enfant ou un adulte, il n’y avait plus d’entre deux. C’est que Raoul se disait pour exorciser la dure réalité : Il ne savait vraiment plus comment se comporter normalement. Il avait passé trop de temps à déambuler tout le long de l’état pendant plusieurs années. Et les jeunes il n’en avait pas beaucoup rencontré dehors.

Raoul venait d’heurté un objet du pied droit. Il marquait une pause et restait quelques secondes immobile à l’écoute. Rien. Pas de bruits, ça n’avait heureusement attiré aucun rôdeur. Il commençait à sueur et à respirer un peu plus fort. Pointant sa lampe sur ses chaussures ; il venait de taper contre un mug. La tasse s’était brisée tandis qu'il l’avait heurté. Un petit moment de frayeur qui lui rappelait qu’il était dans un lieu tout sauf accueillant et que l’idée de la responsabilité de Ruben le paralysait dans sa fougue habituelle.

Rien de rien, que je lui certifie avec un regard en coin en plissant les yeux.

J’ai pas pris forcément une lampe, j’imaginais mal qu’on en aurait besoin. Mais tant pis, c’est pas si grave, celle de Raoul suffit à voir que c’est clairement pas ici qu’ils ont rangé les trucs, du coup ça sert à rien de trop chercher. On se retourne, on va pour sortir d’ailleurs, et un bruit attire mon attention et fige l’ambiance. Je fixe mon voisin qui vient de buter contre une tasse en regardant à ses pieds. Il a pas l’air très content de ça, et on laisse juste le temps passer pour voir si on distingue un bruit. Et entre le ballottement des vagues et le bruit du bois qui grince, on parvient à distinguer un premier râle.

Ils ont pas fait ça si bien finalement… je soupire, et me place dans le cadre de la porte pour regarder d’où ça vient. Pas si loin, puisque sur le grain de plage à côté, sous le ponton, on distingue une forme se mouvoir et contourner un obstacle. Il est couvert de vase, moisi par l’eau, dans le sable, il a du mal à avancer, c’est clairement pas glorieux. J’en compte quatre, c’est gérable non ? que je lui dis en haussant les épaules.

Machette au bout de la main, je lui laisse la place de toute façon. C’est lui qui décide, je l’ai bien compris. Je m’occupe juste de ce premier mort en lui plantant le bout de la machette directement dans le crâne. Le bruit est pas hyper ragoutant mais depuis le temps, on s’y habitue. L’os se fend, lui tombe au sol. Quand je parviens à dégager mon arme, c’est pour moi que dans sa cage thoracique, un crabe y fait sa place. J’ai une petite grimace d’écœurement en le regardant :

C’est pas rare de les voir s’échouer sur la plage de toute façon, on a pris l’habitude, que je cause. Puisque je suis le seul à papoter ici, autant continuer, quitte à le faire tout seul en fin de compte. Ce qui est marrant, c’est qu’ils flottent pas du coup, l’eau, c’est plus handicapant pour eux que pour nous…

Hm, en fait, je sais pas trop pourquoi c’est marrant, mais je comble juste le vide. Les trois autres morts se battent avec les vagues qui les secouent, même si la mer et le vent sont pas très forts, ça peut vite devenir perturbant pour eux qui ont plus de sens de l’équilibre.

A ton avis, ils viennent d’où ? que je lui demande sur le ton de la conversation, un peu distrait, j’admets. C’est juste que le temps que les morts soient vraiment accessibles sans qu’on salisse nos chaussures, on peut attendre encore. Je peux m’en occuper si tu veux aller voir sur un bateau, que j’ajoute dans la foulée. Clairement, j'ai pas l'air d'avoir le même sérieux et la même anxiété que lui.