A peine étais-je de retour de cette expédition de trois jours, que je devais reprendre du service. Bon, les chefs avaient été sympas, ils voulaient que je poursuive un peu ma présence armée en rendant un service aux forces de sécurité du Fort, en prenant une nuit de ronde en solo. Je m’étais un peu demandé pourquoi pas un duo. En réalité, en matière de sécurité, il ne suffit que d’une sentinelle, mais un duo en faction, c’est toujours plus intéressant et plus stratégique. Deux paires d’yeux valent mieux qu’une. Mais en patrouillant, je m’étais rendu compte qu’au sein de Fort Ward, à par pour veiller à ce que personne ne s’embrouille avec personne à la sortie du bar… Patrouiller seul n’était pas si illogique que ça.

Mais la chose était quelque peu ennuyeuse et rébarbative. Les rues étaient les mêmes, l’ambiance était silencieuse… Seuls les bruits des volets troublaient parfois le silence des ruelles bétonnées… ça, et le bruit de mes chaussures tactiques. Un bruit très doux à mes oreilles cela dit.

J’avais revêtu ma tenue noire. A défaut de posséder un uniforme au camouflage urbain, j’avais opté pour l’éternel camouflage noir des forces spéciales. Rien de tel que le noir pour se fondre dans la nuit. Et puis le noir, c’est classe bordel !

Tenant une cigarette entre mes doigts, je prends une bouffée de ces volutes toxiques qui raccourcissent la vie, et, voyant la lueur rougeoyante approcher dangereusement de mes doigts caleux, je la jette dans le caniveau. Et pour faire bonne mesure, je l’écrase du bout de mon pied. Je réajuste ensuite mon équipement.

Mon arme en bandoulière, attachée à une dragonne, canon vers le bas, je profite de l’avoir autour de mes épaules pour réajuster le col de mon gilet tactique. Les chargeurs cliquètent alors ensemble, dans un bruit métallique si doux à mes oreilles. Je revérifie rapidement que mon pistolet soit correctement attaché à ma cuisse droite, et que mon couteau soit toujours présent sur mon épaule gauche, le pommeau tourné vers l’avant. J’adorais le mettre ici. En cas de besoin, il suffisait que mon bras droit face un geste sec et rapide pour le retirer de sa gangue à velcro, pour ensuite poignarder quiconque se présenterait devant moi et tenterait… Bah de mourir. Clairement. Un adversaire ferait mieux de rester loin de moi et de me tirer dessus plutôt que de se pointer devant mes basques. Un coup de couteau dans la gorge, c’est vite fait.

D’ailleurs, penser à ça me fait partir dans des rêveries, songes et autres fabulations tirées à moitiés de rêves imaginaires, à et moitié d’une réalité passée. Oui, j’avais déjà utilisé mon couteau au combat, mais non, jamais à la manière de terminator, faut pas déconner. Et ma rêverie se termine lorsque je sens mon arme être soudainement pousser contre moi. Puis vient un hoquet de stupeur – qui n’est pas de moi – et le bruit d’une personne qui recule et qui se met soudainement à respirer profondément. Moi ? Je bouge, un peu. Faut dire que je n’y étais pas préparé. Il devait être tôt pour croiser quelqu’un à cette heure, non ?

- Bordel de m… Exprimais-je, les dents serrées et un léger accès de colère pointant son nez, que je réprimais difficilement. Je souffle comme un buffle.- Grumpf… C’quoi l’idée d’courir sans r’garder d’vant soit ? C’était quoi le but ? Se prendre une balle par erreur ?

Encore un boulet chanceux d’avoir trouver ces murs pour survivre gratis…

Je suis légèrement en colère tout de même. Cette patrouille, bien qu’utile, était des plus ennuyeuses. Depuis vingt heures du soir, hier soir, je n’ai rien fais d’autre que marcher de nuit, seul, et poser mes yeux sur tout ce qui pouvait se trouver dans mon entourage, histoire que tout aille bien… Seul moment de ma soirée : ce type complètement saoul effondré devant la porte du « Summer’s » que j’ai dû ramener chez lui. Heureusement, il ne m’a pas vomi dessus, mais ce n’était pas loin. Tomber sur cette femme était donc le second moment mouvementé de la soirée… Au moins elle, elle ne me vomirait pas dessus… Et elle avait plus de discussion que l’autre type d’hier qui ne savait rien dire d’autre que « j’suis déchiré » et « J’crois qu’j’vais gerber ». Ce fut, en revanche, une totale stupeur que de savoir qu’elle connaissait mon prénom… Comment ? Depuis quand ?

- Heu… Ouais, c’moi. C’pas grave, y’a pas d’cervelle sur l’sol, c’est qu’tout va bien.

Puis elle continue. C’est donc une amie de Lisa ? Intéressant. Je n’ai pas souvenir de la voir à la maison, mais en même temps, je n’y ait emménagé qu’il y a quelques jours, et parmi ces jours, j’en ai passé quatre dehors en expédition. Donc, je peux comprendre pourquoi je ne l’ai jamais rencontrée plus tôt.

- Hum… Grondais-je en regardant la jeune femme. C’pas grave. D’ordinaire, j’fais aussi mon footing dans ces horaires-là. Y’a jamais personne, c’bien l’manque d’pot d’se rentrer d’dans.

Elle semble ensuite me jauger. Je ne pense pas pouvoir lui en tenir rigueur… Après une telle rencontre, il est normal de dévisager quelqu’un, surtout quand ce dernier fait deux ou trois têtes de plus, et est équipé comme un soldat sur le front. Elle tente de calmer la situation, et livre un détail sur elle.

- Plaider ? Comme c’que j’faisais ces types en soutane avant ? Z’êtiez quoi avant ?

C’est qu’un peu plus et on se mettrait à tailler le bout de gras sur ce trottoir. Mais j’suis en mission de surveillance, ne faut pas que je l’oublis. Et je dois avoir encore quelques heures avant la fin de mon service… Et quelques heures de sommeil.

Hum… Une avocate donc. A y repenser, cela ne semble pas tout à fait déconnant, étant donné le côté carré et vraisemblablement très procédurier de cette femme. Sans doute qu’avant tout ça, et encore un peu aujourd’hui, sa vie devait être bien rangée. Chaque dossier à sa place, chaque papier, chaque courrier et peut-être même, chaque sous-vêtement, dans un ordre bien défini. Je n’y connais pas grand-chose en droit, en magistrature, aussi parlerais-je peut-être avec bon nombre de clichés et une touche de dédain… Mais je ne crois pas avoir jamais apprécié les avocats.

Avant, je les voyais comme des êtres vils, cherchant la moindre faille pour s’y engouffrer et faire leurs petites affaires, et faire leur beurre sur le dos des plus riches comme des plus pauvres. Il y avait des rumeurs dans les rangs à propos de ces gens-là. Certaines de nos missions n’étaient pas très… Regardantes, en matière de droits humains et autres législations internationales. Il m’est ainsi arrivé à plusieurs reprises, d’être parachuté, hélitreuillé, ou même déposer en vedette ou en canot tactique, sur des territoires qui, jamais, n’avait autorisé notre présence. Souvent, ces territoires étaient ceux de nos ennemis, et ainsi donc, ces opérations militaires revêtaient un caractère spécial. Mais d’autres fois, nous violions les frontières de territoires neutres, pour accéder aux terres visées, et ça… Si ça se savait, bah on était dans la merde !

J’avais donc déjà entendu circuler des noms de cabinets ou de sociétés, et même, parfois, des cartes de visites. On recommandait tel ou tel magistrat avant une mission, juste au cas-où notre mission soit rendue publique, et que nous soyons emmenés devant un juge. Oh, il y avait bien la carte de la subordination : c’était les ordres, on les a appliqués. Mais bon… L’inconvénient des forces spéciales, c’est que quand ça pue trop, les chefs nous abandonnent, parfois. A y repenser, c’était surtout le cas pour les opérations clandestines de la CIA… Nous, les SEALs, bénéficions d’un peu plus d’aide de ce côté-là, nos missions ayant toujours été approuvées par le Sénat.

Mais il n’empêche que je n’appréciais pas les avocat auparavant, à cause de leur propension à mentir et détourner des preuves et des lois, des jurisprudences et que sais-je encore, pour faire innocenter criminels et rebus de la société, et gagner ainsi, un sacré pactole au passage.

Je décrivis ainsi une moue du visage lorsqu’elle parlait de la fameuse toge, et ne répondit rien. Un léger souffle s’apparentant à un grognement sorti de ma gorge, mais rien de plus. Elle fit ensuite marcher ses neurones, et outre le qualificatif ronchon – qui m’allait bien fallait l’avouer – elle tenta de deviner mon ancien métier, et, j’imagine, les tenants et aboutissants qui se trouvaient derrière ces informations. Je me contentais d’acquiescer, avant de lui répondre d’une voix légèrement rauque par la fatigue et mon cigare de tout à l’heure :

- Affirmatif ! Navy SEALs, cinquième compagnie d’combat, forces spéciales d’l’US Navy. Z’avez l’œil. C’est l’équip’ment hein ? ça aide y parait. Ou alors, elle devait déjà avoir eu à faire avec des types dans mon genre, allez-savoir avec les avocats ! Bon, c’pas l’tout, mais j’ai encore une ronde à terminer, et j’suis d’service encore 2 heures ! J’pense que vous pouvez r’prendre vot’ footing tranquill’ment maint’nant.

Bah ouais, j’ai des choses à faire moi.