Avec une escale, ils avaient mis deux jours à arriver. La forêt de Sherwood, c’était vraiment le nom de ce quartier, si c’était pas une putain de blague. Leur trio cherchait une saleté de voleur qui avait emmerdé les mauvaises personnes – ou en tout cas des personnes suffisamment riches pour mettre sa tête à prix. Mort ou vif qu’ils le voulaient. Bizarre pour une simple histoire de voiture piquée mais Yue ne voyait que la prime et les promesses de panses remplies qu’elle annonçait. Le reste…

- Le lycée, c’est ça ? Demanda-t-elle pour confirmation.

Ils étaient bien dissimulés dans les bois qui environnait le bâtiment scolaire. Pour l’instant, rien à l’horizon. A priori, les pistes pour retrouver leur proie s’étaient toujours arrêtées là, personne ne lui avait mis la main dessus – et quelques-uns n’étaient jamais revenus. Ça annonçait quelques surprises mais certainement rien qui surprendrait l’ancienne yakuza. Elle introduisit un autre chargeur, plein, dans son glock et fit claquer la culasse. Balle dans la chambre. Elle était prête.

Tout en noir, la trentenaire n’avait emporté que le minimum syndical. Sac à dos pratiquement vide, carte, couteau tactique, push dagger, corde. Elle n’avait pas encore décidé d’à quel niveau de « vie » elle ramènerait la cible ; ça dépendrait probablement de s’il se débat beaucoup ou non. La mine concentrée, elle étudia une fois de plus l’entrée principal du lycée. Pas de barricade, rien qui ne laissait entendre que les lieux étaient habités. Certaines fenêtres avaient été barricadées mais vu l’état des protections, ça remontait à très longtemps. Les dégâts de la pluie et des rôdeurs donnaient à l’établissement un air particulièrement insalubre. Qu’est-ce qu’ils risquaient de trouver là-dedans…

- Bon, refais-là nous une dernière fois. Qu’est-ce que tu sais sur ce type ? murmura-t-elle à Warrington.

C’était lui leur indic’, le vieux ne manquait pas de bons filons d’ordinaire. Alors une fois de plus, Yue lui avait fait confiance pour pouvoir prendre court tous les autres chasseurs qui se mettraient sur la piste. Ce n’était pas très loyal mais… qui avait dit que ce jeu avait des règles ? Quand on voulait trouver de quoi survivre, il fallait savoir adapter le jeu.

Le vieil homme regardait le bâtiment un peu plus loin. Caché par les bois, en compagnie de ses deux acolytes du jour. Dans cette position, il retrouvait cette adrénaline qui lui avait terriblement manqué au cours de cette dernière année. La même qu'il avait ressentie la nuit de ces événement autour de ce banquet, et qui lui rappelait les guet-apens qu'ils dressaient jadis avec ses compagnons de la casse automobile.

- Oui, on y est je crois, souffla-t-il en guise de réponse à Yue, qui se tenait à ses côtés. Les terrains de sport se devinaient un peu plus loin, en dépit de la végétation qui les avait parfaitement envahis.

Warrington pour sa part avait pris son 9mm – pourquoi se priver alors qu'il avait retrouvé des munitions – et s'appuyait sur son bâton de marche à la pointe aiguisée. Il avait dans son sac à dos un couteau de cuisine, les lampes de poche, et un pied de biche. Sa petite laine aussi, pour le soir !

- La quarantaine, pas un physique impressionnant. C'est probablement un gros fumeur, il aime visiblement les Malboro, qu'il peut payer cher. C'est pas récent, mais il a troqué quelques fois au No Man's Land, toujours contre des cigarettes. C'était avant son vol, ça, bien évidemment. Une information que le barbu avait récoltée en discutaillant à droite et à gauche avec des réguliers de l'entrepôt. Il l'avait révélée à Jack Roberts, son bon pote, également chasseur de prime. Sans demander de contrepartie évidente. Après tout, ils étaient amis non ? Ainsi sans le savoir, l'ancien flic le renseignait déjà beaucoup. C'était lui qui lui avait parlé du lycée... L'ancien professeur sortit un paquet sa poche, pour l'exposer avant de le ranger. Il contenait cinq cigarettes. Sinon, on ne sait pas grand chose. Le dernier gars qui se vantait d'aller chercher la prime, est parti y a une quinzaine de jours. Il n'est pas revenu... et ce n'était a priori pas le plus amateur du lot. Ils étaient partis à trois.

Il fallait le noter car des branquignoles qui jouaient les traqueurs, il y en avait un paquet. Ceux qui revenaient quasiment mourant se faire soigner à la tente médicale. Des fillettes. Les deux compagnes de Warrington aujourd'hui n'était clairement pas de cette trempe. De ce qu'il savait d'elles, elles faisaient partie des dures à cuire et transportaient avec elles un « bagage ».

- Allons-y, ajouta-t-il en demandant l'accord des deux filles. L'observation de ce bâtiment abandonné ne leur apporterait rien de plus. Ils devaient avancer.

Ayant mentalement noté les informations données par le doyen, la nippone prit les devants, précédée par son flingue. Attentive au moindre bruit, au moindre mouvement inattendu, elle mena la progression jusqu’au parking du lycée d’abord. Pas de trace de la fameuse voiture volée – ce serait trop facile – mais des mégots de Malboro récemment piétinés trahissaient qu’à priori, ils étaient bien sur la bonne piste.

Ses yeux noirs se levèrent vers les fenêtres de l’étage mais il n’y avait rien à voir. La plupart des vitres étaient sales, encrassées par les années. Celles qui ne l’étaient pas avaient volé en éclat et n’offraient plus que des cavités sur des pièces plongées dans la pénombre. A pas lents, ils atteignirent la grande double-porte de l’établissement. Avant de l’ouvrir, Yue y colla son oreille…

… rien. Elle secoua la tête pour le signaler à ses complices et se prépara à pousser le battant. Elle marqua le décompte de silencieux et brefs hochements du menton : un, deux, trois. En retenant sa respiration, elle pesa sur l’issue pour en repousser l’une des portes. Celle-ci résista, grinça légèrement, mais s’entrouvrit finalement sur un hall désert qui empestait l’humidité. A voir la flaque d’eau qui s’étendait dans l’entrée, il devait y avoir de sévères infiltrations.

- Attendez ! Retint-elle ses acolytes à mi-voix.

Elle désigne un élément quasi-invisible, qu’elle n’avait vu qu’à cause du reflet de la lumière du jour : un fil de pêche était tendu en travers du chemin. A hauteur de cheville, il était visiblement prévu pour que des intrus trébuchent dessus. En le suivant, l’ancienne yakuza découvrit qu’il était relié à deux espèces de mixtures enfoncées dans des canettes de Coke. Probablement des explosives artisanaux. Dans le doute, elle n’y toucherait pas.

- Faites gaff’ où vous mettez les pieds, souffla-t-elle.

Leur proie était donc de ce genre là… voilà qui expliquerait comme un quarantenaire lambda parvenait à se défaire de tous ceux qui essayaient de le choper. Le challenge montait d’un grand mais il en fallait bien plus pour décourager Yue. Dans la mesure où la lueur de l’extérieur ne courait pas plus loin que quelques mètres au-delà de la porte, la nippone émit une requête auprès de son aîné :

- File une lampe Warringon.

Ils ne trainèrent pas davantage et prirent la direction du lycée. Ce dernier paraissait parfaitement abandonné, sujet aux intempéries et à la végétation qui empiétait sur une partie de ses murs. En ouvrant la porte, Warrington baissa les yeux sur la recommandation de Yue. Il lui fallut quelques secondes pour apercevoir le fil à son tour et il ouvrit alors la bouche dans un O expressif. Bien vu ! Il serait sans nul doute passé à côté et serait à l'heure actuelle à l'état de confettis. Inutile de dire que sa démarche se transforma quasi immédiatement en un sautillement de danseuse. Il distribua les lampes et le trio poursuivit sa progression.

Concentré, Warrington n'était plus le fanfaron habituel. Il aimait les casse-têtes et les défis. Il connaissait la satisfaction d'une mission réussie. Il n'était là pour rien d'autre. Et surtout pas pour mourir... Ses yeux noisettes suivirent le faisceau de la torche de Katherine, quand cette dernière montra l'entrebâillement de certaines portes. Il pinça les lèvres.

- Si les canettes à l'entrée sont des bombes, on sait qu'il n'est pas de ce côté, répondit-il en chuchotant. Après tout, il ne prendrait pas le risque de se prendre un mur sur le crâne, en faisant sauter la pièce à côté ou celle du dessous. Et que nos prédécesseurs ne se sont pas davantage fait piéger par ça. Il doit effectivement il y avoir d'autres pièges... On peut s'attendre à ce que ses défenses évoluent. Plus on s'approchera, moins elles devraient être... dévastatrices. Elles seront peut-être plus subtiles. Ça sera un indice qu'on chauffe...

Tout cela n'était que supposition, mais pour avoir traversé plusieurs camps de survivants, tous les moyens de défense suivaient certaines règles. La première restait néanmoins d'être au courant de l'intrusion le plus tôt possible... tout se jouait peut-être là. Leur « bogan » comme l'appelait l'australienne savait-il déjà qu'ils étaient là ?

Ils avancèrent doucement. Le barbu s'approcha d'une porte, qui donnait certainement comme ses voisines sur une salle de classe. Contrairement aux précédentes, elle était fermée. Il éclaira son cadran, en retenant sa respiration. Rien. Il ne prit toutefois pas le risque de l'ouvrir. Rapidement, ils se trouvèrent à un croisement. Ils pouvaient continuer tout droit ou prendre sur la gauche. Une deuxième entrée se devinait plus loin sur cette seconde option. L'escalier était aussi dans cette direction, à quelques mètres. Il fit un mouvement avec sa propre lampe vers ce dernier.

- S'il est là haut, il a sûrement piégé aussi l'escalier...

Ils découvrirent d’autres installations rudimentaires destinées à blesser – sinon tuer – des intrus maladroits. Comme Warrigton, la nippone ne pensait pas nécessaire d’entrer dans les salles de classe. En toute logique, leur proie n’aurait pas posé de bombe à vingt mètres de l’endroit où il se planquait. Non, il devait avoir truffé le rez-de-chaussée de pièges et s’être réfugié dans les étages. Ainsi, il aurait très largement le temps d’entendre venir des intrus, de les affaiblir et de s’enfuir – ou venir les achever. Tandis que le doyen évoquait le fait que l’escalier pourrait être difficile à emprunter, Yue prit la parole :

- On devrait peut-être éviter d’entrer dans son jeu. Qu’on s’obstine malgré les pièges, c’est ce qu’il veut je suppose…, forcément : il voulait que les gens perdent du temps et des membres dans un parcours impossible, il doit avoir besoin d’aller et venir rapidement…, ses yeux noirs examinaient tout ce qui les entouraient, ça m’étonnerait qu’il prenne le temps d’esquiver ses propres pièges tous les jours.

C’était un coup à s’y prendre soi-même. Par maladresse ou parce qu’il était blessé et plus aussi habile que d’habitude par exemple. Un homme assez malin pour concocter de telles préparation le serait sans doute pour penser à ce genre de cas de figure. L’ancienne yakuza se pinça les lèvres, réfléchissant en temps réel à adapter leur approche – car ils n’avaient pas prévu jusque là de se frayer un passager dans un lycée piégé. Le seul souci, c’était si on les avait vu entrer…

- Il doit avoir un autre accès, directement par le toit par exemple, ou une fenêtre à l’étage qui n’est pas barricadée. On peut essayer de trouver, faire le tour de l’établissement prendrait un certain temps, mais la précipitation ne leur rendra pas plus service, sinon, on peut essayer de l’attirer en dehors, si nous on ne veut pas entrer.

Mais comment ? Elle n’avait pas encore d’idée. Le lycée était trop grand, l’enflammer ou l’enfumer serait inefficace. Il faudrait éventuellement qu’ils déclenchent l’un des pièges à distance – comme les explosifs – pour voir le mouvement que ça suscite. S’il était là, soit il chercherait à se barrer, soit il descendra s’enquérir de ses victimes.