De ce que je comprends de ses premières phrases, de ce que j’en saisis, elle n’est sans doute pas Américaine. Une Américaine, même après cinq ans d’apocalypse, se serait assurément comportée en patriote fière mesurant toute la porte et l’étendue de ma présence. J’étais effectivement le fruit d’un entrainement militaire parmi les plus rigoureux de ce monde. Un engagement dans l’élite de l’armée, l’élite de la Navy, issu d’une sélection impitoyable, qui, chaque année, provoque moultes blessures parmi les candidats. 80% d’échecs à chaque situation d’élimination, à chaque test, à chaque épreuve. Ne pas dormir pendant des jours, ne pas manger parfois aussi longtemps… Et subir une formation d’excellence, qui coûte des centaines de milliers de dollars au contribuable Américain. Enfin, aux anciens contribuables Américains…

- Affirmatif m’dame. J’effectue un semblant de salut militaire, une vulgaire moue de la main vers le côté de mon front en somme. Mais la t’nue noire, c’t’exceptionnel. Nous, on est en camouflage ordinaire. La t’nue noire, c’t’ait pour not’ déploiement quand tout est parti en couilles, y’a 5 ans. Mais c’bien utile aujourd’hui. Les SEALs, c’est l’élite, de l’élite, parmi l’élite des forces militaires de not’ pays. Quand les SEALs sont dans l’coin, c’est qu’les choses sont vraiment craignos. Mais vous n’êtes pas Américaine, non ?

Rien ne presse, rien ne presse… C’est elle qui le dit, et elle le dit vite ! C’est que j’ai une faction à terminer, et un service à honorer encore quelques temps. Il me reste deux ou trois rues à explorer, à reconnaître, bien qu’à cette heure, je ne pense pas avoir quoi que ce soit à faire… A part aider quelqu’un à sortir ses poubelles ?

- Vot’ présence n’m’ennuie pas, nan. Mais j’suis au travail ici, eh oui. Hum… Adjudant-chef. J’étais adjudant-chef, chef d’section et j’faisais parti d’l’état-major d’ma compagnie d’combat.

Bon, pour sûr, je ne suis pas le plus loquace, ni le plus enjoué des individus, et sans doute cette conversation aurait-elle piqué un brin l’orgueil de notre avocate à soutane. Soutane qui n’existe plus depuis des années, apparemment. L’aurait-elle seulement portée un jour ? Boarf… Rien à foutre. Elle à l’air sympa, elle à l’air cool, mais merde, une avocate… Ca, ces abrutis de la police militaire, et ces putains d’administrateurs de mes couilles… Je les supportes pas.

Ah ! Une Canadienne ! Nos voisins à l’accent bizarre et aux habitudes toutes aussi uniques que l’on ne comprend presque jamais, surtout avec leurs habitudes… Bizarres. Il parait que les Canadiens sont plus pacifistes que nous… Enfin, étaient plus que nous étions, car aujourd’hui, les choses ont dû changer… Ne serait-ce qu’à cause de la fin du monde. Bon, par contre, qu’elle me prenne pour un con en me parlant comme ça, c’est plutôt moyen… « Le pays au-dessus du vôtre » … Ouais… Je n’ai pas fait de longues études, mais je ne suis pas né dans la sève d’un arbre avec une hache à la main ! Cliché vous dites ? Ouais, et alors ?

Par contre, c’est à la fin de sa dernière diatribe que je perçois un léger potentiel, quelque chose d’intéressant alors qu’elle me demande quelques conseils de pro pour la débutante qu’elle était. Je dois dire que cette question, n’était absolument pas attendue… Je m’attendais d’ailleurs plutôt à un « aurevoir » peu poli digne du bouzeux que j’étais sans aucun doute à ses yeux. Quelque peu intrigué, et sans doute surpris, je la regardais d’un air pantois durant une ou deux secondes, avant de me ressaisir à l’aide d’un raclement de gorge pas piqué des hannetons.

- Heu… Ouais, courir c’est bien, mais faut pas qu’ça. Et, pareil, s’muscler c’est bien, mais faut pas qu’ça non plus. Courir le matin, et faire un peu de renforcement musculaire l’après-midi, ça m’parait pas mal ! Et ensuite, porter des coups et en recevoir ! Y’a pas plus formateur, ça c’est vrai ! Et toujours avoir un flingue à porter d’main.

Bon, ce dernier conseil était d’une évidence enfantine, sans doute pas réellement un conseil vu la vie d’aujourd’hui, et le monde dans lequel nous évoluons… Mais bon, elle était Canadienne. Les flingues, chez eux, ce n’est pas une science infuse, ni quelque chose d’aussi légalisé et aussi répandu que chez nous. Enfin, je crois. Mais j’espère qu’elle saura quand même aligner une ou deux têtes dans son viseur le jour où il le faudra… En espérant que ce ne soit pas moi, le pauvre taré chargé de sa sécurité en expédition… Manquerait plus que ça !