La réponse de la jeune femme avait le mérite d’être honnête, et même si elle lui fit l’effet d’une lame chauffée à blanc plantée dans le coeur, la grecque voulait s’accrocher à un espoir filant, qui s’effritait à mesure que les mois, les années s’égrenaient. L’espoir qu’un jour elle n’aurait plus à craindre pour la vie de ceux auxquels elle tenait, qu’elle n’aurait plus à lutter pour eux, plus à s’écorcher l’âme lambeau par lambeau. Mais pour l’heure, le monde entier revêtait les traits menaçants d’un ennemi vicieux, insaisissable. Une ombre fugace, redoutable de fourberie. Le moindre rhume pouvait se muer en pneumonie mortelle. Donner la vie pouvait l’ôter aussitôt. Elena acquiesça silencieusement. Elle refusait de penser que Valérian ou Connor aient pu succomber de cette façon, pas après ce qu’ils avaient enduré, pas avec une telle abnégation férocement ancrée dans leurs coeurs. Quant au Fort, il y avait bien des enfants, des personnes plus âgées dont la santé plus frêle aurait pu ne pas résister à la maladie, mais avec Lisandro aux commandes de l’infirmerie, la grecque avait le sentiment que rien ne pourrait les atteindre. Ils étaient entre de bonnes mains. « Tant mieux. » souffla-t-elle en réponse à Joséphine concernant les risques de contagion. Elle n’aurait pas supporté de mettre en danger ceux qui s’employaient à veiller sur elle avec une prévoyance qu’elle ne s’expliquait pas. « Faire bouillir de l’eau, c’est noté chef. » sourit doucement la brune.

Elena releva instinctivement ses orbes sombres vers la jeune femme quand elle prétendit appartenir à un groupe installé près de Tacoma. Son coeur rata probablement un battement bien qu’elle tâcha de ne rien laisser transparaitre de son trouble naissant. Une communauté. Les chances pour qu’il en existe une autre voisine du Fort était maigres selon elle. Se pouvait-il alors que cette femme ramenée par hasard pour lui venir en aide appartienne à son ancien groupe ? Comme une curieuse coincidence, un coup du destin qui se manifestait à elle, lui rappelait que son existence serait toujours liée d’une façon ou d’une autre à ces gens qui avaient été ses repères si longtemps. Etait-ce donc ça ? Le Fort serait-il toujours cette balise lumineuse dans l’obscurité ? Elena sentit les prémices d’un sourire naître à l’angle de ses lèvres closes. C’était comme si toutes ces années de guerre, de sacrifices n’avaient finalement pas été vaines. Comme si ses batailles acharnées pour protéger les siens étaient remerciées aujourd’hui. Elle détailla alors plus minutieusement ce visage qu’elle ne connaissait pas, comme si elle le découvrait réellement cette fois sans artifices. La jeune femme était d’une grande beauté et d’une bienveillance manifeste. Si elle appartenait tel qu’elle le présageait à The Haven, alors elle y avait sa place sans l’ombre d’un doute.

Elena resta cependant silencieuse à ce sujet, sans rien évoquer qui pourrait trahir son ancienne appartenance au Fort. « Je vois. C’est très généreux et courageux de votre part de quitter le confort que peut offrir une communauté pour venir en aide à des survivants que vous ne connaissez pas. C’est encourageant de voir qu’il existe encore des personnes telles que vous. » salua-t-elle. « Vous étiez médecin avant tout ça ? » En tout cas, pour être aussi investie, aussi altruiste, la grecque l’imaginait sans mal. La suite la conforta dans son idée. Elle n’avait même pas réfléchi avant de venir jusqu’ici avec l’hispanique. La brune souffla d’amusement par le nez avant de tousser dans le creux de son coude. Entre Gabriel qui ne s’était pas posé de questions et cette jeune femme providentielle, Elena se sentait incroyablement chanceuse en réalité. Et reconnaissante surtout. D’être si bien entourée. Joséphine parvenait presque à chasser les démons pernicieux qui tourmentaient l’esprit fébrile de la méditerranéenne. Elle reléguait Zack et ses autres préoccupations au second plan. « Vous êtes venue sans avoir la moindre garantie que vous seriez payée pour le travail fourni ? » Elena essaya de se redresser légèrement à l’aide de ses mains, l’échine de son dos coulissant contre la tête de lit derrière elle. « Je ne saurais dire qui de vous ou Gabriel s'en sort le mieux. » Car une chose était certaine, Elena s’était étonnée de faire des choses dont elle ne se savait pas capable ces dernières années, mais voler ou duper quelqu’un ne lui ressemblait pas. « Votre prix sera le mien. J’insiste. Je ne dis pas que je pourrais tout payer immédiatement, mais je tâcherai de vous régler l’intégralité de ma dette d’une manière ou d’une autre. » affirma la jeune femme.

Normal. Le choix précis de ce mot fit sourire tendrement la brune. Rares étaient ceux qui prêtaient main forte à leur prochain sans y trouver un intérêt personnel à l’heure actuelle. La charité appartenait à une autre époque, révolue depuis longtemps. La méfiance campait l’esprit de ceux qui avaient survécu de la pire des manières, elle rendait l’homme individuel, égoïste. The Haven était différent pour cette raison : sa politique reposait sur les fondements solides profondément enracinés, d’une histoire que des gens qui avaient été ses amis avaient contribué à écrire. Avant même d’être le Fort florissant qu’il était aujourd’hui, cette communauté avait toujours prôné des valeurs d’entraide. C’était ce qui avait uni le ranch et les rescapés de Tacoma à l’époque, puis ce qui avait motivé le groupe de la prison à leur venir en aide. C’était pour cette raison que ce groupe était devenu un sanctuaire pour toutes les âmes qui souhaitaient s’y intégrer. Elena ressentait de la consolation ; comme la satisfaction d’une vieille dame observant avec sagesse et soulagement l'œuvre d’une vie laissée derrière elle. Après elle, après eux, The Haven continuerait de répandre ses principes fondamentaux, prospérerait à travers les jeunes générations qu’ils s’étaient efforcés de protéger coûte que coûte.

“La normalité n’est plus vraiment à la mode j’ai l’impression.” sourit-elle tristement. “Ne balisez donc pas vos actions ; elles sont louables, plus que vous ne le soupçonnez. Je ne perds pas espoir que des gens comme vous ramènent un jour la paix autour de nous.” Elle rêvait parfois avec l’utopie d’un esprit naïf d’un monde sans guerre avec les Remnants, sans menace de New Eden, sans ces luttes quasi fratricides entre survivants partageant un ennemi commun : la mort qui cherchait sans cesse à les rattraper tous. D’un avenir paisible, serein. Des personnalités comme la jeune femme, volontaire, altruiste, courageuse, étaient forcément en mesure de leur offrir ça. Elle avait peut-être échoué, mais elle n’avait pas perdu espoir pour les autres. “Je suis contente d’entendre que les vôtres sont en sécurité.” commenta la brune avec une sincérité dont Joséphine ne pouvait même pas mesurer l’étendue.

“Pompier ? ça vous va comme un gant.” fit-elle remarquer. La brune n’avait-elle pas fait preuve d’une bravoure exemplaire en volant à l’aveugle au secours de parfaits étrangers en compagnie d’un parfait inconnu ? “Il est certain que vous avez eu de la chance de tomber sur Gabriel, et la réciproque est aussi vraie. Toujours est-il que si vous avez besoin d’un service, à n’importe quel moment, n’hésitez pas à venir nous trouver. Même si vos motivations n’étaient pas intéressées, j’aimerais pouvoir vous rendre la pareille un de ces jours.” Les bons comptes faisaient les bons amis disait-on, non ? Elena était une femme d’honneur avant tout, et Joséphine lui inspirait de la sympathie. “J’ai l’intime conviction que nos routes se croiseront de nouveau.” souffla la grecque dans un sourire.

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